Point de vu Aaron :
Un bras surgit dans mon champ de vision munis d'une bouteille de rhum brun.
— Allez mon grand, ressaisis-toi, tu ne pouvais rien faire et tu le sais très bien.
Je me redressai péniblement pour faire face à Faël dont le visage rayonnant était perché sur l'accoudoir du canapé sur lequel j'étais affalé depuis des heures.
— Qu'est-ce tu fais là ?
— Swann m'a dit que tu t'étais terré ici après ta conversation avec Aloys. Alors j'ai pris mon plus beau sourire et ma plus belle bouteille de contrebande et je suis venue te remonter le moral.
— Swann aurait mieux fait de se taire, grommelai-je en me laissant retomber sur le dos.
Elle secoua la tête, et ses longues mèches écarlates dansèrent autour de son visage.
— Pas d'accord. Aaron, on se connait depuis des lustres, tu ne pensais quand même pas que j'allais simplement te laisser te morfondre après ce qui s'est passé ? Je te connais par cœur, tu vas broyer du noir pendant des jours si je ne viens pas te distraire.
Sur ce point, elle n'avait pas tort. Je ne comptais plus le nombre de fois où elle était venue me changer les idées. Que ce soit avec de l'alcool ou du sexe, Faël était toujours comme une bouffée d'air frais et elle avait l'avantage de tout savoir. Il y avait tant de choses que je ne pouvais pas confier à mon escouade, mais à elle, si, toujours.
— Aloys a dit que j'étais lâche... soufflai-je en me redressant pour m'emparer de sa bouteille.
— Aloys est une gamine qui ne sait pas de quoi elle parle, répliqua-t-elle en venant s'asseoir près de moi.
J'avalai plusieurs gorgées en savourant le goût âpre du liquide qui ne tarda pas à me brûler la gorge.
— Evidemment, mais ça ne change pas grand-chose. Elle n'a pas totalement tort.
— Ne dit pas n'importe quoi, tu sais parfaitement que personne ne peut désobéir à tes parents. Ils t'ont demandé de rester en dehors de ce combat, tu ne pouvais pas intervenir, point barre. Ne te mine pas pour ça, tu sais bien qu'elle finira par te pardonner.
Je n'en étais pas aussi certain. Aloys pouvait se montrer têtue, même lorsqu'elle avait tort, alors j'imaginais assez bien à quel point elle pouvait l'être lorsqu'elle avait raison.
— Et Eren ?
— Eren est sous la coupe de ta mère non ? Elle lui fera avaler n'importe quoi, dans quelques semaines il ne se souviendra même pas d'avoir failli mourir.
J'avalai plusieurs gorgées supplémentaires. C'était précisément le problème. Je n'avais rien pu faire pour lui dans l'arène et je ne pouvais pas en faire davantage en dehors si ma mère plantait ses griffes dans son cerveau fragile et malléable. Mon impuissance commençait sérieusement à me rendre malade.
— Où en sont tes hommes vis-à-vis de l'Hydre ? Blue est toujours sur mon dos, j'ai peur de manquer de temps.
— Ils ont retrouvé sa trace en Amérique, près de l'avant-poste de New-york, mais ils n'ont pas pu remonter plus loin, les accords entre Phoenix et tes parents nous empêche de mettre les pieds sur son territoire et il est fort probable qu'elle s'y terre.
— Ce n'est pas son genre, si elle s'y trouve c'est qu'elle a une bonne raison, mais en l'occurrence c'est une chance pour nous. Tant qu'elle reste à distance, Aloys ne risque rien venant d'elle.
Pour ce qui était de mes parents c'était une autre histoire. Je balançai ma bouteille de droite à gauche et observa le liquide tourner quelques secondes avant d'en avaler une rasade supplémentaire. La chaleur caractéristique de l'alcool commençait à faire son effet, je sentais mes muscles se détendre légèrement.
Faël me donna un coup d'épaule et s'empara de ma bouteille.
