SYLVES - Les Enfants d'Astéria

By Eli-Reflect

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L'an 2305... L'Humanité découvre, choquée, qu'elle n'est pas seule. À la suite d'une pandémie à l'origine de... More

PRÉFACE
PARTIE 1
1. CURE SPIRITUELLE
2. IMMERSION
3. CŒURS BRISÉS
4. CADAVRE EXOTIQUE
6. PREMIER CONTACT
7. LE CONSEIL
Première de couverture - Les Enfants d'Astéria
8. ARALYNE
9. RÉMINISCENCES
NOUVELLES
PARTIE 2
10. ESPOIR TEINTÉ
POUR CONTINUER SYLVES - LES ENFANTS D'ASTÉRIA

5. FÉLICITATION

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By Eli-Reflect

5. FÉLICITATION

" Journal de Tristan -  Écrit le: 12 Septembre 2334 -

J'aimerais bien écrire sur la rentrée scolaire, mais honnêtement? Je n'ai rien à mentionner de particulier. Les professeurs sont différents tout en étant les mêmes; des sylves strictes aussi souriants que des cadavres de poissons. Les cours me semblent plus intéressants que ceux de l'année précédente, mais je n'ai jamais vraiment été difficile sur la matière. J'aime apprendre, alors qu'on me demande de suivre des cours de maths, d'histoire ou de sylvanais, peu m'importe.

On nous a donné un test de personnalité la première journée. Pour nous aider à orienter nos choix futurs, selon eux.

Pour nous imposer un futur, plutôt.

Je sais qu'ils contrôlent tout, jusqu'à nos possibilités d'études supérieurs et même nos carrières. Ma mère m'a avoué que peu de temps après la mise en place des gouvernements sylvestres, les gens partout dans le monde ont connu des réorientations de carrière et que ceux qui refusaient, se voyaient remercier sous de faux prétextes. Ma mère a dû retourner aux études afin de se spécialiser dans la gestion administrative de l'école de danse dans laquelle elle montait des chorégraphies.

Je n'ai jamais eu de suite à ce test de personnalité, alors que certains des étudiants du même grade se sont vu proposé plusieurs choix d'universités. Léna a été recruté par une université à deux heures de chez elle, en gestion de commerce. Et la demande qu'elle avait soumise pour sa bourse d'étude afin d'intégrer l'équipe de basket de l'université du coin a été rejetée, sans explications.

D'autres ont été moins chanceux. Ils n'ont simplement pas été recrutés par une université. Une fille de ma connaissance s'est vu offrir une place dans une compagnie de déménagement, comme réceptionniste. Elle s'est mise à rire, hystérique, en décrétant qu'elle allait dès à présent se chercher un mari riche parce qu'avec le salaire d'une réceptionniste, elle aurait tout juste de quoi se payer un appartement miteux. Puis elle a éclaté en sanglots.

C'est l'une des choses qui me révolte le plus. Cette certitude qu'ils ont à nous connaître mieux que nous-mêmes, à savoir ce qui est bon pour nous, ou pas. Ils ignorent tout de nos rêves, de nos ambitions, de nos peurs... Ils se contentent d'analyser ces fichus bouts de papier qu'ils appellent des tests de la personnalité, et pensent avoir la bonne réponse. Et si un humain refuse de se fondre dans le moule qu'ils lui ont bâtit, alors les Autres lui mettent des bâtons dans les roues, jusqu'à ce qu'il capitule.

Keven m'a avoué un jour qu'il n'avait pas choisi d'étudier en aéronautique. On l'avait fait pour lui. Il ne détestait pas la matière, selon lui, mais mon frère avait toujours été quelqu'un qui s'épanouissait mieux au grand air, sous le soleil. Il rêvait de déménager au Canada, et de devenir garde forestier près des anciennes réserves amérindiennes. J'espère qu'il a un peu l'occasion de profiter de la nature, là où il se trouve, et qu'Olympe lui laisse la liberté de vivre ses rêves, ne serait-ce qu'un petit instant. "


L'AN 2335 - PRÉSENT
Amérique du Nord - Régime Gouvernementale Sylve-Américain

Le sommeil ne venait pas.

