Abel
Sérieusement, comment m'a t-elle convaincu de venir ici ? J'ai beau me rappeler de notre conversation, à aucun moment, elle m'a parlé de cet endroit. Il y a certainement une erreur !
— Je sais, ce n'est pas un lieu, où l'on emmène ses amis. Mais j'ai besoin de me recueillir et je ne voulais pas venir seule. J'espère que tu ne m'en veux pas ?
Ok ! Je ne suis pas fou ! Elle ne m'avait pas dit qu'elle venait ici ! Elle m'avait bien proposé d'aller boire un verre au bord du Tage. J'ai encore toute ma tête ! C'est très rassurant !
— Drôle d'endroit pour boire un café ? j'ironise la situation.
Ça fait des années que je n'ai pas mis les pieds dans ce coin. Je l'évitais, à vrai dire. Ce sinistre endroit ne représente que de mauvais souvenirs pour moi, que je préfère l'oublier.
— On ira après, promis !
— Je t'attends là !
Il est hors de question que j'entre à l'intérieur de ce cimetière. Me retrouver entouré par tant de tombes, cela m'est insupportable. Je me demande comment font les mamies pour venir ici tous les jours, pleurer leur défunt mari ou enfant, pour moi, c'est impossible ! Ce lieu regorge de morts ! Comment peut-on se sentir bien au milieu de tous ces caveaux ? Moi, cela me donne la chair de poule.
— Ne me dites pas que vous avez peur ?
— Tu te rappelles qu'on se tutoie ?
— Oh oui ! Désolée ! Alors ?
— Alors quoi ? je fais celui qui ne comprend pas sa question.
— Qu'est-ce qui te gêne autant d'entrer dans ce cimetière ? Aucun mort ne viendra te hanter !
Qu'est-ce qu'elle en sait d'ailleurs ? Que ça existe ou pas les morts-vivants..., mais de toute façon, je n'ai aucune envie de le découvrir !
— Je n'aime pas, c'est tout !
Je n'entre pas dans les détails. C'est de l'ordre de ma vie privée, personne n'a besoin de connaître mes vraies raisons, cela ne concerne que moi.
Il m'est insupportable de revenir dans ce lieu qui m'a enlevé ma mère à tout jamais, ma douce et délicieuse maman, qui me manque plus que tout. C'était ma génitrice, ma mère, mon amie, ma confidente, la seule personne au monde capable de me comprendre et de me soutenir malgré toutes mes erreurs. C'est horrible de continuer à vivre sans elle ! Cet endroit me rappelle qu'elle n'est plus de ce monde. Et j'ai décidé de le bannir de mon existence, voilà tout !
— Bien ! Je vais y aller toute seule ! ne rechigne t-elle pas, mais c'était sans compter sur son humour plus que déplorable : Si tu ne me vois pas revenir, appelle la police ?
Elle se dirige toute seule vers l'entrée, me jette un dernier regard avant de pénétrer à l'intérieur. Elle longe la grande allée du vieux cimetière, sans faire d'arrêt. Puis, elle monte quelques marches qui l'amènent à l'étage supérieur. Je la vois se faufiler dans une petite rangée, avant de se pencher sur une tombe. Je présume qu'il s'agit de celle de sa maman.
Elle se redresse et reste un moment statique sans faire de mouvement. Je pense qu'elle prie. Je la laisse à son recueillement, et pour ne pas la dévisager et afin de lui donner plus d'intimité, je tourne le dos au cimetière. Cela ne dure qu'une petite minute, car une force inexplicable me fait me retourner. Et quand, je pose mes yeux sur elle, je ne la vois plus ! Je la cherche du regard dans tout le cimetière, et plus rien ! Elle a disparu !
Vous allez voir qu'elle a été enlevée par un zombie ? Où peut-elle bien être sinon ?
Sans réfléchir, je longe la grande allée, je m'aperçois que la plupart des tombes sont fleuries à ma grande surprise, et monte les trois escaliers qui mènent à Inès, du moins, à la tombe de sa défunte mère. Je scrute l'endroit où il m'a semblé la voir pour la dernière fois, et je suis confus et à la fois rassuré de la voir agenouillée près de la photo de la femme qui l'a mise au monde. C'est fou comme elle se ressemble ! Si elle n'était pas face à moi, je pourrais sans crainte dire qu'il s'agissait du tombeau d'Inès tellement la photographie est ressemblante !
