Je cours. Ou plutôt je m'enfuis. Je ne sais pas ce qui me pourchasse, mais j'entends le froissement des épis de blés derrière moi. Il se rapproche tant que je perçois son souffle dans mon dos.
Je ne crois pas avoir peur, c'est plutôt mon instinct qui me pousse à courir. Je sais qu'il est mauvais pour moi et qu'il ne doit pas m'attraper, alors je me fraie un chemin à travers le champ. Les épis griffent mes bras et mes jambes nus bien que je ne ressente aucune douleur.
Je trébuche et tombe de tout mon long sur le sol, et ma tête heurte la terre dans un nuage de poussière. Je n'ai pas le temps de me relever, et me retourne pour faire face à l'ombre qui me poursuit. Ses yeux noirs comme l'ébène me fixent profondément et sa cravate rouge me frôle le visage lorsqu'elle se penche vers moi...
- Alice ?
Je me réveille en sursaut. Conor se trouve au dessus de moi, une main sur mon épaule.
« Parfait timing, j'a failli faire une crise ».
Je me redresse, un peu vite, et ma tête me le fait payer en se mettant à tourner. Conor me rattrape au moment où je manque de m'effondrer.
- Rallongez la Kit s'il vous plaît !
Je reconnais la voix de Kate, ce qui veut dire que je suis au poste. Je ne distingue pas bien la pièce en raison de ma vision est encore trouble.
Conor me rallonge doucement sur ce que j'imagine être le lit de consultation de Kate. Je la vois se pencher au dessus de moi et m'appliquer quelque chose de très froid sur la lèvre. Lorsque je la touche, je la sens gonflée.
« Il ne m'a pas manqué » je pense.
« C'est un peu de ta faute, si tu savais tenir ta langue » me souffle une petite voix au fond de ma conscience.
Ce n'est pas faux, mais je suis quand même la victime de cette histoire.
Après plusieurs minutes d'examen, Kate annonce qu'elle en a fini avec moi. Je me redresse plus doucement cette fois et ma tête se tient tranquille. Alors que je veux toucher mon front, je rencontre une surface rugueuse. Interceptant mon regard surpris, Kate attrape un miroir sur son bureau et me le tend.
- Je t'ai fait un bandage pour tenir tes points de suture.
En effet, mon crâne est enroulé dans un strap blanc. Je suis tant amochée que cela pour nécessiter des points de suture ?
- Il va falloir que tu garde le pansement quelque jours le temps que ça cicatrise.
Je fais une moue de protestation. L'idée de garder cela autour de ma tête ne m'enchante pas vraiment, mais je décide de faire relativement bonne figure. Après tout c'est surement grâce à elle que mes blessures guériront rapidement.
- Merci de m'avoir soigné Kate.
Elle me sourit en retour, puis se tourne vers Connor.
- Vous avez intérêt à bien vous occuper d'elle cette fois, le menace-t-elle du doigt.
- Elle ne restera pas un instant seule.
Je l'interroge du regard en fronçant les sourcils. Il ne compte tout de même pas me suivre partout toute la journée ? Il ignore mon regard. Kate se dirige vers la porte, je fais alors mine de me lever pour m'en aller à mon tour.
- Et où est-ce que tu crois aller comme ça ? Me dit-elle, revenant vers moi.
- Il faut que je rentre, je dois manger et aller en cours.
Kate et Connor me rallongent dans mon lit, chacun me tenant par un bras, se lançant un regard gêné.
- Et bien quoi, pourquoi vous faites cette tête ? Je ne suis pas mourante.
Kate remonte la couverture du lit jusqu'à mes épaules puis se tourne vers Conor.
- Je vous laisse, vous lui devez certaines explications. Alice si tu veux me faire plaisir, reste ici encore quelques heures pour te reposer.
J'acquiesce de la tête. Après un dernier sourire compatissant vers moi et un regard autoritaire à Conor, Kate quitte le cabinet. Conor ne parle pas, il à l'air de chercher ses mots comme s'il avait quelque chose de désagréable à me dire. Son regard est dirigé vers ses chaussures impeccablement cirées.
- Et bien aller, expliquez moi ! Je lui lance, impatiente et quelque peu exaspérée par son silence.