Il avait tout fait pour s'endormir; changer de position dans son lit, dormir en pyjamas, puis se dévêtir complètement, changer ses oreillers de côté. Il était même descendu pour se faire une tisane. Épuisé, mais incapable de trouver le sommeil, il avait fini par renoncer et se contentait à présent de fixer le plafond de sa chambre à coucher, plongée dans le noir. Il savait pertinemment les raisons de son insomnie. Il ne fallait pas être un génie pour additionner deux et deux.

Marie Sarda était parti depuis trois bonnes heures et son cadran était sur le point de sonner. Il n'arrivait cependant pas à ne serait-ce que fermer les paupières malgré ses yeux bouffis. Lorsqu'on l'avait emmené au Département des Affaires Sylves, après la découverte du cadavre, il avait compris qu'il n'avait pas été témoin d'un meurtre humain. Il leur avait répété une bonne vingtaine de fois son histoire, puis au moins le double de fois qu'il ignorait la raison de la présence de sa photographie dans la poche du manteau de ce sylve. Là-bas, on l'avait traité, non pas comme un témoin ou une victime, mais comme un criminel. D'ailleurs, ses poignets portaient encore les marques rouges des menottes qu'on lui avait passées. Il avait pensé que ses parents viendraient le chercher, puis au bout d'une demi-heure, il avait renoncé à les voir surgir.

Lorsque la porte s'était ouverte sur cette grande sylve mince au style vestimentaire pour le moins surprenant, il avait cru à une blague. 

Avec son tailleur blanc rayé de fines ligne oranges, sa courte crinière rousse et son air patibulaire, qui aurait pu la prendre au sérieux? D'autant plus qu'elle était monté sur des talons hauts si vertigineux, qu'il s'était demandé comment elle arrivait à ne pas se rompre une cheville. Et ses chaussures étaient blanches... Blanche et vernis à la pointe dorée. Une bien étrange femme qui, au final, s'était faite obéir au doigt à l'œil sitôt qu'elle avait montré son bague et annoncé qu'elle travaillait pour le gouvernement. 

Tristan ignorait par quel coup du sort cette sylve s'était retrouvée là, à prendre sa défense. Il avait été encore plus ébahis lorsqu'elle l'avait écouté attentivement et qu'elle avait semblé croire à son histoire.

Il en était encore à se demander ce que cette sylve lui voulait réellement lorsque son cadran sonna. Il l'éteignit avant de lui laisser le temps de lui annoncer l'heure, puis se rendit d'un pas lourd à la douche. La cabine se ferma derrière lui et le et se mit en marche lorsqu'il pressa un petit bouton, l'eau s'ajustant automatiquement à sa température corporelle. Il prit plus de temps dans la douche, cherchant à nouveau des réponses. Il avait bien tenté d'écouter la conversation entre ses parents et la sylve, mais même en tendant l'oreille et en restant près des escaliers, il n'était pas parvenu à saisir ne serait-ce qu'un mot de la discussion. C'était à n'y rien comprendre! 


Lorsqu'il sortit de chez lui, il était en retard. S'attendant à devoir courser le bus à nouveau, il fut surpris de retrouver stationnée dans l'entrée de la maison, une magnifique sportive... orange. Marie Sarda en sortit nonchalamment et lui fit signe de monter.

Il la détailla, éberlué. 

Aujourd'hui, elle portait une jupe crayon grise taille haute, une chemise translucide orange brûlé et un veston blanc. Ses chaussures... Ses échasses, se reprit Tristan en écarquillant les yeux tandis qu'il s'approchait de la sylve, était en velours blanc. La sylve portait sur le nez d'immenses lunettes de soleil argenté, assorti à sa montre faite du même métal. Une sylve... étonnante. Il avait l'impression de contempler une fashionista plutôt qu'une agente du gouvernement.

- Monte, je n'ai pas toute la journée.

Tristan s'exécuta maladroitement et dès qu'il eut refermé la boucle de la ceinture, elle démarra sur les chapeaux de roues, faisant peu de cas des limitations de vitesse.

- Où va-t-on? Demanda-t-il.

- À ton lycée.

- Heu.... Vous me conduisez à mon lycée? Demanda-t-il.

Était-il tombé dans un univers parallèle? Avait-il manqué un épisode de sa vie?

- Je te baby'sitt, dit-elle, ennuyée. J'ai un horaire surchargé, une montagne de dossiers à compléter, et pourtant, mon employeur m'a chargé de te servir de chauffeur, ce matin.

