05.05.2016
Je courrais après Thomas dans les couloirs du Domus. Le jeune homme marchait incroyablement vite et je n'arrivais pas à le suivre. Lui comme moi étions des plus nerveux. On avait tenté de m'empoisonner, il y avait de quoi s'inquiéter !
Je n'arrivais toujours pas à me souvenir de ce qui s'était passé juste après être sortie de la salle de bal. Alexis n'avait pas réussi à raviver ma mémoire et nos uniques espoirs reposaient sur le grand-père de Thomas.
Vêtue comme en plein hiver, j'étouffais. J'avais beaucoup trop chaud et je fis une petite moue alors que je réajustais ma veste.
— Tu es sûr que tout ceci est nécessaire ? demandai-je en désignant ma tenue.
— Absolument. Les montagnes éternelles ne sont jamais déneigées, il ne faudrait pas que tu attrapes froid.
Tout en parlant, Thomas faisait tourner son briquet entre l'index et le pouce. Je le regardai d'un oeil désapprobateur tandis qu'il s'allumait une cigarette. Sa crise de tout à l'heure était imprimée dans ma mémoire et je ne craignais que sa manie de fumer n'aggrave sa fibrose pulmonaire.
— Tu ne devrais pas fumer ! déclarai-je.
— Je fais ce que je veux non ?
Il haussa un sourcil, et son air me donna envie de le gifler. Il ne prenait décidément pas sa santé au sérieux et ça m'énervait grandement. Je saisis la cigarette et l'écrasai au sol, Thomas tenta de m'arrêter et me lança un regard furieux.
— Arrête ça ! dis-je.
— Amandine, ça fait des années que je fume, soupira-t-il.
— Je t'ai déjà dit de m'appeler Amy !
— Ah oui pardon...
Sans que je ne puisse faire quoi que ce soit, Thomas ralluma une clope. Je lui envoyai un petit coup dans l'épaule tandis qu'il renversait la tête en arrière pour faire des ronds de fumée.
— Thomas !
— Quoi à la fin ? Je suis grand, je n'ai plus 8 ans.
— Pourtant ton comportement y ressemble !
— T'es chiante tu sais ?
— Je m'inquiète pour toi !
Thomas soupira et jeta son mégot par la fenêtre. Il se tourna vers moi et je vis dans son regard quelque chose qui me laissa perplexe. Une sorte de détermination illuminait ses magnifiques yeux vert bleu.
— Quelqu'un a tenté de t'empoisonner et c'est toi qui t'inquiètes pour moi ? dit-il. Ça devrait être l'inverse !
— Thomas...
— Par ma faute Raphael est mort et j'ai failli te perdre ! Tu ne crois pas que j'ai le droit de me détendre un peu ?
— Pas en fumant !
C'était notre première vraie dispute et je ne me sentais pas bien. Thomas inspira et rangea son briquet avant de dire :
— Désolé, je ne voulais pas crier.
— C'est pas grave, murmurai-je.
L'Altéra tricolore me serra dans ses bras et je sentis les effluves de fumée m'envahir les narines. J'avais les nerfs à vifs, et Thomas l'avait très bien compris.
Après avoir découvert mon empoisonnement à l'Altoia, j'avais demandé à mon partenaire quels étaient ses effets, mais il n'avait pas pu me répondre, il ne connaissait que le poison de nom et l'odeur qu'il laissait sur les lèvres. Je ne savais donc pas si celui-ci était mortel ou pas et ça m'angoissait d'autant plus.
Je m'écartai de Thomas au moment où Ric traversait le couloir. L'Altéra aux cheveux blancs paraissait fatigué et nerveux. La vive émotion qui passa dans son regard au moment où il aperçut Thomas me laissa perplexe.
— Salut Ric, comment tu vas ? s'écria mon partenaire.
— Bien et toi ?
— Mais quel menteur ! Tu as vu ta tête ?
— Merci Thomas.
Ric n'était même pas vexé et semblait sur le point de s'écrouler. Thomas agrippa son poignet et approcha son visage de celui-ci du jeune homme, qui rougit immédiatement.
— Fais attention à toi sérieusement.
— C'est ce que je fais, commença Ric.
— Non. Tu te surmènes dans tes révisions alors que tu n'en as pas besoin !
— C'est dans moins d'une semaine !
Les examens de Ric et de James étaient bientôt, si j'avais bien compris le 9 mai. Ils devraient faire une choix et visiblement le binôme n'était pas d'accord, leurs disputes étaient de plus en plus fréquentes à ce sujet.
