ELLIE
Je me fige lorsque ma mère s'approche et m'enlace avec précipitation. Je lance un regard plein d'incompréhension à Lowell qui hausse les épaules et enfonce ses mains dans ses poches. Mon père lui tend une bouteille de champagne et ils disparaissent tous les deux dans la cuisine.
Le père de Lowell reste silencieux, il se contente de se rassoir sur le canapé. Même lui ne semble pas à l'aise dans cette situation.
Ma mère m'attrape par les épaules et m'adresse un grand sourire.
Je la dévisage, craignant le pire.
Pourquoi mes parents débarquent-ils chez moi, une bouteille de champagne à la main comme si je venais de leur annoncer que j'allais avoir un enfant ?
Ils n'ont même pas réagi de la sorte quand j'ai eu mon diplôme au lycée.
« —Tu aurais pu nous le dire enfin ! » S'exclame ma mère d'un ton plein de reproches. Je nage dans la confusion totale alors qu'elle me tapote l'épaule.
« —Euh... » Marmonné-je sans savoir quoi répondre.
Elle me lâche enfin et Lowell revient, des coupes de champagne à la main.
Il en distribue à chacun de nous. Lorsqu'il me tend une coupe, je lui fais signe que nous devons parler. Il s'apprête à me suivre mais mon père fait irruption dans le salon à son tour.
« —Fêtons la liberté conditionnelle de Lowell ! » S'exclame-t-il.
J'écarquille les yeux et manque de m'étouffer avec la gorgée de champagne que je venais de prendre.
Mon père a clairement dû boire un coup avant de venir.
« —Papa... Lowell n'était pas en priso... » Commencé-je mais il me coupe en passant devant moi.
« —Arrête de faire ta rabat-joie Ellie ! » S'écrit-il.
Je serre les dents et verse le contenu de ma coupe dans ma gorge avant d'avaler pour chasser l'agacement qui commence à monter en moi.
Je n'arrive pas à croire que mon père est en train de fêter la victoire de Lowell avec le perdant dans la pièce.
Je ne pensais pas un jour déjà voir mon père fêter la victoire de Lowell, mais cela dépasse mon entendement.
« —Oh, excusez-moi de ne pas m'être présentée. Je suis la mère d'Ellie. » Entendé-je ma mère dire à l'attention du père de Lowell.
Je me tourne pour regarder Monsieur Nicolson calmer mes parents en expliquant qui est-il.
Je regrette d'avoir vidé ma coupe, autrement je serais en train de la siroter et de savourer ce moment. Oui je suis mauvaise.
Lowell me rejoint et passe sa main autour de ma taille. En temps normal, je l'aurais repoussé car mes parents sont ici mais ils ont l'air si obnubilé par le père de Lowell qu'ils ne vont pas s'en rendre compte.
« —Je suis le père de Lowell. » Lui répond Monsieur Nicolson accompagné d'un sourire charmeur. Je revois le directeur qui est entré dans la chambre de Ruth avec une caméra il y a quelques mois. Il y a des traces de fatigue sur son visage, il semble plus abimé et pourtant lorsqu'il se met à sourire, il a cette prestance, cette prestance que j'avais tout de suite perçue chez Lowell lorsque je l'ai rencontré.
Ma mère écarquille les yeux et se met à bégayer, je ne sais pas si c'est parce qu'ils viennent de porter un toast contre cet homme ou par son charme.
Mon père s'interpose et lui tend sa main. Il est déjà fortement alcoolisé mais il garde une stature droite.
« —Ravi de vous rencontrer. » Lui lance mon père d'un ton enjoué.
Je décide de ne pas intervenir. Toute cette situation me déroute, je suis perturbée et je ne comprends pas comment en sommes-nous arrivés là.
Lowell penche sa tête vers moi et son souffle me chatouille le cou.
Je frissonne et lui attrape sa main posée sur ma taille.
Je me retiens de tourner la tête, de peur d'avoir envie de l'embrasser.
« —Pourquoi ton père est ici ? » Le questionné-je en murmurant.
Ses lèvres frôlent mon oreille, coupant ma respiration par la même occasion.
J'essaye de résister et me concentre sur l'agacement provoqué en voyant son père assis sur mon canapé.
« —Lowell... » Insisté-je d'une voix plus neutre et maitrisée.
Il semble réaliser que je ne vais pas céder et recule son visage de mon cou.
« —Je suis allé le voir pour accepter sa proposition de rendre visite à ma mère et je voulais te demander si on pouvait l'inviter à dîner ce soir mais tu n'as pas répondu. » M'explique-t-il.
Je fronce légèrement les sourcils.
« —Pourquoi voulais-tu inviter ton père ? » Le questionné-je.