- Votre employeur?

- Tu poses souvent des questions? S'agaça-t-elle.

Tristan sourit, amusé par sa réaction.

- Toujours quand on me cache des choses, répondit-il.

Elle tourna la tête vers lui et l'observa par-dessus ses immenses lunettes avant de retourner à la route.

- Je ne peux pas répondre à cette question pour le moment.

- D'accord, alors pourquoi est-ce que vous me servez de chauffeur?

- Parce que tu es un témoin sous protection pour le moment.

- Donc je suis surveillé.

Elle sourit.

Elle aurait eu avantage à sourire plus souvent, se dit Tristan. Elle était magnifique.

- Si ça t'amuse de le croire, alors oui.

Ils firent le reste du trajet dans le silence, brisé par la musique craché par les haut-parleurs de la stéréo que la sylve avait augmenté, sans doute dans l'intention de lui faire comprendre que la discussion était terminée.


Ils arrivèrent à son lycé peu de temps après le bus et Tristan aurait préféré y être en avance. La voiture attirait l'attention de la majorité des élèves et nombreux étaient ceux qui trainaient volontairement afin de voir qui en descendrait.

- Tu n'avais qu'à ne pas être en retard, lui dit Marie Sarda, se moquant ouvertement de son malaise. À présent, dehors, jeune homme. J'ai autre chose à faire.

Il rit et sortit, claquant doucement la portière derrière lui.

- Ton sac! Lui cria la sylve.

Il se retourna et la vit qui se tenait près de la voiture, lui tendant à bout de bras son sac-à-dos d'un air franchement énervé, ses immenses lunettes posées sur le bout de son nez. Il s'excusa en récupérant son bien et la sylve retourna dans sa voiture. La sportive quitta le stationnement aussi vite qu'elle y était arrivée.

- On a manqué un épisode? Fit Darel en arrivant derrière lui.

Le jeune homme sursauta en criant, le coeur battant la chamade.

- Ne fais plus ça! S'écria-t-il.

- Ne plus faire quoi? Te parler?

- Arriver derrière moi comme un foutu chat!

Darel éclata de rire alors que Léna les rejoignait, les sourcils haussés. Il savait ce que présageait cette expression.

- C'était une sylve, pas vrai? Pourquoi elle t'a accompagné ce matin?

- Je vais vous conter tout ça à la pause, d'accord? Mais pas ici.

Ses amis lui jetèrent des regards à la fois inquiets et curieux, et il tenta de les rassurer d'un sourire. Il soupira à l'idée de raconter, une énième fois, les événements de la veille. 


***


Léna et Darel le fixaient, incrédules.

- Tu as été témoin d'un meurtre?

- Moins fort, Léna! La morigéna Tristan.

- D'accord, mais d'un meurtre? Répéta-t-elle.

Il hocha la tête, et la jeune fille se rejeta contre le dossier de sa chaise, les bras ballants.
- Je ne sais pas ce que tu as a fabriqué dans ton ancienne vie, mais je te jure que ton karma est plutôt... chargé, lui dit Darel.

- Comment fais-tu? Lui demanda Léna en se rasseyant plus droite. Je veux dire... Ta dispute avec monsieur Havock, la cure, puis ta rencontre avec la doyenne et maintenant ça? Tu gères comment?

- Je ne gère pas, justement. Je suis complètement dépassé. Je ne comprends pas pourquoi tout me tombes dessus en même temps. Et je vous jure que le simple fait d'avoir été mis sous protection par des Autres est une raison suffisante pour me rendre paranoïaque. Je veux dire... Quel sylve irait jusqu'à envoyer une agente de terrain gouvernementale pour me servir de chauffeur le matin? Et cette photo dans la veste du cadavre...

- Ne prononce pas le mot cadavre, cracha Léna.

- Tu viens de le faire, lui fit remarquer Darel en haussant un sourcil.

- Tu es puéril, Darel. Tristan comprend ce que je veux dire par là. Ça me donne des sueurs froides!

Les deux adolescents rirent de son malaise. Ils récoltèrent chacun une petite taloche derrière la tête en guise de représailles. 


