Kilo-drames TOME II

Por MohamedLMClt

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La perte est une peste, va-t-elle la surmonter ou s'enfoncer ? Más

Partie 1 - « La mort n'arrête pas l'amour. »
Partie 2 - « Comment vivre ? »
Partie 3 - « Un janvier different. »
Partie 4 - « Une pilule dure à avaler »
Partie 5 - « Se comprendre »
Partie 6 - « Aujourd'hui plus qu'hier et bien moins que demain. »
Partie 7 - « L'amour est sensé nous enrichir »
Partie 9 - « Boum... Boum... Tachychardie »
Partie 10 - « Parce que tu m'aimes. »
Partie 11 - « L'Amour des maux. »
Partie 12 - « Devenir sa femme »
Partie 13 - « Une rencontre »
Partie 14 - « Les jeunes mariés »
Partie 15 : « Le coeur supplicié »
Partie 16 - « L'ombre brisée »
Partie 17 - « Nid à problème »
Partie 18 : « Son coeur dur s'immole »
Partie 19 - « Le premier amour... »
KILO-DRAMES PARTIES FANTÔMES
KD #3 ALTERNATIVE // Partie 20 // Les souvenirs.
Partie 21 : « Désir ou désillusion »
Partie 22 : « Les battements de son coeur »

Partie 8 - « Le temps d'un instant »

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Por MohamedLMClt

Hey tout le monde ! Voici la suite tant attendu.
N'hésitez pas à donner vos avis en commentaire.
Et de répondre à la question de fin.
Merci à celles qui le feront.
Je vous souhaite une bonne lecture.
_________________

Elle accourt vers lui. Il se lève. Il affiche un rictus que je n'avais jamais vu auparavant. Pourtant, depuis que je le côtoie, il a toujours eu le sourire facile mais là, c'est spécial. C'est comme si, on lui avait exposé la plus belle merveille du monde. Elle saute dans ses bras. Instinctivement, je me lève de ma chaise. Elle le recouvre d'un nombre incommensurable de baisers.

Est-ce que j'ai bien entendu « Papa » ?

Une dame d'un certain âge, ni trop âgée, ni trop jeune, est postée à l'entrée. Elle a le sac de la petite fille dans les mains. Elle salut de la tête Djibril et me passe le bonjour.

- Tu devais pas aller à l'école toi ? demande-t-il les étoiles dans les yeux.

- Aujourd'hui ma maîtresse est pas là et j'ai demandé à Sabrina de m'emmener te voir.

- T'es plus fâchée ?

- Non, - en bougeant sa tête de gauche à droite - T'as le droit à une deuxième chance quand même.

Elle hausse les épaules d'une manière espiègle. Djibril dépose ses lèvres sur son front. Son sourire ne le quitte plus. Je me demande quel épisode j'ai manqué. Il a un enfant ? 24 ans et déjà père. En fait, j'ai du mal à y croire. Peut-être que c'est juste une façon de parlée. Je m'aventure dans des explications farfelues alors que la réponse est limpide : ils se ressemblent. Je vois ses airs en elle.

Elle me montre du regard. Une communication non-verbale commence entre eux. Mon coeur s'apaise en quelques secondes.

Il la place sur sa chaise.

- Leyäna, j'te présente Rihanna. Rihanna, j'te présente ma petite princesse.

- Grande princesse papa ! J'vais avoir 7 ans ! s'insurge-t-elle en chuchotant. Bonjour, madame.

- Bonjour, dis-je en souriant. Ça va ?

- Très très très bien merci. Vous, vous avez pleuré on dirait. C'est à cause de Papa ? demande-t-elle innocemment. Si oui, je comprends. Il est bizarre parfois.

- Bizarre ? se questionne Djibril.

- Bah oui papa, t'es bizarre. Tu comprends rien.

- C'est vrai qu'il est bizarre, dis-je en la regardant en souriant. T'as un conseil à me donner pour éviter tout ça ?

Elle acquiesce de la tête, l'air ravie de m'aider. Elle s'échappe des bras de son père et court vers moi. Elle me demande de me pencher. Je m'abaisse à sa hauteur. Elle me chuchote à l'oreille : « Vous lui dites : si tu continues, je vais plus t'aimer et tu seras plus mon papa. Ça marche toujours ! »

Je suis touchée par son innocence. C'est l'incarnation de l'Amour avec un grand A. Son conseil est d'un sérieux de titan. Je la remercie. Elle m'observe un moment, penche sa tête d'un côté et me sourit. Ils ont le même sourire, et contrairement à lui qui en a deux, elle a une fossette sur la joue gauche. Ses grands yeux noirs et sa petite bouille d'ange me font succomber.

- Papa, c'est ta copine ?

- Ma quoi ?

- Ta copine, alala. Vous avez vu, il comprend rien. Par exemple, Yasmine, c'est ma copine, bah est-ce que, c'est ta copine ?

Il rigole.

- Est-ce qu'on est amis ? me demande-t-il.

- Non. Je préfère pas, soufflais-je à l'oreille de Leyäna. J'ai plus envie d'être amie avec toi moi.

- C'est vrai ?

- Bah oui.

- Trop bien ! Alors, pour ça, il faut que je te présente mes copines. J'en ai deux. C'est mes meilleures copines ! Tu peux être la troisième si tu veux... bon Rica risque d'être fâchée mais elle c'est ma super meilleure amie donc ça compte pas. Tu lui diras pas d'accord ?

Elle est passée du vouvoiement au tutoiement en un claquement de doigt. Son enthousiasme me fait craquer.

- Avec grand plaisir. Et oui, je lui dirais rien.

- Je vais avoir 7 ans donc je t'invite à mon anniversaire. On va faire la fête chez Papa avec tout le monde. Il y aura maman, tonton, tata Anta, grand-mère, grand-père, Sabrina, Yasmine, Célia... dit-elle en me les énumérant avec l'aide de ses doigts. Il y aura tout le monde ! Tu veux venir ? C'est dans pas longtemps !.., enfin... je crois.

- Je vous dérange pas ? demande Djibril.

- Papa, Ri... Ri... quoi déjà ? C'est quoi son prénom ? J'ai oublié. - en se grattant la tête -

- Rihanna, répète Djibril.

- Je m'appelle Rehana mais ton papa aime bien m'appeler Rihanna.

- Tu veux que je t'appelle comment ?

- Comme tu veux.

- Bon bah Rihanna comme Papa.

Je souris.

- Est-ce que Rihanna peut venir à mon anniversaire ? dit-elle en retournant vers lui.

