J'ouvris brusquement les yeux pour faire face au noir complet. Mon coeur semblait de nouveau vouloir sortir de ma poitrine. Après quelques secondes, mes yeux commencèrent à s'habituer à l'obscurité et je pus distinguer des formes qui commençaient à devenir familières. Les parois de Black Betty décorées des dessins que Zu avait faits. Et aussi Zu, allongée à coté de moi.
Je m'assis précautionneusement pour ne pas réveiller les autres, ramenant mes jambes contre ma poitrine. J'appuyai mes bras sur mes genoux en tâchant de reprendre mon souffle. Il me fallut un moment pour me rendre compte que ce que j'avais pris pour le martèlement de mon coeur était en réalité un léger ronflement. Je tournai la tête pour voir de qui il s'agissait, même si j'en avais déjà une petite idée.
Mon sang devint glace face à la vision d'horreur qui s'offrit à moi.
Christian, allongé par terre, me fixait d'un regard vide. Le garrot qu'il s'était fait à la jambe était toujours présent, en plus de l'impact de balle. Mais un nouvel impact, plus grand, plus sanguinolent et plus visible se trouvait au milieu de son front.
Mon estomac se retourna et un goût de bile remonta dans ma trachée. Je plaquai une main sur ma bouche en sautant sur mes pieds. Je dus me retenir à la paroi du van pour ne pas tomber, prise de vertiges. Christian ouvrit la bouche avec une lenteur qui me mit au supplice. La voix qui traversa ses lèvres semblait revenir d'outre-tombe.
- Pourquoi tu m'as abandonné ?
Je me réveillai en sursaut et regardai autour de moi, affolée. Le van. Zu. Liam et Ruby sur le siège avant. Je dus rassembler mon courage pour oser jeter un regard du coté de Chubs, où j'avais vu Christian quelques instants plus tôt. J'expirai longuement en reconnaissant le visage du Bleu qui ronflait légèrement, bouche ouverte.
Je m'assis et me passai les mains sur le visage pour m'éclaircir les idées. Alors que je tentais de comprendre ce qu'il venait de se passer, je constatai que le goût de bile était, quant à lui, toujours bien présent. Il s'intensifiait même. Je me levai précipitamment et eus à peine le temps de sortir de Black Betty que je rendais mon dernier repas dans les arbres un peu plus loin.
J'ignore combien de temps je restais ainsi, accroupie dans la mousse, haletante, les yeux dans le vague. J'entendis une portière s'ouvrir et se refermer doucement. Génial, il avait fallu que je réveille quelqu'un en plus. Je me relevai en me retenant au tronc d'un arbre, les jambes tremblantes. Je me tournai vers le monospace alors qu'une silhouette refermait la porte arrière que j'avais laissée ouverte dans ma précipitation. Ma première pensée fut qu'il ne s'agissait clairement pas de Liam, comme il était vraiment grand et que la silhouette était plutôt petite. Toutefois trop grande pour être un enfant. Sans mes lunettes, je ne distinguais pas grand chose, mais la voix me permit de l'identifier sans peine.
- Cassie ?
- C'est bon, Ruby, ça va. Retourne dans le van.
Ma voix n'était pas plus forte qu'un murmure. Elle n'avait même pas dû m'entendre. Elle me rejoignit et me tendit une serviette. Je la lui pris et m'essuyai rapidement le visage.
- Merci...
Elle prit mon bras pour m'entraîner quelques mètres plus loin.
- Viens. On va s'asseoir un peu.
Je secouai la tête et lui fis changer de direction pour retourner jusqu'au van.
- C'est bon, Ruby. Retourne te coucher. J'ai juste besoin de m'aérer un peu.
- Tu trembles. Tu n'es définitivement pas en état de rester toute seule. Je ne dormais de toute façon pas.
Je levai les yeux vers elle et elle précisa :
- Non, tu ne m'as pas réveillée.
Elle s'assit par terre, le dos appuyé contre Betty et me fit signe de l'imiter. Je n'hésitais qu'une demi-seconde et m'installai à coté d'elle. Je calai mes mains entre mes cuisses pour essayer de faire cesser les tremblements. Malheureusement ce n'eut pas vraiment le résultat escompté comme c'était la totalité de mon corps qui tremblait.
- Attends.
