La Prophétie des Anges 1.Traq...

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Ils n'étaient pas destinés à s'aimer. Ils ne devaient même pas se rencontrer. Mais le destin a tenu à les ré... More

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Havenbroke (Connecticut), 12 Février 2005.

Je me réveillai brusquement, en sueur. Mon corps me brûlait, ma respiration était saccadée et mes oreilles bourdonnaient. J'avais beau être habituée au phénomène, ça ne changeait rien. J'en ressortais toujours dans un état lamentable.

— Bon sang !

J'avais la voix éraillée comme si je venais vraiment d'échapper aux flammes et mon cœur battait à tout rompre. Ça n'était peut-être qu'un rêve mais je restais persuadée d'une chose : je me trouvais vraiment là-bas avec lui.

Je regardai mon réveil : 4 h 45.

Génial !

Trop tard pour se rendormir et un peu tôt pour se lever. Que faire ?

Après un soupir de résignation, je passai les jambes en dehors du lit et marchai jusqu'au grand miroir fixé au mur. J'avais vraiment une sale tête. Méconnaissable ! Je semblais fiévreuse et mes yeux étaient toujours agrandis par l'effroi. Si je continuais sur cette lancée, je ne donnais pas cher de ma peau. Soit les Démons avaient raison de moi, soit je finirai par m'effondrer d'épuisement.

Satané cauchemar !

Ça devenait vraiment invivable. Après un coup d'œil maussade à mon reflet, je me glissai dans la salle de bains. Heureusement, l'étage de la maison avait été aménagé spécialement pour moi. Nous avions suffisamment d'espace pour que mes grands-parents se contentent du rez-de-chaussée sans problème. Et de cette façon, je gardais une vraie intimité. Depuis quelques mois, c'était plus que bienvenu avec toutes ces visions. Je refusais de les inquiéter plus qu'ils ne l'étaient déjà.

Je retirai mon tee-shirt de nuit et m'approchai de la douche pour faire couler l'eau chaude. C'est alors que je remarquai les brûlures qui recouvraient mes deux mains.

Bon sang !

Depuis toute petite, je voyais les évènements avant qu'ils ne se produisent : des rêves, des cauchemars, des visions éveillées. Je ne souhaitais à personne de naître avec de telles facultés.

Maudites soient-elles !

Avec le temps, j'avais fini par considérer ce don comme une partie de moi-même. Évidemment, ça avait eu quelques conséquences sur ma vie sociale. Dans une petite ville comme Havenbroke, impossible de conserver le moindre secret. Les habitants m'observaient avec méfiance et m'évitaient. Ils prétendaient que j'étais damnée qu'il ne fallait pas s'approcher de moi.

À l'école, les autres enfants m'avaient longtemps persécutée. Ils disaient que j'attirais le malheur sur leur ville, que j'étais une fille du malin, une sorcière. À de nombreuses reprises, j'étais rentrée de l'école en larmes. Personne ne désirait jouer avec moi. J'étais trop différente, pas comme il fallait.

Predenna et Charles Davidson, mes grands-parents, souhaitant me protéger à tout prix, décidèrent de m'offrir un enseignement à domicile. Ils évitaient également les grandes occasions telles que les fêtes traditionnelles, les défilés de Main Street*, les rassemblements d'East Green*, ou tout ce qui pouvait me mettre en relation avec nos voisins superstitieux et bornés.

Seulement, me « dissimuler » envers et contre tout, n'avait pas arrangé les choses. Loin de là. Je savais maintenant, avec le recul, que ça n'avait fait qu'amplifier cette image sombre que l'on avait de moi.

Hélas, ma grand-mère était entêtée. Bien plus que moi. Impossible de la faire changer d'avis à ce sujet ! Ses origines irlandaises sans doute !

Les superstitions étaient définitivement ancrées dans nos vies. Selon elle, il y avait une raison à tout cela. Un destin bien plus grand. J'avais beau croire que des forces démoniaques étaient à l'œuvre, ce n'était pas son cas.