— Allez Aaron, cesse de t'en faire, tout marche comme tu l'espérais pour le moment, Aloys progresse, Blue reste à distance et tes parents n'ont encore rien entrepris de trop radical vis-à-vis d'elle.
Elle but et reposa bruyamment la bouteille sur la table basse avant de se pencher vers moi.
— Détend-toi, ronronna-t-elle en déposant un léger baiser dans mon cou.
Elle remonta doucement, caressant de sa bouche experte ma peau jusqu'à atteindre mes lèvres. Je la laissai faire, savourant le contact familier de son corps contre le mien. L'inhibiteur de ma chambre n'était pas allumé, mais il nous arrivait parfois d'oublier et pour une raison que je ne comprenais pas bien elle avait une totale confiance en moi. Ou plus précisément en ma capacité à maitriser mes pouvoirs. Une erreur selon moi, mais je la soupçonnais de prendre du plaisir à jouer avec le feu. C'était tout à fait son genre après tout. Encore une tête brûlée qui jouait avec moi pour égayer ses sens, sauf qu'à la différence d'Aloys, Faël n'avait aucune chance d'y survivre.
— Allez Aaron, ce soir c'est juste toi et moi, comme avant...
Je fus tentée d'accepter pendant une seconde. Après tout, cette méthode fonctionnait généralement bien, mais dès que j'avais le malheur de fermer les yeux sous ses caresses, le regard vert d'Aloys me ramenait à moi. Son visage ravagé, furieux et accablé de chagrin. Je n'avais même pas besoin que cet inhibiteur bride son énergie pour savoir à quel point le fait d'avoir tuer les Dembsky l'avait détruite. Ce n'était pas des saints, loin de là et je crois qu'au fond elle le savait aussi bien que moi, mais quelle différence cela faisait-il ? J'avais fait d'elle ce qu'elle redoutait le plus et je doutai qu'elle me le pardonne un jour. Et moi pouvais-je me pardonner ? Si ça avait été n'importe qui d'autre, oui, certainement, j'étais loin d'être un saint moi aussi, mais Aloys... Aloys c'était autre chose et la simple idée de l'avoir déçu me déchirait la poitrine.
— Aaron... soupira Faël lorsque je stoppai la main qu'elle glissait sur mon torse.
— Désolé, pas aujourd'hui.
Je l'étais sincèrement car je savais que même si notre relation n'avait jamais été sérieuse, le fait que je la repousse restait blessant. Ce n'était pas la première fois, et elle était suffisamment maligne pour comprendre qui était la cause de mes refus répétés. Elle recula en haussant les épaules, mimant l'indifférence avec talent. Au moment où elle chercha à s'emparer de la bouteille, un flash bleu éclata dans mon salon et elle retomba en arrière.
Blue apparut une demi-seconde avant de se jeter sur moi dans un énième flash aveuglant. La table vola en éclat, imité par la bouteille dont les morceaux de verres rebondirent partout dans la pièce. J'attrapai au vol l'arme qu'elle pointa vers moi, mais alors que ma main se refermait sur le métal tranchant, elle disparut de nouveau et réapparut dans mon dos. Sa lame glissa contre ma gorge, mais ses mains restèrent à distance de mon corps, bien consciente que la moindre tentative pour m'immobiliser se retournerait contre elle.
— Qu'est-ce que tu fous Blue ? siffla Faël en se levant d'un bond.
L'énergie que dégageait son corps trahissait son envie de réduire mon assaillante en cendre.
Je soupirai, agacé, à elles deux, c'était mon appartement entier qu'elles réduiraient en morceaux.
— Du calme, ordonnai-je à l'attention de Faël. Que me vaut cette... visite ? Tu as bien conscience que tu seras morte avant d'avoir eu le temps de me trancher la gorge n'est-ce pas ?
