Jamais deux sans toi - Tome 1

By AudreyLP_

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Dans un climat de confiance, un groupe de huit amis décide de passer un pacte d'amour afin de leur permettre... More

Partie 1 : S'aimer d'amour.
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Partie 2 : S'aimer cachés.
Chapitre 19
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Epilogue

Chapitre 20

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By AudreyLP_


Lyon, 18 Octobre 2018.

18 ans.

- Raphaël -

Quelques jours seulement après nos retrouvailles, Ezra finissait sa tournée sans nous en toucher un mot. Je crois qu'il se laissait le temps de réfléchir à sa réapparition définitive dans notre appartement. Quand nous sommes allés à Toulouse pour le voir, Rosa et moi, j'ai vu qu'il ne se sentait pas du tout à l'aise avec notre venue, encore moins avec la situation dans laquelle je l'ai trouvé. Quand j'ai annoncé ma présence à l'accueil, après avoir justifié par mille moyens le fait que nous nous connaissons depuis des années, l'agréable – et c'est ironique – hôtesse a enfin daigné m'indiquer la chambre de Zazou qui se trouvait assez occupé avec non pas une, mais deux demoiselles. Lorsqu'il m'a ouvert la porte, il portait seulement son caleçon sur lui et un air renfrogné sur le visage. Puis la surprise a remplacé toute trace d'agacement.

Qu'est-ce que tu fais là ?

Bonsoir à toi aussi. J'aimerais qu'on parle.

Rosa est avec toi ?

Elle t'attend dans ton bar habituel.

Sans se poser la moindre question, il a demandé aux jeunes filles de partir de sa chambre, en essuyant quelques insultes au passage. En laissant la porte ouverte, j'ai compris qu'il m'invitait à entrer. Pendant qu'il enfilait son jean et son tee-shirt, il m'observait silencieusement. En passant l'été sans lui, les questions liées à mon orientation sexuelle m'ont assez chamboulé. Il me manquait, c'était certain. Est-ce que je me faisais des idées suite à notre envie d'habiter tous les trois ensembles ? Est-ce que j'imaginais que notre relation changerait du fait que nous fréquenterions tous les deux Rosalie ? La réponse m'est bien vite apparue : à force d'être habitué à partager mon quotidien avec lui, Ezra prenait de plus en plus de place dans ma vie, et pas seulement en tant qu'ami. La question qui se posait donc ressemblait à quelque chose comme « Suis-je homosexuel ? ». Aussi étrange que cela puisse paraître, il m'a fallu me retrouver seul dans un parc à faire une lourde introspection puis à regarder des garçons de mon âge passer pour me rendre compte que non. Je ne suis ni homosexuel, ni bisexuel. Je ne suis attiré par aucun garçon à part Ezra. Je me suis donc rendu à l'évidence en me désignant comme hétérosexuel + Ezra. Je ne sais pas réellement ce que ça signifie, ni ce que je vais bien pouvoir faire de cette nouvelle information dans mon esprit. Quand nous nous sommes vus dans sa chambre d'hôtel, les mots m'ont manqué, plantant dans le décor un silence plus que pesant. Pourtant, en m'allongeant sur son lit, le lien qui nous unit chaque jour depuis des années a refait surface. Il s'est installé à côté de moi, accrochant au passage son petit doigt au mien comme lorsque nous étions enfants et que l'un de nous se sentait mal, puis...

Je ne pense pas pouvoir assumer cette relation.

Pourquoi ?

Si elle n'est pas avec moi, je supporterai sans problème de vous voir ensemble. Mais je ne sais pas si ça se passera de la même façon en sachant qu'elle nous fréquente tous les deux, qu'elle passe certaines nuits avec toi, d'autres avec moi... je sais très bien qu'elle finira par rester uniquement avec toi.

Elle n'a pas de préférence, on en a longuement discuté pendant que tu te cachais dans tes tournées. Il y a des choses en toi qui lui plaisent et qu'elle ne retrouve pas en moi, et inversement.

Franchement je ne sais pas Raph'... Je ne pense même pas vouloir m'engager dans une relation.

Ça c'est autre chose Ezra. Si tu n'as pas envie de t'engager ce n'est même pas la peine de te poser toutes ces questions, lui dis-je gentiment.

J'essaie juste de voir ce dont j'ai besoin. Je me sens con. Après les tonnes de conversations avec Rosa à lui répéter qu'un truc à plusieurs me semblait plus sain qu'un truc à deux, et me dire maintenant que je n'assumerais pas du tout un truc comme ça... j'en sais rien. Y avait rien de sérieux quand on formait ce groupe de couples. Maintenant que ça tend vers une vraie relation, ça me paraît différent, ça m'angoisse. Je ne veux pas m'engager dans quoi que ce soit.

Je n'ai pas su quoi lui répondre. Nous sommes restés quelques minutes dans cette position, tous les deux allongés, les petits doigts noués et la tête sur un seul et même oreiller. Je sais que la situation se montre compliquée. Même en n'ayant jamais eu peur de l'engagement, je me sens terrifié en pensant à tout ce que ça signifie, tout ce que ça pourrait engendrer, à la réaction de nos parents, surtout des miens...

Tu vas aller la voir ?

J'ai le choix ?

Oui, mais si tu ne le fais pas, je pense qu'elle sera extrêmement peinée.

Très bien... alors on y va.

Toi tout seul, je rentre moi.

... Parfait, soupire-t-il agacé. Envoie-moi l'adresse de votre hôtel. Je dors avec vous ce soir.

Si tu veux prendre la voiture, il faut que tu me ramènes.

T'es chiant.