Il s'assoit à côté de moi sur le lit et après avoir fixé encore un peu le sol il finit par me regarder dans les yeux.
- Tu ne peux pas rentrer chez toi tout de suite.
- Et pourquoi pas ?
- Parce que nous sommes le 23 mars, tu es restée dans le coma pratiquement 24h.
Cette nouvelle m'accable, et je sens un poids immense s'abattre sur les épaules. On est le 23 mars ? Mais mes colocataires ont du s'inquiéter, Shay, Caro, Josh... Josh !
J'avais complètement oublié Josh, qui a dû atterrir hier à Chicago et ne trouver personne à l'aéroport. Il doit horriblement m'en vouloir. Non pas que je sois horrifiée que Josh m'en veuille, mais il ne mérite pas ça. Je cherche du regard mes affaires, espérant trouver mon téléphone, en vain. Conor me regarde, dubitatif.
- Ne t'inquiète pas Alice, nous avons prévenu tes amis que tu resterais ici quelque jours.
- Ton téléphone, je lui demande en lui coupant presque la parole.
Pris de court, il plonge la main dans la poche de son pantalon de costume et me tends son portable, visiblement hésitant. Je l'attrape et compose le numéro de Josh.
« Bonjour, vous êtes bien sur la messagerie du 06, 77... »
Son téléphone est éteint, ou alors il a décidé qu'il ne voulait pas me parler. Je raccroche sans laisser de message et pose un peu violemment le téléphone sur le lit. Je sens la colère monter contre ces évènements qui m'arrivent ces derniers temps et contre lesquels je me sens impuissante une fois de plus.
- Ça va ? me demande Conor.
- Dis moi tout. Comment tu m'as trouvé ? Qui sont ces types, qu'est-ce qu'ils veulent ?
- Je ne peux pas te révéler tous les détails de l'enquête, mais je vais t'expliquer tout ce qui te concerne.
J'acquiesce, prête à écouter attentivement ce qu'il a à me dire.
- Cela fait quelques mois maintenant que des délits se succèdent à Chicago, dans le quartier du Loop. Au début rien de bien inhabituel, des vols de sacs à main, des braquages de petits commerces sans blessés. Mais petit à petit ces délits sont devenus de plus en plus violents. Les criminels ont commencé à s'attaquer aux habitants fortunés à la place des touristes. De l'épicerie de quartier, ils sont passés à la banque régionale. Nous avons rapidement fait le lien entre les différents braqueurs, alors on a pensé à un gang. Mais avec les récents évènements, cette histoire de bagues et ton agression, j'ai le sentiment que c'est plus que ça. Pour ce qui est de comment nous t'avons retrouvé, c'est un promeneur qui t'as trouvé inconsciente dans une clairière du parc.
« J'ai été retrouvée au parc ? C'est impossible, je n'ai pas pû rêver ce qui m'est arrivé. »
- Le reste de l'équipe est au courant de ce qui m'est arrivé ?
- Je les ai mis au courant sans préciser qu'il s'agissait de toi, ni que tu étais ici en convalescence. Est-ce que tu te rappelles de ce qu'il s'est passé dans la clairière ?
J'hésite. Est-ce que Conor me croira quand je lui raconterais ce qui m'est arrivé ? Est-ce que moi même je suis sûre de ce qui s'est passé ? Entre les hallucinations et le réel, comment faire la différence.
- Alice ?
Conor insiste, il voit bien que je sais quelque chose que je n'ose pas lui raconter et je craque. J'ai besoin de parler à quelqu'un, et j'ai une grande confiance en lui.
- Je n'ai pas été seulement agressée, j'ai été enlevée.
Il écarquille de grands yeux.
- Tu en est sûre ? Comment c'est arrivé ?
- Dans la clairière. Je promenais mon chien et...
« Eggle ! »
J'attrape brusquement la main de Conor.
- Mon chien ? Où est-il ?
Il fronce les sourcils, puis semble se souvenir de la petite boule de poils blanche qui m'accompagnait la veille. Il me regarde alors de ses yeux noisettes soudain assombris, et secoue la tête. Les larmes me viennent, je serre les paupières pour ne pas les laisser couler.