— Arrête de t'inquiéter pour James bon sang ! s'exclama Thomas.
— Il ne veut pas aller à la Citadelle alors que moi oui !
— Parlez-en après les examens. C'est le meilleur moyen.
Je voyais dans le regard de Ric une étincelle que j'avais déjà vue quelque part, mais où ? Impossible de me souvenir ! Thomas lâcha son poignet et lui dit avec un air désolé :
— Amy et moi devons y aller, mais passe me voir plus tard !
— Euh d'accord...
Thomas s'éloigna et je le rejoignis. Dehors, devant le Domus Lucis, je stoppai mon partenaire qui s'apprêtait à ouvrir le portail de lumière. Son comportement m'intriguait et je voulais savoir pourquoi il agissait ainsi.
— C'était quoi ce comportement avec Ric ?
— Uniquement de l'amitié.
Thomas ne me laissa pas le temps de répondre et ouvrit le portail. Aussitôt, je fus comme aspirée, une force inconnue me saisit derrière le nombril et me tira en avant, me faisant chuter dans une spirale lumineuse. Après quelques secondes qui me paraissaient allongées dans le temps, j'atterris dans la neige.
Je frissonnai tandis que je m'enfonçais jusqu'au genoux. Tout autour de moi le paysage enneigé s'étendait. Je ne reconnaissais rien, tout se ressemblait dans ce endroit immaculé. La seule chose qui n'était pas blanche étaient les cheveux de Thomas. Je me rapprochai le plus rapidement possible de mon partenaire, mais la neige me mit en difficulté.
— Où devons-nous aller ?
— Par là, indiqua Thomas.
Je ne savais pas comme il faisait pour se repérer dans ce lieu parce que pour moi, tout était pareil ! Le Nord se confondait avec le Sud alors que l'Est et l'Ouest s'étaient inversés. Avançant difficilement, je me mis à grelotter.
Depuis notre départ du Domus, la température devait avoir chuté de plus de 20 degrés. Le silence s'étirait entre nous alors que nous progressions dans la neige.
Thomas s'arrêta brusquement et tendit l'oreille. Je me stoppai à ses côtés, intriguée, je ne comprenais pas pourquoi il s'était arrêté, il n'y avait aucun bruit.
— Thomas...
— Chut ! m'ordonna-t-il.
Durant plusieurs minutes rien ne se passa, le lieu était calme, le silence nous enveloppait tandis que la neige tombait tout autour de nous, brouillant notre champ de vision.
Brusquement, Thomas se plaça devant moi et me poussa dans la neige. Frigorifiée, je tremblais de tous mes membres et me retournai de justesse pour voir une bête sauter sur mon partenaire. Elle ressemblait à un tigre aux dents de sabres, son poil était rayé et ses dents en argent.
Plantant ses deux canines dans l'avant-bras de l'Altéra, elle lui déchiqueta sa veste et laboura son torse de ses griffes acérées. Essayant de s'arracher à l'emprise du monstre, Thomas me hurla :
— Amy ! Aide-moi !
Que pouvais-je faire ? Mon pouvoir ne me servait à rien ! La seule solution qui me venait à l'esprit était de lui lancer de la neige ! Il y avait mieux, mais sur le coup, je n'avais pas de meilleure idée. Il fallait que j'aide Thomas et vite.
Les boules de neige que je lui lançais atteignirent la créature en plein flan et celle-ci grogna avant de lâcher Thomas et de se tourner vers moi. Je reculai autant que je le pouvais mais la neige bloqua mes pas et je tombai à nouveau.
D'une allure menaçante, le tigre s'avança vers moi. Je le fixais dans les yeux, sachant pertinemment que l'animal prendre ce geste comme de la provocation, lorsque je remarquai un scintillement.
Un petit tigre s'efforçait d'avancer pour rejoindre la tigresse qui continuait d'avancer. Celle-ci protégeait son territoire... Derrière elle, je vis Thomas lever les mains. Entourées d'une lumière bleu vert, elles me semblaient porteuses d'un pouvoir destructeur.
— Thomas ne la blesse pas ! Elle protège son petit ! criai-je.
— Quoi !
Avant même que je ne puisse réagir, la tigresse se jeta sur moi et j'entendis Thomas crier. Tombant sur le dos dans la neige, je pensais que ma vie se terminait là, mais je me trompais. L'animal commença à lécher mon visage et sa fourrure me chatouilla, je me mis à rire tout en caressant le doux pelage du félin.
— Est-ce que ça va ? s'écria Thomas en accourant.
— Oui...