Ruby se releva, ouvrit doucement la portière coté passager et se saisit de quelque chose avant de s'asseoir de nouveau. Elle installa la couverture sur nous deux, plus ou moins également. Elle n'était pas très grande -la couverture, quoique Ruby aussi-, donc je me rapprochai de la brune pour que nous puissions la partager plus facilement. La couverture était trouée, filait par endroit et n'avait absolument pas pris l'odeur de détergent au citron du van -elle sentait plutôt le moisi-, mais nous n'avions rien de mieux, je le savais.
Le coin de mes lèvres se releva en un fantôme de sourire alors que je jouais distraitement avec le bord du tissu.
- Merci. J'avais pas froid, mais c'est gentil.
- Oh, désolée, j'ai mal interprété, bredouilla Ruby.
Je lui décochai le meilleur sourire dont j'étais capable en cet instant.
- Même si ce n'était juste qu'une excuse parce que toi, tu avais froid, je ne t'en veux pas, souris-je.
Elle esquissa un sourire et j'appuyai ma tête sur son épaule, sans réfléchir. Elle se crispa une seconde, sûrement par réflexe. Liam m'avait dit qu'avant elle évitait tout les contacts physiques. Comme désormais nous savions qu'elle était Orange, nous nous doutions que ça avait un lien avec son pouvoir.
- Ca t'es déjà arrivé d'entrer dans nos esprits ?
Elle sembla surprise, mais je ne parvins pas à déterminer si ma question la mit mal à l'aise ou non. Elle garda le silence si longtemps que je crus qu'elle ne répondrait pas.
- Pas intentionnellement. J'ai... je suis entrée dans le rêve de Zu une fois il y a deux semaines. Elle faisait un cauchemar de votre évasion de Caledonia. Et une fois dans le tien, quand tu étais malade. Tu m'as attrapée le bras et... t'as beaucoup de force, tu sais ?
Je relevai les yeux vers elle, amusée. L'obscurité ne m'empêcha pas de remarquer la rougeur de ses joues. Génial, elle venait pour voir si j'allais bien et je réussissais à la mettre mal à l'aise.
- Je ne m'en rappelle absolument pas, si ça peut te rassurer. Je demandais juste par curiosité. On sait pas grand choses sur les Oranges. Il n'y en avait pas à Caledonia, ni de Rouges d'ailleurs. Je n'en ai rencontré qu'une et... elle était pas comme toi. Elle était terrifiante.
A l'idée de Lydie, tout mon corps se remit à trembler encore plus fort. Je remarquai à peine que Ruby me serra légèrement contre elle pour me calmer.
- Elle... nous faisait faire tout ce qu'elle voulait, murmurai-je.
Elle a tué mon meilleur ami. Je le retins de justesse. Je n'étais pas suffisamment proche de Ruby pour lui dire ça sans que ce ne soit bizarre.
Les images de mon cauchemar me revinrent brusquement à l'esprit et un sanglot étranglé monta dans ma gorge. Je me revis dans ce supermarché, lorsque Lydie nous faisait bouger à sa guise. Lorsqu'elle avait obligé cet homme à se suicider. Lorsqu'elle avait obligé Christian à se réveiller. Lorsqu'elle avait obligé Vida à ne pas intervenir.
- Cassie.
Je ne fus pas certaine d'avoir entendu mon prénom. J'avais de nouveau l'impression d'être sous l'eau. Des mains froides saisirent les miennes. J'ignorais à qui elles appartenaient. Des lèvres se posèrent sur mon front.
- Un.
Elles se posèrent ensuite sur mon nez.
- Deux. Allez, Cassie, compte avec moi.
Quand les lèvres touchèrent ma joue droite, je clignai des paupières plusieurs fois. Quand elle le remarqua, Ruby s'écarta.
- T'es avec moi ? Tu as complètement déconnecté. Tu m'as fait peur !
Je secouai la tête. Qu'est-ce qu'il venait de se passer ?
- Je... oui, oui, ça va. Désolée. J'ai... j'imagine que je suis pas encore très réveillée.
Elle m'observa longuement, inquiète. Je me raclai la gorge et détournai les yeux face à l'intensité de son regard.
- Qu'est-ce... qu'est-ce que tu viens de faire ? Tu n'as pas... ?
Je désignai ma tête pour terminer ma question. Dans le noir, je pus voir ses yeux s'agrandir à l'insinuation.
- Oh non, non ! Je ne me permettrai jamais ! J'ai juste... C'est un truc que ma mère faisait quand je faisais des cauchemars.
Elle semblait avoir du mal à parler de sa mère. Je n'insistais pas. Je l'avais probablement mise assez mal pour l'année.
- Merci. Encore.
Elle sourit et fit un petit signe de tête avant de lever les yeux vers le ciel qui commençait à s'éclaircir.
