Cahier du Canada

By MatthieuAuclair

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Voici la grande aventure de 5 amis qui visitent l'ouest du Canada. More

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By MatthieuAuclair

J'ai passé la nuit la plus difficile de mes vacances. Je n'ai pas beaucoup dormi. Mon oreiller a pris l'eau ainsi que mon matelas et sac de couchage au niveau des pieds. J'étais crispé pendant la nuit car je ne voulais pas toucher la tente. A chaque réveil, j'hésite à filer dans la voiture, pour me mettre au sec. Mais il pleut et je suis transi de froid. Le réveil est donc difficile, mais au moins la nuit est passée. Il pleut toujours légèrement, aussi nous rangeons tout et repartons pour notre abri de fortune. Nous faisons à nouveau un feu et préparons un petit déjeuner de roi pour nous requinquer : café, pain, confiture ainsi que des œufs « any kind » (brouillé pour Gaspard et moi, au plat pour les autres). Il y a aussi du bacon pour les amateurs. Il nous reste deux œufs, nous décidons de les faire « pochés ».

J'aime bien cette histoire d'œufs pochés pour plusieurs raisons. Déjà, c'est quelque chose de plutôt technique, et il faut vraiment être de joyeux drilles pour avoir l'idée de tenter ce genre de chose, sous un abri de fortune avec un réchaud de camping et une petite casserole. Mais ce qui me plait encore plus avec cette histoire, c'est que n'ayant aucun accès à internet, nous devons nous montrer ingénieux et réfléchir par nous même pour parvenir à nos fins.

Pour le premier œuf, nous partons sur la stratégie suivante : pour « saisir « l'œuf il faut que l'eau boue très fort, donc on met plein gaz. Avec la cuillère, on fait un mouvement circulaire, pour que l'œuf reste au milieu de la casserole. Je me lance... C'est un échec. D'abord je pense avoir jeté l'œuf de trop haut, ce qui a eu pour effet de « l'éclater légèrement ». Ensuite l'eau est trop bouillante, les grosses bulles en éclatant délitent complètement l'œuf. D'infimes filets de blanc se répandent dans la casserole et créent une sorte de mousse. J'obtiens finalement un œuf poché mais j'estime à au moins 50% la quantité de blanc perdue dans l'opération. Nous faisons un second essai. Cette fois, Nicolas est aux commandes. Nous utiliserons de l'eau frétillante plutôt que bouillante. Par ailleurs Nicolas propose de «ramener» le blanc vers le centre, plutôt que de faire le mouvement circulaire. Il se lance et... s'est un succès ! C'est tellement valorisant de réussir quelque chose sans l'avoir trouvé sur internet !

Si nous avions eu internet, voici ce que nous aurions trouvé :

« Faire bouillir l'eau et y ajouter une cuillère à soupe de vinaigre. Pendant ce temps, casser un des œufs dans un petit bol afin qu'ils soient prêts à mettre dans l'eau lorsque celle-ci atteindra la bonne température. Les œufs pochés prennent peu de temps à cuire, alors il faut faire vite.

À ébullition, réduire le feu; l'eau devrait à peine frémir. Tremper le bol contenant l'œuf dans l'eau et laisser cuire celui-ci pendant quelques instants avant de le glisser dans l'eau. Cette étape permet d'éviter la formation de filaments blancs. Glisser ensuite le deuxième œuf dans l'eau de la même manière, en tentant de retenir l'ordre dans lequel ceux-ci ont pénétré dans l'eau. Le premier œuf devrait être retiré de l'eau en premier.

Agiter doucement l'eau à l'aide d'une cuillère pendant la cuisson. Retirer les œufs après trois minutes pour des œufs pochés mollets, ou après 5 minutes pour obtenir un jaune plus cuit. Utiliser une cuillère à égoutter et laisser l'eau s'écouler – l'œuf devrait à peine remuer si on déplace la cuillère. Placer l'œuf cuit sur un essuie-tout et assaisonner de sel et de poivre. »

Comme d'habitude, je me régale pendant le petit déjeuner. Nous voyons au loin Jordan, partir en rando malgré la pluie. « Bonne continuation à toi, Jordan ». Je reconnais auprès des autres que je commence à ressentir une frustration. Entre le rafting et le canoë, cela fait deux jours sans marcher vraiment. Je sais qu'il pleut et que ce n'est pas vraiment attirant, mais je ne me vois pas faire un troisième jour sans marcher. Je trépigne. A mon grand plaisir, les autres sont d'accord avec moi ! Nous marcherons donc, même sur une courte distance.