Depuis cette soirée-là, nous n'avons pas eu un seul message de sa part si ce n'est pour nous demander si nous étions bien rentrés. Il est revenu en pleine nuit et nous a rejoint dans le lit sans un mot. Nous ne sommes pas ensemble, pas vraiment. Nous avons à peine discuté de ce qu'il voulait, il préfère fuir la conversation que d'admettre qu'il se lance avec nous, à chaque fois. Il insiste sur la partie « je fais ce que je veux, je n'ai de compte à rendre à personne » mais quand il passe son temps avec nous, il ne va jamais voir ailleurs comme il en avait l'habitude lorsque que nous n'habitions que tous les deux. Depuis son retour, il n'a pas découché une seule fois pour s'amuser avec d'autres filles. Parfois pourtant, il déserte l'appartement, prétextant aller courir... mais nous savons très bien qu'il nous laisse nos moments d'intimité comme je leur laisse les leurs.

— Je suis rentrée ! annonce Rosa en passant la porte.

— T'étais pas censée être en courses toi ? lance Zaz'.

— Si, j'y étais.

— Et tu n'as encore rien pris ?

— Je n'ai pas trouvé ce que je cherchais, se renfrogne-t-elle en lui tirant la langue.

— Tu cherchais quoi ?

— Des trucs de fille ! ment-elle pour lui clouer le bec.

J'éclate de rire face à son ton agacé tandis qu'Ezra m'adresse un clin d'œil accompagné de son éternel sourire en coin, celui qui est tout fier de ses bêtises. Si nous nous laissons nos moments libres avec elle de temps en temps, parfois c'est Rosalie qui prétend aller faire des courses et elle revient presque systématiquement les mains vides, seulement pour nous laisser l'opportunité de nous retrouver comme avant, dans notre bulle d'amitié. Nous le savons très bien tous les deux mais elle ressemble un peu à notre musicien pour ça, elle refuse de l'admettre.

Depuis que j'ai repris les cours, je me sens épanouis. Ezra travaille à la bibliothèque universitaire puisqu'il a arrêté ses études mais qu'il souhaite quand même passer du temps avec nous. Rosalie commence sa deuxième année de Lettres Modernes et moi d'Éco-Droit. Tous les midis nous nous rejoignons au restaurant universitaire avec Jenny, Iris et Denis. Parfois Alyssa nous fait l'honneur de se joindre à nous, mais je crois qu'elle préfère éviter le plus possible Rosalie. Nos amis se questionnent beaucoup sur la nature de notre relation. Est-ce que Rosa fréquente Ezra ? Est-ce qu'elle est avec moi ? Nous finissons toujours par répondre que nous sommes seulement un trio très proche. Ils peuvent faire de multiples interprétations avec ce genre de réponses, nous en sommes conscients. Heureusement pour nous, eux se fixent sur une belle et forte amitié.

Ce soir c'est Ezra qui cuisine pendant que notre jolie brune se douche et que je bosse sur mes devoirs d'économie à côté de lui sur la petite table d'appoint. Quand elle ressort de la salle de bain pour nous rejoindre dans la cuisine, le regard qu'il pose sur elle passe de la bienveillance à la surprise.

— Mais c'est ma chemise ça ! s'exclame-t-il.

— Non, tu me l'as donnée avant ta première tournée, c'est la mienne maintenant !

J'observe le vêtement à carreaux bleus... c'était la préférée du musicien à une époque et accessoirement le seul vêtement qui habille Rosalie après chacune de ses douches d'habitude. Ça faisait un moment qu'elle ne l'avait pas mise, je pensais qu'elle l'avait déposée dans le bac de linge sale ou quelque chose comme ça. Je comprends maintenant qu'elle ne voulait sûrement pas le mettre devant Ezra. Pour lui faire payer cet affront, il laisse le repas de côté et fonce sur elle, la faisant ainsi basculer sur le canapé après la course-poursuite la plus courte du monde, et lui fait subir le châtiment extrême : les chatouilles. Dans un éclat de rire elle gigote de plus en plus et entraîne Zazou dans sa chute sur le parquet. Maintenant qu'elle se retrouve à califourchon sur lui, elle tente à son tour de se venger mais il la soulève sans mal et se relève sans la lâcher pour me rejoindre et la déposer sur le plan de travail de la cuisine. En se calant entre ses jambes, il laisse ses mains sur ses hanches et plante son regard dans celui de Rosalie. Elle lui file une pichenette sur le front avant d'éclater de rire encore une fois quand il lui mordille le cou avant de reprendre la cuisson de son plat. Elle l'embête du mieux qu'elle peut en lui donnant des conseils tous plus idiots les uns que les autres, exprès, dans l'espoir de lui faire perdre patience. « Tu devrais mettre du sucre... Ajoute un peu de lait... Je pense que ça manque de coulis de fraise... _ Rosa ? _ Mh ? _ Boucle-la. » et la lutte continue. Je les observe rire, complices, et je ne peux que me trouver chanceux de vivre avec eux.

Le moment où je me sens le plus complet reste celui où l'on part tous les trois se coucher. On a fini par investir dans un lit gigantesque afin d'être moins à l'étroit, plus confortablement installés, même si nous dormons toutes les nuits emmêlés les uns aux autres. Le lit double neuf a trouvé un acheteur facilement mais nos portefeuilles ont quand même fait la tête.

