Trois quarts d'heure plus tard...
Megan est partie.
Eliott est parti.
Et moi, je reste là, les bras ballants, à attendre que ma nausée passe. Ça fait une demi-heure que j'essaie de dormir, mais chaque fois que je ferme les yeux, je revois le sourire carnassier d'Hugo et ses doigts flous quand il a tenté d'enlever mon pull.
Je suis en train de vivre un cauchemar éveillé.
Pourquoi a-t-il fait ça ?
Et pourquoi n'ai-je pas plus écouté Bleuenn, lorsqu'elle m'a dit de me méfier de lui ?
Pourquoi ce qui était censé être un rêve s'est transformé en horreur à cause d'une flûte de champagne – que je n'ai même pas bue entièrement, en plus !
C'est carrément la poisse. Même pour la reine des quiches.
Je sais que je devrais parler aux policiers qui m'attendent dehors, au lieu de me poser mille et une questions. Ou, à défaut, expliquer à Megan ce qui s'est passé hier soir, histoire qu'elle et les autres juges soient informés qu'un prédateur rôde parmi les participants.
Mais malgré tous mes efforts pour me lever et quitter la pièce, je reste clouée au lit, me réfugiant dans le confort de mes draps.
Enfin, ceux d'Eliott... dans lesquels il n'a même pas pu dormir à cause de moi.
Fiévreuse, je jette un coup d'œil aux alentours. J'ignore comment il a atterri là, mais mon portable est posé sur la table de chevet. Il devait être dans ma poche lorsqu'Eliott et Megan m'ont trouvée.
Résultat de ma déconnexion forcée de quelques heures : sept messages, et presque autant d'appels en absence... sans compter les cinq cents notifications sur Wattpad.
Cinq cents votes, commentaires, ou ajouts à des listes de lectures.
Cinq cents manifestations bienveillantes à l'égard de Mon cœur contre tes peurs.
C'est lunaire. Complètement, totalement lunaire.
Et c'est la preuve que, même si Hugo m'a terrorisée, je ne dois pas me laisser abattre. Parce qu'il y a des hommes... des femmes, parmi toutes ces personnes, qui ont vécu des horreurs, comme moi. Des horreurs pires que moi, aussi. Et ils me lisent quand même.
Un rapide coup d'œil à mes SMS m'informe que j'ai trois messages de ma mère, deux de Bleuenn, un de Gérard et un autre de Gabin. Je ne prends même pas la peine d'ouvrir le texto de mon boulet d'ex-petit ami, et le bloque, encore.
Gab' n'est pas quelqu'un de méchant, mais aujourd'hui plus que jamais, je ne peux pas me laisser distraire par un mec qui m'a fait souffrir par le passé. Je ne peux pas le laisser me blesser à nouveau.
Quant à mes proches... que leur dire ? Qu'un des participants, que j'ai à tort considéré comme un ami, est un prédateur qui m'a prise en chasse ?
Plus j'y pense, pourtant, et moins je comprends la stratégie d'Hugo. S'il avait paru détaché, lors de notre première rencontre, son attitude a radicalement changé au cours de la compétition. Alors pourquoi ? Pourquoi m'a-t-il droguée puis a-t-il tenté de me déshabiller ? Pourquoi ne m'a-t-il pas poursuivie lorsque je me suis enfuie ?
Par regret, par culpabilité ? Ou parce que son objectif était déjà atteint ?
Un appel entrant interrompt ma réflexion. Je le rejette automatiquement, mais l'interlocuteur me rappelle aussitôt.
C'est Gérard.
Et s'il y a une chose qu'il faut savoir, concernant Gérard, c'est qu'il déteste qu'on lui raccroche au nez :
— Kargedoull ! Tu files un mauvais coton, mistinguette. Ça fait deux jours qu'tu m'as pas donné d'nouvelles.
Seulement deux jours ? J'ai l'impression que ça fait trois mois que j'ai laissé le vieux Schtroumpf et sa clavicule cassée.
— Gast ar c'hast ! peste-t-il en éteignant puis rallumant sa caméra. T'as beau êt' chez les Parigots, même la 5G bugue, là-bas !
Depuis que je lui ai expliqué comment fonctionne FaceTime, Gérard ne jure plus que par ça. Il s'est carrément acheté un iPhone pour faire « comme les d'jeuns », à mon grand désarroi.
Avec un soupir, j'appuie sur l'interrupteur qui surplombe le lit. Mon visage est aussitôt éclairé par une lumière presque aussi affreuse que ma mine, et Gégé esquisse un mouvement de recul qui m'arrache un éclat de rire.
— Ma doué ! Qu'est-ce qu't'as fait à ta face ? Même le vieux Jonas a pas une tête aussi crasse !
Si l'on tient compte des dents jaunes du vieux Jonas et de ses pustules aussi rouges que ses yeux, on est à la limite de l'insulte.
— T'sais qu't'es passée au JT d'Gilles Bouleau ? J'l'aime pas trop, mais Martine m'a appelé pour m'dire qu't'étais d'dans, et j'l'ai regardé rien qu'pour toi !
Ça, en revanche, c'est la chose la plus gentille que j'ai jamais entendue.
— Merci, c'est...
— Mais c'est pas pas'que Gillou a dit qu't'étais parmi les favoris qu'tu dois faire la grasse mat ! Pourquoi t'es pas avec les autres ?
Comment dire que...
— Gast ! Il est torr-penn, c'ui-ci ! s'écrie le vieux Schtroumpf. Faut t'bouger, ma p'tite dame, parce que y'a Georges Clooney qu'est en train d'te démolir, là. Quel saligaud !
— Georges Clooney ?
Oh, non.
— Ouais, sauf qu'il est en jogging et qu'il a des muscles ! Y raconte à tout l'monde qu'ton bouquin est pourri, et qu't'es une nymph... Attends, quoi ? s'exclame-t-il à nouveau tandis que des murmures étouffés me parviennent à l'autre bout du fil. Ce type est tombé sur la tête, ou quoi ? Y'a pas plus gentille qu'toi ! Qu'est-ce que...
Mais je ne lui laisse pas le temps de finir sa phrase.
La seconde suivante, je suis dans le couloir.
Des larmes coulent sur mes joues et mes jambes sont prises de frissons incontrôlés, mais pour une fois, je ne vais pas laisser mes peurs ou mon corps m'arrêter.
Pour une fois, je vais parler.
Pour une fois, on va m'écouter.
Et pour une fois, les connards ne vont pas gagner.
Eliott a sa façon bien à lui de remotiver Emy, je vous l'accorde, mais rien ne vaut la « méthode Gégé ». Qu'est-ce qu'Emy s'apprête à faire, d'après vous ? 🥹
Pourquoi Gabin lui a-t-il envoyé un message ? Vous croyez qu'il va lâcher l'affaire, maintenant qu'Emy l'a re-re-re-re-re-re-bloqué ? 😅
– Soyons optimistes...
– Un boulet restera toujours un boulet...
On termine avec un nouveau volet du petit lexique breton de Gérard :
– Kargedoull = ivrogne
– Gast ar c'hast = putain de putain
– ma Doué = mon Dieu
– torr-penn = casse-pieds