Tes dons deviendront ce que tu souhaites en faire...

Heureusement, elle m'avait guidée dans cet univers qui s'ouvrait à moi. Elle m'avait enseigné tout ce qu'elle savait des croyances de son peuple et de la Wicca, doctrine familiale selon laquelle toutes énergies et protections se puisaient dans la nature. Mon père, Sean Davidson était un homme exceptionnel, un érudit. Il se passionnait pour les légendes et toutes sortes de magies, mais son côté secret l'avait tenu éloigné des autres de son âge.

Un peu comme moi aujourd'hui...

Sa rencontre avec Mary, ma mère, avait tout changé. Malheureusement, je ne les avais pas vraiment connus. Ils étaient décédés dans un accident de voiture, deux ans après ma naissance. Les deux meilleurs amis de mon père, Patrick Sommers et Manfred Salinger, avaient suivi mes grands-parents lorsqu'ils avaient quitté l'Oregon pour le Connecticut. Ils étaient un peu comme des oncles et je les adorais.

Aujourd'hui, oncle Manfred tenait un snack-Bar sur Mapple Street, près du lycée, tandis qu'oncle Patrick avait été ordonné prêtre à la paroisse St-Gabriel.

Quand j'eus 12 ans, j'acceptai enfin de retourner à l'école. Ce fut difficile, mais je finis par m'habituer aux surnoms, aux moqueries et aux méchancetés. Mon grand-père disait toujours : « L'homme a peur de ce qui est différent ».

Sauf que moi, je n'avais rien demandé. Je souhaitais juste être comme tout le monde. Avoir des amis, étudier, m'intégrer, pratiquer un sport. Des choses simples que vivaient toutes les filles de mon âge.

Pour ces raisons, je décidai de dissimuler mes dons et taire ce que j'avais le malheur d'entrevoir. Mes visions ? Je les gardais désormais secrètes. J'évitais ainsi les drames et les catastrophes. À quoi bon ? Soit on me prenait pour une folle, soit on m'accusait d'être une malédiction. Je laissais, à présent, la fatalité exercer son droit. C'était un peu comme visionner la rediff d'une vieille série en noir et blanc... Aucun suspense, aucun intérêt puisque l'on connaît déjà la fin.

Et puis, il y avait eu un temps d'accalmie. Quelques mois où j'avais eu la véritable impression d'être comme tout le monde. Je sortais avec mes amis, j'allais en cours, je faisais des projets. Bref, j'étais heureuse.

Jusqu'à ce que tout me revienne en pleine figure au centuple !

Mes visions évoluèrent brusquement : elles étaient plus intenses, plus violentes, hors de contrôle, au point de provoquer des crises d'hystérie dans des lieux publics. On m'a rejetée à nouveau et mis au ban de la société comme la mauvaise sorcière que j'étais. Impossible de nier l'évidence désormais : je ne changerais jamais ce que ces gens pensaient de moi. On ne récrivait pas l'histoire. Impossible pour eux d'oublier...

Le plus étrange dans tout cela, c'était le caractère plus personnel de ces fameuses prémonitions. Je ne voyais plus le futur des autres, seulement le mien. Et il était plutôt sombre. Heureusement, au milieu de toute cette obscurité, Zeke illuminait chaque rêve, chaque vision et les rendait plus supportables. Ce que nous partagions était tellement incroyable, magique. J'aimais nos moments tendres et remplis de joie, mais parfois c'était terrible !

Quelque chose de grave se préparait et j'en étais l'épicentre. La peur ne me quittait plus, mais il s'y mêlait une certaine impatiente. Quoi qu'il arrive, un tel amour méritait de prendre vie dans la réalité. Je peinais à croire qu'on puisse m'aimer à ce point. C'était invraisemblable ! Je craignais vraiment que ça ne soit qu'un mirage. Mais s'il y avait la plus infime chance, alors ça en valait la peine.