Parfois les choses se passent un peu moins bien. Leur relation est tellement passionnelle que leurs disputes ressemblent à trois apocalypses d'un seul coup. Les cris s'élèvent, les insultes fusent et les portes claquent. Il n'y a qu'eux pour provoquer de tels états de colère chez l'un ou l'autre. Et dans ces cas-là je me sens toujours un peu démuni. Ezra part faire un tour, ça lui arrive même de rester chez Jen' pour la nuit et de ne revenir que le lendemain après le boulot. Quant à Rosalie, elle pleure de rage pendant un moment, puis de tristesse et de culpabilité, même quand elle n'est pas la responsable... Puis, quand ils décident enfin d'enterrer la hache de guerre, c'est moi qui choisis de quitter l'appartement. Parce que leurs retrouvailles sont toujours aussi pleines de passion que leurs disputes. Je crois que c'est la partie délicate de notre double couple : le fait de rentrer à la maison, de savoir qu'ils s'aiment dans la chambre pendant que toi tu subis leurs ébats. Quand on prend la décision de se laisser un moment intime, il y a toujours une excuse qui nous permet de fuir le domicile. Mais ça, ne pas s'attendre à ces démonstrations d'amour après une longue journée à étudier, ça crée forcément un malaise et un peu de jalousie, en tout cas chez moi. Je prends sur moi, me concentrant sur mes révisions et exercices imposés par la fac jusqu'à ce que le silence règne et me laisse le répit dont j'ai besoin. Personne ne s'excuse jamais pour ça, on laisse planer un silence interdit, on essaie de trouver un sujet de conversation... mais les rares fois où l'on se surprend dans de tels moments la gêne flotte dans l'air jusqu'à l'heure du coucher et nous oublions tout le lendemain matin. Je ne leur en veux jamais, comme Ezra ne nous en tient jamais rigueur lorsqu'il se retrouve dans ma position.

Mon téléphone sonne en affichant le contact « Papa ». Stupéfait, je n'ai pas le réflexe de répondre immédiatement. L'angoisse monte en moi tant et si bien que je réponds trop tard ; mon père ne m'appelle jamais sauf pour me parler de mes résultats scolaires en-dessous de 18 et pour savoir si je me destine toujours à devenir son successeur à la tête de son entreprise. La deuxième fois qu'il appelle – presque immédiatement après – je décroche rapidement et trouve une excuse idiote pour justifier le premier appel manqué. Ezra rit silencieusement, moqueur, et Rosa affiche un sourire amusé.

— Peu importe Raphaël. Je viens de recevoir les modifications du bail... tu ne m'avais pas dit que Rosalie emménageait avec toi.

— Dis plutôt que tu viens tout juste d'ouvrir le courrier papa...

— Là n'est pas le sujet, élude-t-il.

— J'avais prévenu maman, elle était très enthousiaste si tu veux tout savoir.

— Où dort ton amie ? Puisque si j'ai bonne mémoire, mon fils, tu héberges déjà Ezra.

— Avec moi. Et je n'héberge personne, chacun paie sa part du loyer.

— Avec toi ? Mais Raphaël, bon sang ! Tes études sont importantes ! Tu n'as pas besoin de distraction !

— Ça fait des années qu'on dort tous ensemble pendant nos soirées papa...

— Peu m'importe ! Je me doute bien que vous ne faites pas que jouer aux cartes pendant la nuit !

— Parfaitement et Ezra participe aussi puisqu'il dort avec nous, si tu veux tout savoir !

Je lui raccroche au nez, énervé. De quoi est-ce qu'il se mêle sérieusement ?

— Euh... je participe à quoi exactement ? demande le musicien moins confiant.

— Ne commence pas toi non plus !

Au fond, je ne sais même pas pourquoi je m'énerve. Ezra comprend qu'il ne faut pas trop me chercher donc il n'insiste pas. Rosalie, elle, tente de me prendre dans ses bras mais j'esquive son étreinte. En voulant essayer un second rapprochement je lui intime d'un ton acerbe de me laisser tranquille. Immédiatement, Zaz' se positionne en protecteur. Il l'attrape par le coude pour la prendre dans ses bras et me fusille du regard.

— Si ton père est un sale con, c'est ton problème et elle n'est pas responsable. T'en prends pas à Rosalie.

— T'es le premier à lui manquer de respect quand tu te disputes avec elle, ne me casse pas les pieds s'il te plaît, siffle-je.

— Ouais, mais quand on s'engueule c'est entre nous. Elle est aussi responsable que moi.

— Laisse Ezra, souffle Rosalie.

— Eh bien là c'est entre nous, continue-je sans faire attention à ma petite-amie. Ne te mêle pas de ça.

Il me fusille à nouveau du regard mais ne dit rien, sûrement grâce à la main que Rosa vient de poser sur sa poitrine pour le calmer. Il souffle longuement, ses yeux me lançant toujours de violents éclairs, et il entraîne notre jolie brune sur le balcon. Agacé, je file dans la salle-de-bain, allume l'eau de la douche, me déshabille en vitesse et m'engouffre dans la cabine. Je ne possède pas un tempérament impulsif, je ne suis même pas un tant soit peu colérique. Impossible de comprendre d'où me vient cet accès de colère. Je crois que le fait d'avoir mon père au téléphone si rarement, toujours pour critiquer la moindre de mes décisions, et m'entendre à moitié dire en plus qu'il désapprouve ma relation avec Rosa alors qu'elle n'est même pas officielle à ses yeux... je ne sais pas. Je lui en veux énormément de toujours se comporter comme ça avec moi. Et je me dis, s'il n'apprécie même pas la relation que j'entretiens possiblement avec elle maintenant, comment est-ce qu'il réagirait en sachant qu'elle ne représentera jamais la femme parfaite que lui et ma mère idéalisent pour moi ? Si je lui annonçais qu'en plus d'être avec moi, elle fréquente également Ezra, qu'est-ce qu'ils diraient ? Qu'est-ce qu'il dirait ? Continuerait-il de placer tous ses espoirs dans mon avenir ? Parfois j'espère secrètement qu'il décide de se tourner vers mes deux sœurs. Mais je me rends compte ensuite que Jelena et Alizée subissent une pression similaire sans que ce ne soit vraiment justifié quand j'y pense... J'ai l'impression de dévier complètement du chemin qu'ils ont imaginé pour moi – concrètement je le fais, ce n'est pas qu'une impression – mais quelque part je sens dans mes tripes que ça me dépasse. Plus nous passons du temps ensemble et plus j'en veux. C'est mon monde idéal à moi, ma vie parfaite à moi avec son lot de défauts, de disputes et surtout d'amour. C'est exactement tout ce dont j'ai envie.

