Ça aurait pu être drôle.
Ça aurait pu, oui, si je ne m'étais pas étouffée après avoir craché au visage de Béa.
Résultat : elle pousse un cri d'indignation, et tout le monde se précipite à ses côtés sans prêter attention à la sombre quiche qui s'effondre sur sa droite.
La sombre quiche en question, c'est moi. Et si quelqu'un ne vient pas me taper le dos dans les trente prochaines secondes, je risque de mourir sans avoir rencontré Eliott Scott – la cause de mon décès aussi tragique que prématuré.
— Emy !
Pile au moment où je commence à perdre espoir, deux bras s'enroulent autour de ma taille et font pression sur ma cage thoracique, si fort que je me demande s'ils ne me broient pas une côte au passage.
Ce n'est que lorsque je parviens à reprendre mon souffle que je découvre l'identité de mon sauveur : Hugo.
— Merci, m'étranglé-je, touchée qu'il soit venu à mon secours.
— Bois ça, m'ordonne-t-il en me tendant un verre d'eau.
Je m'exécute sans rien dire, prête à tout pour apaiser ma gorge en feu.
Quelques miettes de pain à l'ail se coincent dans ma gorge, et ma toux répétée me vaut deux coups supplémentaires dans les omoplates.
— C'est bon, Hugo. Je suis... je suis vivante.
— Merde ! Ça aurait fait une concurrente en moins.
Je souris malgré moi, attendrie par son trait d'humour.
À quelques mètres de là, Béa essuie rageusement son chemisier blanc avec la première serviette qui lui passe sous la main, indifférente au drame qui a manqué de se nouer sous ses yeux.
Je m'apprête à lui présenter des excuses, mais me ravise en me remémorant ses paroles : « t'as dragué Eliott pour qu'il te fasse directement accéder à la WattySélection afro-européenne. ».
Et puis quoi, encore ? Je ne sais pas qui est le débilos qui lui a raconté ça, mais il faut vraiment être quiche pour croire qu'Eliott Scott a recours au favoritisme. Il a lui-même expliqué qu'il n'exerçait aucune influence sur les résultats !
On dirait que l'égocentrisme de Béa s'accompagne d'un sérieux problème d'audition... Quoique, ses oreilles fonctionnent suffisamment pour entendre des rumeurs et les propager à tout-va. C'est l'écoute qui lui fait défaut – et aucun ORL ne pourra soigner ça pour elle.
J'aurais du mal à donner tort à ses détracteurs, désormais, même si elle trouvera certainement un moyen de tourner la situation à son avantage... En attendant, je préfère éviter de raconter à Megan Blake pourquoi j'ai rendu mon repas du midi sur une autre participante. Je me faufile dans la cour extérieure, soulagée de souffler un peu et de m'éloigner de cette pimbêche opportuniste.
J'en suis la première étonnée, mais j'ai envie d'appeler Rozy. Là, tout de suite, maintenant. Si on exclut Bleuenn, ma petite sœur est la mieux placée pour me conseiller, non seulement parce qu'elle passe son temps à « partir en croisade contre les garces » de son collège, mais aussi parce qu'elle se tient informée de tous les potins et ragots qui animent la Wattpadsphère.
S'il y a quelqu'un qui peut m'aider à combattre Béa, c'est bien elle... Mais non. Non, non, non. Je ne dois pas céder à la panique. Je suis toujours en vie, mon compte Wattpad n'est pas supprimé, et nous ne sommes pas sous le coup d'une pénurie de glace à la pistache.
Ce n'est pas une autrice aux milliers d'abonnés qui va m'inquiéter, si ?
Si.
Bien sûr que si.
Machinalement, je sors mon téléphone et me réfugie sur Wattpad, non sans songer à l'ironie de la situation. Et comme si ça ne suffisait pas, la plateforme bugue. Encore.
Impossible que mon compte répertorie cent cinquante notifications, autrement.