Je le vois baisser son visage du coin de l'œil.
« —Je ne sais pas. Enfin, je voulais faire la paix, mettre tout cela de côté pour pouvoir repartir sur de bonnes bases. » Me chuchote-t-il avec moins d'assurance.
Je lâche un soupir et passe une main dans mes cheveux.
Je me tourne complètement vers lui mais il continue de fixer le sol.
« —Tu sais ce que je pense de ton père... » Commencé-je et il hoche la tête en réponse.
« —Je ne voulais pas t'énerver. C'est juste que... sur le moment ça paraissait être la chose à faire. » Me répond-il en relevant sa tête pour plonger son regard brun dans le mien.
Je déglutis. Je déteste lorsqu'il fait cela. Il arrive à me troubler par un simple regard et je n'arrive plus à répondre de rien après cela.
Une autre question fuse dans mon esprit et j'hésite à lui poser mais je finis par céder.
« —Est-ce que tu as quelque chose à voir avec ça ? » Lui demandé-je en désignant mon père serrant par les épaules son père et ma mère lui versant une nouvelle coupe alors que Monsieur Nicolson semble désarçonné et profondément mal à l'aise.
Je me retiens de rire. Je sais que si je commence à rire Lowell arrêtera de me répondre et en profitera pour exploiter cette faille et s'en tirer sans égratignure.
Il se gratte la nuque.
« —J'ai demandé le numéro de tes parents à mon père en même temps et je les ai appelés. » M'annonce-t-il de l'hésitation plein la voix.
J'écarquille les yeux et reporte mon attention sur lui.
« —Qu'est-ce que... » Commencé-je mais je suis bien trop troublée pour finir ma phrase. Je m'attendais à tout sauf à ce qu'il appelle mes parents de son plein gré.
On peut dire que cette journée est pleine de surprise.
« —Et qu'est-ce que tu leur as dit ? Ils semblent avoir une différente opinion de toi que hier. » Lui fis-je remarquer.
Un sourire se dessine sur ses lèvres, comme s'il reprenait peu à peu confiance en lui.
« —J'ai un peu exagéré l'histoire. » Marmonne-t-il.
J'ouvre la bouche.
« —Oh non... » Soupiré-je en voyant son sourire amusé prendre forme.
Il hausse ses épaules et attrape ma main pour ensuite enlacer nos doigts.
« —Il pense que je viens de sortir de prison après m'être dénoncé à ta place. » Continue-t-il.
Je me fige.
« —Et qu'est-ce que je suis censée avoir fait ? » Lui demandé-je en craignant sa réponse.
Il se retient de rire.
« —Tu as volé la voiture de mon père et elle a fini sa route contre un tronc d'arbre. » Me lâche-t-il.
Je m'écarte de lui et lâche sa main.
Il serre ses lèvres pour éviter de rire alors que je le dévisage.
« —Tu leur as dit que ton père t'a fait un procès parce que tu as volé et brisé sa voiture alors que c'est supposé être moi ? » Répété-je abasourdie.
Je comprends mieux pourquoi ma mère semblait si reconnaissante que Lowell soit là et pourquoi mon père a crié qu'il sortait de prison.
Je suis divisée entre l'envie de rire parce que mes parents ont clairement cru son histoire et l'envie de claquer Lowell pour avoir raconté de telles conneries sur moi.
« —Oui, je suis un héros pour eux maintenant. » Me répond-il fièrement.
Je lâche grognement de frustration et lui frappe le torse ce qui le fait exploser de rire.
Je serre ma mâchoire et quitte le salon pour aller m'enfermer dans ma chambre.
Je n'arrive pas à croire qu'il a eu le culot de faire cela.
Je dois dire que c'est amusant de voir qu'il ait eu cette idée mais en même temps je n'ai pas envie que la relation qu'a Lowell avec mes parents soient basées sur un mensonge.
LOWELL
Je m'apprête à rejoindre Ellie dans la chambre mais sa mère me stoppe dans mon élan.
« —Reste là, elle peut être si grognon quand elle veut. » Me conseille-t-elle avant de rejoindre sa fille.
J'ai envie de la contredire et de lui dire que c'est plutôt moi le con dans l'histoire mais je la laisse faire. Elle n'a probablement pas envie de me voir pour le moment.
Je rejoins son père et le mien qui partage un verre en papotant.
J'ai peut-être un peu trop poussé le bouchon en racontant ce mensonge à ses parents. Je ne voulais pas qu'elle soit préoccupée par les tensions que j'ai créé suite à l'arrivée de ses parents mais c'est vrai que j'ai peut-être un peu abusé.
