Chapitre 30

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Céleste

Ça n'a pas fonctionné.

Cette pensée tourne en boucle dans ma tête depuis le départ d'Océane. Le goût âcre de la déception m'explose dans la bouche, me colle au palais et m'arrache un frisson, qui dévale à vive allure mon échine dorsale. Étendue sur le dos dans mon lit, mes yeux fixent un point invisible sur le mur, mon esprit fonctionnant à cent à l'heure, ne m'accordant aucun répit. J'appuie mes deux paumes sur mes paupières, si fort que des zébrures blanches apparaissent. Putain, mais quelle idiote ! Qu'est-ce que je pensais, bon sang ? Qu'il suffisait que son regard croise le mien pour que je me sente mieux et que tous mes problèmes se volatilisent ? Que sa simple présence suffisait à me faire oublier un an de cauchemars ? Qu'elle était la solution à tous mes soucis et que la sensation de vide qui me creuse continuellement la poitrine s'en ira juste parce qu'elle est là ?

Stupide, stupide, stupide...

Oui, au fond de moi, c'est ce que je pensais. Je pensais qu'Océane était le remède à tous mes maux. Après tout, cette histoire a débuté avec elle. Pourquoi ne pourrait-elle pas terminer avec elle ? J'ai placé tous mes espoirs dans cette rencontre, en elle. Je croyais qu'elle allait me guérir, me faire sentir vivante, heureuse, apaisée, pleine. Et pourtant... Les démons dans ma tête sont encore là, la même voix vicieuse me susurre toujours à l'oreille ces horribles choses.

Tout ça, cette histoire, c'est à cause de toi.

Ton entourage se porterait mieux sans toi.

Tes parents n'ont pas besoin d'une fille comme toi.

Personne ne t'aime, ils font semblant pour ne pas te blesser.

Tu es un poids pour ta sœur, tu la tires vers l'arrière.

Elle serait tellement plus heureuse si tu n'étais plus dans sa vie.

Tu aurais dû mourir à la place du père d'Océane, tu as gâché sa vie.

Au fond, je ne sers à rien, je ne suis rien, je n'apporte rien. Tout ça, les efforts de ma sœur, sa persévérance, sa bonne humeur au quotidien, sa présence, son amour... C'est pour rien.

J'écarte les doigts et, quand mes yeux se réhabitent à la pénombre où est plongée ma chambre, je tourne la tête sur le côté pour fixer ma porte. Entrebâillée, elle laisse entrer un mince filet de lumière jaune, qui dissipe les ombres qui dansent dans la pièce. Sur ma table de chevet repose le dîner que ma sœur m'a apporté, il y a une heure. Je ne l'ai pas touché. J'ai faim, mais je n'ai pas l'énergie de me nourrir. Je pousse un soupir et tends l'oreille jusqu'à pouvoir entendre les voix basses de Samuel et Eden discuter. Ils doivent être dans la cuisine, car je perçois le bruit des verres qui s'entrechoquent et l'eau qui coule. À un moment, Eden éclate de rire. Ce son me prend aux tripes, mais de la bonne façon. Je suis heureuse qu'elle se soit réconciliée avec Samuel.

Je n'aurais jamais dû m'interposer entre eux et tenter de gâcher leur relation. Même si je continue à penser qu'Eden mérite mieux, Samuel lui fait du bien. Il a un tas de problèmes, il peut se montrer toxique, mais jamais envers ma sœur. Ça ne soit à des kilomètres qu'il est toujours amoureux d'elle et que leur première séparation n'était qu'une erreur. Il y a des histoires d'amour qui n'ont pas de fin, seulement des pauses. C'est le cas de la leur.

Ils ont connu des hauts et des bas, ils ont dû traverser un tas d'obstacles, mais, finalement, ils se sont retrouvés. Un peu comme si leurs âmes avaient été conçues dans le même moule et qu'elles s'attiraient mutuellement.

J'ai toujours cru aux coups de foudre. L'amour n'est pas qu'un concentré d'émotions fortes, mais plutôt une succession de pas de danse qu'il faut interpréter en symbiose avec la personne qui possède notre cœur. C'est une valse, un ballet, un slow, un tango. Je me rappelle l'époque où Océane était tout pour moi. J'étais persuadée au fond de moi que nous étions faites l'une pour l'autre. Elle représentait mon monde, le centre de mon univers, l'astre autour duquel je gravitais, le proton que je cherchais en vain pour me stabiliser. Mes sentiments pour elle étaient forts, sincères, réels même si je ne la connaissais que de loin. Le seul moment intime que nous avons partagé, c'était la nuit de l'accident, lorsque je l'avais embrassé. J'étais bourrée, à deux doigts de m'évanouir, mais j'étais consciente de chaque contact, chaque effleurement, chaque respiration. J'étais amoureuse d'elle. Irrévocablement et complètement pincée.

Maintenant, je ne sais plus ce que je ressens, si je suis encore capable de ressentir. Le vide dévore tout. Il me dévore. Et je me demande combien de temps il me reste avant qu'il ne m'avale en entier et ne laisse derrière lui qu'une carcasse.

Parce que s'il y a une chose dont je suis sûre, c'est que, malgré ma détermination, il est en train de gagner la guerre.  

Sacrifices Where stories live. Discover now