- On est encore loin ? je demande à Lee tandis que je sens mes poumons peiner à m'apporter l'oxygène nécessaire.
Nous courons à vive allure dans le Complexe, et évitons de foncer dans les personnes et de traverser leur activité. Ce n'est pas toujours réussi et malgré les excuses, les insultes pleuvent sur nous parfois.
- Non, mais si tu ne te dépêches pas, on va manquer tout le spectacle ! fais Lee qui trépigne d'impatience.
Je suis traversé par un mélange de peur, d'excitation, et de fatigue intense, mais cette dernière est due à ce sprint en continu. Leïla doit être sacrément puissante pour détruire un bâtiment entier comme celui de la piscine qui, après le stade, est de loin le plus grand de tous. Pire encore, Lee m'a dit qu'elle n'avait alors que huit ans ! Je me demande quelles sont ses capacités maintenant. Et pourtant, malgré les risques qu'il peut y avoir avec ce « match » pas comme les autres, j'ai très envie d'y assister. On parle là d'un combat de Facultés, et pour une fois que ce n'est pas contre moi qu'on l'utilise, je veux voir cela de mes propres yeux. Et puis cela me permettra de retrouver Mélanie, du moins je l'espère.
- Parce que tu peux... courir plus vite... que ça toi... peut-être ?
Ma diction est ponctuée de grandes inspirations stratégiques. Je suis à bout de souffle, la sueur coule sur mes joues, dans mon cou et descend dans mon dos. Ce n'est pas des plus agréables. Lee quant à lui n'a pas l'air de souffrir le moins du monde c'est même le contraire, il se porte mieux depuis que nous avons commencé notre course.
- Bah, évidemment, pour qui me tu me prends ? me répond Lee après un petit rire bien arrogant. Tu veux que je te montre ?
Et il disparaît. Il va aussi vite qu'une tornade, aussi rapide que mon Instructeur. Non, plus encore. Mais il ne revient pas. Il me laisse seul, perdu en plein milieu du gigantesque Complexe. Ça me surprend tellement que je m'arrête, yeux grands ouverts et bouche béante.
- Quel abruti de crâneur.
Je marche. C'est fini pour moi la course, qu'importe si j'arrive en retard. Mon corps ne supporterait pas. Je mesure à quel point je suis fatigué, physiquement. J'ai encore besoin de repos, même si moralement, ça va un peu mieux depuis ce matin.
Je croise une personne et lui demande le chemin de l'endroit des combats de Facultés. J'ai la chance d'être juste à côté. Je m'élance. J'entre à l'intérieur du bâtiment que l'on m'a désigné. Et surprise, il n'y avait personne d'autre qu'un homme en train danser sur sa musique en passant la serpillière dans la salle. Je ressors discrètement avant qu'il ne m'aperçoive.
Je mets du temps à comprendre. Je suis dans la salle de combat mais aucun match n'est prévu dans ce bâtiment. Mais comme Leïla semble être une grande guerrière, ils ont probablement dû transférer la rencontre dans une optique de sécurité. Comme un endroit un ciel ouvert, comme le stade. Comment n'y ai-je pas pensé plus tôt ? C'est une véritable cacophonie qui provient de cet endroit. Et je constate qu'encore beaucoup de monde rentre à l'intérieur.
Je trottine donc vers ma destination et me dirige ensuite vers les gradins. Je suis à l'endroit où l'événement du siècle va se dérouler ; toute la communauté se retrouve ici. Plus de la moitié des places sont déjà prises.
- Romain !
Quelqu'un répète mon prénom, mais je n'aperçois pas l'interlocuteur. Mélanie me fait signe de la main et m'appelle une nouvelle fois. Je la rejoins, content et soulagé de la retrouver. Essoufflé, je m'assois à côté d'elle.
- Dis donc, tu aurais pu m'emmener avec toi tout à l'heure plutôt que de me laisser en plan tout seul, dis-je sur un ton qui faisait transparaître plus la piété que le reproche.