Alors pourquoi son avis me met dans de tels états ? Je ne sais pas. Je n'en sais rien et ça me frustre. J'ai toujours l'impression de ne jamais être à la hauteur, d'être une source de déception aux yeux de mon père. Jamais il ne m'a dit qu'il était fier de moi, même quand j'ai eu mon bac, il paraissait déçu de mes résultats alors que j'ai obtenu la mention très bien avec les félicitations du jury. À quelques dixièmes de point, le 20 de moyenne s'inscrivait sur mon relevé de notes.

À l'époque, quand nous étions tout un groupe, je m'en fichais pas mal de ce qu'il pouvait penser. Déjà parce qu'il n'était au courant de rien et surtout parce que je ne m'engageais à rien. Ce n'était pas une histoire sérieuse, pas une qui me faisait entièrement vibrer. Ce que je partage avec eux, c'est différent. Ça me tient à cœur, c'est du vrai, du concret, je me donne corps et âme à cette relation.

Quelqu'un toque à la porte, je reste silencieux, les poings fermés, le corps raide sous l'eau chaude.

— Qu'est-ce qui t'arrive loulou ? me lance Ezra en entrant sans la moindre gêne.

— J'ai besoin d'être un peu seul, je vous rejoins après.

— Il t'a dit quoi ton vieux ?

— Rien d'important, je me suis emporté. Désolé.

Heureusement que la buée rend les vitres de la douche opaques, je ne peux absolument pas le regarder dans les yeux.

— En rapport avec Rosa ? Avec moi ? insiste-t-il.

— Vous êtes une distraction apparemment. Et selon lui, je n'ai pas besoin de ça.

— Si tu veux mon avis, et d'ailleurs même si t'en veux pas je te le donne, précise-t-il en m'arrachant ainsi un sourire amusé, il n'a pas vraiment son mot à dire. Premièrement il ne sait pas ce qu'il se passe entre nous, comme tout le reste du monde. Et deuxièmement, même s'il savait ça ne le regarde pas. On se sent bien comme ça, s'il veut le bonheur de son fils il sera en mesure de le comprendre.

— Je ne me sens pas aussi confiant que toi.

— Il ne te mérite pas dans ce cas. Le jour où il t'appréciera à ta juste valeur, il méritera ton attention. Rose et moi, on sait que tu trimes comme un dingue pour avoir ton diplôme et que tu fais tout ce qui est en ton pouvoir pour le rendre fier. Si lui ne sait pas te le dire, crois-moi que tous les deux nous sommes très fiers de toi. Maintenant bouge ton cul de cette douche et rejoins-nous, sinon je coupe l'eau chaude.

— Ton langage Ezra.

Pour toute réponse, il quitte la salle-de-bain et je me doute fortement que son sourire de loubard trône fièrement sur son visage. Malgré son vocabulaire, il a réussi. Mon corps est détendu, mes poings desserrés et mon cœur se sent plus léger. Quand je sors de la salle-de-bain pour entrer dans ma chambre, je remarque que j'ai un SMS de ma mère me proposant – m'ordonnant – de passer mes vacances chez mes grands-parents maternels à la campagne pour la Toussaint. Lorsque je demande si je peux venir accompagné d'Ezra et Rosalie, elle semble prendre un ton catégorique à travers un simple texto : c'est non. Tant pis, même si l'université nous donne gentiment et exceptionnellement nos deux semaines de vacances, je mens à mes parents en leur affirmant que je ne pourrai rester que quelques jours afin de pouvoir réviser et être prêt pour la rentrée que j'indique être le 29 octobre au lieu du 5 novembre. En passant la porte de la chambre pour les rejoindre, je les aperçois enlacés sur le balcon. Un sourire tendre force le barrage sur mon visage et je finis par avancer jusqu'à la baie vitrée, passer à l'extérieur et les prendre dans mes bras en leur soufflant un petit « désolé » tout pauvre et honteux. Leurs bras m'intègrent dans leur étreinte sans un mot. Je les aime. Je le ressens au plus profond de mon âme, j'en suis fou amoureux.

Lorsque chacun se met à table, un silence règne en maître. On dirait un genre de brouillard opaque, massif, pesant... et je décide de le briser.

— Mes parents souhaitent que j'aille à la campagne pour la Toussaint, seul, précise-je.

— Bonnes vacances en vue, se moque Ezra.

— Lâche-le, soupire Rosalie.

Il sursaute légèrement et je devine qu'elle vient de lui mettre un coup de pied sous la table pour appuyer son ordre. Leurs sourcils sont froncés, leurs regards dangereux... puis Ezra abandonne le premier en soupirant, jugeant certainement que c'est trop ridicule pour entamer une dispute. C'est la sonnerie de mon téléphone qui rompt définitivement cette ambiance électrique entre les deux combattants.

— Je viens de recevoir mon billet par mail, annonce-je.

— Dis donc... ils n'ont pas tardé. Tu pars quand ? s'inquiète Rosa.

— Dans deux jours, soupire-je. Mais je reviens le 24... mercredi, dis-je après vérification.

— Pour quatre jours, tu vas survivre, lance Ezra. Ça passera vite.

Je hausse les épaules, je me sens agacé.