Zeke...

Je ne me contentais pas de l'attendre. Je l'espérais.

À force de patienter, je commençais à croire que mes prémonitions prenaient du retard sur le temps. Habituellement, il s'écoulait quoi ? Deux jours ? Trois tout au plus, avant que tout ne se concrétise. Mais là, cela faisait des mois que je vivais dans ce tourbillon épuisant. C'était totalement fou quand on y réfléchissait. Comment pouvait-on aimer un garçon que l'on n'avait jamais rencontré ? Sans parler de toutes ces histoires d'Anges et de Démons. Cela semblait bien trop incroyable pour être vrai.

Quant à lui... Mon cœur lui appartenait irrévocablement. J'avais beau minimiser les faits devant mes amis, je savais au fond de moi que nos destins étaient liés. Je le connaissais déjà par cœur : cette façon qu'il avait de passer la main dans ses cheveux quand il s'impatientait. Sa manière de froncer les sourcils lorsqu'il était en colère. Son air maussade, à chaque fois qu'il pleuvait ou encore son aversion pour les jupes trop courtes, la musique trop forte ou la viande trop cuite. Zeke détestait toujours le trop, le too much.

À ces pensées, je sentis un sourire attendri pointer sur mes lèvres ; un sourire qui se figea au souvenir de ma dernière vision. L'inquiétude me serra la gorge.

Je coupai l'eau, m'enveloppai dans un grand drap de bain et regagnai ma chambre d'un pas pressé. Après m'être installée devant ma coiffeuse, j'observai mes brûlures, de plus en plus perplexe. Elles étaient bien réelles. Comme si mon rêve n'en avait pas été un. Je passai de la pommade sur mes mains puis m'habillai à la hâte. Un jean, un tee-shirt à manches longues et mon gros gilet en laine beige. Alors que je démêlais mes cheveux, je songeai à Matt. À chaque fois que je me sentais mal, je me tournais tout naturellement vers lui. Matthias Morgans, de son vrai nom, était mon meilleur ami. Sa famille avait emménagé dans la maison d'à côté, l'été de mes douze ans. C'était Matt qui m'avait convaincue de reprendre les cours.

« Après tout, tu n'es plus seule maintenant. », avait-il assuré.

Pour moi, sa famille représentait tout ce dont j'avais toujours rêvé : un clan uni, un foyer rempli d'amour. Parfois, je m'imaginais en faire partie et il n'y avait rien de plus merveilleux au monde. Mais ce n'était qu'un leurre, comme beaucoup de choses dans ma vie, à cet instant précis.

J'enfilai mes boots marron et me dirigeai vers la fenêtre. Apparemment, Matt dormait encore. Et mes mains qui me lançaient terriblement ! Je passai une bande sur chacune d'elles, puis j'ouvris la fenêtre. Le vent de février s'engouffra dans la chambre, m'arrachant quelques frissons. Tout en réfléchissant au bien-fondé de mon idée, j'enjambai le rebord et me retrouvai perchée sur l'arbre centenaire qui séparait ma maison de celle de mon ami. Une énorme branche rejoignait nos deux fenêtres. Ce détail s'était révélé très pratique à de nombreuses reprises.

Une fois devant les volets fermés, j'hésitai. Je jetai un œil à ma montre, avant de grimacer : 5 h 30.

Un peu tôt !

Finalement, je me décidai à toquer. Une lampe s'alluma et le volet s'ouvrit pour laisser apparaître la mine ensommeillée de mon voisin. Ses cheveux que je qualifierais de « tignasse » semblaient dressés sur le sommet de sa tête et ses yeux bleus électriques lui conféraient un air diablement sexy. Sauf pour moi, bien sûr. Matt était le grand frère que je n'avais jamais eu. Il soupira et poussa le loquet, tandis que je lui souriais piteusement.

— Cauchemar ? hasarda-t-il en m'invitant à entrer.