Nous partons donc vers le Berg Lake, malgré le temps maussade. Nous parcourons des chemins boisés très sympas. Nous voyons des arbres encore jamais vus jusque-là. Il s'agit me semble-t-il de cyprès centenaires. Ils sont très grands et massifs. J'adore les arbres décidément. Quand je les regarde, je ressens un profond sentiment d'humilité. Ils sont si grands et imposants, mais si calme en même temps. Je me prends à rêver en les voyant, j'imagine la petite graine qui a germée, qui a grandi jusqu'à devenir arbuste. J'imagine chaque tempête qu'il a vécu, chaque maladie qu'il a évitée. La temporalité de l'arbre n'est pas la même que la nôtre. Certains de ces arbres étaient déjà là du temps de mes ancêtres disparus. Ils étaient là avant la révolution industrielle, avant la modernité en somme. Témoins vivants et immobiles de temps anciens. J'aime ta sagesse.

Certains n'ont pas la chance de vivre des centaines d'années, coupés dans leur croissance pas d'effroyables tempêtes. Quel regret d'avoir grandi tant d'année pour être décimé en à peine une seconde. J'ai de la peine pour ces arbres brisés, que je croise le long des chemins. C'est la vie me dis-je, la providence frappe au hasard, sans volonté particulière, mue par la seule absurdité du monde. Rien ni personne n'est à l'abri de folles probabilités destructrices du monde. Nous ne sommes que des spectateurs.

Plus loin un arbre attire notre attention. Il s'agit d'une souche d'un arbre ancien et détruit sur lequel a poussé un nouvel arbre. L'image est saisissante. On dirait un arbre qui renait de ses cendres ? J'y vois vraiment la parabole de l'espoir, de la résistance. Une sorte de résilience en somme. Je ne peux empêcher mes pensées de voguer vers Arcinges. A l'entrée du Tupinet, il y avait autrefois un arbre grand et fier. Il dominait la maison, en haut du chemin, et semblait regarder la colline avec majesté. Je ne lui prêtais pas beaucoup d'attention en vérité. Mais il était là, je l'avais toujours vu ici et n'avais jamais imaginé qu'il puisse en être autrement.

Or un jour, en allant à Arcinges pour visiter mes grands-parents, il me sembla que quelque chose avait changé. Il me fallut longtemps pour comprendre que l'arbre avait disparu. Lorsque j'en pris conscience, cela fit pour moi l'effet d'une bombe. Mais où était-il ? Pourquoi avait-il disparu ? J'allais m'enquérir auprès de mon grand-père, avec toute l'innocence de l'enfance : « Dis-moi papy, pourquoi l'arbre a-t'il disparu » ? « C'est qu'ils devaient passer une ligne électrique. L'arbre aurait pu menacer de tomber sur les câbles et couper l'électricité. C'était quand même un peu loin, je ne pense pas qu'il y avait une vrai menace, mais bon, dans ce genre d'administration ils ne réfléchissent pas longtemps, ils tranchent. » Mon grand-père aime les arbres, cela depuis toujours. Dans sa jeunesse il a acheté et planté des forêts. Et il a longtemps regretté les arbres plantés à Bourbon. Il en parle toujours avec émotion, surtout que les nouveaux propriétaires en ont coupé beaucoup. Aussi, il y avait un soupçon de tristesse dans sa voix lorsqu'il m'annonça qu'EDF avait coupé l'arbre de notre entrée pour des raisons de sécurité. Des larmes me mouillent les yeux. Pourquoi faut-il que l'Homme soit si cruel avec la nature ? Et je fis une prière d'enfant, espérant que cet arbre irait, comme il le mérite, au paradis des arbres.