Sans peur, je m'approche d'elle et m'aperçois qu'elle est en pleure. Dans un geste instinctif, je la prends dans mes bras pour la réconforter, lui caresse les cheveux, et la serre aussi fort que possible, en essayant de ne pas lui faire plus de mal. Elle semble désemparée.
Après de longues minutes de silence, je la sens plus calme et plus sereine. Elle lève ses yeux vers moi, toujours un peu humide, puis se détache délicatement de mon emprise.
— Merci !
— C'est normal ! Ta mère était une femme merveilleusement belle !
— Oui, elle était incroyable ! Elle me manque tellement ! lui reviennent les larmes aux yeux.
Je me lève et lui tend ma main afin qu'on quitte au plus vite ce lieu, qui n'est que douleur autant pour moi que pour elle. Après un dernier regard vers l'image de sa maman, elle se relève difficilement malgré l'aide que je lui porte. Elle semble tremblée de tous ses membres, pour la réchauffer du mieux que je peux, je l'attire à moi. Elle perd l'équilibre, et on s'entrechoque.
— Désolé ! je m'excuse de l'avoir fait trébuché.
On se retrouve les yeux dans les yeux, et je ne saurais l'expliquer, quelque chose d'étrange se produit en moi, en nous, se produit quoi ! Je ne sais pas ce qu'il y a, mais une sensation plus qu'électrisante m'envahit. Je n'arrive pas à me défaire de son regard, et à l'évidence, elle non plus du mien. Que nous arrive t-il ?
Nous restons des secondes entières ainsi fixés l'un sur l'autre, sans rien qui puisse nous enlever de cette léthargie. On est comme possédé, sans pouvoir faire le moindre mouvement, quand soudain, un balancement se fait sentir de nos têtes, nos souffles se rapprochent et deviennent de plus en plus saccadés, nos lèvres sont presque en train de se toucher...
— Tout va bien ? nous interrompt une femme d'un âge avancé.
Inès reprend ses esprits instantanément.
— Oui, ne vous inquiétez pas madame Jorges.
Alors que moi, je suis toujours paralysé par ce qui vient de se passer. J'ai beau essayé de revenir à la vraie vie, j'ai toujours l'impression bizarre que ce sentiment paranormal s'incruste en moi. C'est étrange !
— Abel, tu te sens bien ? s'inquiète maintenant Inès de mon comportement absurde.
Tandis que la vieille dame poursuit son chemin, moi, je reste planté là sans dire un mot. Est-ce que j'ai tout bonnement rêvé ce moment ? Ou s'est-il bien produit ? La réaction d'Inès me montre que tout cela n'était qu'en réalité un songe... Que se passe t-il avec moi ? J'imagine des choses maintenant ? Je deviens fou, c'est ça ! Non, c'est ce lieu, il faut que je le quitte ! Il ne m'est pas bénéfique !
Je ne me sens pas très bien tout d'un coup, je cours vers la sortie, il faut que je quitte ce cimetière coûte que coûte. Je m'aperçois en arrivant à l'extérieur que j'étais en apnée. Je respire une grande bouffée d'air frais quand quelqu'un m'assène :
— Tu aurais pu m'attendre !
Avec toutes ses émotions, j'en ai oublié Inès. Elle doit me prendre pour un salopard, voire un fou à lier. Je n'ai vraiment pas bien agit avec elle.
— Abel, tu es sûr que ça va ?
Je dois avoir une mine défaite pour qu'elle s'inquiète ainsi de mon sort. Elle serait plus le genre à me crier dessus de l'avoir laissé en plan, que de s'alarmer de mon bien-être...
— Oui ! Je suis juste essoufflé de ma course ! je mens, ne voulant pas l'inquiéter plus que de raison.
Je continue de respirer et d'inspirer pendant une petite minute, puis ayant repris mes esprits, je lui demande :
— Alors, on va le boire ce verre ?
Publié le mercredi 1er mai 2019