- Et si on retournait à l'intérieur ? Histoire d'avoir encore quelques petites heures de sommeil avant de partir ?
- Tu veux pas plutôt qu'on regarde le lever de soleil ? Ca fait des années que je n'en ai pas vu.
***
Nous avions fait les deux.
On avait regardé le lever de soleil et ensuite on s'était endormie sans vraiment nous en rendre compte là où nous étions.
J'imaginais bien la tête que Liam avait dû faire lorsqu'en se réveillant il avait remarqué que Ruby et moi n'étions plus à l'intérieur, et qu'il nous avait trouvées endormies l'une sur l'autre dans l'herbe, adossées à Black Betty. J'étais certaine que si nous avions encore vécus dans un monde "normal", il nous aurait prises en photo et s'en serait servi comme moyen de pression pour plus tard. Vivre dans un monde où avoir un téléphone portable était la dernière chose que nous pouvions envisager avait des avantages tout comptes faits.
- On les réveille, Zu ? Ou on les laisse dormir encore un peu ?
La voix n'avait pas été très forte, mais Liam n'avait jamais un maître dans l'art de la discrétion. Il y eu un silence durant lequel j'imaginais que Zu mimait ou notait quelque chose.
- C'est pas faux. Je trouve aussi qu'elles sont mignonnes comme ça.
Cette fois je pus entendre le grattement du crayon sur le papier, suivi d'un éclat de rire de la part de Liam.
- Oh tu sais, Cassie change vite d'avis...
Je lâchai un grognement et levai la main pour lui montrer mon majeur. Moi, grognon le matin ? Jamais !
- Je pense que la Belle au Bois Dormant est réveillée. En plus elle est blonde, rit Liam.
J'ouvris les yeux pour lui jeter un regard mauvais. Il me jeta un regard entendu et tapota la tête de Zu qui grimaça.
- Il y a des enfants ici, Cassiopée. Surveille ton vocabulaire.
Je levai les yeux au ciel mais ne relevai pas. Je tournai la tête vers Ruby pour voir s'ils l'avaient réveillée. Au même moment elle marmonna quelque chose ressemblant lointainement à "Laissez-moi dormir", en enfonçant sa tête dans mon épaule. Je ne pus retenir un sourire.
Zu claqua des doigts pour attirer mon attention et désigna une ligne sur son cahier. "Vous avez passé toute la nuit, là ?" Je secouai la tête.
- Seulement quelques heures.
- Eh bien, j'espère que vous en avez profité parce qu'il est temps d'y aller.
Je grimaçai. Déjà ? Liam ouvrit les portes du van, j'imaginais pour réveiller Chubs.
- Debout là-dedans.
Je secouai gentiment Ruby qui marmonna de nouveau, ce qui nous fit glousser Zu et moi.
Moins d'une heure plus tard, debout près du mini-van, nous observions Chubs essayer de déterminer quel livre il allait emporter avec lui.
- Tu es prête ? demanda Liam à l'intention de Zu.
Elle hocha la tête et leva le pouce, et il prit son sac rose pour le porter sur son épaule.
- C'est quand tu veux, rat de bibliothèque, lança-t-il. On attend plus que toi.
Chubs lui montra gentiment son majeur tout en semblant se décider pour Les Garennes de Watership Down, ce qui arracha un sourire mélancolique à Ruby.
Liam nous avait conduits aussi près que possible de Lake Prince, mais nous allions être obligés de continuer à pied. Même si Lady Jane ou son copain n'avait pas signalé notre monospace, ses vitres fendues et les impacts de balles risquaient de ne pas passer inaperçus en ville. Nous savions qu'il y aurait plus de circulation.
Nous nous étions donc résolus à abandonner Betty. Liam s'était fait à l'idée, même s'il avait toujours su que c'était la meilleure solution. Je pouvais voir à quel point ça l'attristait, alors qu'i lavait les mains posées sur les épaules de Zu qui pleurait en silence. Chubs lui-même fixait la voiture affectueusement.
J'échangeai un regard avec Ruby. Elle comprenait aussi leur tristesse mais ne semblait pas la partager non plus. Elle avait tout de même connu Black Betty plus longtemps que moi, mais toujours moins que Liam, Chubs et Zu.
- Elle mérite un au revoir..., dit Liam. On devrait l'envoyer au large sur un radeau, et la faire brûler, pour qu'elle parte dans un embrasement glorieux.