Je sautai sur le lit qui se trouvait juste sous la fenêtre et m'enroulai dans les couvertures avant de me laisser choir sur le tapis. Après quelques secondes d'hésitation, Matt s'assit en face de moi. Il passa la main sur son visage à plusieurs reprises.

— Désolé, il est tôt ! m'excusai-je.

— Ça devait être un sacré truc. D'habitude, tu attends qu'on se retrouve devant chez toi pour me sauter dessus !

Comme je gardai le silence, il prit doucement ma main.

— Alors ? Vas-y raconte...

J'extirpai mes mains des couvertures et les lui tendis. Son regard exprima une gravité familière. La même à chaque fois qu'il était question de mes maudites visions. Il saisit mes poignets avec précautions et commença à retirer les bandages. En apercevant mes brûlures, il laissa échapper quelques jurons.

— Bordel Hannah ! D'où ça vient ? Tu ne t'es pas ratée.

— Comme d'hab', grommelai-je. Aïe ! Arrête ! Ça me tire !

— Pas étonnant. Juste pour info, on ne recouvre pas ce type de blessure. Il faut laisser la peau respirer.

— Oui, Docteur Morgans, répondis-je d'un ton où perçait une pointe d'amusement.

Matt me sourit gentiment. Ça n'était pas un secret : il ferait médecine après le lycée.

— Bon, raconte ! Tu as réussi à piquer ma curiosité sur ce coup-là.

— C'est pour bientôt, soupirai-je.

— Ah ! Et qu'est-ce que je suis censé comprendre ?

Je me mordis la lèvre, hésitant à poursuivre. Je savais très bien quelle serait sa réaction.

— Hannah ? insista-t-il.

— Je suis morte.

Comme je m'y attendais, il lâcha un grognement. Ses prunelles reflétaient une exaspération compréhensible.

— Encore !

— Ça commence à devenir lassant, hein !

— Carrément. Mais ça n'explique pas pourquoi tes mains sont recouvertes de brûlures !

— Je crois que c'est une manière de me montrer que je n'ai plus beaucoup de temps.

— Oh là ! Pas forcément, tenta-t-il de me rassurer. Ne soyons pas si négatifs. T'as peut-être mal interprété ou un truc du genre...

— Un truc du genre ? Mes mains ont pris feu, puis j'ai eu droit à un exercice de combustion spontanée !

Matt me dévisageait toujours d'un air tracassé. Comme moi, il ne comprenait pas pourquoi la fatalité tardait autant à faire son job. Nous vivions depuis six mois dans cette attente insupportable. Et maintenant, je me voyais mourir.

— C'est plus possible, Hannah. Il faut en parler à ta grand-mère.

— NON !

— Mais regarde tes mains, enfin !

— Ça va! m'emportai-je. J'avais remarqué !

— Alors laisse les adultes gérer ça ! On n'a pas la carrure !

— Pour qu'ils m'enferment encore ? Non ! Leur inquiétude est touchante, mais me barricader à double tour ne changera rien au problème. On va venir pour moi, Matt. Et très bientôt !

Mon ami m'étreignit de toutes ses forces. Il avait peur et il avait bien raison.

— Il faut que ça cesse, Han ! Plus le temps passe et plus tes cauchemars deviennent horribles. Tu comptes aller jusqu'où comme ça ? Non, mais regarde-toi ! Tu es à cran, tu ne dors plus. À ce rythme, tu ne seras jamais en état d'affronter ce qui se prépare.

— Et tu proposes quoi ? Être insomniaque n'est pas une vocation, j'te signale. C'est ce que l'on fait faute de mieux !

Matt leva les yeux au ciel. Le pauvre ! Parfois, il m'arrivait de mettre sa patience à rude épreuve.

— On va s'organiser, OK ? Garder quelqu'un avec toi la nuit, j'sais pas... On va en discuter avec les autres et...

— Qu'est-ce que ça changera ? ! m'exaspérai-je.