En classe, Tristan observait la projection de la matière à réviser, s'assurant que sa tablette enregistrait bien le cours, lorsqu'il y eut une vague de murmures excités venant des élèves. Monsieur Havock mit aussitôt fin à la projection sur le tableau et se dirigea vers les fenêtres semi-opaques. Il ajusta la teinte à l'aide du petit bouton de contrôle, redonnant à la lumière du soleil son accès à la salle de classe. Quelques étudiants plus téméraires se penchèrent vers les fenêtres, afin de voir ce qui avait attiré l'attention de leurs comparses et de leur professeur. Tristan ne fut pas en reste, et ce fut stupéfait qu'il vit pas moins de trois fourgonnettes noires arborant l'emblème officiel du Gouvernement Sylve Américain se stationner dans des crissements de pneus devant les portes du lycée. Une douzaine de sylves en uniforme des Forces Spéciales Américaines en sortirent. Puis, Tristan repéra tout près de l'entrée du lycée la sportive orange sanguine de Marie Sarda.

Il fronça les sourcils, redoutant la raison de la présence de l'agente en ces lieux. Alors que leur professeur s'emparait d'un petit dispositif de communication, sûrement dans le but d'avertir la doyenne si elle n'était pas déjà au courant, l'adolescent se rendit tout au fond de la classe, tentant de se faire le plus discret possible. En voyant Marie Sarda pénétrer dans leur classe, il se tendit. Non loin de lui, Léna et Darel lui jetèrent un regard chargé d'inquiétude.

- Monsieur Havock, j'ai l'immense honneur de vous informer que vous serez promu au poste d'Adjoint Administratif à la Direction.

- Je ne savais pas que vous deviez venir aujourd'hui, répondit leur professeur. Et en pleine période de cours.

- Les récents événements ne nous ont pas laissé le choix d'agir rapidement. De nouvelles informations ont hâté les procédures et nous sommes dans l'obligation d'agir dès aujourd'hui. Vous comprenez qu'autrement, tout ceci se serait fait dans la plus totale discrétion.

- Je comprends.

- Bien. À présent, Tristan? Que fais-tu donc caché? Je te vois, tu sais? S'agaça la sylve.

L'adolescent fronça les sourcils, mais refusa de bouger.

- Vous êtes là pour quoi?

Elle lui sourit, une très brève esquisse, avant de reprendre son sérieux.

- Nous sommes un peu pressés par le temps, Tristan. Je vais donc éviter les longs discours d'usage. Félicitation, tous tes tests sont concluants. Tu as été choisi afin de suivre ta formation auprès du sylve qui a demandé à t'accueillir. Les papiers de renonciation aux droits parentaux ont été signé pas plus tard que cet avant-midi. Maintenant, si tu veux bien me suivre, j'aimerais éviter que nous ayons à utiliser tout l'arsenal que nous avons embarqué. D'autres agents de terrain sont sur le point d'arriver et je ne tiens pas spécialement à ce qu'il y ait confrontation.

Elle lui fit un petit geste sec, l'incitant à la rejoindre, puis retira ses lunettes en constatant qu'il ne bougeait pas.

Figé, il fixait cette Autre qui l'avait trompé. Lui? Un Élu? Un rire hystérique le secoua, avant de cesser complètement. Son cerveau peinait à filtrer l'information que cette folle venait de déblatérer. Son immobilisme incita les quelques élèves encore près de lui à s'éloigner, comme s'il avait soudainement attrapé la peste.

 Léna et Darel... Ils l'aideraient! 

Il se tourna vers eux, cherchant leur appui, mais les deux adolescents avaient écarquillés les yeux. Léna avait croisé les bras sur sa poitrine et se mordait la lèvre du bas, les yeux larmoyants, alors que Darel se tenait tendu, sa poitrine soulevée par une respiration saccadée.

- C'est quoi ce bordel? Aboya alors le grand portugais en se plaçant devant Tristan, faisant face à la sylve, à présent entourée de cinq agents.

- Un bordel, comme vous l'avez mentionné, jeune homme, soupira Marie Sarda. Je n'aime pas quand les choses deviennent hors de contrôle. Tristan, nous n'avons vraiment pas le temps.

- Je n'irai pas avec vous, souffla ce dernier en reculant d'un nouveau pas.

Son talon buta contre le pied du mur derrière lui et il s'y aplatit, tout en secouant la tête.