- Leyä, faut voir. Tu peux pas inviter tous les gens que tu croises et peut-être qu'elle a un truc à faire.

- C'est pas tous les gens, c'est ma copine.

- Excuse-moi, « ta copine », dit-il en mettant des guillemets.

- Papa, t'es vraiment pas drôle !

- On verra.

- Tu veux venir Rihanna ?

- Si c'est toi qui m'invite avec plaisir.

- Tu vois, elle veut bien.

Elle se rassoit sur la chaise de Djibril et s'amuse avec l'ordinateur. Je fais signe au Monarque que je retourne au boulot.

- Leyäna, j'y vais. J'espère te revoir bientôt.

- Oui ! Au revoir Rihanna, me dit-elle.

- Sabrina, tu restes avec elle deux minutes.

- Oui, réponds la jeune femme à l'entrée.

Il m'accompagne à la porte.

- J'suis désolé, elle s'excite toujours quand elle rencontre de nouvelles personnes.

- Tel père, telle fille.

- J'avoue, elle tient beaucoup de moi.

- Je savais pas que t'avais une fille... je suis surprise.

- Maintenant, tu sais. Pourquoi surprise ?

- Je m'y attendais pas du tout.

- T'es pas au bout de tes surprises.

- Tu caches quelles cartes encore ? T'es marié c'est ça ?

- Marié ? Respecte moi un peu. Si je l'étais, j'aurais pas le temps pour jouer de mon charme.

- Excusez-moi chef ! - en souriant - Elle est très belle Ma sha Allah.

- Elle tient sa beauté de qui à ton avis ?

- Elle a raison, t'es bizarre, dis-je en faisant une grimace.

- Je préfère cette tête à celle de tout à l'heure.

- Elle a encore une fois raison : t'es pas drôle ! Décidément, la vérité sort de la bouche des enfants.

Il sourit. Je m'éclipse sur ses mots. Il a une fille. Qui l'aurait cru ? Je traverse le couloir en réfléchissant si je n'avais pas rêvé. Je me retourne plusieurs fois pour être sûr que je ressors bien de son bureau.

En arrivant, je tombe sur Erica, elle est au téléphone. Je m'affale sur ma chaise un peu déroutée. Lorsqu'elle finit son appel, elle m'interpelle.

- T'étais où ?

- C'est à moi de te demander ça.

- J'ai eu un petit soucis de voiture.

- Ah. Ça va sinon ?

- Oui, mais toi, on dirait pas.

- Djibril a une fille ? lui demandais-je comme si je n'avais pas eu la réponse, les sourcils froncé d'étonnement.

- Tu l'as vu ? - en souriant -

- Oui, ils sont dans son bureau.

- Oh ma petite princesse est là. Faut que je la voie cette chipie !

- Je suis choquée. Je m'y attendais pas.

- Ah bah voilà, surprise !

- Mais comment ? Enfin.

- Rares sont ceux qui sont au courant ici. En fait, il le déballe pas comme ça. La dernière fois quand tu m'as énuméré les trois femmes de sa vie, j'ai eu un bug parce qu'il a pas de nièce. Il n'a que des neveux. Enfin deux neveux. Les fils d'Abdallah. La plupart du temps, il dit rien donc j'ai pas compris son mensonge. Enfin bref. Djibril est très discret quand il s'agit de la prunelle de ses yeux. Je suis contente que tu sois tombée sur elle par hasard, au moins, je me contrôlerais plus en parlant, m'annonce-t-elle soulagée.

- Je comprends. Je l'ai surpris lui dire je t'aime au téléphone et il a sûrement pas voulu me balancer comme ça qu'il avait une fille. Mais, t'as failli gaffer ?

- Peut-être hein. Oui, une fois ou deux. Il m'en aurait pas voulu mais c'est pas à moi de le dire.

- Il a une petite fille. Je suis encore sous le choque.

- - elle rit - T'imagines qu'il se soit présenté à toi comme ça : « Salam, je m'appelle Djibril, j'ai 24 ans, je suis sénégalais et le plus beau des alentours et j'ai une petite fille... » - en l'imitant - ; c'est bizarre non ?

- Ouais, répondis-je en rigolant.

À midi, Djibril est venu nous chercher pour qu'on aille déjeuner ensemble avec la petite Leyäna. Ravie, j'étais ! Manger avec eux allait probablement me changer les idées. On s'est rendus tous ensemble dans un restaurant pas très loin de notre lieu de travail.

On a passé un moment agréable. J'ai remarqué qu'Erica a une très grande complicité avec la petite fille. Elles ne manquent pas de conversations. Ma nouvelle meilleure copine m'intègre dans leur discussion. Elle m'explique chaque chose pour que je ne me sente pas larguer.

À aucun moment, mes pensées n'ont flanché dans l'abîme de la tristesse. Elle est devenue en l'espace de quelques heures le rayon de soleil qui manquait à ma sombre journée.

Une famille avait débarqué dans le restaurant après nous. Dès que les enfants ont fini de manger, ils se sont dirigé vers l'aire de jeux mis en place pour s'amuser.

- Je vais jouer avec Rica et toi quand t'as fini de manger, tu nous rejoins d'accord ? me dit Leyäna.

Je hoche la tête.

- Et moi ?

- Tu peux venir si tu veux, mais bon, t'es trop grand Papa.

- En fait, dès que t'es avec tes copines, tu m'oublies.

- Mais non, si tu veux tu peux venir.

Son père fait mine de bouder. Elle lui fait un bisou sur la joue. Il change directement de tête.

- Juste pour ce bisou je te laisse jouer avec Rica tranquille.

Elle attrape Erica par la main et l'emmène dans son périple. Djibril ne la quitte pas des yeux. Le coude sur la table, la paume de la main tenant ma joue, je l'examine.

- Cette casquette de Papa te va bien.

- Ah bon ? - en me regardant -

- Oui.

- C'est l'effet qu'elle a sur moi depuis sa naissance.

- Tu sais que j'arrive pas y croire là.

- Pourquoi ?

- Je te voyais pas père.

- Comment ça ? me demande-t-il en feignant d'être vexé.

- C'est pas ce que je voulais dire, dis-je en rigolant. T'es jeune c'est pour ça.

- Jeune et beau-gosse.

- T'as fini ?

- Non. Je suis... c'est bon je rigole ! Détente.

Notre heure et demie de pause se termine. Sabrina, la nourrice de Leyäna, l'a ramené chez Djibril. D'après ce que j'ai compris, la mère de la petite doit venir la récupérer en fin de journée.