- Écoute, au début je voulais résonner Leïla. Il ne faut pas qu'elle se batte, parce que la dernière fois...
Je coupe ma sœur.
- La piscine, oui, Lee m'en a parlé.
- Oui, c'est ça. Mais évidemment elle veut absolument se battre maintenant que le combat a été programmé et qu'on est très proche du début. Elle pense qu'elle ne peut pas se permettre d'abandonner, qu'elle n'a pas le choix.
J'ai un peu de mal à saisir la situation.
- Pourquoi ?
Elle me regarde puis observe le terrain qui servirait aujourd'hui d'arène.
- Je vais te faire un rapide topo, alors écoute et retiens.
Je suis ravi de sa décision ! Alors je lui obéis.
- Parmi les Facultés se trouvent les Facultés Élémentaires : Air, Feu, Eau et Terre. C'étaient les toutes premières Facultés à l'origine de monde, ce qui explique qu'on dénombre, encore aujourd'hui, énormément de gens avec ces Facultés Élémentaires. Chaque élément forme un clan. On a donc quatre clans et dans chacun d'eux est voté un Chef Élémentaire, et surtout un Élu est nommé à partir de terribles épreuves. C'est sur cet Élu que repose toute la sécurité du clan, et la protection des biens précieux, entre autres. Il est l'être le plus puissant du clan.
Quelles révélations ! C'est super intéressant de pouvoir apprendre tout ça. Je dois absolument tout retenir. Le bruit alentour cache la voix de ma sœur par moment, mais j'ai tout compris. Je cherche le lien avec le combat d'aujourd'hui. J'en tire la conclusion suivante :
- Leïla possède une Faculté Élémentaire ?
- Du vent, tout à fait. C'est même l'Élue du Vent.
L'information m'arrive tel un coup de point de Brock. Cette fille a dix-neuf ans, d'après Lee – et je pense pouvoir lui faire au moins confiance au niveau de cette information – et elle est la plus puissante de toutes les autres personnes qui possèdent la Faculté Élémentaire du Vent ? C'est incroyable et effrayant ! Si je me demande ce que l'on est capable de faire avec ce genre de Faculté, même si je le devine grâce à leur nom, contrairement à Blue Angel, la question est encore plus percutante avec le fait que Leïla est une Élue...
Qu'est-elle capable d'accomplir en tant que telle ? Si elle est la plus puissante, pourquoi vouloir tant se battre ? Je suppose cependant que si elle ne veut pas abandonner son combat, c'est justement à cause de ça. Elle est Élue, peut-être que si elle déclare forfait, elle serait reniée.
- Contre qui elle se bat ?
- Un connard.
Je suis autant surpris que choqué de sa réplique froide et sèche.
- Houlà, d'accord. Et c'est qui exactement ?
- Un macho de Faculté Élémentaire de l'Eau qui ne supporte pas qu'une fille soit devenue Élue a seize ans, alors que lui ne l'est pas. Il la provoque depuis des mois, j'aurais préféré qu'elle n'en vienne pas à se battre, surtout pour lui, il va souffrir, c'est certain. Mais je la comprends.
L'atmosphère se tend, ainsi je préfère ne plus trop continuer sur le sujet. Même si je suis du côté de Leïla. Je ne connais pas le prénom du garçon mais je sais déjà que je ne l'apprécie pas.
- Au fait, tu ne me l'as pas dit, mais tu as bien une Faculté, non ?
Elle rit.
- C'est vrai, on aurait dû commencer par là. Je suis Multiplicatrice : c'est la même Faculté qu'Elena.
- C'est veut dire que toi aussi tu as tes propres doubles ! je fais très enthousiaste.
Lorsqu'on ne s'en sert pas pour tuer des gens, je trouve que ce pouvoir est exceptionnel ! En fait, pour l'instant je les trouve tous incroyables : pouvoir créer des clones, pouvoir créer des plaques ou des coussins, même changer son corps en pierre est très intéressant, tout dépend évidemment du contexte où on rencontre la Faculté en question.
