Tainted hearts (Tome 1) Publi...

By jennguerrieri

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Élève à la section danse de la Juilliard School, un prestigieux conservatoire situé à New York, Ally Owen com... More

Résumé - Tainted hearts
Trailer Tainted hearts 🎥
1. Effervescence
3. "Chain"...
4. Attente
5. Échange conflictuel
6. Mise au point
7. Owen
8. Lien renoué
Sortie Tainted Hearts (tome 1) en papier et numérique 📚
Sortie Tainted Hearts (tome 2) en papier et numérique 📚
Sortie Tainted Hearts (tome 3) en papier et numérique 📚

2. Discipline

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By jennguerrieri

Ally

— Maintenant, passez au second enchaînement, exige notre professeure.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Les danseurs de ma promo s’exécutent sans broncher à la barre, fixée au mur du studio.

Les cheveux attachés en chignon et vêtue d’une longue robe noire, madame Rivera est connue pour se montrer intraitable avec ses élèves. Néanmoins, au-delà de son expression fermée et de son allure rigide qui pourrait donner les chocottes à n’importe qui, cette quadragénaire fait incontestablement partie des meilleures enseignantes dans le domaine de la danse classique. La femme longe notre rangée en surveillant nos moindres mouvements. Personne n’échappe à son œil de lynx.

Le pianiste qui nous accompagne continue de jouer les notes du prélude de la Première suite pour violoncelle de Bach – un soutien musical destiné à nous faire garder le rythme, comprendre quel dynamisme choisir et ne pas perdre la notion du temps. La musique doit définir le caractère de nos pas. Et nos pas doivent s’accorder avec la musique. Toujours.


La main gauche appuyée sur la tringle de bois pour maintenir l’équilibre, nous mettons à exécution les indications de madame Rivera. Relevés sur pointes, bras surélevé, doigts souples, posture droite, nos mouvements se succèdent avec propreté.

La danse classique demande une grande concentration. Nos gestes doivent s’enchaîner avec le plus de justesse possible : précision, coordination et rigueur sont de mise. Le travail quotidien demeure indispensable pour maintenir la souplesse et l’élasticité du corps.
Bientôt, le clou du spectacle arrive. Prenant appui sur la partie rigide de nos chaussons, nous nous redressons et élevons avec grâce notre bras. Sans ciller, nous maintenons cette position, comme si cela ne nous demandait aucun effort. Il faut donner une impression de naturel. Les pointes représentent l’un des exercices physiques les plus complexes et techniques. Ce mouvement donne l’illusion de porter le poids de notre corps sur la pointe du pied, alors qu’en réalité, nous tenons appui sur la cambrure. L’acquisition de cette technique peut prendre entre six mois et trois ans. Voire plus. Après avoir corrigé la posture de certains élèves, madame Rivera termine le cours par une séance d’assouplissements, vitale pour détendre nos muscles échauffés.

— Bon travail, tout le monde. À demain ! nous lance-t-elle.

Les étudiants relâchent la barre, certaines filles libèrent leur chignon, tandis que d’autres s’hydratent avec des gourdes d’eau. Moi, je m’empresse de retirer mes pointes et de palper ma nuque pour apaiser les tensions. Je n’ose regarder mes pieds pansés et bleuis d’hématomes. C’est le prix à payer. Mon corps reste mon outil de travail, alors j’en prends soin autant que possible. Dès qu’une douleur survient au niveau de l’un de mes membres, je cesse l’effort, puis je me masse en soulageant les zones endolories avec de la glace. Et dans le pire des cas, si ça persiste, je file voir un spécialiste.

Il faut savoir écouter son corps pour comprendre les signaux qu’il nous envoie. Le risque de fracture liée à la fatigue est fréquent. C’est la bête noire des danseurs. Ma hantise, car cela veut dire être en arrêt et rester bloquée chez soi pendant des semaines. Moi, je suis incapable d’être cloîtrée entre quatre murs. J’ai besoin de bouger, de m’exprimer par les mouvements.