— J'en sais rien, mais l'union fait la force !

J'esquissai un sourire triste. Je n'avais pas sa foi, malheureusement. Ce don était mon fardeau et sa manifestation inaltérable. Et puis, je tenais à notre cercle d'amis comme à la prunelle de mes yeux. Je culpabilisais de les entraîner constamment dans mes galères !

Valentine Delacroix, ma meilleure amie avait emménagé un an après Matt. Son père était un riche politicien qui briguait la mairie ; il avait obtenu gain de cause, trois ans auparavant. Et Val était devenue la « vraie fille » du groupe comme je le disais souvent en riant. Toujours apprêtée et si gracieuse, elle était ma confidente et son enthousiasme nous apportait un vrai bol d'air frais.

William Loomis et Masaïto Ogawasan arrivèrent pendant leur première année de lycée. Will était le « beau gosse » par excellence : blond, bronzé, sportif, sûr de lui, forte tête. Il avait souvent été d'une aide précieuse face aux intolérants. Toujours prêt à monter en première ligne !

Saïto, lui, devint très vite la victime préférée des lycéens. Son côté un peu efféminé additionné à ses origines japonaises le désignaient comme une cible idéale pour les étroits d'esprit. Par compassion, j'avais pris sa défense et depuis on ne l'ennuyait plus, par crainte des représailles de « la Sorcière ».

Le second semestre de notre dernière année de lycée était, maintenant, bien avancé et nous étions plus soudés que jamais.

Le soleil perça à travers les rideaux de la chambre, signe qu'il faudrait bientôt se bouger si on ne voulait pas être en retard en cours. Matt s'étira en baillant et se leva prestement.

— J'appellerai Will et Saïto pour les prévenir. Tu t'occupes de Val. Je file sous la douche et on se retrouve chez toi !

— Ça marche ! De toute façon, je dois préparer mon sac.

— On prend le petit-déj' avec tes grands-parents ?

— Pas moyen d'y couper ! affirmai-je en roulant des yeux. J'ai plus peur de grand-ma que de toutes les créatures de l'Enfer réunies !

Il s'esclaffa en sortant quelques vêtements.

— Je t'avoue qu'elle me fait un peu flipper aussi !

— Tu vois !

Il s'éloigna vers sa salle de bains avant de revenir sur ses pas.

— Courage ! ajouta-t-il en m'adressant un clin d'œil.

Je lui mimai un bref « au revoir » de la main avant d'enjamber de nouveau la fenêtre et effectuer le chemin en sens inverse. Une fois dans ma chambre, j'appelai Valentine et tombai sur sa messagerie. Je lui résumai rapidement la situation et lui demandai de nous rejoindre au bar d'oncle Manfred. Je préparai ensuite distraitement mon sac et m'en saisis avant de rejoindre mes grands-parents sûrement déjà debout.

Je dévalai les escaliers et me dirigeai vers la cuisine.

— Bonjour ! proclamai-je sur un ton faussement enjoué en entrant dans la pièce.

C'était un endroit très chaleureux et sans fioritures. J'adorais m'y attarder. Il occupait toute la surface arrière de la bâtisse et une grande baie vitrée y laissait entrer le soleil. Le bar et les meubles en bois clair ajoutaient une note conviviale à l'aspect général. Grand-pa et grand-ma étaient bien attablés en train de manger comme je l'avais prédit. Je m'installai face à eux puis me versai un grand verre de lait. Sous le regard moqueur de mon grand-père, je pris trois gros muffins à la vanille. Il fallait bien admettre que ça creusait l'appétit de se faire tuer !

— Tu sembles bien nerveuse, ce matin. Tout va bien ? demanda-t-elle.

Avec effort, j'affichai mon plus merveilleux sourire.

— Bien sûr. C'est juste que... Je n'ai pas très bien dormi. On a une interro d'histoire, aujourd'hui, et tu sais bien que, moi, l'histoire... À part ce qu'il s'est passé hier...

