Chapitre 36

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Eden,

Je devrais sûrement commencer cette lettre en m'excusant. Alors : Désolée, Eden. Pour tout. Pour ça, mais aussi pour avoir été un boulet dans ta vie. Je suis tellement, tellement désolée d'avoir été moi. Je sais que nous deux, ça ne fonctionnait pas tous les jours. Qu'on se marchait souvent sur les pieds (façon de parler) malgré l'amour qu'on se portait l'une pour l'autre.

Tu es une bonne sœur, Eden, je veux que tu le saches. Tout ça...ce n'est pas à cause de toi. Je refuse que tu penses que c'est ta faute et que tu vives avec la sensation d'avoir failli ta tâche. Tu n'as RIEN fait de mal. Le problème, c'était moi. Pas toi. Et ça ne l'a jamais été, d'accord ? Tu as été gentille avec moi, prévenante, aimante, parfaite. Je suis honorée d'avoir été ta petite sœur. D'avoir eu la chance de te connaître, de passer du temps avec toi.

Le truc, c'est que je n'y arrive plus. Je n'arrive plus à faire semblant que tout va bien, que je vais bien, que je suis heureuse. On a tous nos limites, et je crois avoir atteint les miennes. J'ai dépassé la ligne rouge, je suis arrivée au point de non-retour. Je me suis battue, tu sais ? Je ne veux pas que tu crois que j'ai baissé les bras. Je me suis battue comme une acharnée, mais rien n'est plus difficile que se battre contre soi-même. On connait chacune de nos failles, chacune de nos faiblesses, et on sait où frapper pour que ça fasse mal. Je me suis achevée, j'ai perdu la guerre.

Après l'accident, quelque chose est mort en moi. Je ne saurais dire quoi, mais j'ai recommencé à le ressentir, le vide. Il me bouffait de l'intérieur jour après jour, mois après moi, grugeant tout ce qui faisait que j'étais moi. Il annihilait ma personnalité, me dévorait. Tu dois te demander pourquoi je t'en ai pas parlé. J'ai pensé à le faire, tu sais, mais j'avais peur. Peur que ne comprenne pas l'ampleur de ma détresse ou que tu me regarde avec pitié. J'étais déjà un poids pour toi, je ne voulais pas que tu t'inquiète davantage. Tu le faisais déjà assez. Je refusais de te faire ça. Je pouvais gérer ma douleur, mais pas la tienne.

Et puis, j'avais honte. Dès que mon regard croisait le tien, je ressentais une honte si puissante qu'elle me dévorait de l'intérieur. J'ai vécu un an en te mentant, et je crois que ça aussi, ça a eu raison de moi. Le poids de mon mensonge m'a enfoncée six pieds sous terre. Je n'ai pas été complètement honnête avec toi à propos de l'accident. Avec du recul, ce n'est peut-être rien, j'aurais peut-être pu te le dire sans que tu me regardes comme si j'étais un monstre, mais j'avais peur. Tout le monde m'a tourné le dos, je ne voulais pas que tu le fasses, toi aussi. Alors j'ai préféré me taire, mais aujourd'hui, je ne peux plus. Je ne peux plus faire comme si j'étais toute blanche dans cette histoire.

Ce n'est pas Océane qui était ivre, cette soirée-là, mais moi. Je ne contrôlais plus mon corps, mon esprit était tellement embrouillé...C'est moi qui aie causé l'accident. Je ne sais pas ce qui m'était passé par la tête, je ne m'en rappelle plus, c'est toujours aussi flou, mais je sais que c'est ma faute. J'ai attrapé le volant. Pas Océane. Si son père est mort, c'est à cause de moi. Et c'est aussi à cause de moi si mes jambes ne fonctionnent pas. Je suis tellement, tellement désolée, tu n'as pas idée.

Je crois que tu t'en doutes un peu, mais j'étais amoureuse d'Océane. Complètement pincée. Une partie de moi l'aime encore, d'ailleurs. On n'oublie jamais son premier amour, hein ? Je pensais que le vestige de cet amour pouvait faire disparaître le vide et me permettre de vivre sans devoir supporter jour après jour mes démons. Mais non. La voir m'a fait du bien, mais ça n'a pas été suffisant. Ça n'a rien arrangé. Au contraire. Je me suis sentie encore plus minable, encore plus misérable, et j'ai de nouveau été engloutie par ma culpabilité. Je crois que ça a été la goutte de trop. Le vase a débordé.

Je ne dis pas que ça a été la faute d'Océane. Elle a juste été le déclic. Elle m'a permis de réaliser que j'avais déjà perdu, en fait. Que mes démons avaient gagné la guerre et que, j'avais beau m'accrocher désespérément, la chute était imminente. Je n'étais plus capable de rien. Manger, sortir, sourire, dormir, vivre, tout simplement. Ce n'étaient plus des tâches, mais des calvaires. Exister était devenu une torture. Et...je n'en pouvais plus. Se battre contre soi-même est épuisant, Eden. Tellement épuisant, et je suis tellement fatiguée.

Je me suis donnée une semaine pour profiter de toi, de profiter de nous, de la vie. Ça a été une belle semaine, tu sais. Aucun de mes rires étaient forcés. J'ai adoré parler avec toi, cuisiner en ta compagnie, faire brûler des gâteaux, en réussir d'autres, regarder la télévision avec toi, partager des potins, baver sur des célébrités et parler de ta relation avec Samuel. J'ai profité de chaque moment, je n'ai pas fait semblant. J'étais réellement heureuse, mais ce n'était pas suffisant. Rien n'était suffisant. Parce que le soir, quand je me couchais, je pleurais. Et le jour suivant, je faisais comme si de rien n'était. Je ne voulais pas t'inquiéter.

Je veux que tu saches que je ne regrette rien. Vivre avec toi a été une expérience enrichissante. Tu es une bonne personne et j'espère que tu continueras à vivre sans moi. Tu ne comprendras peut-être pas mon choix, et je ne te demande pas de l'accepter. Juste de le respecter. Je suis sur la corde raide depuis trop longtemps, je mérite de me reposer. Et pour ça, je dois mettre fin à tout. Je ne veux pas que tu pleures pour moi. Je veux que tu vives pour moi, mais surtout pour toi. Profite de chaque moment, officialise ta relation avec Samuel, sois heureuse. Tu le mérites tellement, Eden, et je t'aime si fort.

Sois juste heureuse. Je t'en prie. C'est ma dernière volonté. Croque la vie à pleine dents. Ne me pleure pas, ne culpabilise pas. Ce n'est pas ce que je veux. Et renoue le contact avec les parents. Ils auront besoin de toi. Même s'ils ne le montrent pas, je sais qu'ils sont fiers de la femme que tu es devenue. Parce que moi, je suis fière de toi, tu n'imagine même pas. Tu es mon modèle, ma lumière. Je t'aime.

Ne garde en souvenir que nos bons moments,

Ta petite sœur. 

Sacrifices Where stories live. Discover now