Cette passion de la danse m’est venue dès l’enfance. Quand j’avais huit ans, je suis tombée par hasard sur une représentation du ballet Le Lac des Cygnes à la télévision. Je suis restée subjuguée par le pas de deux de la Française Sylvie Guillem avec Manuel Legris. C’est d’ailleurs dans ce rôle qu’elle a été nommée étoile. Depuis ce jour, j’ai su que c’était ce que je voulais faire de ma vie. En dépit des doutes survenus lors de mon tout premier cours de danse, je n’ai rien lâché. J’ai mis des années pour assouplir mon corps, j’ai fait des sacrifices, parce que ma volonté demeure sans faille. Un jour, moi aussi, j’obtiendrai un rôle pour les plus grands ballets, comme Carmen ou encore Casse-Noisette. Ouais, j’y crois dur comme fer, et davantage aujourd’hui.

En dernière année de ma formation à la très réputée Juilliard School de New York, je n’ai jamais été aussi proche de réaliser mon rêve : intégrer le corps de ballet de l’Opéra de Paris. L’une des plus prestigieuses et anciennes compagnies de danse. Là où se dresse la scène la plus majestueuse du monde. Le concours d’entrée est programmé l’été prochain, dans dix mois exactement. Nous sommes en septembre, il me reste encore du temps pour boucler mon dossier d’inscription. Je suis plus déterminée que jamais à réussir.

Personne ne m’empêchera de décrocher les étoiles.

Je me relève, mes pointes en main, et suis les gens de ma promo qui sortent de la salle de cours. Bientôt, les garçons et les filles se séparent en regagnant leur propre vestiaire. Une fois à l’intérieur, je récupère mes vêtements de rechange. À la minute où je referme mon casier d’un coup sec, une voix incisive claque derrière mon dos.

— Eh, Ally !

J’abaisse les paupières, mords ma lèvre inférieure presque jusqu’au sang et lâche finalement un long soupir agacé.

Il ne manquait plus qu’elle...

— Toujours pas décidée à te casser ?

Après tes derniers semestres chaotiques, je ne pensais plus te revoir ici, s’esclaffe la fille.
Ses mots virulents m’égratignent bien plus que je ne veux l’admettre. Je garde malgré tout une expression immuable et virevolte vers cette personne qui aime m’en faire voir de toutes les couleurs depuis ma première année à l’école.

Tiffany Jones.

Sans doute l’élève la plus talentueuse de notre promo. Mais aussi la plus détestable. Sans surprise, la jeune fille au carré brun se trouve accompagnée par ses deux sbires préférées : Eva et Lucy. Un beau trio d’insolentes qui aiment rabaisser les autres pour mieux se sentir briller.

Je les scrute avec le même regard condescendant qu’elles, et un sourire ne tarde pas à s’inviter aux commissures de mes lèvres. Un sourire superficiel, faux, mesquin. À leur image.

— Navrée pour toi, Tiff’, tu vas devoir me supporter jusqu’à la fin de l’année, riposté-je, l’air faussement compatissante.

Face à ma moue exagérée, la brune se renfrogne. Son point faible, c’est qu’elle ne se montre jamais patiente. Tiffany s’emporte vite, c’est ce qui effraie les filles autour de nous, qui font la sourde oreille. Moi, ça ne m’intimide nullement. C’est bien pour cette raison qu’elle me prend en grippe. J’ose la confrontation. Elle sait que je peux encaisser les coups, ça lui fait peur, alors elle poursuit son harcèlement moral dans l’optique de me faire craquer. Et bien sûr, elle le fait toujours accompagnée, jamais seule...

Tu parles d’une preuve de courage...

— T’as raison d’être navrée, l’idée de devoir supporter tes cheveux orange pendant des mois me répugne, grimace-t-elle.

Je lève les yeux au ciel sous les éclats de rire des potiches. Réplique dépourvue d’originalité et qui, en plus, se révèle discriminante envers toute la communauté rousse. Ça vole très bas. Faire l’objet de brimades et de moqueries à cause d’une couleur de cheveux, c’est juste navrant. Qu’ils aillent tous se faire voir, il est temps que la rousseur se revalorise !

Je souffle et regarde mes ongles.