Nous finissons de manger dans le silence, je pense que j'ai définitivement pourri l'ambiance de la soirée avec ma crise de tout à l'heure. Pourtant ils font comme si de rien n'était, après, quand on débarrasse les assiettes. Ils enfilent juste leurs vestes pour jouer de la guitare sur le balcon. Comme d'habitude, Zazou s'installe sur la chaise près du garde-corps et commence déjà à gratter les cordes. Rosalie s'affale dans l'énorme oreiller de jardin rempli de microbilles que nous avons placé juste en face d'Ezra et moi je m'assoie à côté d'elle et l'enlace. La balade que nous joue notre musicien détend tout le monde. Très vite, mon nez vient se plonger dans les cheveux ondulés de ma belle brune pour me permettre de humer son parfum de lavande.

« Pour quatre jours, tu vas survivre. Ça passera vite. » Cette phrase tourne en boucle dans mon esprit. Comme ça, je dirais que oui. Effectivement, quatre jours ça passe vite. Mais quatre jours sans eux... sans elle... Le fait de ne pas pouvoir la tenir dans mes bras quand je le souhaite, ou l'embrasser, ou l'embêter, ou lui faire l'amour, ou l'embrasser encore, je suis déjà frustré et agacé. Angoissé aussi, quelque part, de les laisser tous les deux. Peut-être qu'elle se rendra compte qu'elle préfère être avec lui, que la vie semble plus drôle, moins terne. Je ne suis pas encore parti que je m'imagine déjà les pires scénarios. Et comme si elle lisait dans mes pensées, elle décide de se relever un peu et d'approcher sa bouche de mon oreille.

— Je t'aime, m'avoue-t-elle dans un murmure.

Un murmure rien que pour nous. C'est la première fois depuis que nous nous sommes remis ensemble qu'elle me dit « je t'aime ». Pourquoi maintenant, de cette façon ? Je n'en sais rien. Mais ça réchauffe mon cœur et apaise mon âme. Alors je lui glisse que moi aussi, uniquement pour elle. Elle se fond un peu plus dans mes bras et un sourire léger naît sur son joli visage. Rosalie dépose un baiser chaste sur mes lèvres. Un goût de pomme reste sur les miennes due à la compote qu'elle a engloutie en dessert. Ezra nous enveloppe de son regard bienveillant, attendri. Elle est là ma vie. Pas dans cette foutue campagne où mes parents m'envoient pour que je réfléchisse sur l'importance de mes études ou sur l'horrible distraction que représente Rosa en habitant avec moi. Depuis que nous vivons ensemble, tous les trois, je me sens plus entier que je ne l'ai jamais été. Plus vivant, plus honnête. J'ai l'impression de ne plus mentir, de ne plus tricher. D'être moi-même, même si c'est un secret aux yeux du reste du monde, un peu encore aux yeux de Rosalie et d'Ezra qui ne connaissent pas mon amour pour ce dernier. Je ne suis pas prêt, pas sûr de ce que ça pourrait engendrer dans notre relation et ce que nous vivons actuellement me suffit amplement. Ils n'ont pas besoin de savoir, pas pour l'instant. Mais envers moi, je suis vrai. C'est tout ce qui compte pour le moment.

Mes parents ne pourront pas me vacciner de l'amour que je leur porte. Ils ne pourront pas changer ce que je suis. Je suis dépendant de mon bonheur et il réside au creux de leurs mains.

— Je suis vraiment heureux avec vous, me sens-je obligé de leur dire.

Ezra me taquine sur ma soudaine niaiserie tandis que ma petite-amie affirme qu'elle se sent bien avec nous également avec un grand sourire tendre sur les lèvres. Malgré ses moqueries, Zazou cale sa guitare contre le garde-corps et nous rejoint dans le grand pouf, se plaçant derrière nous pour se joindre à notre étreinte.

Villemolaque, Ferme de Maryse et Victor, 20 octobre 2018.

Une heure que je suis arrivée et déjà l'envie de partir se fait ressentir. Mes vêtements de la ville troqués contre quelque chose de plus confortable pour cet endroit, j'ai abandonné ma chemise pour un sweat en coton et mes chaussures en tissu pour les bottes trop grandes de mon grand-père qui m'emmène déjà dans les champs pour me montrer l'évolution de sa production. « Du bio et du local » répète-t-il fièrement. Je ne sais pas vraiment s'il pourra s'y investir pleinement, mais il a l'air tellement heureux que ça me fait sourire et je me sens presque aussi enjoué que lui.

J'aime cet endroit, je l'ai toujours adoré. Quelques-uns de mes plus beaux souvenirs d'enfance sont ancrés à ce lieu. Aujourd'hui pourtant, une part de moi est restée à Lyon, dans mon lit, avec Ezra et Rosalie. Quatre heures que je les ai quittés, seulement quatre. Le temps risque d'être long...

Quand Papy décide que le temps de rentrer arrive, je lui informe que je pars me promener un peu pour me remettre du voyage. Il me souhaite une bonne balade avec un grand sourire, me dit pour la énième fois qu'il est très heureux de me voir et je l'étreins avec force. Ça faisait longtemps que je ne l'avais pas vu et être en face de lui me fait chaud au cœur.

En me promenant, j'essaie d'appeler Rosalie puis Ezra. Ce dernier répond, bougon, me priant de rentrer le plus vite possible parce qu'il ne la supporte déjà plus. J'entends ma petite-amie rouspéter après lui, un bruit qui claque et mon musicien qui s'insurge fortement auprès de Rosalie après avoir lancé un énorme « aïe-euh ! » douloureux. J'éclate de rire en me rendant compte que même ça, ça me manque déjà. Leurs insupportables chamailleries, leur amour un peu vache, explosif.