J'ignorais s'il était sérieux ou non. Je ne pus cependant retenir le gloussement qui monta dans ma gorge. J'eus à peine produit un léger son que le regard meurtrier de Chubs m'arrêta. D'accord, Liam était sérieux. Je plaquai une main sur ma bouche et tâchai de camoufler mon rire sous une quinte de toux. Zu se dégagea et disparut entre les arbres. Aucun de nous ne l'arrêta. Chubs posa une main sur l'épaule de Liam.
- C'est un minivan. Pas un viking.
Liam se frotta la nuque.
- Bien. C'est bon. On a qu'à...
Zu revint en courant, serrant cinq petites fleurs jaunes contre elle. C'était considéré comme des mauvaises herbes, je le savais comme Caledonia en était infesté et que certains groupes avaient été de corvées de les arracher, bien que je n'en aie jamais fait partie. Zu gagna Betty, se mit sur la pointe des pieds et coinça les feuilles sous un essuie-glace. Je ne pus retenir un sourire attendri. Ils étaient vraiment trop mignons, tous ensemble comme ça.
Cette voiture avait été leur refuge. Le mien pour un temps aussi.
Maintenant nous n'avions plus rien.
***
Liam voulait que nous suivions les chemins que nous aurions empruntés avec le van. Nous marchions suffisamment près de la chaussée que pour entendre les voitures, mais Liam nous soutenait que les automobilistes ne pouvaient pas nous voir. Je voulais vraiment lui faire confiance, mais sans vraiment savoir pourquoi, je restais assez sceptique à cette idée.
Le klaxon d'un énième camion me fit sursauter. Mais qu'est-ce qu'ils avaient tous besoin de klaxonner comme ça tout le temps ? Pourtant... Ma première réaction au vacarme qui suivit fut de froncer les sourcils, avant de plaquer mes mains sur mes oreilles. On aurait dit qu'un train venait de dérailler. Il n'y avait pourtant pas de ligne de train dans le coin, d'après nos cartes.
Après quelques instants, Liam écarta mes mains et me fit signe de le suivre.
- Viens avec moi.
Je fronçai encore plus les sourcils. Moi ? Pourquoi moi ? Il sembla comprendre et fit les gros yeux en désignant le reste du groupe plus ou moins discrètement. Bon, d'accord. Les points de suture sur le front de Ruby nous rappelaient bien ce qui était arrivé la dernière fois qu'elle avait voulu intervenir. Zu, elle avait 11 ans. Et Chubs... eh bien c'était Chubs. J'hochai la tête pour faire signe que j'avais compris. Liam se tourna vers le reste du groupe.
- Surveillez les sacs !
Ruby ouvrit la bouche pour protester, mais aucun de nous deux ne lui en laissâmes le temps, comme nous étions déjà partis vers la route. Lorsque nous arrivâmes sur l'asphalte, je dus dégager mes cheveux trempés par la pluie de mon visage pour être certaine de ce que je voyais. Le semi-remorque était renversé sur le flanc sur la chaussée. Liam courut immédiatement vers l'avant du camion. Je levai une main pour l'arrêter avec mon pouvoir.
- Lee ! Qu'est-ce que tu fous ?
- Le chauffeur a besoin d'aide !
Je soupirai et relâchai mon emprise sur lui. Sa gentillesse le perdrait. Un camion ça ne se renversait pas tout seul. Il devait au moins y avoir une autre voiture, peut-être même un autre camion. D'autres adultes. Avec un grognement, je courus derrière le jeune homme en tâchant de ne pas glisser sur la chaussée. Liam s'arrêta brusquement si bien que je manquai de lui rentrer dedans et de nous envoyer tout les deux par terre.
Des silhouettes sortirent du bois en face de nous, en noir de la tête au pied. Ils étaient une demi-douzaine et les voir marcher à l'unisson de cette façon fit remonter un frisson le long de mon échine. La moitié du groupe se dirigea vers l'avant du camion, les autres vers les caisses tombées par terre à l'arrière. Sans m'en rendre compte, je m'étais rapprochée de Liam qui s'était mis légèrement en avant comme pour me protéger. Nous regardâmes ceux parti à l'avant tirer le chauffeur hors du camion. L'un d'entre eux, un colosse, sortit un couteau et un cri retentit.
Le mien.
S'ils ne nous avaient pas encore repérés, c'était chose faite.
Une dizaine de fusils se braquèrent sur nous et je lâchai un glapissement. Des balles fusèrent autour de nous, mais aucune ne nous toucha, hormis peut-être celle qui effleura l'oreille de Liam.
- A genoux ! La tête sur le sol !