La tigresse feula alors que mon partenaire m'aidait à me relever. Je remarquai que Thomas tremblait, mais je n'arrivais pas à dire si c'était de froid ou de douleur. Je regardai toujours l'animal et le caressai une dernière fois tandis que l'Altéra m'éloignait d'ici.
Des traces de sang étaient toujours visibles dans la neige et je me doutais que la tigresse avait mordu Thomas suffisamment fort pour qu'il en garde des séquelles. Après quelques mètres, je remarquai que le félin et son petit nous suivaient et je souris délicatement.
Avançant péniblement dans la neige, nous parvînmes enfin à une petite cabane. Je me demandais vraiment si un Ange habitait ici... Dans un dernier effort, Thomas poussa la porte et se laissa presque tomber à l'intérieur.
— Thomas !
Un cri s'éleva depuis l'intérieur et j'entrai à mon tour avant de fermer la porte. Assis à une table, un monsieur, qui aurait pu être mon père, se leva et accourut vers mon partenaire. Immédiatement, je vis une ressemblance entre eux, leurs yeux d'un bleu vert et leurs cheveux de couleur indéterminée.
Aidant Thomas à s'asseoir sur l'un des fauteuils, son grand-père ne m'avait même pas remarquée. L'Altéra enleva sa veste et je vis, avec dégoût, les deux traces de crocs.
— Bon sang Thomas, qu'as-tu fait ?
— Ça se voit non ? Je me suis fait mordre par un tigre des neiges, marmonna l'Altéra tricolore.
Tirant de sa poche une fiole argentée, l'Ange versa le liquide sur la plaie de Thomas qui grogna de douleur. Sa peau reprit une apparence normale et je vis les cellules se réformer comme il fallait.
— Tu es gelé ! Combien de fois t'ai-je dit de t'habiller plus chaudement lorsque tu viens me voir ?
— J'ai arrêté de compter grand-père, soupira Thomas.
Je me sentais comme une intruse dans cette discussion, et ça me mettait quelque peu mal à l'aise. Passant une main dans mes cheveux, j'essayais de me donner une quelconque contenance, mais je ne parvins pas à faire partir mon malaise. Soudainement le grand-père de Thomas se tourna vers moi et j'eus l'impression d'être passée au scanner.
— Tu es une Traqueuse ?
— Euh oui...
Je ne savais pas où me mettre tellement j'étais mal à l'aise ! Thomas me prêta main forte en intervenant.
— C'est ma partenaire de mission.
— Ta partenaire a une aura étrange, tu es au courant de ça.
Sympathique. Je ne savais pas si je devais mal le prendre ou au contraire m'inquiéter. Thomas se leva aussitôt et se plaça à coté de moi tandis que son grand-père me souriait. Il me tendit la main et dit :
— Ravi de te rencontrer jeune fille.
— Enchantée, dis-je en lui serrant la main.
L'Ange nous invita à nous asseoir autour d'une table et nous servi du thé ainsi que des biscuits. Réchauffant mes doigts gelés contre la tasse, je m'habituais à la tranquillité de ce lieu et je fus contrariée que Thomas commence à jouer avec son briquet.
Son grand-père fronça les sourcils tout en dévisageant son petit-fils en train d'allumer une clope. Se raclant la gorge, l'Ange fit comprendre à Thomas qu'il devait l'éteindre.
— Je croyais que tu ne fumais plus ?
— Je n'ai jamais arrêté, répondit Thomas tout en faisant des ronds de fumée.
— Tu sais que c'est mauvais pour ta santé, ça aggrave ta fibrose !
— Mais qu'est-ce que vous avez tous aujourd'hui !
Thomas écrasa sa cigarette en toussotant. Je souris intérieurement, j'allais bien m'entendre avec cet homme. L'Ange m'observait attentivement et semblait se demander qui j'étais réellement.
— Vous pourriez peut-être me dire pourquoi vous venez me rendre visite à l'improviste ? dit-il au bout d'un moment.
— Il se passe des choses...étranges au Domus Lucis, commença Thomas.
— Des choses étranges ?
Je retins mon souffle, je ne savais pas ce que nous devions exactement dire à cet Ange. Mais visiblement, Thomas savait parfaitement où aller et il continua :
— La prophetia est en train de se réaliser grand-père.
— Tu veux dire que cette jeune fille est la tourmaline rose ?
— Oui c'est exactement ça, murmurai-je.
— Mais si tu es là, où se trouve l'aigue-marine ?
