Contes Macabres

By Natalhea

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Dans ce recueil de nouvelles, Lovecraft côtoie Edgar Poe, les monstres rôdent dans les profondeurs de la foli... More

Présentation
Rosaria
Derry
Dvaras
Ariane
Le Régicide
Marie-Antoinette
La Momie
Le Pandemonium
La Sirène
Le Monstre au Fond du Potager
Une Vision du Futur
Louis L'Ornithorynque
Seven Deadly Sins
Rêveries étudiantes
First Man
La Mort Amoureuse
Portrait Improvisé
Origines
A mon grand-père
La Quête de la Licorne
Entre Ciel et Mer
Les Beetles
Le Saint Empire Romain Germanique
The Forest
Le Bal des Laze
Pions Doublés

After Crimson Peak

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By Natalhea

Bonjour amis lecteurs, 

Une de mes amies et moi-même sommes très fans de Charlie Hunnam (eh oui ^^), ainsi que du film Crimson Peak. Du coup, quoi de mieux pour ce Noël que de lui offrir un petit texte dédié au personnage de notre blondinet préféré ? 

Elle ne l'a pas encore lu car je le lui offrirai le soir du Réveillon. A votre avis, cela lui plaira-t-il ? ;D

Bonne lecture, 

Nat'

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Debout sur le porche de la jolie maison de ville de feu monsieur Carter Cushing, à Buffalo, état de New York, le docteur Alan McMichael rassemblait son courage pour activer le heurtoir de bronze doré en forme de lion.

Du courage, pourtant, il en avait à revendre : si lui-même aurait pu en douter encore quelques mois plus tôt, les derniers événements qui avaient failli lui coûter la vie à Crimson Peak lui avaient démontré le contraire. Là-bas, dans cette terre gelée d'Angleterre, maculée d'une argile écarlate, il avait affronté des horreurs qui dépassaient les pires cauchemars que son imagination aurait pu concevoir. Une tentative de meurtre, bien sûr, un frère et une sœur incestueux, aussi monstrueux intérieurement que séducteurs extérieurement, une demeure hantée, des fantômes enfouis, et la sensation de se voir mourir, perdant goutte à goutte son sang pour en abreuver le sol assoiffé.

Rien de tout ceci, cependant, ne se comparait au paroxysme de terreur qu'il avait ressenti, cette angoisse latente, persistante, de savoir Edith Cushing en danger. Edith Cushing. La femme qu'il aimait.

Avec un soupir, Alan finit par chasser ses idées sombres et frappa. Le majordome lui ouvrit aussitôt, impeccable dans sa livrée sévère, et le conduisit dans un confortable hall lambrissé aux tentures cramoisies. Après ce qu'elle avait traversé dans cette horrible demeure surnommée Crimson Peak, Alan se serait attendu à ce qu'Edith fasse changer les soieries aussitôt de retour dans sa maison d'enfance, mais la jeune femme, meurtrie par son expérience, avait sans doute eu bien d'autres choses à penser. Et puis, peut-être qu'une part d'elle-même ne voulait tout simplement pas oublier.

Alan grimaça. Il remercia en pensée sa conscience, toujours fidèle au poste lorsqu'il s'agissait de lui rappeler de douloureuses petites piques telles que celle-ci. Edith ne voulait peut-être pas oublier. De l'autre côté de l'Atlantique, elle avait failli mourir, assassinée par la folie de sa propre belle-sœur, trahie par son mari. Mais de l'autre côté de l'Atlantique, elle avait également été Lady Edith Sharpe. Epouse de Thomas Sharpe, et, même si cette idée le répugnait, Alan savait qu'elle en avait été, et en restait sans doute encore, profondément amoureuse.

Bien sûr, puisque Sir Thomas Sharpe avait déjà été marié auparavant à pas moins de trois reprises, et qu'il n'avait jamais déclaré la mort de ses précédentes conjointes (et pour cause !), son mariage avec Edith n'avait tout simplement pas la moindre valeur juridique. Mais tout cela, ce n'était que du papier. Dans le cœur d'Edith, ce mariage avait été réel, dans son corps et dans son âme. C'était tout ce qui comptait. Du moins aux yeux d'Alan.