- En fait non, me corrige Mélanie, je ne peux en créer qu'un.
- T'inquiète, je suis sûr qu'après tu en formeras toute une armée !
Elle sourit mais ne répond pas. Je sais qu'elle n'y croit pas. Si Leïla se fait insulter parce qu'elle est trop puissante pour une fille, j'ai l'intime conviction que Mélanie se fait insulter parce qu'elle est soit disant trop faible, d'où son sentiment de compréhension.
- Et Richard ?
- Tu l'appelles par son prénom ?
- Ben oui comment veux-tu que je l'appelle ?
- Je ne sais pas, « papa » par exemple ?
- Je ne vois pas pourquoi je ferai ça puisque ce n'est pas mon père. Et je ne vais pas non plus dire « papa adoptif ».
Cela me gêne un peu de dire ça parce que j'ai de l'estime pour lui mais je pense que jamais je ne l'appellerai comme s'il était mon géniteur.
- D'accord. Comme tu veux.
Des réponses courtes et froides, ce n'est pas bon signe. J'espère qu'elle ne tourne pas le dos simplement pour cette raison.
- Si tu veux, je peux l'appeler par un diminutif. Ric par exemple.
Je pense qu'elle se retient de rire. La foule autour de nous s'enflamme de plus en plus, elle trépigne d'impatience. Le combat va commencer dans quelques minutes maintenant.
- Qu'est-ce que tu en penses ? Ric, c'est pas mal ?
Cette fois elle ne se contient pas.
- Il va détester, ne fais pas ça.
- Je lui dirai que c'est toi qui m'a conseillé ce surnom.
- Tu n'oseras pas.
Je lui souris, malicieusement.
- Tu paries combien ?
Tout le monde se met à hurler alors que l'arbitre fait son apparition sur le terrain, micro à la main. Le silence ne vient qu'une fois que le nouvel arrivant entame la présentation du lieu et des règles. Étrangement, tout le monde écoute. Ce qui me surprend beaucoup étant donné qu'on s'en fiche un peu. Nous en profitons avec Mélanie pour continuer notre discussion à voix basse.
- Papa ne possède pas de Faculté.
Cela me surprend au plus haut point. Ma sœur le lit sur mon visage et elle continue :
- En tout cas, c'est qu'il me dit à chaque fois que je lui demande. Mais il n'en a jamais utilisée depuis que je suis née, donc j'en sais trop rien. Mais je pense qu'il est comme moi, il faut bien que je tienne génétiquement de quelqu'un. Lee m'a dit que tu étais tombé du mur d'escalade.
La transition est tellement rapide que je n'ose pas lui demander quelle Faculté possédait sa mère. Mais je joue le jeu. J'entends l'arbitre souligner que le combat ne s'arrêtera que lorsque l'un de deux adversaires aura déclaré forfait, mais qu'il est interdit de tuer. Et heureusement !
- Oui, mais ça va ne t'inquiète pas. Il est où, d'ailleurs ?
- Je l'ai croisé tout à l'heure, et m'a raconté ce que vous aviez fait et demandé de t'attendre. Puis il est parti chercher son pop-corn dans une ville un peu loin d'ici, « le meilleur du monde » selon lui.
Cela m'impressionne toujours autant. Même s'il m'a abandonné lâchement pour du pop-corn.
- C'est quoi sa Faculté, d'ailleurs ?
- Tu te souviens de ce papa t'a dit, concernant les NG ?
Je lui fais signe que oui. Cela désigne les Facultés de Nouvelle Génération et concerne les nouvelles technologies principalement.
- Et bien il en fait partie. Il peut contrôler l'électricité pure.
- Fantastique, je lâche des étoiles dans les yeux.
- Il parvient à accélérer son métabolisme avec de petites impulsions électriques dans son corps, c'est pour ça qu'il court vite.
- Est-ce que je serais capable de courir aussi vite que lui et Jérôme ? je demande pleins d'espoirs.