Grand-pa me fixa d'un air taquin.

— Dans ce cas, cela t'aidera peut-être, railla-t-il en me tendant le journal du jour.

— Bonne idée ! Je pourrais toujours lancer quelques arguments sur l'inutilité des guerres actuelles lorsque l'on voit ce qui est ressorti des anciennes !

Mes grands-parents échangèrent un regard complice où brillait cette lueur amusée que je réveillais souvent.

— Hannah Mary Davidson ! m'apostropha grand-ma d'une voix faussement grondeuse. J'espère que tu as révisé correctement pour ce devoir !

À cet instant, Matt entra par la porte-fenêtre de la cuisine.

— Vous en faites pas, affirma-t-il en guise de « bonjour », Nous avons bossé comme si nos vies en dépendaient.

Je n'appréciai que moyennement l'allusion. Comme si je n'étais pas capable de bosser toute seule ! En croisant le regard entendu de Matt, je m'abstins de toutes rebuffades. Ce n'était un secret pour personne que je haïssais cette matière.

— En plus, ça compte pour un tiers de la note finale. Et M. Tingles donnera les binômes pour les exposés à rendre en mai, juste avant les exams.

Mon meilleur ami piqua un muffin en haussant les épaules.

— Tant que je ne me retrouve pas avec James St-Martin, Môsieur le puritain, expert du massacre de Salem !

— Et moi, t'imagines la Sorcière et l'inquisiteur ?

Mes grands-parents se contemplèrent sans parvenir à dissimuler leur inquiétude.

— Sois prudente quand même, recommanda mon grand-père. Tes dons attirent beaucoup l'attention. Tu dois être plus discrète et ne te fier qu'à tes proches.

Je levai les yeux au ciel avant de donner le signe du départ à Matt.

— Grand-pa a toujours cru à la théorie du complot !

— Ravi que ça t'amuse, marmonna-t-il.

J'embrassai prestement mes grands-parents, pressée de fuir leur attention un peu trop clairvoyante à mon goût, quand ma grand-mère ajouta :

— Je suppose que ça ne sera pas encore aujourd'hui que nous aborderons le problème de tes cauchemars, alors...

Je trébuchai sur le rebord de la porte-fenêtre et me retournai brusquement, interloquée.

— Tu savais ?

Grand-ma continuait tranquillement de débarrasser la table sans cacher son agacement.

— Évidemment. Je n'ignore rien de ce qui se déroule sous mon toit !

— Je croyais...

— Tu avais tort ! s'exclama-t-elle. J'appartiens à une lignée sacrée qui existe depuis la nuit des temps. Elle a vu naître des druides, des érudits, des mages et bien d'autres choses encore. L'art des magies a toujours tenu une grande place dans notre famille et c'est pour cela que ton grand-père et moi-même n'avons pas été surpris d'apprendre que tu avais des dons. D'ailleurs, nous trouverions normal d'en voir apparaître d'autres, d'ici quelque temps.

— Non merci, m'exclamai-je aussitôt. Celui-là est déjà assez difficile à gérer comme ça !

— Hannah, si tu as besoin de parler de quoi que ce soit, hasarda mon grand-père avec gentillesse, quelque chose qui te tracasserait, on est là... Tu peux compter sur nous. Tu le sais, n'est-ce pas ?

J'hésitai. Matt me fixait d'un regard qui ne trompait pas : « Dis-leur, bordel ! »

Mais je passai outre.

— Tout va bien. Vraiment... Rien de plus extraordinaire que d'habitude.

Ils restèrent dubitatifs, mais n'insistèrent pas davantage.

— À ce soir, ma puce, soupira ma grand-mère sans se départir de son sourire.

Ses yeux posés sur moi semblaient lire jusqu'aux tréfonds de mon âme. Je sortis en hâte, suivie de près par Matt. Une fois que nous nous fûmes suffisamment éloignés de la maison, mon ami explosa.

