La brume bleue se dissipe de tout son être en même temps qu'il recommence à ressentir les variations d'altitude et les mouvements de l'air, les actions des muscles et l'amplitude du mouvement des ailes du Bayou qui le transporte. En ouvrant enfin les yeux, encore étourdi par tout ce qu'il vient de vivre, il aperçoit le paysage d'une épaisse forêt, vue de très... mais de très haut !
— Oh ! Ohhhh! Attendez, mais on est où là ? s'écrie le jeune homme en tentant de s'éloigner de la paroi translucide devant lui.
Incertain, Galenn s'accroche à la peau recouverte d'une douce toison, à mi chemin entre poils et duvet. Mais ce qui fait peur au guerrier n'est pas sa position dans la poche ventrale du Bayou mais bien ce qu'il voit au travers de cette poche. En effet, la texture de la peau formant la poche semble bien mince et fragile pour les retenir en son sein.
Au travers de la membrane, Galenn aperçoit le paysage sous lui, les montagnes, les vallées, les rivières, tous ces paysages alors qu'ils se dirigent vers l'océan. Dans leurs vols coordonnés, les deux Bayous, ondulent de concert, en lançant parfois des cris doux ou stridents, communiquant entre eux pour choisir le chemin à prendre, selon la résistance de l'air, les courants d'air ascendants pour planer et, au contrario, les descendants à éviter.
Les yeux fixés devant lui, l'homme voit soudain deux grands yeux bleus qui l'observent avec inquiétude.
— Comment te sens-tu, Galenn ? fait la voix de Lenn.
— On redescend quand ? tremblote celle de l'homme.
— On est encore loin de la mer, mais on devrait y arriver bientôt. Mais, tu ne réponds pas à ma question : comment te sens-tu ? Car j'ai eu peur de t'avoir administré trop de poudre de sommeil. Tu étais complètement parti. Et tu sais, tu es très lourd ? Une chance que les Bayous nous ont aidés.
— Ah bon... euh, la Malachite aide à guérir ?
— Oui, c'est une de ses propriétés, répond le Shoof.
— Alors, tu es Mage, mon petit Shoof... Galenn prend l'anneau dans son sac. Aide-moi à contrer mon vertige.
— Moi, je suis Mage ? s'étonne Lenn en prenant l'anneau de Malachite.
— Oui, c'est Virko qui me l'a affirmé. Il m'a demandé de te dire qu'il te donnait son sac.
— Mais, il est trop lourd.
— Il m'a dit d'ouvrir le sac, que tu saurais régler ce problème et que tu seras très bon. Aide-moi !
— S'il le dit, hésite le petit Shoof en tournant le grand anneau entre ses mains. Mais garde cette anneau, si tu veux qu'elle t'aide, tu dois la porter sur toi. Elle t'apporte des ondes positives et curatives en tout temps.
Galenn reprend l'anneau qui lui semble plus chaud et « vivant » ! Lenn se penche et ramasse un anneau mauve près du pied de Galenn.
— Il est aussi à toi celui-ci ? Oh ! de la Charoïte ? Intéressant. C'est très rare, tu sais ?
— Oui, c'est un cadeau de Virko. J'étais avec lui dans la brume bleue. On a discuté de mon passé, en fait il me l'a fait découvrir.
— Attends, tu n'étais pas « avec » Virko ! fait la voix de Ja qui saute sur les genoux de l'homme, ses yeux roses pétillants d'intérêt.
— Mais, alors, qui on va chercher si tu sais où il est ? s'interroge Val.
— Mais tu es resté avec nous dans la poche du Bayou depuis que Lenn t'a endormi, riposte Xen.
— Vous devez me croire ! reprend Galenn. De toute façon cet anneau le prouve, je ne l'avais pas avant.
— De la Charoïte, fait Lenn. La pierre qui aide à calmer les peurs et à éloigner les ondes négatives. Elle t'aidera avec la malachite à vaincre ton vertige.
— Déjà, de vous parler me l'a fait oublier... un peu !
— Alors raconte-nous ta rencontre avec Virko, demande Ja. On va le retrouver à l'océan ?
— Non, ma belle Ja, dit doucement Galenn. Virko m'a donné le message de ne pas le chercher pour le moment. Il va bien et vous retrouvera plus tard.
— Ah bon, boude Ja. Cela m'attriste grandement.
Galenn pose une main enveloppante autour de Ja, alors que les trois autres Shoof s'installent près du Guerrier.
— Raconte-nous ce que tu as appris sur ton passé, demande Val curieuse.
— D'accord, mais avant je dois vous dire que j'aurai à vous demander votre aide afin de comprendre ce que je dois faire maintenant avec tous ces renseignements.
— Nous t'écoutons, affirme Xen qui s'installe confortablement dos à la paroi translucide.
Galenn le regarde faire en prenant un grande respiration. Puis, il réalise que sa crainte est moins forte. Lenn a eu raison. Alors, il commence le récit de son passé alors que les Bayous continuent leur vol vers l'océan.
***
Un silence accueille la fin de son histoire. Ja et Val sont sur ses genoux et essuient doucement des larmes brillantes dans leurs grands yeux. Xen est silencieux et Lenn réfléchit sur les conséquences de ces révélations.