- Tu n'as pas le choix, asséna l'agente de terrain. Les droits légaux qu'avaient tes parents sont maintenant caduc puisqu'ils ont signés la renonciation. Ils ont également accepté de signer les documents autorisant mon employeur à t'acquérir.

- Je ne suis pas un objet! Cria Tristan. On n'acquiert pas les gens!

- Les lois concernant les Élus ne sont pas les mêmes que pour le reste des humains, Tristan. Tu le sais, je crois que vous avez eu un cours à ce sujet cette année, non? Dès le moment où un adolescent est reconnu comme étant un élu et que les parents signent les papiers de renonciation, alors l'élu est soumis aux lois sylvestres. À présent, il faut me suivre, Tristan.

- Non!

- De gré ou de force...

- Je ne serai jamais un chien de parade!

Marie Sarda pinça les lèvres, contrariée. 

Elle avait pourtant cru nouer une bonne relation avec ce garçon entêté. Mais voilà qu'il lui causait des problèmes! Elle n'avait pas le temps de gérer un adolescent en pleine crise de rébellion. 

D'un geste sec, elle fit signe aux cinq agents sylves qui s'empressèrent de dégainer leurs armes. Cinq canons se pointèrent sur le jeune homme. Il y eut des cris paniqués dans la salle de classe, mais les étudiants qui tentaient de fuir furent aisément contenus par les agents stationnés dans les couloirs, en prévision d'un éclat de panique générale.

Mu par la rage, Tristan s'élança vers le sylve le plus près qui ne s'attendait certainement pas à le voir courir vers la sortie. Les agents furent tous déstabilisés par sa réaction inattendue et mirent une fraction de seconde supplémentaire à réagir. Ce fut suffisant pour lui permettre d'atteindre le contrôle des fenêtres.

Il eut tout juste le temps d'appuyer sur le bouton d'ouverture avant qu'une piqûre à l'épaule, précédée d'un bruit de tir, lui arrache un petit couinement de douleur. 

Les effets du sédatif furent rapides et il tituba maladroitement vers le fenêtres. Un agent se précipita sur lui, le soulevant à la taille afin de l'empêcher de se jeter du haut de la fenêtre. Le garçon rua maladroitement, donnant un brusque coup de pied sur un pupitre qui se coinça contre le bureau massif du professeur Havock et devint assez stable pour que Tristan s'en serve comme appui.

Tout se passa trop rapidement pour que quiconque puisse réagir.

Il poussa le meuble des deux pieds, tout en se projetant vers l'arrière dans son élan. Le sylve le maintenant toujours à la taille cria quelque chose à ses compères qui s'étaient précipités vers eux, tentant d'enjamber les chaises renversées par les étudiants, les cahiers et les sacs-à-dos abandonnés au sol. Le dos du sylve heurta le rebord de la fenêtre et déstabilisé, il dût se rattraper d'une main au cadrage au risque de basculer dans le vide. Tristan sentit sa poigne glisser sur ses vêtements. Le bruit du tissu qui se déchire lui assura qu'il ne serait jamais l'élu d'aucun Autre. 

Il déplia ses doigts accrochés au cadre de la fenêtre et se laissa tomber vers l'arrière. 


***


Il y eut des cris angoissés provenant des étudiants. Les agents, qui n'avaient été qu'à quelques centimètres du garçon juste avant sa chute, jurèrent, avant de se pencher par-dessus le rebord de la large fenêtre. Une dizaine d'autres agents remuait tout en bas, certains pointant leurs armes vers eux, croyant à une attaque. Marie Sarda se pencha à son tour sur la fenêtre et porta une main contre le fin collier entourant sa gorge, puis appuya sur le bouton de communication.

- Il a sauté, dit-elle simplement. Baissez vos armes, nous descendons.

Elle se détourna et sortit de la classe, passant devant deux adolescents en état de choc qu'elle reconnue comme étant les amis proches du jeune homme. Elle hésita, une petite fraction de seconde, avant de leur demander de la suivre.


***


Darel était figé, fixant toujours la fenêtre grande ouverte. Il s'était laissé... tombé? Près de lui, Léna poussait des cris continus entrecoupés de sanglots incontrôlables. Ce fut presque maladroitement qu'il la saisit par l'avant-bras afin de la tirer à sa suite, emboîtant le pas à la sylve qui les avait enjoint à la suivre d'une voix fatiguée.