- Mademoiselle vous attend, docteur, l'invita le domestique en saisissant son manteau.

- Merci, Carson.

Jetant un bref coup d'œil au grand miroir qui surplombait la cheminée d'entrée, Alan lissa une dernière fois ses fins cheveux blonds sur le côté et gravit les marches qui donnaient à l'étage.

A la mort de son père, Carter Cushing, dans les circonstances tragiques que l'on connaissait maintenant, Edith avait tenu à vendre toutes les possessions de sa famille en Amérique, dans les plus brefs délais possibles. Bien sûr, chacun reconnaissait aujourd'hui dans ces orchestrations la main de Sir Thomas Sharpe, et plus encore celle de sa sœur, la reptilienne Lucille Sharpe. Les deux criminels britanniques comptaient ainsi s'emparer de la fortune de feu monsieur Carter, après l'avoir froidement assassiné, prévoyant de sucer les ressources léguées à sa fille Edith jusqu'à l'os, avant de lui faire subir à elle aussi le même sort.

Seraient-ils allés jusqu'au bout de leurs projets ? Lucille, oui, sans aucun doute. Mais Thomas, Alan n'en était pas aussi sûr. Cela aussi, il rechignait à l'admettre, mais son honnêteté l'empêchait d'ignorer les faits. Lorsqu'il était arrivé sur le perron d'Allerdale Hall, et que Thomas Sharpe s'était avancé pour le poignarder, il lui avait murmuré à l'oreille : « Vous êtes médecin. Dites-moi où frapper ».

Ces mots, terrifiants sur le moment, avaient ouvert une lueur d'espoir dans l'esprit d'Alan. L'espoir de se sauver lui-même, et surtout la femme qu'il aimait. Pour quelle autre raison Thomas Sharpe lui aurait-il adressé ces paroles, si ce n'était pour secourir lui aussi cette épouse trahie dont il avait fini par tomber amoureux ?

Le pauvre hère... Quelque part, Alan le comprenait, autant qu'il le détestait. Pour avoir lui-même souffert des tourments de l'amour envers Edith Cushing depuis sa plus tendre enfance, il comprenait très bien qu'un autre homme puisse s'éprendre d'elle, tant cette jeune femme était unique et exceptionnelle. Elle avait réussi à éveiller dans le cœur de ce sinistre lord anglais, conspirateur, avide et meurtrier, un élan de bonté que nul autre qu'elle n'aurait sans doute jamais soupçonné. Elle avait ramené à la surface ce diamant brut, et il s'était exprimé dans les derniers instants de son existence : Thomas Sharpe avait poignardé Alan, juste assez pour le blesser sans lui ôter la vie. Ce faisant, il s'était avoué à lui-même son désir de voir Alan sauver Edith. Alan ne pourrait jamais éprouver le moindre respect pour cet homme qui lui avait ravi son aimée de toujours, d'autant plus dans le but de la voler et de lui faire du mal, mais il devait bien avouer que ses derniers instants avaient peut-être racheté, au moins en partie, toutes les mauvaises actions que sa famille dégénérée l'avait conduit à commettre.

Alan soupira. Il avait beau essayer, ce maudit démon ne quittait jamais ses pensées. Pas plus qu'Edith.

Parvenu en haut des escaliers, Alan suivit la longue galerie des chambres jusqu'à la porte en ébène sombre qui marquait les appartements d'Edith.

Après sa fuite effrénée d'Angleterre, et son retour plus que remarqué aux Etats-Unis, Alan avait tout fait pour aider la jeune femme à récupérer le patrimoine vendu à peine quelques semaines plus tôt. Fort heureusement, Sharpe n'avait pas encore eu le temps de tout dilapider dans son ignoble machine à extraire l'argile. Compte-tenu du préjudice qu'Edith avait subi, la police anglaise n'avait fait aucune difficulté pour lui rendre les sommes qu'elle avait transmises à son époux, désormais caduque, et après quelques explications avec les nouveaux acquéreurs, il n'avait pas été très compliqué de réintégrer l'ancienne maison de Carter Cushing à Buffalo.