J'aurais aimé lui poser des questions en détail sur son rôle de père mais je me suis ravisée. Ce ne sont pas mes affaires même si la curiosité me titille. Peut-être qu'avec le temps je saurais.

Au lieu de rentrée chez moi, j'ai décidé de passer voir Assa. Depuis notre dernière  discussion, je ne suis pas passée la voir. Elle m'accueille les bras ouverts comme si de rien était. Je tente de m'excuser mais elle me stoppe net dans ma lancée en me racontant ses journées. En ce moment, les enfants l'épuisent mais elle peut pas faire autrement. Je l'écoute attentivement. Je la laisse se décharger de ses peines.

Elle me dit tout ça sûrement pour que j'ai un électrochoc et que je me rende compte que je ne suis pas la seule à souffrir.

Sam me ramène chez moi. On reprend nos habitudes, mais cette fois-ci, c'est avec une tout autre atmosphère qu'on prend la route. Il me parle. Ce qu'il ne faisait pas auparavant. On ne s'est jamais allés plus loin que les formules de politesse. Ça fait bizarre, c'est comme si j'entendais pour la prière fois la tonalité de sa voix. Une voix rauque, dur et froide sans aucune once d'émotions.

- Le travail ça se passe ?

- Comment tu sais que je travaille ?

- T'inquiète pas. Je sais tout. Alors ?

- Très bien, merci. Et toi ?

- Ça va, ça vient.

- Tu travailles dans quoi ?

- Dans l'illégalité.

Je me tais. Il m'a dit ça avec une telle froideur que j'ai regretté d'avoir posé la question.

- La dernière fois que t'es venue, tu t'étais embrouillée avec Assa ?

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

- T'es plus revenue.

- Mmh.

- Elle t'a dit une vérité qui pique, je parie. C'est sa spécialité.

- Oui.

- Elle a raison.

- Tu sais même pas ce qu'elle m'a dit.

- On dit que la vérité blesse et moi j'dis qu'elle blesse et qu'elle fait fuir.

- ...

- Il me manque aussi.

Je le regarde. Il ne quitte pas la route des yeux. Sa conduite est calme mais on sent une certaine crispation dans la manière dont il tient le volant.

- Mam's... il me manque aussi. C'est mon frère. J'ai fais tellement de choses avec lui. T'imagines même pas.

- ...

- Il a pris cette décision contre sa volonté. Il a disjoncté donc c'est pas de ta faute.

- Vous avez tous quoi à me dire la même chose ces derniers temps ?

- Ça se voit que tu t'en veux.

- ...

D'un ton nostalgique, il reprend :

- Il est colérique, incontrôlable, con, psychopathe sur les bords mais c'est un bon gars. Dès que t'es rentrée dans sa vie, il a fait que parler de toi. Rehana par ci, Rehana par là. Je l'ai jamais vu comme ça. Il t'a vraiment aimé.

Il parle de lui comme s'il était parti en vacance ou comme s'il était toujours parmi nous. La voix dure qu'il avait au départ a changé : elle est fissuré par l'émotion. Je ne lui ai pas répondu et j'ai collé ma tête contre la vitre. Je le revois en chair et en os. Parler de lui m'incommode.

Un mois passe. Nous sommes fin février.

Durant ce mois, je jonglais entre le travail et la maison. Entre temps, je me suis beaucoup rapprochée de Djibril. Depuis la rencontre avec sa petite fille, une vraie amitié s'est tissée entre nous. Je ne le vois plus comme mon patron. Je sais même pas si je l'ai déjà vu ainsi tellement il a réussi à me faire oublier qu'il me payait.

Durant ce mois, j'en ai beaucoup appris sur lui et sur sa fille.

Plus jeune, Djibril était un fêtard. Pendant son année de terminale, il enchaînait les soirées avec ses amis. Ses soirées se transformaient en moment intime avec des femmes. Pendant l'une de ses soirées, il s'est prise d'affection pour une jeune adolescente de son âge : Leïla, une sénégalaise comme lui.

Cette affection amicale s'est transformée en passion charnelle. Ils ont passé une nuit ensemble. Une seule nuit. Sans amours. Sans protections. 3 mois plus tard, il apprend qu'il va devenir père.

Leïla prise de panique a voulu aller dans un autre pays pour avorter. Djibril l'a convaincu du contraire. Il voulait assumer ses responsabilités. Au fond de lui, il était heureux d'avoir un enfant, même s'il savait déjà, que ça n'allait pas être une mince affaire. Après avoir prévenu ses parents, qui ont été très en colère contre lui, il est parti voir les parents de Leïla.

Ces derniers étaient catégoriques : ils devaient se marier. Les unir était une manière de préserver l'honneur de leur fille et leur image. Il n'a pas accepté. Très jeune, il était convaincu, qu'un mariage n'allait pas réparer leur imprudence. Ce serait se moquer de la notion de mariage que de l'épouser. Elle n'était pas la femme qu'il désirait pour toute une vie.

Il a juste promis une chose aux parents de Leïla : prendre soin de son enfant et assumer ses responsabilités. Depuis ce jour, après le lycée ce n'était plus les soirées qu'il côtoyait  mais les différents boulots qu'il s'était trouvé.

Il travaillé par ci par là pour qu'à la naissance de sa fille, elle ne manque de rien. Il a eu son bac. Ce passeport lui a permis d'entrer à l'université. Il enchaînait toujours les petits tafs. Par la suite, il a ouvert l'agence avec son grand-frère en parallèle de ses études. L'acharnement a porté ses fruits. Aujourd'hui il vit une vie paisible et l'objectif est accompli : sa fille ne manque de rien.

Lorsqu'il m'a raconté son histoire, j'étais admirative. Au premier abord, on ne s'imaginerait pas un tel vécu. Mais avec du recul, on prend conscience que c'est un bosseur depuis longtemps. Il a beau être puéril, fatiguant etc., quand il se met à travailler, c'est un tout autre homme.

Sa présence à mes côtés m'aide à ne plus penser. Dès que je suis avec lui, mes plaies se pansent. Je ne pense à rien d'autre.

Quand je ne suis pas avec Djibril, je me demande où est Junayd. Qu'est-ce qu'il fait ? Est-ce qu'il pense à moi ? Il n'est toujours pas de retour. J'ai cherché par tous les moyens une manière de prendre contact avec lui, sans succès. J'ai demandé de ses nouvelles à Riad. Il n'en a pas eu. Personne ne sait où il se trouve. Je suis allée jusqu'à donné une mission aux jumeaux : s'ils entendent quelque chose ou s'ils le voient, qu'ils viennent immédiatement me prévenir.