— Mais bordel, pourquoi t'as rien dit ? T'espères quoi ? Une médaille pour ton incroyable courage ? Parce que là, perso, je meurs d'envie de te secouer comme un prunier !

L'ignorant superbement, je continuai d'avancer comme si tout allait bien.

— Hé, j'te parle, Hannah ! Tu sais que nous sommes complètement dépassés ! Vois avec tes oncles, si tu préfères, mais bouge-toi ! De toute manière, si tu ne leur dis pas, moi je le ferai.

Cette fois, je stoppai net.

— T'as pas intérêt ! Leur manière de me protéger est complètement archaïque ! Depuis la mort de mes parents, ils me traitent comme si j'étais en cristal et ça commence à devenir invivable. Si je leur annonce que je suis en danger, je n'aurai plus de vie du tout !

Nous continuâmes à marcher sans prononcer un mot. Le silence entre nous n'avait jamais été un problème jusqu'à aujourd'hui. Il y avait tellement de non-dits en cet instant. Il fallait que nous surpassions tout ça. Plongés dans nos pensées, nous n'aperçûmes pas tout de suite Valentine courir vers nous. Elle s'arrêta à notre hauteur, essoufflée et resplendissante. Ses cheveux blonds étaient remontés en un savant chignon sur le dessus de sa tête et elle était joliment maquillée. Sa jupe en velours noir était plus courte que mon gilet et ses bottes assorties avaient des talons vertigineux.

Un peu trop voyant pour moi !

— J'ai eu ton message ! Qu'est-ce qui se passe ? C'est à propos de ton beau gosse ?

Matt prit un air affligé. Toujours quand il était question des extravagances de notre amie. Impossible de lutter contre son romantisme et son excentricité. On lui racontait une histoire toute simple et elle la transformait immédiatement en une sorte de conte de fées des temps modernes.

— Il est un petit peu plus que ça, Val ! Si tu pouvais éviter de réécrire l'histoire, ça serait vraiment sympa de ta part.

— Si on ne peut même plus rêver...

— Y'en a qui aimerait que ça s'arrête ! répliqua Matt sombrement.

Valentine se tourna vers lui.

— Hein ?

— Ne fais pas attention. Matt n'a pas assez dormi cette nuit !

— La faute à qui ? grogna-t-il.

Val ne cessait de balader son regard de lui à moi et vice versa, de plus en plus perplexe.

— Bon, quelqu'un va m'expliquer, à la fin ?

— Hannah a fait un cauchemar. Du genre extrême !

— Y'avait ton beau... hum... tu vois quoi !?

— Oui, soufflai-je. Il est dans chacune de mes visions, ces derniers temps.

— Et ? s'enthousiasma Valentine

— Et je suis morte.

— Ohh !... Encore ?

— Ce ne sont que des cauchemars Valentine, rappela calmement Matt.

Il avait besoin de s'en convaincre autant qu'il tentait de la rassurer.

— Oui, mais ils se réalisent toujours, donc...

— Donc pour l'instant, je suis bien vivante et je ne vais pas me laisser tuer aussi facilement.

Matt afficha son premier sourire depuis le petit-déjeuner.

— Ravi de te l'entendre dire !

— Les cours ne commencent que dans une heure. Et si on prendre un latte Chez Manfred ?

— J'te suis, répondit Matt.

— Je préviens les garçons pour qu'ils nous rejoignent là-bas ! proposa Val en sortant son portable. On leur racontera.

— J'aurai peut-être l'occasion de voir oncle Manfred.

Et pour la deuxième fois de la matinée, Matt me sourit. Il ne restait jamais fâché très longtemps, mais il était particulièrement chatouilleux sur ce sujet. Il faudrait vraiment que l'on trouve un moyen de me garder en sécurité ou nos disputes risquaient d'être de plus en plus rapprochées. Pour l'heure, je profitai de cette accalmie et me blottis contre lui.

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