Alan se félicitait de cette victoire. Ce n'était peut-être pas grand-chose, mais que pouvait-il offrir de mieux à la jeune femme pour l'aider à se remettre de l'épreuve terrible qu'elle avait traversée ? A défaut de récupérer son père, elle pouvait au moins retrouver l'atmosphère réconfortante de la demeure qui l'avait vue grandir, et cela n'avait pas de prix.

Le reste du patrimoine n'avait pu être recomposé dans son intégralité, mais ce n'était pas bien grave. Edith disposait malgré tout d'une réserve bien suffisante pour vivre le temps de rebondir sur ses pattes, tel le félin agile qu'elle avait toujours inspiré à Alan, et le jeune médecin ne se faisait aucun souci pour elle dans ce domaine. Edith était forte. Plus forte que ce que les personnes effroyables qui l'avaient prise pour cible n'imaginaient.

Quant au domaine d'Allerdale Hall, Crimson Peak, puisque le mariage entre Edith Cushing et Thomas Sharpe avait été invalidé, la jeune femme ne pouvait y prétendre. Mais ce n'était pas un bien grand mal. Avec une ironie délicieuse, la propriété était même revenue à la famille de la toute première épouse de Thomas, la première à avoir été sacrifiée sur l'autel de la folie et de la cupidité : Margaret McDermott. Alan savait qu'Edith y voyait là une sorte de justice rendue, comme pour les familles des deux autres jeunes femmes qui l'avaient précédée dans leurs noces funèbres avec Thomas Sharpe, et qui trouvaient désormais enfin des réponses à toutes leurs souffrances.

Donnant un petit coup sec contre le battant d'ébène, Alan entendit la voix d'Edith lui répondre faiblement :

- Entrez.

Alan fit de son mieux pour garder contenance et entra. Depuis toujours, sa timidité maladive lui pourrissait la vie, surtout lorsqu'il s'agissait d'Edith. Mais il avait changé aujourd'hui. Les épreuves l'avaient changé. Il avait regardé la femme de sa vie s'éloigner de lui une fois, dans les bras d'un autre, sans qu'il ne réagisse, et cela avait failli la conduire à la mort. Alors, plus jamais il ne détournerait les yeux d'Edith Cushing. Plus jamais.

Il pénétra dans une vaste chambre à l'atmosphère tamisée, tendue d'un beau vert forêt. Cela aussi ressemblait tellement à Edith...

Quelques mois auparavant, Alan n'aurait même pas osé rêver de pénétrer ainsi dans les appartements intimes de la jeune femme, mais il le faisait aujourd'hui en tant que médecin.

Deux mois s'étaient écoulés depuis leur retour d'Angleterre. Après le massacre de Crimson Peak, la police n'avait pas mis très longtemps à arriver, les sauvant lui comme elle d'une mort glaciale dans la neige. Il leur avait ensuite fallu trois bonnes semaines de soins sous une surveillance attentive, surtout en ce qui concernait les blessures d'Alan, avant d'être enfin autorisés à sortir au grand jour. La police anglaise en avait profité pour boucler son enquête : l'affaire était claire comme de l'eau de roche, et tous deux, en tant que victimes et témoins, n'avaient plus besoin de s'attarder plus longtemps dans ce sinistre conte.

Alan et Edith s'étaient donc embarqués pour l'Amérique, où le véritable travail de guérison, infiniment plus long, pourrait commencer.

Pour Edith, bien sûr, ce travail s'annonçait terrible. Elle ferait de son mieux, Alan le savait. Mais pour l'instant, les plaies étaient encore trop fraîches dans son esprit, et elles affaiblissaient son corps au point qu'il se sentait obligé, presque chaque jour, de venir à son chevet pour superviser ses progrès.