Chaque soir dans mon lit, j'me dis qu'il m'a fui. Je culpabilise et en même temps j'aimerais l'avoir en face de moi pour l'insulter de tous les noms.

Début mars.

Mama a appris un décès dans sa famille. Malgré son état de santé, elle a pris le premier billet de train pour Marseille. Baba est parti avec elle. Après mille et une recommandations, ils m'ont laissé seul.

Riad a voulu venir à la maison pour me tenir compagnie mais j'ai refusé. C'est un homme marié maintenant. Il a un foyer, une femme, son infirmité à gérer. Je ne vais pas en rajouter une couche.

La première nuit sans eux a été compliqué. J'ai pas réussi à fermer l'œil. Dès que je fermais les yeux, je suffoquais : un corps invisible m'empêchait de dormir.

Le lendemain au travail, je n'ai fais que baillé. Je tenais à moitié debout. En rentrant, prise de fatigue, je me suis endormie.

Deux jours sont passés.

Le week-end est venu toquer à ma porte. Je me regarde. Je me suis habillée simplement. Un pull blanc, un jean et des bottes. Le seul effort que j'ai fais, pour avoir l'air présentable, c'est de mettre du mascara, et travailler ma queue de cheval : cet après-midi, je vais à l'anniversaire de la petite Leyäna.

La veille j'avais fais les magasins pour lui trouver des cadeaux : je lui ai pris un mini appareil photo pour enfant et je suis tombée sur un beau coffret de bijou (un collier et un bracelet).

Erica est venue me chercher.

- Je savais pas que t'habitais ici ! Ma tante habite pas loin.

- T'auras une raison de plus de venir ici maintenant, dis-je en souriant.

Une belle résidence se présente à moi. Les bâtiments ont l'air d'avoir été rénové mais ils gardent leur aspect archaïque. Erica prend ses cadeaux dans le coffre et me tends les miens. Je les prends. Je reste éblouie par les lieux. On est très loin de ce que j'ai l'habitude de côtoyer. L'air et même les gens semblent différents.

J'ai du mal à croire que Djibril habite ici. Comme quoi la détermination paie. Quand on s'accroche à ses rêves, la lumière ne peut que jaillir.

Erica compose le code. Une odeur de propre m'interpelle. Juste en entrant dans le hall on se sent dans un autre monde. Tout est en marbre. Je passe devant un grand miroir. L'ascenseur s'ouvre. Rien ne jonche le sol. On pourrait manger par terre tellement c'est niquel.

Erica sonne. Une jeune femme nous ouvre. Les salutations sont chaleureuses. Je comprends très vite que c'est la petite sœur de Djibril : Anta, une jeune adulte de 18 ans. Elle nous prend les cadeaux des mains.

J'entends des enfants rigolaient, parlaient, s'amusaient. Je n'ai pas encore pénétré dans ce foyer que je sais que la joie de vivre y est présente. On abandonne nos manteaux à l'entrée. On se libère de nos chaussures.

Je fais quelques pas : un vaste séjour donnant sur un grand balcon avec une vue panoramique sur Paris et ses monuments, me fait face. L'appartement est agencé de manière épurée.

Les décorations pour l'anniversaire est impeccable. On aurait dit, un terrain de jeu : des ballons, des confettis, plusieurs activités, un bain de boules. Quelques enfants sont là pour ajouter de l'innocence dans tout ça. Il y a très peu de monde. La convivialité est de mise. Il n'a pas fait les choses à moitié, pensais-je.

Leyäna vient vers moi. Je m'abaisse à son niveau. Je lui souhaite un joyeux anniversaire et lui fait un bisou sur la joue.

- Je suis contente que tu sois là, je vais te présenter toutes mes copines !

- Attends Leyä, on doit la présenter à tous les grands avant, lui dit sa tante Anta.

- Et moi tu me dis pas bonjour Leyäna, s'insurge Erica.

- Mais si, viens me faire un câlin.

Dans sa manière de sortir sa phrase on aurait dit une adulte. Elle nous a fait tous rire. Un esprit d'adulte dans le corps d'un enfant.

Je salue tout le monde. Quelques visages me sont familiers notamment celui de Abdallah, celui de Mme Diallo la réceptionniste, celui de Ousmane. Djibril, par contre, n'est pas là.

On me présente ses parents. Deux personnes d'un certain âge qui ont une aura très puissante : en effet, le père après m'avoir passé le salam est resté dans son coin, taciturne. J'ai souvent remarqué que les pères de famille ont ce coté patriarche qui peut faire reculer une montagne. La mère, en revanche, est une femme avenante. Elle me met à l'aise en discutant avec moi, en cherchant à apprendre à me connaître, en m'offrant de la nourriture et à boire. Abdallah me présente ses fils. Deux piles électriques sur le pont de la pré-adolescence.

Djibril sort de nul part. Il salut tout le monde. Arrivée à mon tour, il me sourit et me montre ma coiffure d'un signe de la main. Je lui montre des yeux sa tenue qui n'a rien avoir avec l'évènement : un simple teeshirt blanc et un jogging Nike.

Sa mère le sermonne sur la manière dont il se présente. Il passe son bras autour de sa nuque. Elle lui donne des coups pour qu'il arrête ses bêtises. On est mort de rire.

- Qu'est-ce que j'ai fais à Allah pour avoir un enfant comme toi ?

- T'as eu de la chance de m'avoir dans ta vie, t'as pas remarqué que depuis que je suis là, j'égaye ta vie ?

- T'égares ma vie oui !

En cet après-midi d'hiver, dans ce chahut entre mère et fils, une femme fait son entrée.  Elle ne laisse personne indiffèrent : son charisme joue pour elle. Dès qu'elle a mis les pieds dans la pièce, le temps s'est comme suspendu. Je n'ai vu qu'elle. Elle n'est pas la femme la plus belle au monde mais elle dégage quelque chose qui va au-delà de la beauté. Quand Leyäna fonce sur elle, je saisis que c'est, Leïla, sa mère. Elle sourit et embrasse sa fille. À côté d'elle, un homme se tient. Il est habité par un mutisme, même son bonjour semble être broyé par tout son corps. On dirait un garde du corps.

Leïla passe le bonjour à tous les gens présents. Arrivée à mon niveau, elle me dévisage. Non, elle m'inspecte de haut en bas. On aurait dit qu'elle avait un scanner à la place des yeux. Elle fait tout cela non pas d'une manière condescendante mais juste interrogative. Elle doit se demander qui je suis.

Djibril se met à mes côtés :

- Toujours à la recherche de réponse à ce que je vois, dit-il.