— Ah ! Ma Tiff’… t’es si prévisible. Renouvelle un peu tes punchlines, parce que tu deviens lassante. Je compte sur toi pour me surprendre, la prochaine fois. Je veux avoir le crâne fracassé en deux, la mâchoire décrochée et les yeux sur le point de sortir de leurs orbites ! Allez, je laisse ton imagination travailler, et ne triche pas en surfant sur les pages Google ! Je veux vraiment que ça vienne de toi.

Sur ces belles paroles, je laisse le trio infernal en plan et m’enferme à l’intérieur d’une cabine de douche. Je pose mes mains sur la paroi et baisse la tête pendant que l’eau chaude tombe sur mes épaules. La douleur de mes muscles s’alanguit. Je me savonne en repensant aux remarques parfois acerbes de mes professeurs, parce que Tiffany a raison : mes derniers semestres ont été chaotiques. D’ailleurs, cette année, j’ai manqué de peu le redoublement.

« Ally, ta tenue du dos et des bras est très mauvaise ! », « Aucune continuité dans ton travail, qu’est-ce qui t’arrive ? », « Tes pirouettes sont médiocres. », « Tu ne progresses pas. »

Comme dans beaucoup d’autres domaines, le monde de la danse se montre impitoyable. Il faut avoir le cœur bien accroché. La plupart des personnes inscrites dans un conservatoire ne sont pas là pour se faire des amis. Même si ça n’a pas toujours été le cas, l’esprit de compétition est ancré dans notre promo. Au départ, j’en ai souffert, car je suis plutôt du genre loyal et solidaire. Mais pour rentrer dans le moule, j’ai dû me construire une carapace et forger mon caractère.

Pourtant, malgré les crasses de mes camarades, je continue d’adopter un comportement irréprochable. J’arrive en avance pour chaque cours, je m’entraîne en dehors de la formation, je souris, j’écoute mes profs. Lors de mes mauvais semestres, j’ai même guetté les dernières années derrière les grandes vitres des salles de danse pour imiter leurs gestes. Ça m’a permis de mieux comprendre ce que je devais améliorer, ce qui m’a sauvée et évité un redoublement.

Une fois lavée et séchée, j’enfile mes vêtements. Un slim noir et un haut vert à manches longues qui laisse mes épaules découvertes. Je sors de la cabine de douche et constate que mes meilleures rivales se trouvent toujours là. Je les ignore, lace mes Converses blanches, puis récupère mon sac. En sortant du vestiaire, je sens leurs regards noirs dans mon dos. Je brandis mon majeur sans me retourner. À ma plus grande satisfaction, j’entends Tiffany pester.

Je déambule par la suite au milieu de l’immense hall du conservatoire. Baies vitrées, formes géométriques en bois brun et métal, l’architecture du bâtiment se montre moderne. En chemin, je croise des étudiants tenant entre leurs mains une peluche à l’effigie d’un pingouin vêtu d’un sweat bleu : la mascotte de notre école. Je souris. Moi aussi, j’en ai une sur le bureau de ma chambre !

La Juilliard est une école spécialisée dans les arts du spectacle : théâtre, musique et… danse, celle dont je fais partie. Les locaux se situent au Lincoln Center, nous ne sommes d’ailleurs pas très loin de Central Park. Sa localisation fait rêver. De toute manière, absolument tout ici fait rêver. Quand vous foulez le sol de cet endroit la première fois, vous êtes forcément intimidé, puis après, quand vos batteries sont rechargées à bloc, vous donnez le meilleur de vous-même afin de briller.

Près d’un millier d’étudiants sont inscrits chaque année ici. Il y a même plusieurs célébrités qui ont été élèves en ces lieux, dont l’acteur Robin Williams, ou encore le trompettiste Miles Davis.

Je sors de l’établissement et m’arrête devant l’entrée pour fouiller dans mon sac. Je récupère mon téléphone et me statufie sur place. Plus d’une dizaine d’appels manqués. Tous proviennent d’une seule et unique personne : mon meilleur ami, Julian.