Ce jour-là, Alan eut la surprise de trouver Edith assise à son secrétaire, vêtue de sa seule chemise de nuit blanche vaporeuse, occupée à griffonner frénétiquement de son stylo-plume une feuille de papier à la lueur d'une unique bougie.

Elle interrompit aussitôt sa tâche pour lui offrir un sourire franc en l'apercevant :

- Vous passez bien tard aujourd'hui, Alan, lança-t-elle de cet air innocent qui avait toujours fait fondre le jeune homme, dès leur première rencontre lorsqu'ils étaient enfants.

- Oui, pardonnez-moi, dit-il en aplatissant une fois encore maladroitement ses cheveux sur le côté de son crâne. Ma mère ne voulait pas me libérer, j'en ai bien peur. Elle vous fait porter ses meilleurs vœux de rétablissement.

- Remerciez votre mère pour moi. Je sais qu'elle se montre très discrète par égard pour moi, mais son soutien me va droit au cœur.

Ce fut au tour d'Alan d'esquisser un sourire. Comme toujours, la bonté spontanée qui émanait de la jeune femme ne cessait de l'émerveiller. Vêtue ainsi de blanc, ses longs cheveux déliés sur ses épaules en une cascade d'or, à la seule lueur d'une bougie, elle ressemblait presque à une apparition surnaturelle elle aussi, mais cette fois, une apparition bénéfique. Elle était tellement belle que cela lui faisait presque mal de la regarder, trop belle pour être réelle. Un ange, comme il en sortait parfois des tableaux préraphaëlites qu'Alan se plaisait à admirer.

- Eh bien, qu'avez-vous ? s'amusa Edith en le voyant ainsi silencieux.

- Rien, répondit-il, luttant pour reprendre le fil de ses pensées. Je vous trouve bien mieux aujourd'hui, c'est tout. Vous avez pris la peine de vous lever. La prochaine étape serait de vous habiller, vous ne croyez pas ?

- Oh mon pauvre Alan, mais c'est que je n'en ai pas le temps, répondit Edith en s'esclaffant. Voyez-vous, si je me suis levée, c'est pour une raison bien précise.

- Ah oui ? Laquelle ?

Alan devait reconnaître qu'il était intrigué. Une chaleur bienheureuse irradiait dans son ventre : enfin, il la retrouvait, ça y est. Cet étincelle dans ses yeux qu'il adorait tant. Edith Cushing était de retour.

- J'ai compris ce que je devais faire désormais pour avancer, déclara alors la jeune femme, avec sa fermeté habituelle, mais cette fois-ci teintée d'un sérieux qu'elle ne possédait pas auparavant.

Elle aussi, les épreuves l'avaient changée. Grandie.

- Je dois me remettre à écrire, poursuivit-elle, fière de son effet.

Sans qu'il ne puisse se l'expliquer, Alan en conçut une joie immense. Lui-même n'était pas un grand féru d'écriture, ni même de lecture. Mais c'était la passion d'Edith. Elle vivait à travers ces mots qu'elle jetait sur les pages, il le savait. C'était une partie intégrante de tout ce qu'il aimait en elle. Sa passion. Son imagination. Sa ferveur.

- Mon dieu Edith, c'est une excellente nouvelle ! s'exclama-t-il sans cacher sa joie.

Edith parut sincèrement heureuse de son enthousiasme. Dans le coin de ses yeux cependant, à l'ombre de ses délicates boucles blondes, niché quelque part, loin dans le cœur de ses iris noirs, Alan percevait bien, toujours, les traces de ce qu'elle avait vécu quelques semaines plus tôt. Quelque chose de profondément maléfique avait voulu s'en prendre à Edith. Comme toujours, ces choses-là laissaient des traces. Edith resterait probablement marquée à vie par ce qu'elle avait surmonté. Mais, en ce qui le concernait, Alan trouvait que cela ne l'en rendait que plus belle :

- Sur quoi allez-vous écrire, alors ? demanda-t-il histoire de détourner ses pensées.