Faël recula en étouffant un son plaintif à la vue des ombres qui s'échappaient abondamment de mon corps pour entourer celui de Blue et couvrirent ma peau. S'il elle me touchait, mes ombres fondraient sur elle, et même si elle parvenait à finir son œuvre, elle serait morte bien avant que je ne me vide de mon sang. Le calcul était vite fait, pourtant cela ne la fit pas reculer une seconde.
— Je t'avais pourtant prévenu que je reviendrais le jour où tu auras échoué Melchior.
— Aloys va bien, contrai-je.
Elle ricana et se pencha en avant, pas intimidé le moins du monde par les tentacules sombres qui glissèrent vers son visage.
— Ah oui ? Peut-être que si tu ne passais pas ton temps à roucouler avec ta dinde tu aurais senti le problème. Elle était sous ta surveillance espèce de bon a rien, comment as-tu pu permettre qu'elle se fourre dans des ennuis pareils ?
Bon sang mais de quoi elle parlait à la fin ! Je ravalai mes ombres, attrapai son bras et la ramena brutalement en avant. Evidemment elle disparut aussitôt pour réapparaître à l'autre bout de la pièce, son arme toujours pointé vers moi.
— Explique-toi, grondai-je en me levant.
J'étais désarmé, mais peu importe, si Blue était vraiment venu pour me tuer, elle n'aurait pas pris la peine d'ouvrir la bouche pour me prévenir.
— Elle s'est glissée dans les laboratoires de ta mère. Elle a fouiné et elle a libéré une partie des Elémentaires qui s'y trouvait avant de se faire attraper. Je suis arrivée trop tard pour la sortir de là, je les ai seulement vu la rouer de coups avant de la traîner jusqu'au trou.
Impossible. L'air me sembla soudainement peser des tonnes.
— Comment ? Pourquoi ?
Merde ! Mon corps resta un instant paralysé avant de se couvrir inexplicablement de sueur froide. Mon regard chercha celui de Faël à la recherche d'une réponse, mais elle était tout aussi bouché-bée que moi. Je serai les poings et chassai la panique qui s'insinuait de seconde en seconde dans mon crâne. Je pouvais l'aider, je pouvais forcément la sortir de là.
— Qu'est-ce que j'en sais moi ? c'est toi qui es censé partagé tous ses petits secrets. Trouve un moyen de la sortir de là Melchior où ce sera à moi de m'en charger et...
— Tu ne me la prendra pas, répliqué-je en avançant d'un pas menaçant vers elle.
Faël s'écarta de moi à la vue des ombres qui dansaient une nouvelle fois sur ma peau, mais Blue ne bougea pas d'un millimètre.
— Je n'aurais pas besoin de ta la prendre crétin, c'est elle qui partira d'elle-même, cracha Blue avant de disparaître dans un flash bleu.
J'ignorai ce qui était le pire, qu'elle ait réussi à s'introduire dans les laboratoires de ma mère et par conséquent qu'elle ait fourré son nez dans un tas de secrets qui lui vaudrait une condamnation à mort. Ou qu'elle ait sciemment trahis l'armée en libérant nos prisonniers. Dans les deux cas, j'avais beau retourner le problème dans tous les sens, je ne voyais pas d'issu. Ma mère voulait déjà sa mort, et si mon père n'avait pas temporisé ses humeurs, elle le serait probablement déjà. Elle venait de leur fournir l'excuse parfaite pour en finir et là encore, mon père m'empêchera d'intervenir en sa faveur.
Je me devais pourtant d'essayer, autrement Blue interviendrait et je perdrais Aloys aussi sûrement que si mes parents la faisaient exécuter.
— Préviens mon escouade, lâchai-je à Faël avant de m'élancer vers la sortie.
Je devais trouver mes parents, comprendre comme elle s'était infiltrée dans les labos et trouver une excuse valable pour la sortir du trou. Elle n'avait pas pu faire ça seule, elle était peut-être douée, mais pas assez pour passer la sécurité des laboratoires sans se faire remarquer. Ce qui voulait dire qu'elle avait un complice. Complice que je me ferais une joie de jeter en pâture à l'armée pour la soustraire de là.