Tétanisée, je regardai Liam. Il hocha discrètement la tête et s'agenouilla lentement par terre. Le coeur au bord des lèvres, je l'imitai avant de poser ma joue contre l'asphalte humide. C'était idiot mais la première pensée qui me traversa l'esprit était que mes cheveux allaient être encore plus sales qu'ils ne l'étaient déjà.
- On est pas armés ! cria Liam. Du calme... du calme !
- Ferme-la, connard !
Quelque chose de froid se posa contre ma joue. Mon corps sembla comprendre avant mon esprit. Des sueurs froides coulèrent le long de mon dos. Le canon d'une arme. Un genou s'enfonça dans mon dos. Son propriétaire pesa de tout son poids contre mon dos, me faisant grimacer. Une main saisit mes cheveux et les tordit. Je ne pus retenir un nouveau cri de douleur.
- Pas ça ! supplia Liam. Je t'en prie !
- Aaaah, tu veux pas que tes précieux bouts de papiers se mouillent ? Tu devrais pas plutôt te faire du soucis pour toi et ta petite-amie, hein ? Hein ?
Aucun de nous deux ne prit la peine de corriger. Quel en aurait été l'intérêt ?
Quand Liam poussa un cri étranglé, je me tortillai pour essayer de tourner la tête dans sa direction, mais la main qui tirait mes cheveux me repoussa fermement la tête par terre. J'entendis un craquement qui me déplut fortement, alors que la douleur irradiait dans mon visage.
La même voix reprit.
- Docteur Charles Meriwether. 2775, Arlington Court, Alexandria, Virginie. Georges Fields...
Les lettres. Liam devait les avoir sur lui et ils les lui avaient prises.
- Arrête ! plaida Liam. On a rien fait... On a rien vu...
- Hayes ! claqua une voix féminine lointaine. Arrête de fanfaronner. Tuez-les. La pluie va finir par abîmer les fruits si vous continuez, marmonna-t-elle.
- Attendez ! lança un autre garçon avec un accent du Sud encore plus prononcé que celui de Liam. Charles Meriwether ? Georges Fields... Comme Jack Fields ?
Je fronçai les sourcils. Cette voix ne m'était pas totalement inconnue. Alors quoi des FSP qui était à Caledonia ? La pièce finit par tomber. Ce n'était pas des adultes, mais des jeunes. Une tribu.
- Oui !
- On est comme vous ! ajoutai-je. On est des Psi !
- Lee ? Cassie ?
Des pas précipités se dirigèrent vers nous. Liam dut reconnaître le propriétaire de la voix en premier comme ce fut lui qui prit la parole.
- Mike ? C'est toi ?
- Mon Dieu ! Arrêtez ! Arrêtez !
Le pistolet s'éloigna de ma joue et la main me lâcha. Lorsque le genou s'éloigna, je dus rassembler toute mon énergie pour parvenir à me remettre à genou. Je n'essayais même pas de me lever.
- Je les connais. C'est Liam Stewart et Cassiopée Lennox. Stop ! Hayes, éloigne-toi de lui !
- Il a vu... Tu connais les règles !
- Ces règles s'appliquent aux adultes, sombre crétin, intervint la fille en s'approchant. Ce sont des jeunes. Eloigne-toi de lui.
- Mais Reese... Tu viens de...
- Exécution ! coupa-t-elle.
J'entendis Hayes marmonner quelque chose, sans comprendre quoi, mais il s'éloigna. Ils enlevèrent leur cagoule et je croisai le regard d'une fille aux longs cheveux bruns et aux yeux sombres. Elle semblait un peu plus âgée que les autres. Je n'étais pas douée pour estimer l'âge des gens, mais je lui donnais au moins 18 ans. Comme c'était la seule fille du groupe, j'imaginais qu'il s'agissait de la prénommée Reese. Elle avait le regard dur, si bien que je détournais les yeux immédiatement. Elle reporta son attention sur les autres jeunes en aboyant des ordres concernant les caisses. A vrai dire, le seul à encore nous porter attention fut Mike, en grande conversation avec Liam.
Je me relevai précautionneusement et les rejoignit.
- Qu'est-ce que vous faîtes ? demandait Liam en se frottant la nuque. Vous attaquez ceux qui sont assez stupides pour emprunter cette route ?
- C'est une mission de ravitaillement. On a besoin de nourriture et pas d'autre moyen de s'en procurer.
Quand je m'appuyai sur l'épaule de Liam, légèrement nauséeuse. Il tourna la tête vers moi et blêmit.
- Cassie, tu saignes !