Un sourire en coin s'affiche sur les lèvres de Leïla.

- Une nouvelle amie à toi, je suppose ?

- Non maman, c'est ma nouvelle meilleure copine ! Elle travaille avec Papa.

- T'aimes beaucoup les âmes torturées ma princesse, comme ton père, dit-elle en regardant sa fille qu'elle avait dans ses bras. Comment tu t'appelles ? - en me regardant -

- T'en sais quelque chose, continue Djibril en retournant la boule de feu qu'elle à lancé. Sinon, Julien ça va ? - en regardant l'homme qui accompagne Leïla - pas trop dur la cohabitation avec cette épine ?

- Rehana. Je m'appelle Rehana.

Répondis-je précipitamment pour ne pas que Djibril cherche à faire le chevalier servant en me présentant lui-même.

Le terme « âmes torturées » m'a interpellé parce que je me dis que même en souriant, on voit que je ne suis pas moi-même. M'ont-ils tous, si bien analysé ? Je me demande si le masque que je porte ne s'est pas retiré dans l'inattention.

- Enchantée. Je m'appelle Leïla.

- Enchantée.

Djibril et le Julien s'éloignent. Leïla emmène sa fille dans la piscine de boules après ma réponse. Elle n'a pas cherché à en savoir plus sur moi. J'étais devenue invisible d'un coup.

Les événements s'enchaînent : spectacle de professionnels pour enfants, activités, bouffes, gâteaux, cadeaux et session danses. Tout le monde est heureux de partager ce moment avec Leyäna.

En début de soirée mes parents m'appellent. Je m'éclipse dans un des couloirs pour prendre l'appelle. Collée contre un mur, je discute avec Mama. Elle me pose des milliers de questions : elle veut savoir si je vais bien, si j'ai mangé, si je ne déprime pas, si tout se passe bien etc. Je la rassure du mieux que je peux en glissant le fait que je suis à un anniversaire.

- Ne rentre pas tard et fais bien attention à fermer la porte quand tu rentres. Prends soin de toi ma fille et si t'as besoin, appelle-moi à n'importe quelle heure.

- Je suis plus une enfant Mama.

- T'es mon enfant.

Elle m'embrasse et raccroche. Seule Dieu sait à quel point cette femme compte pour moi. Je meurs pour elle. Elle s'inquiète pour moi comme si j'avais 5 ans.

- Ça va ? - en faisant le signe du téléphone à la main -

- Oui. C'était juste ma mère qui se posait des questions.

- Elle s'inquiète ?

Je hoche la tête. Il me tend une assiette avec une part de gâteau. En la prenant, nos mains se touchent. Ses mains sont gelées. Quand elles touchent ma peau chaude, je frissonne.

- T'as les mains froides.

- J'dois avoir froid.

- Il fait 30 degrés ici.

- Je suis un frileux.

- Ah.

- C'est normal que ta mère s'inquiète pour toi. C'est une maman.

Il me donne l'assiette et reprend notre discussion. Il se poste en face de moi, le dos contre le mur.

- Comme Leïla.

- C'est pas une méchante. Elle aime bien tout savoir et surtout faire celle qui sait tout.

- J'ai pas pris méchamment ce qu'elle a dit.

- J'espère... sinon, tu regrettes pas d'être venu ?

- Non, au contraire ! Je suis contente pour ta fille.

- Elle aime beaucoup les cadeaux que tu lui as offert.

- Oui j'ai vu et tant mieux !

- Tu nous rejoins ? me demande-t-il en commençant à partir.

- Oui, j'arrive... Eh le Monarque !

- Ouais ? - en se retournant -

- T'as un vrai château à ton image.

- Tu doutes encore de mon statut ? - en rigolant -

- Plus maintenant, Monseigneur.

- J'ai oublié de te dire, Rica vient de partir, elle avait une urgence familiale donc je te ramène après.

- J'vais prendre un taxi, t'embêtes pas.

- J'ai pas confiance. Les taxis c'est pas rassurants. Trop d'histoires chelous, en plus tu m'as comme chauffeur, que demandait de plus ? Attention. Si tu refuses, je risque de me vexer.

- Haha. Je suis morte de rire. T'es trop drôle Djibril, ironisais-je.

- Je me reconverti en humoriste bientôt, t'inquiète.

Les mains dans les poches, il tourne les talons et retourne dans son salon. Je le regarde s'éloigner. Je bouge la tête de gauche à droite : il est quand même adorable.

Les invités se vident petit à petit. Leïla fait partie des derniers à s'en aller. Elle donne des recommandations à sa fille, me regarde une dernière fois et finit par partir.

Sabrina commence à ranger l'appartement.

- On le fera demain Sabrina, lui dit Djibril. Tu peux y aller.

- Et Leyä ?

- Je m'en occupe.

- Sûre ?

- Si j'te le dis ? T'en as assez fait. Elle est douchée, habillée, je peux m'occuper du reste. Je ressors dans une heure. Je t'appellerais pour venir la surveiller quand elle s'endormira. Le temps que je la ramène chez elle.

Elle acquiesce et prend la porte.

- Dès qu'elle dort, je te ramène. C'est bon ?

- Comme tu veux. Mais Sabrina, elle habite ici ?

- Non. Elle habite à quelques pas d'ici.

- C'est bien sa nourrice ?

- Sabrina s'occupe d'elle depuis qu'elle a trois ans. C'est plus qu'une nourrice. Elle fait partie de la famille. Fais comme chez toi, je reviens.

Il m'abandonne. Complètement paumé, je reprends le rangement qu'avait commencé Sabrina. Les minutes défilent. Je m'arrête. La pluie s'invite à la soirée. Il pleut un torrent. Des éclairs se profilent dans le ciel. Je me perds dans mes pensées pendant un moment jusqu'à ce que quelqu'un se racle la gorge.

Djibril. Mes yeux se promènent : je tombe sur Leyä, en pyjama, avec son doudou dans les bras. Elle bâille.

- J'ai essayé. Elle veut pas dormir à cause de l'orage. On va te ramener ensemble. Au moins, elle dormira dans la voiture.

- Il est 23 heures, tu crois vraiment que c'est une heure pour la faire sortir. En plus, il pleut et avec l'orage, elle va avoir plus peur qu'autre chose.

Elle bâille à nouveau.

- Bon, j'vais appeler Sabrina.

- Sage décision !

- Non ! Rihanna va m'aider à dormir.

- Elle doit rentrer.

- C'est vrai ?