— Raphaël ? entends-je derrière moi.

Je me retourne brièvement et aperçois une jeune femme que je ne reconnais pas immédiatement. Puis en la fixant encore quelques secondes, un sourire s'installe sur mes lèvres.

— Katarina !

Je la prends dans mes bras, ça faisait si longtemps ! Elle en fait tomber l'énorme sac qu'elle tient dans sa main et que je récupère quand je la lâche pour l'alléger. Ezra ronchonne à l'autre bout du fil en me demandant qui m'inspire tant de joie. Je ris à son pic de possessivité et lui promet de le rappeler plus tard. Katarina était ma meilleure amie au monde quand nous étions enfants. La retrouver ici après tant d'années... c'est exceptionnel.

— Qu'est-ce que tu fais ici Kitty-cat ?

— Je suis revenue aider mes parents avec la ferme, sourit-elle. J'ai eu mon bac et j'ai eu envie de revenir un peu aux sources. Une année de césure, ça ne fait de mal à personne.

— Après tout ce temps à vouloir les fuir, ces fameuses sources ? ris-je.

— Oui, ça me manquait tout compte fait, affirme-t-elle. Mais, et toi ?

— C'est temporaire, je repars dans trois jours, je vis à Lyon pour mes études.

Elle attrape mon bras et nous continuons à marcher en discutant de nos vies respectives. Quand nous étions enfants, nous passions toutes nos vacances ici, ensemble. Mais quand Papa a créé son entreprise, nous ne nous voyions plus que pendant les deux mois d'été. Elle connaissait la plupart de mes secrets, de mes amours adolescents, de mes meilleurs souvenirs... puis elle est partie chez sa tante pour vivre à Paris toutes ses années Lycée, moi j'avais ma folle bande d'amis depuis quelques années et, avec le temps, nous avions perdu le contact. Revenir ici après plus de deux ans et la revoir par un heureux hasard me rappelle pleins de bons souvenirs. Au fil des pas et des discussions, je me rends compte que nous nous sommes énormément éloignés de la maison de mes grands-parents et je le lui fais savoir. Elle rit en m'adressant un regard malicieux et continue à marcher.

— Tu ne reconnais pas ?

J'observe un peu mieux l'endroit, posant mes yeux un peu partout mais non. Je ne reconnais pas. Elle semble amusée et me fait sortir du sentier.

— Si tu comptes m'enlever et me tuer, je tiens quand même à dire que tu rendras plusieurs personnes malheureuses, souris-je taquin.

— Oh mais tais-toi un peu, rit-elle. Regarde mieux.

Et effectivement, cette fois je vois très exactement où nous sommes. Quand nous passons derrière quelques arbres, plus loin il y a notre cabane d'enfant. Elle paraît plus petite, plus vieille, elle a perdu des couleurs et malgré tout ça, elle colle presque parfaitement à l'image que j'en garde dans mes souvenirs. Attrapant ma main, elle m'y emmène et me fait rentrer. Je suis obligé de me baisser pour passer la porte et, tout droit à l'intérieur, je frôle le plafond avec mes cheveux. Son regard doux sur moi me met un peu mal à l'aise mais je sais que le même trône dans mes yeux à moi. C'est ici que nous nous retrouvions quand l'un de nous n'allait pas bien, quand nous avions besoin du réconfort et de la présence de l'autre. C'est ici qu'on se livrait tous nos secrets les plus intimes. C'est ici que nous avons partagé notre premier baiser, à tous les deux, juste pour voir ce que ça faisait. Elle sort une couverture énorme du sac que je portais pour elle jusqu'à maintenant et l'installe au sol pour que nous puissions nous asseoir.

— Je venais ici avant de t'apercevoir, rit-elle. Une bien belle coïncidence, si tu veux mon avis.

— C'est tellement vieux tout ça, dis-je nostalgique.

— Oui... ça faisait longtemps que tu n'étais pas revenu dans le pays.

— J'étais là, au début de l'été il y a deux ans.

— Pas l'année dernière, dit-elle presque accusatrice sans perdre son sourire.

— Je profitais de mes amis avant mon départ. Il s'est passé beaucoup de choses et... c'était compliqué.

— Ne te justifies pas. Je veux dire... tu fais ce que tu veux. Mais ça m'a fait bizarre. Depuis ton déménagement c'était le seul moment que l'on pouvait partager ensemble.

— J'étais dans une relation étrange. Je ne me voyais pas m'éloigner d'eux en sachant que je n'étais pas sûr de les revoir avant un long moment.

Son regard interrogateur me fait comprendre que j'ai vendu la mèche sans même m'en rendre vraiment compte. Je sens mes joues chauffer et je suis à peu près sûr d'être aussi rouge qu'une tomate trop mure.

— Attends, t'avais plusieurs copines ? me charrie-t-elle sans être moqueuse.

— Pas exactement..., fais-je hésitant. Je n'ai pas l'habitude d'en parler...

— Oh ça va 'Phaël, c'est moi. Aller, raconte-moi ! lance-t-elle impatiente.

— Je... ok, soupire-je. Emma, une amie à moi, a lancé une idée un peu... tu vois... tirée par les cheveux. En fait, on formait un groupe de huit : Emma et Mathis – qui est aujourd'hui son seul petit-ami – Anaëlle et Jason – qui se sont installés ensemble – Romain – qui a quitté le groupe célibataire – Ezra, Rosalie et moi. Nous vivons tous les trois ensemble d'ailleurs. Et pour le nouvel an, Emma a émis l'hypothèse que ce serait cool qu'on tente d'être ensemble. Tous. Genre, plusieurs couples en un seul. C'est compliqué.

— Tu étais donc avec toutes ces personnes en même temps ?