- Aussi vite que Lee non mais comme Jérôme sûrement, et c'est lui qui te l'apprendra.
Même si je sais que ce n'est pas pour tout de suite, j'en rêve déjà. Ça doit être tellement plaisant comme sensation pour se déplacer ! Mélanie me somme d'écouter l'arbitre maintenant. Et c'est ce que je fais, encore dans mes pensées.
- Afin d'éviter de renouveler l'incident de l'année dernière, quatre Drainbowers vont dresser un mur tout autour du stade, et très haut, afin de garantir la sécurité de tous !
Nous sommes donc protégés de tout malheur, c'est rassurant.
- Accueillons sans plus attendre nos deux adversaires. D'un côté le favori d'aujourd'hui, un jeune homme au caractère bien trempé et aux muscles saillants de Faculté Élémentaire Eau, il possède son propre fan club qui s'est réuni au grand complet...Voici Nathan Fore !
Des gens se lèvent de partout emportés par le rugissement de leurs acclamations tandis que le « macho », comme l'a décrit ma sœur, entre en scène. Sa description lui colle à la peau. Il semble avoir près de vingt ans et aimer pousser de la fonte en salle de musculation. Ainsi qu'exhiber les résultats de ce dur entrainement. Ses fan-club vont même jusqu'à lui chanter un hymne ou quelque chose qui y ressemble. Lorsque le calme revient, le présentateur reprend :
- Il affrontera celle que l'on surnomme la Souffleuse. La dernière fois, elle a détruit un bâtiment entier un deux minutes. Aujourd'hui, son titre d'Élue du Vent est remis en question : si elle perd son combat, elle sera déshonorée... Voici Leïla Bali !
Je ne savais pas que les enjeux étaient si importants, pour elle. J'ai peur de l'encourager quand j'entends le nombre de personnes qui la huent. Tout le monde, pratiquement. Je n'appréciais pas beaucoup leurs encouragements face à Nathan, autant dire que je ne les supporte pas du tout maintenant qu'ils se liguent contre Leïla.
Mélanie reste stoïque devant ce spectacle effarant. Mais je vois bien qu'à l'intérieur, elle reste torturée par ses sentiments. Elle a les larmes aux yeux et elle serre si fort les poings qu'elle s'en fait mal, j'en suis persuadé. Je lui prends la main et essaye de lui décrisper les doigts. Elle me sourit faiblement avant de retourner son attention vers le terrain.
- Mettez-vous en position de chaque côté du stade s'il vous plait, le temps pour moi de sortir de l'arène et pour les Drainbowers de dresser les murs.
L'homme fait un bond prodigieux pour rejoindre les gradins. Nous avons la chance d'être bien placés. Leïla se retrouve à notre gauche et Nathan à droite. J'aperçois l'infirmière Dolans debout, juste en bord de gradins, ainsi que trois autres personnes – une en face d'elle et un à chaque extrémité, derrière les combattants. Tous les quatre lèvent en même temps parallèlement au sol le bras droit, puis le gauche. Une ligne éclatante se forme et suit l'ovale de l'arène de combat. Enfin, ils rejoignent les mains au-dessus de leur tête et instantanément le mur se dresse et disparait. Il est invisible à l'œil nu.
La rapidité et l'efficacité des gestes me laissent pantois. Je suis impressionné et ça me laisse présager de la tournure que va prendre ce combat. J'espère malgré tout que personne ne sera gravement blessé à l'issu de celui-ci.
- Prenez place ! s'enflamme l'arbitre.
Si Leïla reste neutre et droite, son adversaire monte sa garde, tel un boxer surentraîné. Ils ont chacun leur style, cela se voit d'entrée de jeu. Quant à savoir lequel des deux va l'emporter, je n'en sais strictement rien. Le stade entier est derrière Nathan, souhaitant sa victoire, mais seuls Mélanie et Lee, toujours absent, croient en Leïla. Et je la soutiens aussi.
Un horrible son grave de cloche retentit.
- Que le combat commence !