Edith s'assombrit :

- Je ne vois qu'un seul sujet, en vérité, dit-elle en baissant les yeux sur son encrier, le stylo de son père tournoyant entre ses doigts fins.

Alan comprit aussitôt. Cette nouvelle lui fit l'effet d'une chape de plomb s'abattant sur ses épaules. C'était comme si Thomas Sharpe le poignardait une seconde fois. Même dans la mort, son souvenir continuait, encore et toujours, de le tenir éloigné de sa bien-aimée.

- Êtes-vous bien sûre, Edith ? risqua-t-il en s'approchant du fauteuil de la jeune femme. Je veux dire... Je comprends que vous y pensiez beaucoup, et c'est normal, mais... Croyez-vous que revivre tout cela en le couchant sur le papier vous permettra d'avancer ?

- Vous êtes médecin, Alan, et je vous respecte infiniment pour cela, répondit Edith de sa voix posée. Mais vos méthodes ne peuvent rien pour moi. J'ai besoin de me guérir à ma manière.

Ces paroles heurtèrent Alan, beaucoup plus qu'il ne voulait bien l'admettre. Depuis toujours, il adorait cette jeune femme. Depuis toujours, il ne rêvait que d'une chose : lui faire comprendre à quel point il la trouvait merveilleuse, lui permettre de se voir telle que lui-même la voyait, dans toute son incroyable vivacité, faire d'elle sa femme, et la rendre heureuse... Aussi heureuse qu'elle le méritait.

Seulement voilà. Aujourd'hui plus que jamais, la réalité se rappelait durement à Alan : Edith n'avait jamais rien vu d'autre en lui qu'un ami. Rien de plus. Jamais elle ne l'avait regardé comme lui-même l'admirait, et jamais elle ne le ferait. Edith s'était laissée capturer par le charme dévastateur de Sir Thomas Sharpe. Qu'avait-il donc à lui offrir, en comparaison ?

Il n'était définitivement qu'un idiot. Il avait traversé un océan pour cette femme, convaincu qu'elle était en danger, qu'il devait lui venir en aide, et au final, elle restait toujours aussi incapable de le voir qu'autrefois. Elle lui préférait l'homme qui avait tenté de la voler et de l'assassiner. Un meurtrier incestueux, un coureur de dots.

Et pourtant, si c'était à refaire, Alan en était certain, il referait la même chose. Oh, il ne laisserait pas Edith tomber à nouveau dans les filets de ce séducteur ambulant, ça non. Mais il franchirait à nouveau l'Atlantique. Il risquerait sa vie, prendrait un couteau dans ses chairs, et mourrait pour elle.

Telle était sa malédiction. Elle dévastait sa vie, et pourtant, pour rien au monde il n'aurait voulu s'en défaire. Car Alan vivait avec cette intime conviction : si Edith n'avait jamais fait partie de sa vie, alors son existence aurait été infiniment moins riche qu'à présent. Peut-être aurait-il été plus heureux, certes. Plus insouciant. Peut-être aurait-il été capable de se contenter des amours fades que ce monde avait offrir, inconscient du trésor qui rayonnait en Edith Cushing. Mais alors, quelle saveur aurait bien revêtu sa vie ?

Edith le faisait se sentir exister. Elle lui donnait le sentiment d'apprendre, l'envie d'irradier, de se dépasser, de donner le meilleur de lui-même à chaque instant. Par son esprit résolument moderne et audacieux, elle bouleversait toutes les certitudes qu'il croyait avoir sur le monde, en ce tout début de XXe siècle, et il adorait cela.

Alors oui. Soit. Il abdiquait. Si Edith désirait pleurer son amant maudit, il l'aiderait, comme il l'aiderait dans tous les choix de sa vie. Tant qu'elle voudrait bien de lui :

- Je sais qu'il vous manque, glissa-t-il, faisant appel à toute la maîtrise en lui.

La jeune femme secoua la tête :

- Plus le temps passe, et plus j'ai l'impression que son souvenir devient diffus, confit-elle. C'est pourquoi je dois l'immortaliser sur le papier avant que tout cela ne disparaisse. Je dois me rappeler à quel point j'ai été stupide, pour ne pas que cela se reproduise...