Je n'arrive pas à lui dire « oui » ; la voix toute douce qu'elle a pris m'en dissuade. Je la prends par la main et m'assois sur le canapé avec elle.

- T'es pas obligée. J'appelle Sabrina et c'est réglé.

- C'est ma meilleure copine Djibril et entre meilleure copine on se lâche pas.

- Les garçons comprennent pas ça Rihanna, laisse tomber, me chuchote Leyäna.

Il sourit.

- On s'allonge ? me demande-t-elle.

- Si tu veux.

Je m'allonge et elle s'emmitoufle dans mes bras.

- Papa tu t'assois là et tu surveilles que l'orage rentre pas.

- Je reviens.

Il nous met la couverture qu'il est parti chercher. Il s'assoit près de ma tête, allume la télé et mets un film Disney : le Roi Lion.

Je caresse les cheveux de Leyä. La pluie qui s'abat sur la terrasse est une berceuse. Les voix dans la télé m'ensorcelle. Le marchand de sable me transporte dans son monde sans que je ne m'en rende compte.

Quand j'ai ouvert les yeux, ma tête se trouvait sur les genoux de Djibril et Leyäna était toujours dans mes bras. La grande horloge m'annonce 3h15 du matin. Djibril s'est également endormi. J'ai sa main sur ma tête. Je bouge légèrement ma nuque pour le regarder. Son bras se pose sur le mien. Je suis quelqu'un qui dort très mal : j'ai tendance à bouger dans mon sommeil, ça doit expliqué ma tête sur ses genoux.

Depuis que je le connais, il m'a beaucoup apporté sur le plan moral. En un seul clignement de cil, il arrive à me déposséder de mes pensées les plus tristes. Djibril a la capacité de faire revivre une rose fanée. Dieu lui a donné un don. Plongée dans une réflexion profonde, je ne remarque pas que je suis en train de le fixer. Sentant sûrement mes prunelles sur lui, il se réveille et me murmure sans ouvrir les yeux :

- Tu vas devenir aveugle à force de me regarder.

Dit-il en s'affalant contre le dossier du canapé et en arrangeant sa position.

- N'importe quoi ! - en levant ma main droite pour lui donner une petite claque sur le visage, il intercepte ma main - Tu peux éviter de me faire mal ? Contrôle ta force un peu. 

- T'as voulu me frapper. - en ouvrant les yeux -

- Moi ? Jamais.

- Fous-toi de ma gueule.

- Bla-bla-bla.

On se regarde et on se surprend à rigoler.

Il prend ma main et observe la paume. Il dessine les lignes de ma main du bout des doigts comme s'il recherchait quelque chose. Étrangement, son geste me détend. Je ressens un bien être profond.

- C'est quand que tu me racontes ton histoire ?

Il s'arrête. Remarquant quelque chose sur sa barbe, je la lui enlève. Je finis par ranger ma main.

- Quelle histoire ?

- La cause de tes absences.

J'intercepte un point invisible. Sa question m'a bloqué. Dans un élan de malice, il me pince le nez. Je croise ses yeux.

- Pas d'absence aujourd'hui. C'est interdit.

- J'ai perdu quelqu'un que j'aimais beaucoup, dis-je naturellement.

Mon cœur s'est serré. Avec lui, en cette nuit pluvieux, je me sens en confiance. Je me remets sur le côté et regarde à l'extérieur. Il pleut encore et toujours. J'étreins fort Leyäna et regarde les gouttes s'emparaient du sol de la terrasse. Je lui parle de Mam's. Je le décris. Je lui parle de ses bons côtés et de nos beaux souvenirs. J'évite d'entacher sa mémoire par les parties sombres de sa vie. Djibril caresse mes cheveux tout au long de ma narration comme pour contrôler mes émotions. Son geste fait effet parce que je ne pleure pas. Je me contente de dire les choses telles qu'elles sont.

Morphée m'étreint lentement pendant que je parle.

C'est quatre heures plus tard que je retrouve le monde réel. Je suis seule sur le canapé. Je m'assois et m'astique les yeux plusieurs fois pour bien situer l'endroit où je suis. Je m'étire et je me rappelle qu'hier soir ma langue s'est déliée.

Je me lève. Je déambule dans cet immense appartement sans véritable destination. Les confettis de la veille jonchent toujours le carrelage. J'avance dans ce long couloir. Je tombe sur une chambre entrouverte. Djibril. Il est devant son miroir et il sifflote : il a cette mauvaise habitude de siffler alors que ce n'est pas bien.

Il se sèche la tête à l'aide d'une serviette. Il s'essuie la nuque puis le cou. Après avoir fini, il la jette sur son lit. Il attrape son déodorant et s'en mets sous les aisselles, tout cela avec ce sifflement exprimant sa bonne humeur. Son dos est parsemé de cicatrices. Je reste un moment à l'observer faire ses gestes du quotidiens. Un sourire apparaît sur mes lèvres. Je me rends compte que je suis en train de le reluquer alors qu'il est torse nu.

Il s'arrête de siffler et se retourne. Merde ! Je me fais toujours prendre quand il le faut pas. Je m'empresse de retourner au salon. Je m'installe sur le canapé : je cherche quoi dire pour me sortir de ce bourbier. Le ciel pleure toujours. Des petites perles s'échappent. Je me relève et me dirige vers la terrasse. Je sors. Le vent me gifle. La vue est imprenable ! L'air est frais. Je respire un bon coup. Je souris encore une fois : depuis que je suis ici, j'ai musclé ma mâchoire.

Quelqu'un frappe à la vitre. Je ne bouge pas d'un iota. Il vient me rejoindre. Il me fixe quelques secondes avant de briser la glace :

- Bien dormi ?

Gênée, je hoche la tête.

- Fallait pas fuir hein, j'étais pas à poil.

- Je voulais pas enfin... bref... désolée.

- T'es marrante quand t'es gênée. - en rigolant - Je viens de prendre une douche, ça te dit pas de rentrer ? Après on discute de ton voyeurisme.

- Je préfère ne pas relever la fin de ta phrase.

Je rentre dans l'appartement. Maladroite que je suis, je me ramasse par terre. Il rigole. Un rire frénétique sort de sa bouche. Il se moque littéralement de moi. Je le fusille. Il s'abaisse à mon niveau :

- Tu t'es pas fais mal j'espère ?

- Après avoir bien rigolé, tu t'inquiètes ?

- T'as pas vu ta tête aussi, c'était drôle.

