Trente-cinq ans, grande, brune, l'air sévère, Pauline était employée de banque et vivait seule dans un appartement aux murs blancs qu'elle n'a jamais songé à décorer car elle s'était toujours sentie sur le départ. Presqu'aussitôt après son embauche, douze années plus tôt, elle avait ressenti qu'elle n'était ni dans ce métier et ni cette grande ville et que sa vraie vie était ailleurs. Pourtant, les mois et les années avaient passé, le temps comme de l'acide avait rongé petit à petit son énergie, sa volonté et son goût de vivre. Mais elle n'avait pas bougé car elle n'avait toujours pas trouvé sa place et la vie qui l'attendait. Elle avait fini par se dire qu'elle ne les trouverait sans doute jamais. Elle pensait qu'un jour l'épuisement et la lassitude de cette « non-vie » la tueraient pour de bon, qu'elle ne dépasserait pas l'âge de quarante-cinq ans. Elle rêvait parfois la nuit qu'elle perdait son travail, se retrouvait à la rue et mourrait de faim et de froid et que la seule personne présente à la cérémonie de son enterrement était Josiane, une femme très généreuse qui avait l'âge de sa mère, qui l'avait pris sous son aile quand elle était jeune employée et lui avait appris son métier. Comparé à ce cauchemar, elle se disait que mourir seule dans son appartement avec son chat Félix ne serait pas une si mauvaise fin. Voilà comment Pauline envisageait le reste de sa vie. Jamais elle n'aurait imaginé ce qui allait lui arriver quand elle entra dans ce supermarché, un soir d'octobre pour y faire quelques achats en rentrant de son travail.