Depuis quelque temps, j'ai l'impression que me réveiller est la chose que je fais le plus souvent. Evidemment, tout ça à cause des multiples commotions dont je suis victime. Je massai alors mes tempes encore douloureuses et regardai le bout de mes doigts, intriguée. Des tâches de sang...
Si seulement ils pouvaient me filer du Doliprane après m'avoir fichu ce coup sur la tête...
Après avoir observé ce qui m'entoure et je me rends très vite compte que je suis allongée sur de gros sacs de sable. Et c'est loin d'être agréable... Je me relève et me surpris à reconnaître cet endroit. C'est une cale de bateau ! Mon oncle m'emmenait souvent visiter de vieux bateaux, dans le même genre, quand j'étais plus jeune. Cela ne faisait qu'animer chez moi l'envie d'aventure et de découverte du monde : ce qui déplaisait beaucoup à mon père.
Ce genre de situation m'est inconnu... Mais une chose est sûre : je ne vais pas me laisser faire par des individus qui m'enferment entre des planches de bois.
Deux options s'offrent à moi : soit je hurle pour qu'ils comprennent que je suis réveillée, au risque de me faire tuer - même si s'ils voulaient le faire ils l'auraient déjà fait - soit j'essaye discrètement de partir de cet endroit pour rejoindre l'île, au risque de me faire tuer également, s'ils voient que je tente de m'échapper. Conclusion : dans le pire des cas, j'arrive au même résultat. J'opte quand même pour l'option numéro deux !
J'essaye alors de pousser la lourde trappe en bois. Rudement difficile... Je n'ai aucune force dans les bras et je n'ai jamais rien fait pour améliorer cela. Une traction sans aide est mission impossible pour moi.
Après un effort sur-dimensionnel, j'arrivai enfin à soulever la trappe qui retomba avec fracas en s'ouvrant.
Côté discrétion, ce n'est pas gagné...
Je me hissai sur mes avants bras et arrivai enfin à remonter.
Comme quoi on sous-estime toujours l'efficacité des barres parallèles en gymnastique.
Une fois extirpée de la cale, je m'avançai prudemment dans le bateau. Le bois craquait et le bateau tanguait doucement de gauche à droite. Il n'y avait pas grand-chose à part une grande table où reposait une carte - qui n'était pas celle de notre très chère Terre - et un petit bureau en bois verni.
Je pouvais d'ailleurs entendre une voix rauque crier des ordres à pleins poumons. Ce n'était peut-être pas le meilleur moment pour faire apparition.
Au même moment, quelqu'un ouvrit la porte donnant sur l'extérieur et un homme d'une trentaine d'année fit son entrée.
Aïe... Là, je suis vraiment mal.
Le grand brun ténébreux me sourit avec un air malsain. Hyper rassurant... Je le détaillai de haut en bas et m'attardai sur sa main qui était remplacée par un crochet en argent. Une main froide... Vu son style vestimentaire cela ne pouvait être qu'un pirate et avec le manque de chance que j'ai, le capitaine.
Il se rapprocha de moi tandis que je reculais à chaque pas qu'il faisait. Le pirate avança sa main parsemée de bagues, le long de ma joue. Un frisson désagréable me fit trembler.
- On dirait que notre invitée s'est réveillée, murmura-t-il à mon oreille d'une voix suave.
Soudain, il empoigna mon bras avec force et me tira vers l'extérieur. Tous les autres marins s'étaient arrêtés et me dévisageaient. J'essayai de me dégager mais rien n'y faisait, sa poigne était trop forte. Alors je levai les yeux vers lui.
- Nous ferais-tu l'honneur de nous dire ton nom ?
Son sourire illuminait son visage, d'une cruelle lueur. Il est comme Peter : mesquin et sournois, et je n'avais aucune envie de manifester mon identité.
Voyant mon silence, le pirate s'impatienta et agrippa violemment mes cheveux dans le but de me faire parler. Dommage pour lui, je ne ressentai pas la moindre douleur.
- Aurais-tu perdue ta langue ? Je te demande ton prénom !
Je capitulai voyant le capitaine de ce navire sortir un couteau de son veston.
- Eve, je finis par lâcher.
J'aurais bien voulu me présenter plus dignement mais je ne sais pas pour quelle raison, je ne me souviens plus de mon nom de famille. Pourquoi je n'arrive pas à m'en souvenir ? C'est pourtant simple, on nous le rabâche dès le plus jeune âge !
Voyant mon incompréhension quand je voulus dire mon nom, le pirate poursuivit.