J'ai pris un risque en leur racontant que leur fille à voler et casser la voiture de mon père. Je n'avais aucune idée de la façon dont ils auraient pu réagir face à cela et heureusement pour moi ils ne semblaient pas le moins du monde dérangés par cela.
« —Et toi Lowell ? » Me demande soudainement le père d'Ellie.
Je me racle la gorge.
« —Moi ? » Répété-je confus.
« —Est-ce que les femmes te font perdre la tête ? » Me demande-t-il.
Je comprends enfin pourquoi j'ai décroché de la conversation.
Je hoche vaguement la tête et croise le regard de mon père. Lui aussi semble aussi perdu qu'Ellie il y a quelques minutes.
Il ne doit sûrement pas comprendre pour ses parents sont si gentils avec lui. S'il savait que c'est parce qu'ils sont simplement reconnaissants que mon père n'a pas porté plainte contre leur fille.
Je me retiens de rire à nouveau face à la situation.
Quand j'ai appelé les parents d'Ellie, ils semblaient déjà bien éméchés. Je pense que c'est pour ça qu'ils ont tout de suite cru à mon histoire.
Qui irait jusqu'à faire un procès pour un vol et accident de voiture ?
Selon les parents d'Ellie cela semble être cohérent.
Je compte bien leur dire la vérité mais cela m'a fait du bien de voir ce qu'aurait pu être ma vie si je n'avais pas vécu dans un hôpital. J'aurais probablement participé à ce genre d'apéro, en enlevant Ellie enfermée dans sa chambre à cause de moi et l'énorme mensonge qui alimente la bonne humeur générale.
Je lâche un gros soupir et leur tourne le dos avant de me réfugier dans la cuisine.
J'attrape la bouteille de champagne et rempli ma coupe.
J'avale d'une traite son contenu et m'en reverse une.
Cette journée est bien trop étrange. Ou est-ce moi qui l'ai rendu étrange ?
Je ne sais pas. Je ne sais plus.
Je passe une main sur mon visage pour essayer d'y voir plus clair mais je suis perturbé.
Est-ce que j'ai merdé avec Ellie ?
Je plisse les yeux et regarde mon reflet dans la vitre du micro-ondes.
Probablement.
Elle a beau agir comme si elle comprenait chacun de mes faits et gestes, elle me pardonne et me permet de dormir chez elle sans rien demander. Elle m'a accueillie alors que je me suis cassé pendant une semaine et demie sans rien dire après m'avoir dit qu'elle m'aimait.
Je fronce les sourcils en la revoyant agenouillée sur le sol de l'héliport, les yeux brillants de larme.
Je l'entends me crier qu'elle m'aime, le désespoir emplissant sa voix.
J'ai bien cru que j'allais m'effondrer mais j'ai tenu tête et je suis parti.
J'aurais dû me retourner et l'embrasser.
Je suis si maladroit quand il s'agit de sentiments.
J'espère simplement qu'elle ne m'en voudra pas d'avoir agi sans l'avoir consulté. Je sais que j'ai abusé en invitant mon père chez elle sans sa permission. Sur le coup, je me suis dit qu'elle n'allait rien dire, c'est Ellie après tout ! Mais et alors ? C'est Ellie ne veut pas dire qu'elle doit tolérer chacun de mes choix.
Elle a littéralement abandonné sa vie pour que je puisse vivre la mienne.
Elle s'est détournée de toute le monde pour que je puisse gagner ce procès et ma liberté. Elle a donné sa liberté contre la mienne.
Et je me suis contenté de la voir à mes côtés comme si elle m'était acquis, qu'elle ne comptait pas me quitter un jour.
Je sais qu'elle m'aime.
Mais je suis un con.
Lorsque j'entends sa voix dans le salon, je relève la tête.
Elle se met à rire suite à une blague de son père.
Mon Dieu, comment ai-je osé tout lui prendre sans même m'en apercevoir ?
J'ai honte de les rejoindre.
J'ai peur qu'ils puissent y lire toutes mes pensées.
Je suis aussi choqué par ce que je viens de découvrir que par le fait que je résonne de cette façon.
Je ne me serais jamais remis en question avant elle. Et me voilà à déblatérer tout seul de mes défauts.
« —Ca va Lowell ? » Me demande la mère d'Ellie d'une voix inquiète.
J'ai envie de crier de rage et de lancer la coupe en verre que j'ai dans la main.
Comment ai-je pu penser une seule seconde que mentir à ses parents seraient une solution ?
J'ai beau être libre désormais, cela ne veut pas dire libre de faire des conneries.
Maintenant mes actions ont une importance, des conséquences sur ma vie. Il n'y a plus de chambre dans laquelle me refugier, plus de père sur lequel rejeter mes erreurs.
Je suis seul.
Et putain qu'est-ce que c'est flippant.