Or, quelques années après, en repassant devant la souche, je vis quelque chose d'incroyable, de l'ordre du miracle dans mon imaginaire d'enfant : L'arbre avait repoussé ! En réalité, la sève encore vigoureuse avait permis à un rejet de pousser sur la souche. Ce rejet était devenu arbuste, il avait même quelques feuilles. Pour moi, c'était ma prière qui avait fonctionné. J'avais tellement aimé cet arbre, que la nature m'avait entendu, et lui avait redonné la vie.

« Voici la preuve, me dis-je, que la nature triomphe de tout ».

Nous poursuivons la rando, et atteignons un pont puis un beau lac. Nous prenons quelques clichés mais ne restons pas longtemps, nous avons encore beaucoup de choses à faire aujourd'hui. 

Nous passons un peu de temps sur le parking avant de partir. Garé à côté de nous, un van aux couleurs pétillantes attire mon attention. Ce n'est pas le premier de ce style que je vois. Il s'agit en fait d'une entreprise, louant des vans aux vacanciers. Pour se faire de la pub, ils font de belles peintures et ajoutent, au cul du camion, une phrase marrante et accrocheuse. Je trouve le business model excellent : voici un moyen de faire parler de soi presque gratuitement !

Nous reprenons la route, direction Takakkaw Falls. Takakkaw signifie plus ou moins « c'est magnifique » en algonquin, une langue amérindienne. Nous avons 4h de route. Nous allons d'abord à Jasper pour faire de multiples retraits de liquides : des dollars, de l'essence et de l'alcool ! Nous sommes bien mal garés, en double file, aussi un policier Canadien interpelle Nicolas. Nicolas lui dit « We are just doing a quick shopping » et le policier lui réponds en souriant « ok so you are gonna do a quick leaving ». Très amusant. Nous repartons ensuite. Les chutes Takakkaw se trouvent dans le parc national de Yoho. Nicolas conduit les 2 premières heures, puis je prends le relais. Lisa se met à ma droite, c'est un copilote plutôt affable et agréable. Je parviens à mettre le régulateur de vitesse. Il fait de plus en plus sombre, je dois décupler mes efforts pour rester concentré. Il y a parfois des panneaux à 70km/h j'essaye de ne pas les louper, parce que les radars eux ne me louperont pas.

Brusquement, Lisa s'affole : « Arrête-toi !!! Freine !!! » Je ne comprends pas ce qui lui prends. Je regarde dans le rétro, personne, je freine. Elle reprend : « là !! là !! il y a un ours ! » Je fais demi-tour sur la grande route, et rentre dans un large chemin de terre. Il y a en effet un Ours, mais au moment où nous arrivons, il s'enfonce dans la forêt, et déjà il est trop tard pour l'observer. Nicolas sort de la voiture, appareil en main. Je laisse le contact, car il me dit de me tenir prêt à démarrer si l'Ours décidait de s'attaquer à lui. Il remonte malgré tout assez vite dans la voiture, l'Ours a vraiment disparu dans la forêt et il fait très froid (4°).

Arrivés dans la région des chutes Takakkaw, il est tard (22h) et nous sommes vraiment fatigués. L'accumulation des efforts se fait sentir, j'ai assez mal au dos. S'offrent à nous deux possibilités : il y a une auberge de jeunesse, dont l'ambiance a l'air géniale à en croire le guide du routard, ainsi qu'un camping sans réservation qui se trouve au pied des chutes. Cette fois Anne Charlotte a vraiment envie de dormir dans l'auberge. Nicolas aussi, plus pour l'ambiance que le confort. Lisa par contre préfère dormir en tente, fidèle à son amour de la nature. Gaspard et moi pas contrariants nous adapterons. Nous passons d'abord par l'auberge. Anne Charlotte et Nicolas vont se renseigner. Ils reviennent et nous annonce qu'il ne reste plus que 2 places.