J’écarquille les yeux et le stress m’envahit. Ça ne lui ressemble pas de s’acharner comme ça. Peut-être qu’il s’est passé quelque chose de grave ? Le cœur battant, je le rappelle sur-le-champ. Cinq secondes lui suffisent pour décrocher.

— Bordel de merde, enfin ! s’écrie-t-il.

— Est-ce que tout va bien ? m’affolé-je.

Des scénarios aussi sombres les uns que les autres trottent dans ma tête : un décès familial, un licenciement, un accident de la route, ou alors un cancer des poumons déclaré à cause de tous les paquets de cigarettes qu’il fume chaque semaine...

— Détends-toi, j’ai pas la gale, plutôt une super nouvelle à t’annoncer, tu ne vas jamais me croire ! J’en tremble encore !

Immédiatement soulagée, j’expire l’air bloqué dans mes poumons.

— Et c’est quoi, cette « super nouvelle » ?

— Il faut que je te le dise en face. Rendez-vous dans une demi-heure au Starbucks de Lexington Avenue.

— Hein ? Attends, tu me prends de court, je…

— M’en fous. À tout de suite ! me coupe-t-il.

Julian me raccroche au nez sans même me laisser le temps d’en placer une. Je rumine, car j’avais en tête de rentrer chez moi, m’allonger sur mon lit, mater des séries sur Netflix, soigner mes pieds et me coucher tôt pour récupérer des forces.

Je fais craquer ma nuque d’un seul mouvement et finis par me diriger vers la bouche de métro la plus proche. En cette fin d’après-midi, le soleil commence à décliner dans le ciel. J’enfile mes écouteurs et les branche à mon portable. Je lance une playlist en mode aléatoire et mon cœur s’allège dès l’instant où les premières notes de piano de Moonlight Sonata, un morceau phare de Beethoven, s’insinuent dans mes oreilles. J’adore cette mélodie, elle me donne envie de danser.

La musique classique est le genre que je préfère écouter. Pour autant, ça ne m’empêche pas de m’intéresser à plusieurs styles comme le rap, le reggae, l’électro, la pop et bien d’autres.

C’est mon moment d’évasion, je m’enferme à l’intérieur d’une bulle de bien-être et plus rien ne compte, à part ce son qui m’emporte ailleurs.

J’entre dans la rame de métro puis m’assois sur une banquette vide, les épaules dressées et le dos droit, en m’appliquant bien à ne croiser le regard de personne. En quelques minutes, me voilà de l’autre côté de l’île de Manhattan. Je retire mes écouteurs lorsque j’arrive à l’adresse indiquée par mon meilleur ami.

Je pousse les portes du Starbucks, où les clients affluent. Toutes les tables sont prises et parmi la foule, je repère Julian sur une chaise haute, en train de pianoter sur son téléphone à la vitesse grand V. Il ne remarque pas tout de suite ma présence, ce qui me donne le loisir d’admirer les traits de son beau visage juvénile. Sa tignasse brune décoiffée lui donne un côté négligé qui a la cote auprès de ses admirateurs, sans parler de ses yeux marron aux éclats d’or et de caramel qui fusionnent à merveille avec sa peau mate héritée de ses origines latines.

Julian aime prendre soin de lui : féru de sport, il ne lésine pas sur les footings et va à la muscu chaque week-end pour entretenir son corps d’athlète. Côté vestimentaire, il gagne aussi des points. Aujourd’hui, il a jeté son dévolu sur une chemise en jean ainsi qu’un pantalon noir qui moule ses cuisses musclées. Il ne passe pas inaperçu et il le sait, alors parfois, il en joue.

D’ailleurs, je viens de remarquer deux filles à une table voisine qui lui adressent plusieurs regards intéressés. Hélas pour elles, Julian n’appartient pas à ce bord-là.

Mon meilleur ami m’aperçoit enfin. Il me renvoie un sourire éblouissant, puis tapote le tabouret libre à côté de lui. Je m’avance et, lorsque j’arrive à son niveau, il se lève pour me serrer dans ses bras avec entrain, sous le regard déçu des clientes. Je m’installe sur la chaise haute tandis que Julian agite sous mon nez ma boisson préférée, qu’il vient de commander pour moi : un caramel macchiato. Je l’aime. En plus, il a pensé au supplément chantilly. Je l’embrasse sur la joue.