- Tu es l'une des leurs. Une fille perdue...
Je l'interrogeai du regard, ne comprenant toujours pas comment j'avais fait pour oublier mon nom de famille.
- Tu as oublié ton nom comme tous les autres garçons perdus parce que tu n'as tout simplement plus de famille, reprit le pirate. Tu fais partie de la bande d'esclave de Peter. Tu lui appartiens.
Quoi ? C'est quoi ce délire ? Non ça ne peut pas être possible ! Je vais forcément m'en souvenir. C'est juste une perte de mémoire temporaire à cause du coup que j'ai reçu.
Je panique... Alors que je pensais que cela ne pouvait pas être pire, le pirate siffla entre ses dents.
- En tout cas Eve, je te souhaite la bienvenue sur le Jolly Roger, je suis le capitaine de ce navire. Le Capitaine Crochet, ma jolie.
Ah, celui-là aussi existe pour de vrai...Génial...
Je posai à nouveau mes yeux sur le crochet qui remplaçait sa main. En même temps, j'aurais dû m'en douter...
Je continuai de le dévisager, curieuse. Il est carrément plus canon que dans le dessin-animé Disney. Ça aussi, ils avaient oublié de nous dire. En fait, les réalisateurs se sont bien foutus de nous quand ils ont écrit les scénarios. Rien à voir avec la réalité...
Le Capitaine Crochet sorti une petite gourde de son veston et me la tendit.
- Du rhum ? demanda-t-il en souriant.
Ah ! J'en étais sûre qu'il y avait du rhum sur cette île ! me souffla ma vilaine conscience.
Je déclinai son offre d'un geste de la main quand, à son tour, il porta la bouteille à ses lèvres. J'ai presque l'impression, qu'il fait en sorte que cela me donne envie. Manque de chance, ça non plus cela ne marche pas. L'alcool et moi : niet !
Les autres pirates retournèrent à leurs tâches et c'est à ce moment que quelque chose me parut louche. Qu'est-ce que je fais ici ? Crochet ne me laissa pas le temps de cogiter une minute de plus et enchaîna.
- Tu es la première fille qui met les pieds au Pays Imaginaire. Tu es LA première fille perdue. Tu es une bonne monnaie d'échange. Tu dois être importante à ses yeux...
- C'est bête pour vous mais je ne vous serais d'aucune utilité et encore moins comme moyen de pression. Peter vient de me bannir. Désolée de foirer tous vos plans mais il fallait mieux se renseigner avant de m'exploser le crâne avec une vulgaire pierre.
Crochet se retourna vers moi, intrigué. La déception fut vite remplacée par de la colère dans ses prunelles. Je jubilai voyant la façon dont il croyait tenir quelque chose alors qu'en fait, il n'avait rien. J'adore ce sentiment de frustration qu'il éprouve.
Sans que je m'y attende, il me plaqua contre les planches de bois de son bateau et positionna son crochet froid sous ma gorge avec force. Ça me fait rire... Il se donne tellement de mal pour rien. Je ne vaux rien.
- Tu es forcément importante, reprit sévèrement Crochet. Peter ne laisse rien au hasard !
Et bien là il faut croire que si.
- Ce n'est rien... Ça arrive à tout le monde de commettre une erreur, je soufflai en souriant sournoisement.
Ce n'est sûrement pas la meilleure idée que j'ai eu étant donné que mes derniers mots le mirent dans une rage telle qui me propulsa au sol, ma tête cognant violemment le sol boisé.
Pourquoi, c'est toujours ma tête qui prend ?
Je frottai celle-ci contre la paume de ma main essayant de soulager la douleur - même si je sais pertinemment que cela ne sert à rien dans ce genre de cas -. Au fur et à mesure des coups que j'ai pris sur cette île, j'ai cru comprendre que toutes tentatives étaient vaines pour réduire cette sensation.
- Puisque tu ne peux rien m'apporter, j'ai le choix entre te laisser comme nourriture aux sirènes affamées, ou te garder et tu deviens ma prisonnière.
Ah ouais ? Et puis encore ? Il va m'enfermer dans une tour gardée par un dragon. Il faut arrêter de déconner deux secondes.
- Je suis sûr qu'on va pouvoir trouver un terrain d'entente tous les deux, sinon ton beau visage n'aura plus le même aspect qu'autre fois, dit-il doucement en passant la pointe piquante de son crochet le long de mon visage.
Je l'observe impuissante, me rendant compte que là, je suis vraiment seule...