Chapitre 19

29 6 2
                                    

Xavier

Étonnement, Eden ne tente pas de me retenir quand je décide de quitter le café. Elle reste assise, complètement immobile, comme figée dans le temps, les mains croisées sur la table. Je remarque que ses doigts tremblent, mais elle ne pleure plus. Je lui tourne le dos et sens son regard me brûler lorsque je passe le seuil de la porte, disparaissant complètement de son champ de vision. J'ignore quand nous nous reverrons, elle et moi, car il est clair que notre relation vient d'en prendre un sacré coup. D'ailleurs, je me demande si son cœur est présentement dans le même état que le mien. Fissuré et bon pour la casse. Comme notre semblant d'amitié. En tout cas, une partie de moi, la plus vile, l'espère.

Il est un peu moins de onze heures quand j'arrive chez moi. Océane est déjà debout, je la trouve dans le salon, son ordinateur portable posé en équilibre sur ses genoux et ses écouteurs vissés dans les oreilles. Elle est toujours en pyjama – un large t-shirt gris et un short de la même couleur. Ses cheveux bruns tombent en cascade derrière son dos et quelques mèches encadrent son visage concentré. Ses doigts volent sur son clavier, elle doit être en train d'écrire ; elle ne fait que ça depuis qu'elle est venue vivre ici. J'ignore sur quoi elle travaille, elle n'a jamais voulu me le dire. Elle lève les yeux de son écran quand je passe devant elle et ses prunelles bleues s'enchevêtrent aux miennes. Ses lèvres roses s'incurvent pour former un sourire, mais quelque chose sur mes traits doit l'alerter, car les coins de sa bouche retombent aussitôt.

Elle retire avec maladresse ses écouteurs, les laissent pendre autour de son cou. Après avoir éteint son ordinateur, elle le pose à ses pieds.

Ça va ?

Les sourcils froncés, son ton est soucieux.

Je me force à esquisser un sourire qui, je le sais, est tout sauf convaincant.

— Ça ne se voit pas ? Je pète la forme.

Même ma voix n'est pas convaincante. Océane plisse des paupières, sentant clairement la supercherie et, avec un soupir, se décale sur la gauche. Sans un mot, elle tapote la place libre à ses côtés. Acceptant l'invitation, je me laisse tomber sur le canapé, son corps vacille quand le coussin s'écrase sous mon poings et nous nous retrouvons si proches l'un de l'autre que nos cuisses et nos bras s'effleurent par moment. Océane se raidit sans s'écarter pas pour autant. J'ai même l'impression qu'elle appuie son épaule contre la mienne, mais c'est probablement mon imagination qui me joue un mauvais tour. Cependant, notre proximité soudaine ne semble pas la déranger, ce qui est un énorme pas en avant dans notre relation.

Il y a encore quelques jours, Océane ne me parlait que dans de rares occasions. Elle était toujours dans sa bulle. C'est à peine si elle était capable de supporter ma présence plus d'une trentaine de minutes ; quand nous nous retrouvions dans la même pièce, elle finissait toujours par s'en aller, prétextant avoir des choses à faire, mais nous savions aussi bien l'un que l'autre que ce n'était qu'une excuse. Il a fallu onze jour à Océane pour se dérider et m'accorder quelques gouttes de confiance, et je me demande combien il lui en faudra encore pour complètement s'ouvrir, mettre en lumière ses parts d'ombres. Océane n'est pas qu'une simple vague, elle est l'océan en intégralité. Calme en surface, vaste en mystères, profonde en secrets.

Et le fait qu'elle connaisse la sœur d'Eden en rajoute une couche. Une nouvelle ombre au tableau, un énième mystère à élucider. Je veux comprendre ce qui les lies avant de tout lui avouer. Je sais qu'Océane possède plusieurs démons, et quelque chose me souffle que Céleste en est un, elle aussi.

Océane repousse une mèche derrière son oreille, dégageant son visage aux traits fins. Je la trouvais déjà belle lors de notre première rencontre, mais il y a quelque chose qui a changé en elle, un nouvel éclat dans le fond de ses prunelles, ce qui la rend tout simplement sublime. C'est comme si elle avait gagné en confiance ou qu'elle avait la paix avec elle-même, délaissant une part de son chagrin et de rage qui lui pesait.

Sacrifices Where stories live. Discover now