Ma discussion de mercredi avec Lisandro occupe toujours mes pensées. Quelque chose cloche. Au fond de moi, je sais très bien ce qui ne va pas... Le couple formé par Thomas et Naomie attise simplement ma jalousie et cela m'énerve.
Je tente tout pour essayer de me persuader que ce sentiment négatif n'est que de la crainte pour mon amie. J'essaye de croire dur comme fer que je n'ai seulement peur que Naomie souffre. Mais voilà que je me mens à moi-même, car admettre que Thomas ne me laisse pas indifférente, je ne le ferai jamais.
Aujourd'hui c'est vendredi et qui dit vendredi, dit méga-soirée. Voici une occasion en or pour me changer les idées et ne plus penser à cet être ingrat qu'est Thomas Ricci.
Je pars ce matin en cours, le cœur battant plus vite que d'habitude. L'air niçois se rafraîchit peu à peu et une légère brise automnale vient me caresser les joues. L'automne une saison que j'affectionne particulièrement. Il ne fait pas encore trop froid et il ne fait pas trop chaud. C'est un juste milieu entre l'été et l'hiver. De plus, les paysages sont magnifiques en automne. Je me souviens, lorsque j'étais petite, mon père m'emmenait faire des balades à vélo jusqu'à un grand étang, un peu plus au nord de Nice. Là-bas, l'automne, les arbres abordaient des feuilles colorées en rouge, ocre et jaune. Ils se reflétaient dans l'étang, nous offrant par la même occasion, le plus beau paysage qu'il m'a été donné de voir.
Ce souvenir suffit à ralentir ma fréquence cardiaque. Je profite à nouveau de ce qui m'entoure, sans me préoccupe de quoique ce soit d'autre.
C'est en arrivant au lycée que cette béatitude laisse place à du stress. Je ne me laisse pas abattre et aborde mon éternel sourire. Je retrouve Lisandro dans la cour, accompagné de Naomie. Cette dernière ne semble pas accompagnée de son copain, chose rare, car depuis qu'ils sont ensemble, ils sont inséparables.
—Hey, lancé-je à l'intention de mes amis. Comment ça va ?
—Cass, s'écrie Naomie, j'ai l'impression que ça fait dix ans que l'on ne s'est pas vue !
Mon amie me serre dans ses bras et je lui rends son étreinte. A ce moment-là, je réalise que je n'arrive pas à être sincère envers elle. Mon câlin n'avait rien d'amical, à vrai il ne véhiculait aucun sentiment, si l'on s'attarde sur la chose. Heureusement que Naomie est une éternelle optimiste, comme moi avant toute cette histoire, et ne s'attarde pas sur ce genre de détails.
—Hello Princesse.
Lisandro glisse sa main le long de mon dos, puis s'approche et dépose ses lèvres contre les miennes. Il ne s'agit pas d'un long et langoureux baiser, mais lorsque mon copain s'apprête à détacher nos lèvres, je l'en empêche et plaquant ma main sur sa nuque, l'obligeant de la sorte à poursuivre notre baiser.
—Wow, je... heu, bégaye Naomie visiblement gênée par la situation. On doit aller en cours.
Je me détache, tout sourire de Lisandro. Je constate que lui aussi a réellement apprécié ce moment et d'un coup, ma journée s'éclaire. Penser à Naomie et Thomas ne m'affecte plus, car je sais où est mon bonheur. Il est représenté par Lisandro et je m'en veux d'avoir pu en douter un instant.
—A tout à l'heure, salué-je mes amis en me dirigeant vers ma salle de cours.
Ils me font un signe de la main. Je me sens soudainement plus légère, comme si je m'étais libérée d'un énorme poids qui pesait sur mon pauvre petit cœur. J'entre dans ma classe sereine, ce qui ne m'étais pas arrivée depuis un bon bout de temps. Je prends place à ma table et me prépare pour le cours de philosophie qui va bientôt débuter.
Notre professeur entre dans la salle et je dois avouer que tout va bien. Cependant j'ai tout de même l'impression qu'il manque quelque chose. Ce n'est que lorsque le prof l'évoque, qu'une sensation étrange s'empare de moi.
—Thomas Ricci n'est pas là ?
Tous mes camarades se tournent vers moi, étant donné que je suis sa voisine. Je réponds au prof :
—Non.
Le cours débute et l'absence de Thomas occupe mes pensées. Pourquoi n'est-il pas là ? Est-ce qu'il va bien ? Pourquoi ses techniques de drague minables semblent me manquer ?
Je sens que ma tête va exploser. Je me concentre alors que le souvenir des lèvres de Lisandro, tout à l'heure, sur les miennes. J'essaye de me rappeler cette merveilleuse sensation qui m'avait rendue si heureuse. Lorsque j'arrive enfin à ressentir un sentiment de plénitude, mon cœur s'emballe et le visage de Lisandro est remplacé par celui de mon cher voisin absent.
Je secoue la tête et émets un petit cri :
—Non !
Tout le monde me regarde, étonné et curieux, y compris le prof. Ce dernier m'interroge :
—Oui Cassandra ? Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?
Je panique, ne sachant pas ce que nous sommes en train d'étudier. De plus, le prof ne marque jamais rien au tableau, donc aucun moyen pour moi de m'en sortir indemne.
—Je... bien...
Voyant ma détresse, Nathan, le gars assis juste devant moi, lève légèrement son cahier pour que je puisse lire ses notes de cours. Je prends alors mon air assuré et déclare naturellement :
—Désolée monsieur, mais je ne suis pas d'accord avec votre point de vue, ou plutôt celui de Freud. Sur ce point-là, je rejoins plutôt Sartre, car justifier nos actes que l'on n'assume pas, en disant que notre inconscient nous a poussé à le faire n'est que de la mauvaise foi. On a toujours le choix de réaliser, ou non quelque chose. Même une impulsion peut être contrôlée et notre inconscient n'a pas le dessus sur notre conscient.
Je me rends compte de l'absurdité de ce que je viens d'affirmer. Si le prof me connaissait il dirait que c'est l'hôpital qui se moque de la charité. La fois où j'ai embrassé Thomas dans les escaliers, j'ai justifié mon acte par l'inconscient. Au fond de moi, je sais très bien que cette impulsion était dictée par un désir, trop grand.
—Merci mademoiselle Perret, dit le prof après un moment de silence. Votre intervention nous permet donc d'introduire Sartre et la notion de mauvaise foi.
Je remercie Nathan pour son aide précieuse. Il faut absolument que j'oublie Thomas. Il le faut.
***
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