— Ton histoire me déchire le cœur, fait Ja. Pauvre petit toi.
— Oui, mais maintenant je comprends d'où me viennent ma peau foncée et mes tatouages. Je ne suis pas d'ici.
— Virko est dans ta vie depuis le début, réalise Val, il t'a sauvé.
— En effet, et il a mis Leylias sur mon chemin. Et vous, maintenant.
Xen observe les autres shoof d'un rapide coup d'œil et déclare, une étincelle de bravade dans son regard jaune :
— Nous en avons discuté durant ton sommeil, et nous avions déjà décidé que nous t'aiderions à retrouver tes origines. C'était en comptant sur l'aide de Virko, mais même si le Géant n'est pas actuellement avec nous, notre volonté demeure la même.
— Nous n'allons pas laisser tomber un ami comme toi ! affirme Val.
— Et Prince de surcroît, n'est-ce pas demoiselles ! ricane Lenn.
— J'ai toujours voulu rencontrer des Princes, soupire Ja.
— Merci à vous quatre ! Je me retrouve avec biens des alliés... mieux : des amis.
Ja saute sur son épaule et plonge ses yeux roses dans le bleutée des siens :
— Et oui ! Nous sommes avec toi, Galenn la Breïss, prince du Royaume des Trois Lunes.
Et elle lui fait une petite révérence avant de lui donner un baiser sur la joue.
— Mais au fait, c'est où ce Royaume des trois Lunes ? demande Xen.
— Je crois que c'est cela qu'il faut trouver, réponds Lenn. Val, c'est toi la spécialiste en cités et histoire, en intrigues et énigmes, tu devrais pouvoir nous aider là-dedans.
— En fait, sans indication précise de ce lieu, que tout le monde aurait oublié selon Virko, je propose de faire le chemin inverse de Galenn. Donc, retrouvons en premier lieu la falaise d'où il est tombé...
— ... et qui explique son vertige, conclue Xen .
— Ah ! mais c'est vrai, ça ! approuve Lenn. Et connaître la source va t'aider à te soigner définitivement.
— Mais cela ne nous dit pas où elle est, réfléchit Val. Galenn, décris-nous ce que tu as vu de ce Royaume.
— Un grand château de pierre grise, un chemin de pierre où le cavalier se sauvait à cheval, une grande forêt avec des arbres immenses avec des feuilles vert-bleues en pointes, un océan aux vagues claires dans le reflet des trois Lunes. Ah ! l'extérieur du château est entouré de palissades de pierres très blanches. Des champs le long de l'océan... je crois que l'endroit où je devais prendre le bateau était près de la falaise.... toute de pierres blanches, elle aussi.
— Donc on cherche une falaise en pierres blanches, conclue Val. Nous, les spécialistes des sols, où trouve-t-on des falaises blanches dans le coin ?
Un silence commun répond à cette question.
— De ma vie de Shoof, pas de ce côté-ci de l'océan, déclare Xen.
— Même dans le clan, ajoute Lenn, je n'ai jamais entendu parler de falaises blanches surplombant l'océan.
— Et moi, ajoute l'homme, avant de vous rencontrer, je ne connaissais ni n'avais jamais entendu parler des Shoof, ni des Bayous. Les Géants des Mers... une lointaine légende. Rien d'aussi tangibles que les elfes ou les licornes...
— Les licornes ? l'interrompt Ja en plissant son nez, étonnée du nom. Ils ont des cornes ? Comme les Hardicks ?
— Les quoi ?
— Donc, conclue Val, j'en déduis que Galenn vient vraiment de l'autre côté de l'océan !
— Je doute que les Bayous puissent nous y mener, fait Xen. Ils doivent se reposer pour de longs voyages de plus de deux jours de vols.
— Je pense que vous avez raison. Je ne me sens pas du tout dans le bon milieu. Virko m'a bien dit que je me ferais des alliés. Il m'a amené ici pour le joindre et vous rejoindre. Maintenant, les Bayous peuvent-ils nous mener au bout de ce continent ? Dans une ville située près de l'océan, avec un port assez grand pour y trouver un bateau pour nous faire traverser.
— Pour aller sur l'eau ! ... je n'aime pas cela, fait Xen.
— Je te prêterai ma pierre, promet Galenn.
— Ah si Virko était là ! Cela serait réglé, soupire Ja. Je n'aime pas vraiment l'eau non plus, pas en aussi grande quantité.
— Il ne pourrait pas nous aider pour traverser un océan, rectifie Lenn. Il m'a expliqué qu'il devait aller très profondément pour faire ces voyages. Nous n'y survivrions pas.
— Donc, il nous faut un bateau, affirme Val avec une grimace.
— Qui a déjà navigué sur l'eau ? demande Ja d'une petite voix.
— ...
— Un radeau sur un lac, cela compte ? demande Galenn avec un petit sourire.
Les Shoof le regardent avec un immense trouble dans leurs grands yeux.
— Cela ne peux pas être pire que de manipuler avec ses mains de la lave ou de provoquer des séismes, ou de voler dans la poche d'un Bayou... non ? tente Galenn pour les rassurer.
Décidément, un Shoof et la navigation sur l'eau... c'est comme un Mercenaire dans la poche d'un Bayou.