Il me tend sa main en se tordant de rire et m'aide à me relever. Je le frappe pour qu'il arrête de se moquer de moi mais il continue. Je le course pendant un moment. J'ai failli me prendre le sol plus d'une fois. On aurait dit deux enfants. J'étouffe mes cris pour ne pas réveiller la petite. Son rire est tellement communicatif que j'abandonne et me mets à rigoler à mon tour.

Épuisée de ma course, je demande une mi-temps.

Il me propose de me faire visiter sa demeure. J'accepte. À part le séjour, je n'avais quasiment rien vu. Il me présente sa cuisine-dînatoire. Elle est immense. J'imagine tous les festins qu'il doit se faire ! On passe dans le couloir. Il me présente la chambre d'amis : elle est conviviale.

On s'aventure encore plus loin, il me montre une pièce. Il est en train de l'aménager pour en faire son bureau. Des tableaux sont au sols : ils attendent d'être accrochés. Je rencontre une autre chambre, celle où dort Anta. La salle de bain est juste à côté.  La chambre suivante est celle de Leyäna. On ne l'ouvre pas pour ne pas la réveiller.

Et la dernière chambre, c'est ce qu'on appellerait une Master Bedroom. Autrement dit, la chambre du maître, là où je me suis permise de l'observer. Un grand lit, un grand miroir, un grand dressing... il me signale qu'il a une salle de bain à l'intérieur. J'étais jamais tombée sur un aussi bel appartement et dire qu'il habite là tout seul. Je m'appuie contre l'encadrement de la porte.

- Tu dois être fière de toi. Après toutes les galères, t'es chef d'entreprise, les choses se passent bien, t'as une petite fille à croquer, t'as un toit magnifique. Chapeau.

- T'imagines même pas ! Il y a 7 ans en arrière, j'étais au plus bas. J'enchaînais les petits boulots et aujourd'hui grâce à Dieu, je joins bien les deux bouts.

- C'est clair ! T'es un bel exemple de réussite.

- T'as pas vu la vie d'Abdallah. Il est encore plus accomplis que moi.

- Tu te sens pas accomplis ?

- Si, hamdullillah, mais je vise plus.

Il s'adosse en face de moi. On se regarde dans les yeux un long moment sans dire un mot. Mon cœur s'accélère au fur et à mesure qu'on se contemple mutuellement. Il s'approche de moi. Une main se pose au dessus de l'encadrement, il baisse sa tête vers moi : d'un geste lent et mesuré, il enlève une mèche qui gênait ma vue. Sentir une nouvelle fois sa main froide effleurait ma peau chaude m'a fait frémir... le froid en contact du chaud ne fait pas bon ménage.

Il se remet face à moi.

- La mèche te gênait pas ?

- Non.

- Moi oui. La visite est terminée. Viens, on va manger.

Il marche devant moi. Pendant une micro-seconde, je me suis surprise à mordre ma lèvre inférieure et à sourire comme une débile. Je sais même pas pourquoi j'ai cette réaction.

Je le suis. Je m'assois sur une chaise. L'ambiance est tranquille et reposant. Il remet en place certaines choses.

- J'suis désolée, je me suis endormie hier.

- On s'est tous endormis, j'pense que t'avais remarqué. Tu veux manger ou boire quelque chose ?

- Non merci.

- Tu peux aller dans la salle de bain, celle à côté de la chambre de Anta. T'as des brosses à dent et des serviettes à foison. Si t'as envie de prendre une douche libre à toi, fais comme chez toi. Tu peux prendre des vêtements dans l'armoire de ma sœur, ça la dérangera pas. Moi, j'te prépare à manger.

- T'écoute un peu ? J'ai pas faim.

- On t'a jamais dit qu'on refuse pas la nourriture ? T'as de la chance que ma mère est pas là sinon t'en aurais vu de toutes les couleurs... - il met son index sur sa bouche pour me dire de me taire - Je veux pas t'entendre, bouge !

Je capitule et fait ce qu'il m'a demandé. Convaincre sans faire grand chose est un talent inné chez lui. Je fais ma toilette. Je prendrais ma douche chez moi, je me sens pas à l'aise de faire tout ça ici.

Je finis par le rejoindre dans la cuisine. Je m'installe sur la table de bar. J'ai pris deux tailles en m'asseyant là. Je le regarde couper des fruits. Tout est naturel dans la manière dont il fait les choses : on sent que ça vient du cœur.

- Je t'ai déjà dis d'arrêter : tu vas devenir aveugle à force de me regarder.

- T'as des yeux derrière la tête ou quoi ?

- Tu savais pas ? - en se retournant -

- Tu m'as épuisé Djibril.

- Mais t'aimes bien resté avec moi, avoue.

- Pas du tout ! Dès que je vais rentrer, je sens que je vais avoir mal au crâne !

- Vu que t'es pas très sincère. Question : tes parents se sont pas trop inquiété hier soir ?

- Ils sont dans le sud en ce moment. Ma mère a eu un décès dans sa famille.

- Allah y rahmo. Au moins, j'aurais pas à aller leur expliquer ce qui s'est passé.

- Il y a rien à expliquer.

- Si j'étais ton père, j'aurais aimé savoir pourquoi ma fille a découché.

- Mais t'es malade ! - en rigolant - Genre tu serais allé voir mon père pour lui dire « Votre fille a passé la nuit chez moi Monsieur ».

- Et pourquoi pas ? J'ai rien à cacher et toi non plus.

- Tu vois rien de bizarre ?

- Non. Si j'explique bien les choses en donnant les tenants et les aboutissants, y a rien de mal.

- Tu m'étonneras toujours.

- Si t'as rien tenté pendant que je dormais bah tranquille. Ton père comprendrait mes explications, dit-il en souriant.

Ses manies vont me rendre folle au sens propre comme au sens figuré.

- Le garçon d'hier, Julien, c'est qui ?

- Le mec de Leïla.

Il se lave les mains, s'adosse contre le plan de travail pour me faire face et s'essuie les mains avec un torchon.

- Tu t'entends bien avec lui ?

- Normal. C'est cordial. Pourquoi ?

- Il fait peur un peu.

- C'est pas un grand bavard. - en prenant le bol qu'il m'a préparé -

Il me ramène une salade de fruit et me verse à boire. Je goutte. Il y a un arrière goût de vanille que j'aime beaucoup. Il s'installe en face moi. On est arrivé à un stade où j'ai pas honte de lui dire certaines choses juste pour le piquer. Je fais mine de critiquer ce qu'il m'a préparé. Il ne répond pas et se contente de me guetter.

- C'est avec ses fruits et ce côté mec à marier que tu séduis les femmes ? m'exclamais-je en picorant dans mon bol avec un sourire narquois.