Je fronçai les sourcils.
- Hein ?
Je portai une main à ma lèvre en sentant quelque chose de chaud goutter dessus. Quand j'écartai mes doigts, ils étaient tachés de sang. Mike soupira.
- Kyle est une brute. Il a dû te casser le nez. Mais vous devriez venir avec nous ! On a une infirmerie, on s'occupera de ce nez, me sourit-il.
J'échangeai un regard avec Liam. S'il était heureux de retrouver Mike, son sourire se fana légèrement.
- On appartient déjà à une tribu, merci.
Et nous savions tout les deux que Chubs pourrait s'occuper de mon nez facilement. Je n'avais pas suffisamment mal pour qu'il soit cassé. Mike fronça les sourcils.
- On est pas une tribu. Enfin, pas comme les autres. On est avec l'Insaisissable. Vous avez entendu parler de lui ?
***
Nous avions marché pratiquement deux heures avant d'arriver à East River, qui se trouvait être en réalité un ancien camping du nom de Chesapeak Trail. Chubs avait vite inspecté mon nez avant que nous ne partions et m'avait confirmé qu'il n'était pas cassé. Mon nez ne saignait plus depuis un moment mais en cas de besoin, Ruby, qui portait une caisse d'oranges injustement plus légère que la mienne, marchait à coté de moi avec son paquet de mouchoir.
Je n'avais jamais beaucoup côtoyé les garçons à Caledonia, hormis Liam, Chubs et Jack, et encore, ça n'arrivait pas très souvent, comme ils essayaient de garder les filles et les garçons séparés en plus de les séparer par couleur. Je compris toutefois très rapidement que ce n'était pas la grande entente entre Chubs et les autres garçons de leur baraquement, que du contraire.
D'après Mike, peu d'évadés de Caledonia se trouvaient à East River, une dizaine à peine, en nous comptant. Un étrange espoir naquit en moi, à l'idée que Christian ait pu échapper à Lydie et peut-être arriver jusqu'ici. Espoir qui fut bien vite réduit à néant quand il nous apprit que les anciens de Caledonia en plus de lui se composait de deux Bleues, d'un Jaune et d'une Verte -une fille-. Ruby dut sentir ma déception car, dès que nous eûmes posé nos caisses dans la réserve -le seul bâtiment en briques par rapport à tout les autres en rondins-, elle me pressa la main. Je lui souris légèrement avant d'observer l'endroit autour de nous. Si les autres avaient admiré le paysage jusqu'ici -notamment un magnifique lac par lequel nous étions passés-, et dévoré East River des yeux, pour ma part je m'étais surtout concentrée sur mes pieds pour ne pas finir par terre. La pluie s'était changée en brume, mais, sur le trajet, elle avait largement eu le temps d'infiltrer nos vêtements et de brouiller ma vue en constellant mes lunettes. Autant dire qu'avec la chaleur de la pièce je ne voyais même plus grand chose.
J'avais tout de même remarqué les jeunes qui étaient venus nous aider à porter les caisses dès que nous étions arrivés. Ils semblaient tous heureux, en bonne santé, et propres. Cette idée avait manqué de me faire éclater en sanglots. J'ignorais pourquoi. J'avais toujours prôné qu'East River ne m'intéressait pas. Alors pourquoi as-tu accepté de suivre Liam au lieu de rester à Roanoke ? souffla une voix dans mon esprit. Peut-être que ce n'était pas totalement vrai. J'avais peut-être autant besoin qu'eux de trouver East River. De trouver un refuge. De pouvoir arrêter de regarder tout le temps par-dessus mon épaule.
La porte s'ouvrit derrière nous et je me retournai à temps pour y lire l'inscription BUREAU / RESERVE que je n'avais pas vue en entrant. La fille de tout à l'heure, Reese entra, suivie d'une autre fille aux cheveux blonds, plus jeune, 14-15 ans peut-être. Elle applaudit en voyant les caisses, un sourire ravi aux lèvres.
- J'étais sûr que ça te ferait plaisir, Lizzie, dit Mike.
- Il y a une éternité qu'on a pas eu de fruits ! s'exclama-t-elle. J'espère qu'ils se conserveront pendant des semaines !
Je vis Reese lever les yeux au ciel avant qu'elle ne nous fasse signe de la suivre.
- Vous venez ? L'Insaisissable a d'autres choses à faire, alors on se dépêche.
Sans attendre notre réponse, elle tourna les talons, ce qui fit voler sa longue chevelure dans les airs, et partit dans une autre pièce.
