Cette nuit était sombre. Il courait à travers les ruelles humides, trébuchant sur les vieux pavés déformés.
Cette nuit était effrayante. Il essayait de courir plus vite. Son souffle s'accélérait, de plus en plus saccadé.
Cette nuit était écrasante. Des larmes coulaient le long de ses joues, laissaient de longues traces grises sur son visage.
Cette nuit était sans fin. Ses pas s'enchaînaient, innombrables. Son esprit s'embrumait. Sous lui, ses membres allaient céder.
Il tourna brusquement dans une ruelle sale et humide. Il se plaqua contre le mur, les muscles tendus, la respiration coupée. Il attendit, immobile, durant des secondes qui semblaient être des heures.
La ville paraissait endormie. Seuls quelques chats osaient encore s'aventurer dans le froid de la nuit. Il avait les pieds et les mains gelés, protégés par des bouts de tissu fins et effilochés. Son cœur se calmait, battant de moins en moins vite, son souffle devenait plus calme. Il s'accroupit, et effleura le sol froid du bout de ses doigts. Une larme quitta son œil pour s'écraser contre la pierre.
Soudain, des hommes surgirent. Des soldats sûrement. Ceux de tout à l'heure. Il aurait dû s'en douter. Frapper l'un d'eux n'était pas un acte pardonnable. Mais sa sœur... il avait dû tenter quelque chose...
L'un des hommes le bouscula. Il tomba à terre, allongé contre le sol humide. Un autre lui envoya un coup de pied dans le ventre. Il se mordait la lèvre pour ne pas hurler de douleur. Les coups arrivaient de toute part, lui arrachant des gémissements de douleur. Recroquevillé sur lui-même, le visage en sang, il se répétait, pour ne pas sombrer, le nom de sa sœur : "Issia... Issia...".
Puis les coups cessèrent, aussi rapidement qu'ils étaient arrivés. Les pas s'éloignèrent, et le silence de la nuit l'enveloppa à nouveau, forme immobile sur le sol.
Son bras bougea difficilement. Il rampa jusqu'au mur délabré qui bordait la ruelle, il se redressa difficilement et s'assit avec douleur. Son corps frêle de garçon de treize ans était abîmé, mais son âme fragile était ravagée.
Sa sœur, Issia. Sa jumelle, son inséparable moitié. Enlevée. Emmenée par ces hommes violents. Pourquoi ? Qu'allaient-ils lui faire ? L'incertitude et l'angoisse étaient des douleurs accablantes. La tristesse et la peur maladive étaient des douleurs insoutenables.
Se lever. Il fallait se lever. Il se concentra et se redressa, tant bien que mal. Ses jambes le supportaient à peine, ses bras ne répondaient plus, son ventre était broyé, son dos semblait brisé, son visage ruisselait de sang. Il avança prudemment, pas après pas. Une marche de désespoir, une marche vers l'inévitable. La nuit progressait. Il marchait de plus en plus difficilement. Sa douleur était infernale, sa solitude tout autant.
Enfin, il s'arrêta devant une maison assez imposante, légèrement reculée, et se tourna machinalement vers la porte. Il était plus mort que vif. Dans un effort surhumain, il leva le bras et l'abattit contre la porte de bois. Le bruit résonna brièvement.
Il attendit, longtemps. Son corps vacillait, il se cramponnait à l'encadrement de la porte. L'attente devenait insupportable pour son corps meurtri.
Puis, la porte s'entrouvrit. La lumière éclatante l'éblouit vivement. Il pouvait apercevoir, dans la pièce éclairée, les contours d'un homme corpulent. Après s'être habitué à la lumière, il vit que l'homme avait un certain âge. Celui-ci le jugea longuement, puis appela rapidement un de ses compagnons. L'homme que l'on venait de demander, plus grand, plus mince, arriva, et après un vaste coup d'œil, acquiesça. Il repartit, et l'homme plus rond lui fit signe de rentrer. Il franchit, incertain, le seuil de la porte. Le désespoir l'avait conduit ici. Le seul refuge possible. Le seul endroit où il se sentirait peut-être chez lui. Le seul endroit où on l'accueillerait.
Cette nuit apportait une pointe de chaleur dans un cœur froid et désespéré. Mostès venait d'entrer dans la Confrérie des Ombres.