Mais même après avoir relancé l'application, je suis submergée par des dizaines de messages de félicitations et d'interactions sur Mon cœur contre tes peurs.
NOM D'UN FIGUIER DÉRACINÉ. Je n'ai jamais vu autant de votes et de commentaires en 24h !
Je comprends la raison de cet engouement soudain en glissant sur la page d'accueil : mon histoire est mise en avant dans une liste accessible à tous les utilisateurs.
« Les lauréats des Wattys 2024. »
J'ai juste à scroller sur la droite pour apercevoir le livre de Béa Darmin, C'est arrivé un 23 avril à 19h30.
Elle va dire que je suis privilégiée, là aussi, ou réaliser que sa pseudo-jalousie est parfaitement injustifiée ?
Si je suis ici, ce n'est pas grâce à Eliott Scott. J'ai gagné un Wattys, point. Ça ne plaît peut-être pas à Béa, mais c'est son problème ; je ne la laisserai pas me désarçonner.
Je le fais déjà très bien toute seule.
🧡🧡🧡
Une heure et un interrogatoire plus tard...
Megan Blake est venue prendre de mes nouvelles. Elle est au courant de ce qui s'est passé – évidemment.
Cracher du pain à l'ail sur une autre participante, ce n'est pas ce qui s'appelle « faire bonne impression », comme elle me l'a rappelé – même si la participante en question a l'intelligence d'un pépin de pomme.
Je retourne dans la salle des épreuves la mort dans l'âme, priant pour que ce fâcheux épisode ne motive pas à lui seul mon renvoi de la compétition.
Sur scène, dix personnes vêtues d'un T-shirt orange orné du logo de Wattpad nous attendent en silence. Je leur souris poliment et m'installe sur le canapé, peu avant d'être rejointe par Hugo, qui me sourit avec enthousiasme.
— Rappelle-moi de ne pas t'approcher à plus de dix mètres, la prochaine fois que tu bouffes du pain à l'ail, OK ?
— C'est promis.
On ne m'y reprendra pas de sitôt...
Je me mords les lèvres, désorientée. Si je n'étais pas la reine des quiches, je jurerais qu'Hugo en pince pour moi. Pas comme un homard, hein ! Plus comme un être humain attiré par l'une de ses congénères.
Moi, en l'occurrence.
Les nouveaux venus en T-shirts orange se présentent et nous expliquent qu'ils sont les juges de la compétition.
Je n'ai même pas le temps de traiter l'information qu'une rousse s'avance et appelle deux auteurs qu'elle invite à venir s'installer avec elle dans une zone entourée de fauteuils.
Ça y est, c'est le début officiel des épreuves.
Lorsque Béa se lève aux côtés de six autres personnes, je soupire de soulagement. Je ne voulais absolument pas me retrouver dans le même groupe qu'elle !
— Émilie ?
— Oui ? beuglé-je à l'attention d'un homme aux cheveux verts, la trentaine environ.
Bravo, Emy ! Voilà ce qui se passe, quand on peste contre une fille qui ne vaut vraiment, mais alors vraiment pas la peine qu'on s'attarde sur elle : on n'écoute rien, et on sourit comme une demeurée dans l'espoir que notre interlocuteur répète ce qu'il vient de dire.
— Vous êtes avec nous.
Par « nous », il entend lui et quatre autres autrices tout ce qu'il y a de plus motivées.
Alors que je m'empresse de les rejoindre, Hugo me prend la main et m'adresse un clin d'œil, comme pour me dire « ne t'inquiète pas, ça va bien se passer ».
Je déglutis avec difficulté.
Décidément, mon « sauveur » est plein de surprises... mais sont-elles bonnes, ou mauvaises ?
Alors, quelle est la nature des surprises qu'Hugo réserve à notre reine des quiches ?
– Bonnes 👍
– Mauvaises 👎
L'épisode du pain à l'ail ne va pas desservir à Emy, si ? 🤡
À quoi ressemblera la première épreuve, selon vous ?