Coup dur pour les filles derrière lui, les visages se renfrognent. Je sens leurs poils se hérisser et je peux même entendre des pensées injurieuses à mon égard. Tant pis. Ce n’est pas comme si c’était la première fois que ça arrivait.

— T’es canon, aujourd’hui ! le complimenté-je.

Il écarte les bras, comme s’il s’agissait d’une évidence.

— Canon tous les jours, plutôt !

Dans son élan, il manque de renverser son gobelet. Finalement, il le rattrape de justesse et souffle un « ouf » mi angoissé, mi-soulagé. Je m’esclaffe aussitôt et il se joint à moi, ce qui nous vaut l’attention de tous les clients.

À ce jour, Julian demeure la personne avec laquelle j’ai échangé le plus de fous rires. Comme moi, il fait preuve d’ambition et sa joie de vivre illumine mes journées. C’est mon rayon de soleil, ma bouffée d’air frais. On se connaît depuis le collège et je me souviendrai toujours de notre rentrée en classe de sixième. Julian, qui venait d’emménager dans la petite ville de Childesburg avec ses parents, s’est assis à côté de moi au fond de la classe et, après un furtif regard assorti d’un compliment sur ma couleur de cheveux, notre complicité est née.

Depuis, une forte amitié s’est tissée et n’a jamais cessé de s’étoffer. On traînait ensemble lors des récrés, il venait souvent dormir chez moi, et aujourd’hui encore, on passe le plus clair de notre temps à discuter de tout et de rien.

Je connais ses secrets, il connaît les miens. Quand je suis triste, il est triste. Quand j’éclate de rire, il éclate de rire. Nous nous comprenons sans même échanger un mot.

Nous avons grandi tous les deux dans l’État de l’Alabama et, par un concours de circonstances, nous nous sommes retrouvés ici, ensemble, dans la tentaculaire ville de New York. Julian reste mon principal pilier. Sans lui, j’ignore ce que je ferais.

Et j’ignore si je m’en serais sortie.

Depuis quelques mois, il travaille en tant que journaliste au très prestigieux New York Times. Ouais, rien que ça. C’est sa vocation, son métier de rêve. Il a toujours eu un goût prononcé pour l’écriture. Politique, sport, économie, culture… Des tas de sujets l’intéressent, il se montre curieux et ouvert d’esprit, mais surtout, il aime se retrouver au cœur de l’action lors d’un événement. La passion du terrain et de l’information, il l’a dans la peau.

— Alors, monsieur le reporter ? Je crois que vous avez quelque chose à m’annoncer, lui signalé-je.

Ses yeux pétillent d’excitation et moi, je trépigne d’impatience. Il porte son gobelet à sa bouche, boit une petite gorgée, puis le repose avant d’inspirer un bon coup. Exprès pour me faire languir !

— On m’a proposé un truc génial. Encore plus génial que d’écrire des articles sur Evann Black !

Mes sourcils se froncent.

— Evann Black ?

Julian me dévisage comme si je débarquais d’une autre planète. Je me contente de battre des cils d’un air hébété.

— Ally, t’es sérieuse ? Evann Black, le criminel d’Arizona en cavale depuis des mois ! Ce gars est juste diablement… sexy. Ses prunelles noires, ses cheveux…

— Depuis quand tu fantasmes sur un criminel, toi ? C’est totalement insensé !

Il lève les yeux au plafond.

— Pas du tout ! L’interdit, ça attire.

— Si tu le dis…, lâché-je, la mine perplexe.

Je trempe à peine mes lèvres dans mon macchiato, puis m’essuie la bouche à cause de la chantilly avant de le relancer :

— Donc, cette nouvelle, c’est… ?

Il brandit sa main et plie ses doigts de manière à faire un signe étrange qui ressemble à deux cornes. Impassible, je reprends une gorgée de ma boisson chaude, mais mon cœur, lui, ne se montre pas insensible. Une petite douleur aiguë vient l’assaillir.