— Mais chacun avait son intimité ! On ne faisait rien à huit je veux dire...

— C'est étrange mais... assez chouette, reconnaît-elle. Enfin je ne vivrai pas ça, mais si toi tu as trouvé ça cool et que t'étais heureux... c'est super top.

— C'était compliqué parce que dans l'histoire je n'étais tout compte fait amoureux que de Rosalie.

— Et maintenant vous êtes en couple ? demande-t-elle avec son air de celle qui veut plus de potins.

— Euh... en quelque sorte, ris-je gêné.

— Encore une histoire compliquée ?

J'acquiesce et elle s'installe plus confortablement sur la couverture. J'avais oublié à quel point il était facile de parler avec elle. En regardant l'heure sur mon téléphone je me rends compte qu'il est assez tard et appelle mes grands-parents pour qu'elle mange avec nous ce soir. Ils acceptent avec plaisir et elle soupire, exaspérée, en affirmant que certaines choses ne changent pas. Elle prétend avoir déjà des plans pour sa soirée, grimace, et avoue qu'elle ment mais que c'est justifié parce que je ne peux pas tout décider pour elle. Elle frappe mon bras, rit, soupire et prend ma main pour que nous rentrions. Sur le chemin, je l'observe légèrement pour me rendre compte d'à quel point elle a changé. Ses longs cheveux blonds se sont transformés en un dégradé court. Elle a grandi, s'est affinée. Je la trouve presque trop mince, ce qui me surprend parce que ce n'était pas dans sa morphologie et elle n'a jamais été une grande sportive. Cependant elle reste d'une beauté naturelle qui me fascinait toujours lorsque j'étais enfant. Quoiqu'elle fasse, elle possède une grâce indéniable. Son rire autrefois cristallin sonne plus mature maintenant et en regardant son visage de profil, je me prends en pleine face les deux dernières années que j'ai manquées avec elle. En arrivant à la maison, mes grands-parents la prennent dans leurs bras comme plus tôt dans la journée avec moi. Mamie me gronde gentiment en me montrant l'heure... 20h, le repas est sans doute prêt depuis une demi-heure.

— Lasagnes végétariennes, ça te va ? sourit ma grand-mère.

— Oui parfaitement ! acquiesce mon amie.

Le repas se déroule sous une horde de souvenirs, un concert de rires et de regards heureux. Nous débarrassons la table tous les deux et disposons tout dans le lave-vaisselle puis nous montons dans ma chambre. Elle récupère sa place habituelle sur mon fauteuil super moelleux, se calant en travers – son dos sur le premier accoudoir et ses jambes croisées sur l'autre – pendant que je me jette dans mon lit en face d'elle. La conversation tourne autour du garçon fabuleux qu'elle a laissé derrière elle à Paris en venant ici. Ils ne sont plus ensemble et continuent pourtant de se dire qu'ils s'aiment et qu'ils se manquent. Quand je lui demande pourquoi elle n'essaie pas une relation à distance, elle prétend ne pas l'aimer assez pour ça. Je pense au fond qu'elle ne veut pas être égoïste, qu'elle lui laisse une chance de trouver quelqu'un de concret. Les rares fois où ils trouvent une occasion de se voir, ils se fréquentent comme s'ils ne s'étaient pas séparés. Sortant peu de la chambre certains jours et profitant l'un de l'autre à chaque seconde, agissant comme des amants. Elle soupire à plusieurs reprises avec tristesse mais semble assez résignée pourtant.

— Vous devriez en parler, affirme-je. C'est trop dommage de laisser votre relation en suspend comme ça. Ça fait presque deux ans que tu es revenue vivre ici et vous ne décrochez pas, je ne comprends pas pourquoi tu te prives. La décision te revient, c'est toi qui l'as quitté Kat.

— Ça me fait peur, avoue-t-elle. Je n'ai pas envie d'être accrochée à un mec qui vit à environ 900 bornes de chez moi...

— J'ai l'impression que tu passes à côté d'une belle histoire pour des bêtises...

— Peut-être, oui, admet Katarina. On verra comment ça avance dans le futur. Bon et toi alors ? Avec cette Rosalie !

Mes yeux se plongent dans les siens et je soupire en comprenant qu'elle préfère rester butée sur son idée.

— Elle vit avec Ezra et moi. Elle nous fréquente tous les deux.

— Vous faisiez partie de même groupe d'amoureux non ?

— Oui, confirme-je. Au début, Ezra a commencé une tournée en France et son départ nous a poussé dans les bras l'un de l'autre, elle n'était qu'avec moi mais en même temps restait dans notre géante relation d'amour alors que moi je venais de quitter tout ça. Puis elle est allée le voir, ils ont parlé, elle a compris qu'elle nous aimait tous les deux mais lui refusait de s'engager dans quoi que ce soit. Elle a quitté le groupe peu après moi et nous avons entamé une relation sérieuse, juste tous les deux. Ezra s'est installé avec moi en rentrant de sa tournée, laissant derrière lui Rosalie et le job qu'il avait obtenu avant de partir. Je ne devais pas dire à Rosa qu'il était chez moi et qu'elle ne pouvait donc pas venir à cause de ça, parce qu'il ne voulait pas la voir. Ça a fini par nous séparer. J'ai rencontré quelqu'un d'autre, Alyssa. Rosa est venue en vacances à la maison quand les choses se sont arrangées entre elle et Zaz. Alya ressentait beaucoup de jalousie et de menace à cause de sa venue. Elle discutait beaucoup de ça avec une amie à nous, Jenny et la plupart du temps ça me revenait aux oreilles. Puis avec moi, elle en parlait aussi un peu... jusqu'à ce qu'elle me dise sentir une forme d'ambiguïté non pas entre Rosalie et moi seulement, mais entre nous trois. En y réfléchissant un peu plus, en voulant me prouver le contraire, je me suis aperçu qu'elle avait raison. Donc je me retrouve maintenant dans une relation avec une fille qui est amoureuse de mon meilleur ami et de moi... en étant amoureux d'elle et de mon meilleur ami.