- Charmant, commenta Chubs, alors que je la suivais des yeux.
Sans trop savoir pourquoi, j'avais le sentiment que cette fille était la seule chose qui détonnait dans cet environnement. Du moins jusqu'ici. Mike soupira et suivit la fille de quelques pas en nous indiquant de le suivre.
- Elle est comme ça avec tout le monde, ne le prenez pas personnellement.
J'ouvris la bouche, mais Ruby me devança.
- Et personne ne lui dit rien ?
Visiblement, elle détestait les gens hautains autant que moi. Mike hésita. Nous étions avec lui depuis deux heures et c'était la première fois que je le voyais aussi mal à l'aise.
- Disons que Reese est... spéciale.
- Spéciale comment ? insista Chubs.
- Je vous ai dit que tout le monde avait une tâche ici ? Olivia -que vous n'avez pas encore rencontrée- gère les tours de garde, et je vous ai dit que Reese était son associée et qu'elle était responsable de la sécurité de manière générale.
Je ne m'en rappelai pas, mais en voyant Liam hocher la tête, je compris qu'il l'avait fait.
- Et bien c'est pas tout à fait ça. C'est seulement la partie la plus officielle. Reese est surtout le bras droit de l'Insaisissable. Et elle est tout sauf commode. Mais si vous restez loin d'elle, elle n'a aucune raison de s'en prendre à vous. Tout se passera bien, ajouta-t-il avec un entrain qui me parut soudain trop forcé.
Reese avait vraiment l'air de le terrifier. Il retrouva son sourire et reprit son chemin sans rien ajouter. J'échangeai un regard avec Chubs et Ruby, qui semblaient tout aussi perplexes. Nous entrâmes ensuite dans ce qui devait être l'ancien magasin du camping. Mon regard tomba sur des paquets de chips, de pâtes, et même de marshmallow. Liam siffla, en fixant des boîtes de céréales et de gâteux secs. Chubs poussa un petit couinement en avisant tout ça, et je crus un instant qu'il allait se mettre à pleurer. Mon estomac grogna face à toute cette nourriture. Ruby me jeta un regard amusé ; je rougis, gênée, en comprenant qu'elle avait dû l'entendre. Nous passâmes à coté de quelques jeunes qui touillaient dans une grande marmite avec des cuillères en bois et l'odeur finit de me donner faim.
Reese, déjà en haut des marches, nous attendait devant la porte, l'air plus qu'impatient. Mike nous précéda dans les escaliers. L'étage de la réserve ne possédait visiblement qu'une seule pièce. Reese frappa sans attendre que nous soyons tous en haut et tourna la poignée avant même qu'on lui ait dit d'entrer. Debout près de de Ruby, je pouvais sentir sa nervosité. Nous savions à quel point ça comptait pour elle, comme l'Insaisissable était probablement l'un des derniers Oranges avec elle et Lydie - mais je n'avais pas vraiment envie qu'elle la rencontre et probablement qu'elle non plus- .
La porte s'ouvrait au milieu de la pièce. A droite, un rideau était tiré et devait probablement camoufler les affaires personnelles de l'Insaisissable, ainsi que ce qui devaient être les quartiers d'habitation. La lumière entrant par une fenêtre située derrière le rideau permettait de distinguer la silhouette d'un grand lit et d'une commode. L'autre partie était clairement un bureau. Deux vieilles étagères supportaient des piles de papiers et des classeurs. Un bureau était coincée entre ses deux étagères et une table sur laquelle était posé du matériel électronique avait été poussée contre le mur. La télé était allumée sur une chaîne d'information continue. Le son en était coupé si bien que nous voyions seulement les lèvres du président bouger.
L'Insaisissable était assis à son bureau et tapait rapidement sur le clavier de son ordinateur.
- Une minute, marmonna-t-il.
Ensuite il leva la tête et sursauta, mais je dus avoir la même réaction. Je le reconnus dès que je vis son visage. La même chevelure noire, les lèvres fines et ces yeux sombres que j'avais vus pendant des années. Néanmoins les portraits sur les murs de Caledonia ne trahissaient pas l'intensité de son regard, ni à quel point il était devenu attirant.
- Patron ? s'écria Mike. Ca va ?
Clancy Gray se leva lentement et ferma son portable.
L'étonnement avait envahi la pièce. Nous avions tous connu les camps ; nous avions tous vu les portraits du fils réhabilité du président, le seul enfant jamais guéri de la NIAA. C'était lui, l'Insaisissable ? Ce devait être une mauvaise blague.