Allez, c’est rien. Arrête un peu ta paranoïa...

— Un truc lié au rock, supposé-je.

— Ouais ! Je vais interviewer les Chainless ! Tu te rends compte ? s’écrie-t-il avec un peu trop d’enthousiasme.

Des clients du Starbucks se retournent dans notre direction, et d’ailleurs, certains nous adressent même des regards peu amicaux.

— Ça va, détendez-vous ! C’est pas une bibliothèque, ici ! peste Julian à leur encontre avant de reporter son attention sur moi.

Je me sens bizarre, mais mon meilleur ami semble tellement ravi par cette opportunité que je camoufle du mieux que je peux ce mal qui me noue les entrailles. Je tends ma main vers lui et il me fait aussitôt un high five.

— Je suis fière de toi !

Son sourire s’étire, il baigne dans l’allégresse.

— Merci ! Tu connais le groupe, pas vrai ?

Un ange passe. Plus les secondes défilent, plus le malaise s’installe. Les Chain… quoi, déjà ? Julian plaque une main sur son front avec une expression désemparée.

À la rigueur, ABCD, ou peut-être ACBD… Bref ! Le groupe avec les quatre lettres en majuscule, j’aurais tilté, mais là… je ne vois pas.

— Ally, tu vis dans une cave ou quoi ? Les Chainless ! Ceux qui ont électrisé les plus grandes scènes des États-Unis ! Ceux qui pulvérisent les ventes de disques ! Ceux qui retournent littéralement l’industrie de la musique ! Ils font sensation en ce moment, c’est impossible que tu sois passée à côté !

Je hausse les épaules, pas vraiment enthousiaste face au topo qu’il vient de me déballer sur eux.

— Tu sais très bien que ce n’est pas mon truc, les rockeurs, les voix caverneuses, les pogos, Satan et tout ça…

— « Satan » ? Tu crois vraiment qu’ils égorgent des vaches lors de rituels sataniques ? glousse-t-il.

— Qu’est-ce que tu en sais ? Peut-être qu’ils font partie d’une secte ?
Il me fixe avec une moue railleuse, puis se contente de m’en dire plus sur eux :

— C’est un groupe qui a fait ses débuts à Los Angeles. Ils ont été repérés là-bas par un célèbre producteur de musique. Leur premier album est sorti l’année dernière, il a très vite cartonné. D’ailleurs, là, ils viennent de terminer leur première tournée. Ils sont de retour à New York pour travailler sur leurs prochains titres. Je continue ?

— Est-ce que le grand rédacteur Julian Coles n’est pas trop nerveux à l’idée de les rencontrer ?

Il se mord la lèvre.

— T’imagines pas à quel point je suis stressé ! Je vais avoir sous mes yeux quatre magnifiques mâles. Il ne faut surtout pas que je me mette à bégayer en leur posant des questions.

— « Quatre magnifiques mâles » ?

Rien que ça ! Et quand aura lieu l’entretien ?

— Demain ! Je me retrouverai face à Alden Hayes, Chester Hanson, Matt et Yann Miller. Ils ont tous vingt-trois ans, sauf Matt qui en a vingt et un. Je suis sûr que toi aussi, tu craquerais devant eux, surtout si tu entendais la voix de Chester. Ce mec, il peut me faire bander rien qu’en chantant, et…

— Ouais, ça va, je crois que j’ai compris.

Il soude ses mains en s’éclaircissant la gorge.

— J’ai un petit truc à te demander, commence-t-il.

Je hausse un sourcil tandis que Julian ajuste avec nervosité le col de sa chemise en jean.

— Tu veux pas m’accompagner à cette interview ?

Je manque de peu de recracher mon macchiato sur ses vêtements, mais à la place, j’avale de travers. M’étouffant devant lui, je mets un moment avant de me reprendre. Je redresse la tête et ancre mes yeux verts dans les siens. Je déglutis dès que je constate qu’il ne plaisante pas.

Moi ? Assister à l’interview des Chain… Comment déjà ?

_____________________

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