L'Ange ne semblait pas du tout surpris par ce que Thomas et moi étions en train de lui révéler, c'était comme s'il avait déjà tout prévu.
— Derek a été enlevé, et on a tenté d'empoisonner Amy.
— De l'empoisonner ? Avec quelle substance ?
— De l'Altoia.
L'homme pâlit et je me sentis tout à coup mal.
— Vous connaissez ce poison ?
— Juste de nom, c'est un poison rare. Que se passe-t-il réellement au Domus ?
— Il y a probablement un traitre dans les rangs ! révéla Thomas en croisant les bras sur sa poitrine et les jambes sous la table.
— As-tu une idée de qui il s'agit ? demanda l'Ange.
J'échangeai un regard avec Thomas. Malgré tout ce qui accusait Gregory, j'avais du mal à croire qu'il s'agissait de l'Altéra vert. On ne savait rien de lui, à part son nom, son âge et son grade : Gregory Lancara, 22 ans, bras droit d'Adolphe.
— Non pas vraiment, ce ne sont que des soupçons. À vrai dire nous sommes surtout là pour savoir si tu avais un moyen pour qu'Amy retrouve la mémoire, déclara Thomas.
— Je ne m'y connais pas assez en poison, il faudrait voir ça avec Alexis.
D'après ce que j'avais compris, Alexis était un véritable chercheur et s'y connaissait dans beaucoup de domaines, c'était un réel avantage pour les Altéras de l'avoir. Se pourrait-il qu'il connaisse l'Altoia ?
Le grand-père de Thomas croisa les mains sur la table et garde le silence quelques instants avant de dire :
— Je ne peux pas vous aider en ce qui concerne l'Altoia, mais je peux vous apporter quelques informations sur la prophetia, plus exactement sur la tourmaline et sur l'aigue-marine.
Je sentis mon coeur battre à tout rompre. Qu'allais-je apprendre de nouveau ?
— La tourmaline a un pouvoir de visions surdimensionnées, tu as dû le remarquer.
— Oui, répondis-je tout en hochant de la tête.
— Un Traqueur normal n'a que des flashs, et jamais une vision de la réalité même. Il ne voit que des images du passé ou du futur, mais jamais le présent.
Mes visions de cette Citadellis étaient donc dues à mon pouvoir de tourmaline. J'étais un peu déboussolée et mon coeur sembla s'arrêter au moment où il dit :
— Ce pouvoir va stopper toute ta croissance, tu ne grandiras plus et il est très probable que tu ne puisses pas avoir d'enfant.
Je pensai immédiatement à Derek, pourquoi ? Je n'en avais pas la moindre idée mais je sentis la culpabilité tordre mes entrailles.
L'inquiétude vint s'y mêler et je crus presque que j'allais vomir tellement j'étais angoissée. L'Ange ne prêta aucune intention à mon mal être et continua.
— L'aigue-marine possède une sensibilité accrue de ses yeux, les auras se teintent d'une couleur qui défini l'humeur de la personne. Malheureusement, si ton ami ne contrôle pas son pouvoir, il finira par devenir aveugle.
Je restai figée. Dans mes visions, je voyais Derek pleurer du sang. Est-ce que ça signifiait qu'il commençait déjà à perdre la vue ? Je ne savais pas mais il fallait absolument que l'on retrouve le jeune homme et qu'il apprenne à contrôler son pouvoir.
Ne laissant pas le silence s'étirer, Thomas se leva et remercia son grand-père pour ces informations. Il fallait désormais que l'on retourne au Domus.
— Au fait Thomas, comment va James ? questionna l'Ange.
— Tu le sais très bien, répondit sèchement l'Altéra.
Ouvrant la porte de lumière, je vis la colère illuminer le regard de mon jeune partenaire avant d'être aspirée par le portail. Je faillis tomber alors que mes pieds retrouvaient le sol du Domus Lucis.
Thomas m'agrippa le poignet et me maintint debout. Il paraissait très anxieux et je compris qu'il s'inquiétait, non pas pour moi, mais pour James. Son cousin semblait être quelqu'un qui comptait beaucoup à ses yeux.
— Ça va aller ? demandai-je.
— Moi ? Très bien, c'est plutôt à toi que je devrais poser cette question, répondit-il.
— Oui ne t'inquiète pas.
— On peut retourner à la chambre, s'il te plait ? J'aimerais me changer.
Voyant le piteux état de ses habits, déchirés et couvert de sang, je ne pouvais pas le lui refuser. Sans me jeter un seul regard, Thomas partit d'un pas leste. Qu'est-ce qui lui prenait enfin ?