Nous partons donc pour le camping. Y aura-t-il de la place ? Pour y aller, je coupe la musique et me concentre. Cette fois il fait totalement nuit, et la route est très sinueuse. Il y a en plus de cela une épaisse brume. Il est difficile de conduire dans ces conditions. Au bout de 20 bonnes minutes, nous arrivons à un parking. D'un coup surgissent de la nuit deux personnes, vêtues des pieds à la tête d'une combinaison jaune poussin. Nous les abordons

- Excuse me, is it the campground ? ». Demandons nous.

- Yes, you need to park here, take all your belonging and walk 5 minutes, répondent-ils.

- Do you think there are free space still?

- Yes probably, the park seems much less full than yesterday.

Je me gare donc, et nous envoyons Lisa et Gaspard en éclaireurs. Ils reviennent et Lisa semble dépitée. Lisa nous regarde et nous dit en toute sincérité : « vous êtes prêt ? ». Nous nous attendons à une bien mauvaise nouvelle, du genre « le camping est plein et le camping le plus proche est à 1h de route ». Elle nous annonce en fait que, oui il y a de la place mais que pour s'y rendre il faut marcher 5 minutes. Pire, les emplacements sont vraiment aménagés, c'est-à-dire bien plats, et donc pas aussi « naturels » que prévus. Voici donc ce qu'est une mauvaise nouvelle pour Lisa, un endroit « un peu trop aménagé, ou nous risquons de bien dormir » ! C'est pour moi, tu t'en doutes cher journal, une bien bonne nouvelle.

Je reste fasciné par cette passion qu'à Lisa pour la nature. J'ai dû en parler avec les autres pour arriver à comprendre un petit peu cette adoration, mais chez Lisa c'est quand même incroyable. Ok j'apprécie le côté « retour aux sources » de la nature. Je reconnais que le camping en pleine nature est très bénéfique, pour l'esprit et le corps. Mais là, quand je vois Lisa déçu d'avoir du confort, je suis vraiment surpris. J'ai l'impression que si on lui offrait un matelas pour la nuit, elle pourrait préférer dormir à côté !

Nous trouvons une petite carriole, où nous mettons nos affaires pour la nuit ainsi que la nourriture. Nous parcourons le chemin à la frontale, espérant ne tomber sur aucun Ours. Arrivés au camping nous découvrons un abri, similaire à celui de la veille, mais cette fois fermé par 4 murs ! Il y a un poêle et 4 tables. Nous installerons les tentes puis reviendrons manger là. Autour de nous tout est très sombre. Nous entendons au loin les chutes Takakkaw sans les voir. « Demain le soleil se lèvera et m'offrira ce spectacle » me dis-je. J'adore ce nom « Takakkaw », cela évoque les Firsts Nation, ces autochtones et leurs rites ancestraux. Peut-être que ces chutes avaient pour eux une portée spirituelle ? J'imagine déjà des chamans mettre en fuite le démon ou appeler la pluie de leurs mystiques conjurations. Ou alors y récitent-ils de profonds poèmes ?

«Quand tu te lèves le matin, remercie la lumière du jour pour ta vie et pour ta force, remercie pour la nourriture et le bonheur de vivre. Si tu ne vois pas de raison de remercier, la faute repose en toi-même. »

(Tecumceh, chef shawnee, 1768-1813).

Les tentes sont vite installées. C'est très facile sur les terrains aménagés. Nicolas et moi installons cette fois la tente prêtée par Ronan et Adeline, celle de Nico étant trempée. Nous dormirons plus près l'un de l'autre, cela nous amuse, nous faisons comme si nous étions un couple homosexuel ! Nous mangeons comme d'habitude un véritable festin : pates à la sauce tomate, galettes d'épinards avec des sauces - houmous notamment – et puis des bières. Il fait chaud dans l'abri, nous mettons un peu de musique et dansons un peu. Lisa et Gaspard sont néanmoins vraiment exténués.

Nous allons nous coucher finalement, je suis bercé par le bruit des chutes, je me sens bien. J'adore ce camping. Les emplacements sont propres et plats, et les infrastructures (toilettes, lavabos, boites à ours, abri) sont centralisées. Tout est à deux pas. Ce soir je lis quelques pages de « On the Road » the Kerouac avant de m'endormir paisiblement.

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