Chapitre 17

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Xavier

Eden : ça te dirait de prendre un café ?

Je me frotte les yeux du revers de la main, l'autre tenant mon téléphone qui m'éclaire faiblement le visage. Je me redresse en position assise sur mon lit, les coudes posés sur mes genoux couverts par un édredon. La lumière du soleil, dorée et puissante, traverse les stores de l'unique fenêtre de la pièce pour dévoiler les particules de poussière en suspension dans l'air. Mes rideaux s'agitent légèrement à cause d'une brise d'air qui vient apaiser la chaleur étouffante qui caractérise le mois d'août. En repoussant mes draps sur le côté pour me libérer les jambes, je pose mes pieds à plat sur le sol et accepte la proposition d'Eden, aussi étonnante et fortuite soit-elle. Il y a neuf jours, elle quittait précipitamment avec sa sœur le centre commercial, fuyant comme si elle avait le diable aux trousses. Comme si j'étais le diable.

Et maintenant, elle m'invite à boire un café en sa compagnie.

Bizarre.

En soupirant, je repousse les doutes qui commencent à s'entasser dans ma tête déjà bien encombrée, et laisse tomber mon téléphone sur le lit. Je me penche pour attraper un t-shirt et un jean qui trainent sur la vieille boîte brune qui contient mon matériel de photographie, qui, chaque mois, prend davantage la poussière. Je n'ai jamais été une personne très passionnée. Du plus loin que je me souvienne, rien ne me faisait vraiment vibrer, mais j'ai tout aimé la photo. Capturer l'instant présent d'un simple clic, transformer le temporaire en permanent, rendre la beauté d'un moment intemporel, l'emprisonner dans un dôme de verre comme une rose afin de la préserver des méandres de la vie. J'étais même plutôt doué. J'avais pour projet de développer ce semblant de talent afin d'en faire mon métier — malgré l'entreprise de mon père qui aspirait à m'appartenir un jour, j'avais ce besoin de construire ma propre voie et il était évident que les études n'allaient pas m'aider à me construire un avenir professionnel. Pour preuve, je n'ai jamais été diplômé.

Il m'arrive d'ouvrir ce carton pour contempler mon appareil photo. Plus d'une fois, j'ai essayé de le sortir de sa prison brune, de le tenir entre mes mains, ressentir le même élan qui me traversait à chaque fois que je le touchais, mais il y a toujours quelque chose qui me bloque à la dernière seconde et me force à reculer. Une petite voix aussi vicieuse qu'insidieuse qui me susurre à l'oreille que je ne mérite pas de replonger dans ce domaine et, qui sait, effleurer du bout des doigts mon rêve. Parce qu'elle n'a jamais pu le faire. À cause de moi.

Dès que cette pensée me traverse l'esprit, je siffle comme si je venais de me brûler. Dans ma poitrine, mon cœur se replie sur lui-même, à l'instar d'un enfant qui se protège des coups de ses bourreaux. Une pique de douleur me transperce et je ferme les yeux, les poings serrés le long de mon corps. J'attends que la souffrance passe avant de les rouvrir. Je me demande si, un jour, j'arriverais à penser à Colombe sans avoir aussi mal. Je ricane. C'est bien beau de rêver. Il y a trois ans, Colombe était ma bénédiction, la main à laquelle je me cramponnais. Maintenant, elle n'est plus rien d'autre qu'une malédiction. Un fantôme qui me hante par son souvenir.

Je secoue la tête et enfile en vitesse les vêtements. J'attrape mon téléphone et quitte la chambre en coupe-vent. La porte claque à mon passage.

***

Il est prêt de neuf heures du matin quand j'arrive au point de rendez-vous, un café qui se trouve à quelques kilomètres de chez moi. Je pousse la porte vitrée, mon geste faisant tinter une petite cloche, et une odeur sucrée vient m'effleurer les narines tandis que je cherche Eden des yeux. Victime de sa popularité impressionnante, le bistro est bondé, toutes les tables sont pleines et une file s'étend derrière les caisses. Pourtant, je repère Eden assez rapidement. Installée dans le fond, en retrait des autres clients et à proximité d'une large colonne décorée par des reproductions de tableaux célèbres, elle est absorbée par son roman.

Sacrifices Where stories live. Discover now