- Vous n'avez pas été stupide.

- Bien sûr que si ! J'ai causé la mort de mon père, j'ai bien failli causer la vôtre !

- Vous ne pouviez pas savoir. Vous l'aimiez. Lui était coupable de bien plus grands crimes.

- J'aurais dû m'en rendre compte...

- Non.

Alan s'agenouilla auprès d'elle et, délicatement, saisit entre ses grandes paumes sa main qui tenait le stylo :

- Croyez-moi, on ne se rend pas toujours compte de ce qui se trouve juste sous nos yeux.

Edith esquissa un sourire :

- Très cher Alan, dit-elle en caressant sa joue de sa main libre.

Alan fit son possible pour ne pas se laisser démonter :

- Je vous soutiendrai quoi que vous fassiez, Edith, vous le savez, murmura-t-il. Mais je refuse de vous laissez vous accuser pour les crimes que cet homme et sa sœur ont commis. Vous êtes une belle personne, sans doute la plus belle âme qu'il m'ait jamais été donné de rencontrer. Je vous en supplie : ils ont volé votre argent, votre père, votre amour et votre confiance, ils ont même tenté de voler votre vie. Ne les laissez pas voler votre lumière.

Une larme s'échappa discrètement des yeux d'Edith, qui la dissimula sous un petit rire :

- Vous voilà bien éloquent ce soir, Alan. Êtes-vous sûr que ce n'est pas vous qui devriez prendre la plume ?

Je referme ses doigts fins autour de son stylo :

- Ceci est votre arme, à vous et à vous seule. Faites-leur le procès qu'ils méritent, si cela peut vous apaiser. Mais, je vous en prie... N'en faites pas le héros tragique de votre histoire. Il ne le mérite pas. Vous êtes vous-même l'héroïne de votre vie, et celle-ci ne s'arrête pas avec sir Thomas Sharpe.

Edith secoua la tête :

- Il ne sera pas le héros de mon livre, le contredit-elle.

Alan fronça les sourcils :

- Je vous demande pardon ?

- Il ne sera pas le héros de mon livre, répéta-t-elle.

Ce fut à son tour de saisir ses mains entre les siennes, si petites en comparaison :

- Voyez-vous, j'ai compris autre chose, Alan, lui confia-t-elle en le regardant droit dans les yeux. Je ne vous ai jamais remercié d'être venu me sauver ce jour-là.

Plus que jamais embarrassé, Alan détourna le regard :

- N'en parlons plus, c'était tout naturel...

- C'est faux, et vous le savez.

- N'importe qui, s'alarmant de la situation, aurait fait la même chose.

- Vous êtes le seul à vous être alarmé.

- D'autres seraient venus. J'en suis sûr.

- Non, Alan. Vous êtes venu, depuis l'autre bout du monde, uniquement parce que vous soupçonniez que quelque chose n'allait pas. Vous n'aviez aucune preuve tangible, rien de plus qu'un pressentiment... Et pourtant, vous étiez prêt à tout abandonner pour vous assurer que j'allais bien. Ce que vous avez fait était extraordinaire, je vous l'assure. Vous méritez de l'entendre. Je veux que vous l'entendiez.

Alors, Edith s'inclina prudemment vers lui, et déposa sur son front un baiser à la douceur de rose :

- C'est vous le héros de mon histoire, Alan.

Stupéfait, Alan sentit de nouveau, pour de bon, la chaleur se répandre au creux de son ventre. Cette fois, elle ne s'en délogerait plus. Car il était peut-être encore trop tôt, certes. Tous deux devaient panser leurs blessures, et apprendre à vivre avec ce qu'ils avaient enduré. Mais dans les yeux d'Edith ce soir-là, Alan décelait quelque chose qu'il n'avait encore jamais vu auparavant, une chose à laquelle il aurait tout sacrifié, absolument tout.

Une promesse d'avenir. 

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