Ils se faufilèrent dans la foule d'étudiants, entourés par les agents. Ils ne virent ni n'entendirent les commentaires, les cris ou les chuchotements excités, trop pris dans l'horreur de la situation. 

Ils passèrent devant deux des quatre élus de leur lycée. Ils affichaient un visage neutre, postés le long d'un mur, étudiant toute cette agitation sans la moindre expression. Darel se demanda si cela avait été si terrible de voir Tristan parmi eux plutôt que...

Il s'arracha à sa fixation lorsqu'un agent le poussa gentiment dans le dos afin de l'encourager à avancer. 

Lorsqu'ils sortirent, Marie Sarda donna des consignes rapides à un sylve en uniforme afin qu'ils soient pris en charge par un psychologue au plus tôt, mais l'homme la coupa:

- Il est en vie, dit-il.

L'agente de terrain ouvrit la bouche, puis la referma, avant de balbutier:

- Comment est-ce possible?

- L'agent Bricks a eu le temps de se poster sous la fenêtre lorsqu'on a aperçu l'agent Mayer tenter de contenir le garçon. Sa chute ne s'est pas passée sans dommage, cependant. Il est dans un sale état. Glenn dit qu'il a de nombreuses fractures sévères, une hémorragie interne et que sa tête a pris un sale choc, mais l'agent Bricks est parvenu à atténuer l'impact.

- Sa vie est-elle en danger?

- On peut le voir? Intervint Léna.

L'agent en uniforme leur jeta un coup d'œil furtif avant de revenir à la sylve.

- Je ne sais pas, honnêtement. Glenn et Nathan l'ont immédiatement embarqué dans l'une de nos fourgonnettes. Ils sont déjà parti pour rejoindre le Centre. L'agent Bricks est avec eux. Il n'a pas voulu laisser le garçon.

- Merci, agent Forbes.

L'homme se signa, doigts contre les lèvres, mains jointes pour former un petit triangle.

La sylve se tourna vers les deux humains toujours derrière elle.

- Alors Tristan va bien? Demanda le jeune homme.

- Je ne dirais pas qu'il va bien, mais il est en vie et entre de bonnes mains.

- Il va devenir un élu? Souffla Léna d'une petite voix, avant de renifler bruyamment.

L'agente de terrain grimaça avant de sortir de sa poche un petit mouchoir qu'elle lui tendit. L'adolescente se moucha avant de rouler le petit bout de papier humide dans sa paume, accentuant la grimace de dégoût de la sylve.

- Sans aucun doute.

- Il va revenir ici? La questionna Darel.

Marie Sarda se retint de soupirer. Est-ce que tous les adolescents humains étaient aussi... agaçants?

- Le sylve qui l'a acquis réside dans ce secteur. Connaissant mon employeur, il aura à coeur les désirs de son élu. Si c'est là le choix de Tristan, alors oui, il reviendra ici.

- Mais il sera changé, insista le portugais.

L'agente de terrain pinça les lèvres, exaspérée.

- Les élus ne changent pas, jeune homme. Ils possèdent simplement des connaissances que vous n'avez pas, et cela modifie leurs perceptions. Mais intrinsèquement, ils ne changent pas. Nous ne nous adonnons pas à du lavage de cerveau ou quoi que ce soit d'autre qui puisse sortir de votre imagination florissante. Me suis-je bien fait comprendre? À présent, allez rejoindre mon collègue près du van. L'agent Forbes va vous reconduire chez vos parents et un psychologue vous contactera d'ici demain pour vous donner un rendez-vous à chacun.

Voyant qu'ils ne bougeaient pas, elle tapa bruyamment dans ses mains avant de leur aboyer de s'activer. Ils sursautèrent puis s'empressèrent d'obéir.

Ces humains... Pensa l'agente de terrain tout en sortant son appareil de communication.

- Oui, ici l'Agente Spéciale Sarda. Transférez-moi au Régent sur une ligne sécurisée, j'ai d'importantes informations à lui communiquer. 

Le temps que la ligne soit sécurisée, elle jeta un petit coup d'oeil vers les deux adolescents qui s'éloignaient et les vit assaillir l'agent Forbes de questions. Le sylve semblaient désespéré et elle sourit. 

Mieux valait lui que elle, s'amusa-t-elle. 

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