- Ruby Elizabeth Daly, dit-il en la fixant.
Ruby recula brusquement et saisit ma main, sans sembler sans rendre compte. Je la pressai légèrement pour la rassurer. Il y avait une intonation dans le ton de Clancy qui n'avait plu à aucun d'entre nous. Il fit un pas vers Ruby, mais Liam le bouscula d'un coup d'épaule.
Je vis Reese se tendre et se redresser, alors qu'elle était jusque-là appuyée contre une étagère. Elle fit un pas menaçant dans notre direction. Il me sembla que la température de la pièce augmenta soudain. Clancy leva les mains et lui jeta un regard.
- C'est bon, Reese, fit-il avant de regarder Ruby. C'est ma faute. Je suis désolé. J'aurais dû prévoir. Ton arrivée m'a étonné, c'est tout. J'ai si souvent lu ton dossier, sur tant de réseaux différents, que j'ai l'impression de te connaître.
- Et à qui comptez-vous la livrer ? sifflai-je.
Je fus surprise de ma propre audace. Les mots avaient simplement fusé hors de ma bouche. Je n'étais visiblement pas la seule à penser ça, vu la manière dont les garçons regardaient Clancy et celle dont Zu serrait Ruby contre elle. Clancy rougit face à l'accusation et reporta son attention sur la jeune femme.
- A personne. Je me contente de réunir des informations, d'aller voir de quoi on parle sur les réseaux. Et tu es devenu le sujet préféré, miss Daly.
Il se tut, se frotta l'épaule, avant de commencer à raconter la vie de Ruby. Plus il parlait, plus je la sentis se tendre. Sa prise sur ma main se resserra au point de me faire mal, mais je ne me dégageai pas.
- Stop ! s'écria finalement Ruby.
- Qu'est-ce qui te prend ? cria Liam. Tu vois pas que tu lui fais de la peine ?
- Je suis heureux de faire sa connaissance, c'est tout. Ce n'est pas tout les jours qu'on rencontre un autre Orange.
Mon estomac se noua en l'entendant. J'avais réussi à me faire une raison avec Ruby, et je n'avais absolument plus peur d'elle, mais l'idée des autres Oranges... ça me mettait toujours un peu mal à l'aise.
- Mais... Tu n'as pas été réhabilité ? demanda Ruby. C'est pas pour ça qu'on t'a libéré ?
Elle semblait réellement perplexe. Evidemment, lors de nos séjours dans les camps -du moins à notre arrivée-, nous avions tous été bercés avec l'idée que les camp de réhabilitation pouvait nous guérir. Clancy Gray avait été guéri, alors pourquoi pas nous ? Mais après un mois dans un camp, tout le monde comprenait vite que ce n'était pas la réalité, même si beaucoup continuait à s'accrocher à cet espoir.
Clancy échangea un regard avec Reese avant de revenir à Ruby.
- Ruby, tu es bien placée pour savoir qu'on ne réhabilite personne à Thurmond.
Il soupira.
- Enfin... Si tu es Ruby, toi, tu dois être Liam Stewart. J'ai aussi lu ton dossier. Les FSP suivaient tout tes déplacements. Il faut que tu te fasses oublier quelques temps, hein ?
Liam hésita avant d'acquiescer. Clancy nous regarda, Chubs et moi.
- Charles Meriwether et Cassiopée Lennox. Qui avez aidé Liam monter votre évasion de Caledonia ainsi qu'avec Jack Fields et Christian Schmidt.
Je baissai les yeux à la mention des deux garçons. Le regard de Clancy tomba sur Zu, mais il n'eut pas l'air de connaître son nom.
- Suzume, fit Chubs, toujours sur la défensive.
Clancy hocha la tête et sourit gentiment à la petite fille avant de s'adresser à nous tous.
- Vous avez pris la bonne décision en venant ici. Vous pouvez rester ici autant que nécessaire.
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Et voilàààà !
Pour commencer un grand merci pour les 100 votes, ça me fait super plaisir ! ^^
C'est la fin de la première partie. J'espère que ça vous aura plu ! (Le chapitre comme la partie 1 ^^) L'histoire est bien évidemment loin d'être terminée, j'espère que vous êtes toujours avec moi pour la suite.
Même si elle n'était pas très présente, il y avait également une romance dans cette partie... vous l'avez trouvée ? Vous en saurez quand même un peu plus sur cette romance dans les autres parties !
Comme d'habitude les votes, les commentaires et vos impressions sont les bienvenus ! ;)
Bises Psychotiques,
Luna