- Si je les ramenais ici et je les traitais comme je traite mes amis, crois-moi, qu'elles me lâcheraient plus.

- T'es arrogant ! Genre t'en as jamais ramené ici ?

- Je ramène pas n'importe quelle femme chez moi.

- Aucune ?

- Aucune. Faut être quelqu'un d'important pour être sous le même toit que ma fille. Et les femmes que je côtoie ont pas encore eu le truc qui me dit qu'elles mériteraient. Les seules femmes qui sont entrées ici sont mes amies : Erica, Mme Diallo et toi.

Je mâche un morceau d'ananas en l'écoutant. Sa façon de réfléchir m'enchante de jour en jour.

- Sinon Leyä habite tout le temps avec toi ?

- Non. Sois elle est chez moi, sois chez Leïla.

- Ah ok ! Attends. Tu manges pas ?

- J'ai déjà mangé.

- Donc tu vas me regarder manger ?

- Ça te gêne pas de me regarder m'habiller, pourquoi ça me gênerait de te regarder manger ?

Une lune s'affiche sur ses lèvres et laisse apparaître ses fossettes. Des picotements apparaissent dans mon ventre.

- Déjà, je te regardais pas t'habiller... je... j'te cherchais et j'suis tombée sur toi.

- Détente. Je me fous de ta gueule donc respire.

- Tu me fatigues !... au fait, quand je t'ai surpris... parce que je te cherchais hein... - je me gratte la tête - j'ai vu des cicatrices sur ton dos, elles viennent d'où ?

- De mon premier amour, me dit-il naturellement en allant récupérer le jus d'orange dans le frigo. J'ai soif ! - en se versant du jus dans un verre - J'te raconterais un jour. J'en garde un beau souvenir malgré les cicatrices. T'en veux ?

- Non merci. T'as été amoureux ?

- Une fois, m'annonce-t-il en riant. T'es sûre que t'en veux pas ? - en buvant -

- Oui merci.

Il répondait tout en étant distant face à ma question. Je ne creuse pas plus. Il me racontera en temps voulu. On passe cette matinée à discuter de tout et de rien. Il m'embête : j'ai envie de le rouer de coups par moment mais son comportement est tellement attachant que je ne fais que rigoler.

Leyäna se réveille une heure plus tard. Djibril l'installe et lui ramène son petit déjeuner : un bol de céréales et du lait. Un vrai papa poule. On discute de son anniversaire.

- Papa, hier j'ai eu une idée et j'y ai pensé toute la nuit !

- Je crains le pire.

- Papa !

- Pardon. J'écoute princesse.

- Rihanna et moi, on va te trouver une amoureuse.

Un rire s'échappe de ma bouche.

- Je dois trouver une amoureuse moi ?

- Bah oui.

- Bah oui ! répétais-je de la même manière que Leyä en rigolant.

Je hausse deux fois mes sourcils en le regardant pour souligner mes propos et je porte une fraise à ma bouche.

- Maman a un amoureux. Donc toi aussi, tu dois avoir une amoureuse.

- C'est obligé ?

- Oui Papa. Alors Rihanna vu que t'es l'adulte, tu vas chercher des filles adultes et après je choisirais. Enfin on va choisir ensemble.

- Pourquoi c'est pas moi qui choisis ?

- Mais Papa ! J'ai dis Rihanna et moi on va te trouver une copine, j'ai pas dis Rihanna, Papa et moi.

Il rigole.

- T'es d'accord Papa ?

- Je ferais tout ce que tu veux Leyä mais tu peux finir tes céréales ?

Elle s'exécute.

- J'espère qu'on va trouver quelqu'un qui va te plaire Leyäna, dis-je.

- Si vous trouvez pas, j'te prends toi en amoureuse Rihanna, me dit-il avec son air malicieux.

- Non merci, t'es trop bizarre pour moi hein Leyäna ? ripostais-je du tac au tac en finissant les derniers fruits que j'ai dans mon bol.

- Oui ! Il lui faut quelqu'un de bizarre comme lui.

On s'est mise à deux sur lui. C'était drôle. Après ça, on a réfléchi à la femme idéale pour lui. La petite était à fond.

Par la suite, on a rangé l'appartement tous les trois. On a fait le ménage dans la joie et la bonne humeur. Il a mis de la musique et j'ai fais une chorégraphie avec Leyäna. Elle a tout inventé, c'était hilarant. Djibril faisait l'enfant à nous jeter des confettis dans la face mais bon c'est la participation qui compte.

Aux alentours de 11 heures, Sabrina est rentrée dans l'appartement. En me voyant, elle a fait une tête étonnée et m'a sourit. Elle a pris le relais. J'embrasse Leyä et lui promets qu'on va se revoir. Dans l'ascenseur Djibril et moi sommes loin l'un de l'autre. Scotché contre le miroir de l'ascenseur, il m'étudie avec insistance.

- Tu vas devenir aveugle à force de me regarder donc arrête Djibril.

- La personnalité ça s'achète.

- Excuse-moi mais t'as déteins sur moi c'est pas de ma faute.

- Dans mon royaume, ça t'aurait valu la tête.

Il m'ouvre la portière de la voiture et je m'engouffre à l'intérieur. Le trajet est silencieux. Il y a que dans cet habitacle que je ne l'entends plus. Je me surprends à le guetter du coin de l'œil.

Il me lâche devant mon immeuble. L'un des jumeaux est là avec sa troupe. Dès qu'il aperçoit Djibril, il se ramène côté conducteur. Il baisse la vitre et prend de leur nouvelle.

Je le remercie, le salam et je rentre dans mon bâtiment.

Je retrouve mon chez moi. Ça m'avait manqué ! Je suis motivée pour la journée là. Je repense à ces petits moments de rigolades passé avec eux et je rigole toute seule.

Je rentre dans ma salle d'eau et prends une bonne douche. Je m'habille de façon à être à l'aise et m'installe sur mon canapé. Je commence la lecture d'un livre. La concentration n'est pas là. Ma petite matinée repasse une nouvelle fois en boucle dans ma tête. Ça faisait un moment que je n'avais pas été prise par des souvenirs plaisants.

Quelqu'un frappe à ma porte.

Je pars ouvrir.

Je suis surprise et confuse.
______________________

QUE PENSEZ-VOUS DE CETE PARTIE ?

QUEL HOMME AURAIT ÉTÉ VOTRE IDÉAL MASCULIN DANS CETTE HISTOIRE ? ET POURQUOI ? Riad ? Mam's ? Serpent ? Djibril ? Sam ?

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