— En effet... compliqué, dit-elle en fronçant les sourcils. Ezra en pense quoi ?

— De ?

— Du fait que tu sois amoureux de lui, nigaud.

— Ah ! Bah rien. Il ne le sait pas. Pour lui nous partageons juste notre copine.

— C'que t'es con, lance-t-elle exaspéré.

Je fronce les sourcils à mon tour en lui demandant de surveiller son langage. Elle souffle en se lançant dans un long discours sur le fait qu'il faut toujours dire ce qu'on a sur le cœur parce qu'on ne sait jamais ce qu'il peut se passer demain et je la mouche en lui disant de s'occuper de son couple. Elle bredouille quelque chose sur le fait que ce n'est pas vraiment pareil et se renfrogne.

— Mais du coup t'es... genre... bisexuel ou pansexuel ou tu ne te définies pas ?

— Je suis hétérosexuel, affirme-je. C'est juste Ezra. Genre tous les autres garçons du monde ne m'intéressent pas. Je ne les trouve même pas un peu séduisant.

— Ouais c'est comme de regarder un chaton, c'est adorablement mignon mais ce n'est pas pour ça que tu veux fréquenter le chaton, lance-t-elle.

Mes yeux s'arrondissent, mi-surpris, mi-amusés et je finis par exploser de rire. Voilà quelque chose qui ne change pas : ses comparaisons toutes plus loufoques les unes que les autres.

— Tu te moques toujours de moi..., se plaint-elle.

— J'imaginais juste Ezra en chaton, ris-je encore. Ça ne lui irait pas du tout !

Elle ne répond rien et lève les yeux au ciel puis recommence à parler doucement en ancrant son regard au mien.

— Je continue de penser que tu devrais lui dire. S'il ressent la même chose que toi, vous allez passer à côté d'une jolie histoire tous les trois.

— Je ne sais pas si on peut vraiment la qualifier comme ça quand mes parents pensent déjà que Rosalie représente une trop lourde distraction pour moi.

— Tes parents ont toujours été à côté de la plaque quand il s'agit de toi. Mais ils t'aiment et se tiennent toujours à tes côtés quand tu en as besoin. Alors je pense qu'ils pourraient comprendre... Si tu es heureux comme ça, je ne vois pas ce qu'il y a de mal là-dedans. C'est loin d'être conventionnel, mais ton bonheur tu le trouves dans l'amour que vous vous apportez, y a rien de plus sain.

— Je ne sais pas vraiment s'ils penseront comme toi. Je crois que pour l'instant je veux garder ça pour moi. Parce que si Ezra se sent brusqué, il laissera tomber Rosa aussi. Et si mes parents réagissent mal... je ne veux pas penser aux conséquences. Il faut déjà que je comprenne tout ce qu'il se passe dans ma tête avant de me lancer dans une quelconque confession.

— Je comprends, mais ne tarde pas trop. Ce serait dommage de... comment déjà ? Ah oui, sourit-elle. Ce serait dommage « que tu passes à côté d'une belle histoire pour des bêtises... », lance Kat en reprenant mes mots.

Je hoche la tête en souriant faiblement et elle me rejoint dans le lit pour se caler avec moi. Je lui laisse un peu de place en me collant contre le mur et elle s'installe sur le dos, croisant ses bras derrière sa tête sur l'oreiller. Nous conversons encore quelques minutes puis elle décide de rentrer. Directement après son départ, une fois la porte fermée, je file une nouvelle fois dans ma chambre et appelle Rosalie. Elle décroche presque immédiatement et met son téléphone en haut-parleur. Je leur raconte ma journée sans trop rentrer dans les détails, ils me racontent la leur de façon exhaustive. Je sais ainsi que ma jolie brune, en voulant faire des crêpes, est parvenue à détruire une poêle, obligeant les amoureux à la jeter... faisant ainsi fondre la poubelle du fait qu'elle soit tout juste sortie du feu et donc encore brûlante mais que les crêpes étaient délicieuses – selon Rosa – ou pas trop mauvaises – selon un Ezra taquin – une fois qu'elle a recommencé dans une autre poêle. Je les entends rire et se chamailler, s'aimer aussi fort que d'habitude. Pourtant malgré leur complicité, ils me répètent plusieurs fois que je leur manque, chacun à leur façon : Rosalie de manière très franche, contrairement à Ezra qui le dit de manière détournée, m'affirmant que « notre nana » devient plus qu'insupportable en une seule toute petite journée. Ils me font tellement rire que j'en pleure, de vraies grosses larmes, et je suffoque presque. Je me retiens au plus pour éviter de réveiller mes grands-parents parce que, très vite, le réveil affiche 2h17 du matin et qu'entendre un jeune homme agonisant d'un fou-rire ne me semble pas être la meilleure façon de leur faire passer une bonne nuit. Petit à petit nous nous calmons, nos voix deviennent des murmures et nous finissons par nous endormir, ensemble, à plusieurs heures de routes les uns des autres. 

_____

Salut les loulous ! 

Voici pour le chapitre 20. Quand je vous disais que les choses s'accéléraient en deuxième partie ;) 

J'ai trop trop hâte d'avoir vos avis, n'hésitez pas à me laisser un commentaire ou à me contacter sur ma page auteure facebook Audrey Le Paih (je suis également sur insta : audrey_auteur). Et n'oubliez pas de cliquer sur la petite étoile. 

Pleins de bisous, 

Audrey ! <3

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