Meurtre à l'Ancienne

By Florieteller

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Juin 1932. L'universitaire Alceste Allaire embarque sur le paquebot Île de France en partance pour New York i... More

Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 4 (1)
Chapitre 4 (2)
Chapitre 5 (1)
Chapitre 5 (2)
Chapitre 6 (1)
Chapitre 6 (2)
Chapitre 7 (1)
Chapitre 7 (2)
Chapitre 8 (1)
Chapitre 8 (2)
Chapitre 9 (1)
Chapitre 9 (2)
Chapitre 10
Chapitre 11 (1)
Chapitre 11 (2)
Chapitre 12
Épilogue

Chapitre 3

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By Florieteller


Un rire à gorge déployée résonna autour de lui. Alceste imagina une jeune femme élancée, relevant la tête et riant aux éclats. Il sentit les draps contre sa peau, l'odeur de bois vernis de sa cabine. Ce n'était pas un rêve, une femme était en train de rire à quelques mètres de sa fenêtre, et Alceste était maintenant éveillé.

Il débroussailla rapidement ses cheveux et enfila sa robe de chambre en flanelle, puis passa une tête en direction de la nuisance sonore. Quelques mètres plus loin, accoudé au bastingage se tenait lord Canterbury, le bras posé nonchalamment sur la barrière, une cigarette matinale dans l'autre main. Souriant et charmeur, il paraissait presque sympathique. À ses côtés se tenait une jeune femme. Bien entendu. Alceste referma le hublot du salon et épia le couple depuis sa chambre, afin de reconnaître laquelle de ces célibataires de bonne famille profitait de l'humeur matinale du lord.

La sœur aux yeux verts : Adèle Montrouge, la jeune veuve qui voyageait avec son frère vers un remariage arrangé. Les jeunes gens semblaient parfaitement assortis, tous deux dans leur trentaine, lord Canterbury drapé d'une élégance toute britannique, et la grande Française avec ses longs cheveux noirs et son regard mystérieux. Alceste ne pouvait entendre la conversation depuis sa cabine, mais il lui était inutile d'en comprendre les mots : le langage du corps suffisait pour deviner ce qui se tramait ici. Une légère caresse de l'élégante main vernie sur le bras puissant du jeune coq flatté, un sourire en coin, un regard prolongé. La belle courtisait, le mâle jaugeait sa partenaire. Quels que soient les défauts de son caractère, Lord Canterbury avait bien raison de profiter de la situation, pourquoi se priverait-il de tant d'attention?


Quelques instants plus tard, Alceste terminait sa toilette et ajustait son veston en tweed. Il ramena une mèche de cheveux derrière l'oreille, saisit sa sacoche en cuir remplie de notes de recherche et décida de travailler au petit salon. Il sortit une montre à gousset de la poche de son veston : s'il avait bien calculé son coup, il devrait être tranquille. À cette heure-là, la plupart des passagers avaient fini leur petit déjeuner.

En sortant de sa cabine, il aperçut lord Canterbury et Adèle Montrouge, toujours en grande discussion sur le pont. Il croisa une autre jeune femme sur le chemin du petit salon, elle le bouscula puis continua son chemin sanslui adresser la moindre excuse. Il se retourna pour proférer une remontrance lorsqu'il la vit bifurquer en direction du lord et de la jeune veuve. La dame arbora un large sourire et salua les deux passagers, prenant soin de se positionner entre eux.

Alceste descendit au petit salon le sourire aux lèvres. Intéressant. Qui était cette jeune blonde impolie, déjà ? Parcourant le flux de sa mémoire, il la revit à la réception de l'hôtel, franche et décidée, admonestant le réceptionniste de lui remettre des lettres qu'elle n'avait pas l'autorisation de récupérer. Puis il se souvint l'avoir vue en compagnie de deux hommes d'affaires la veille au dîner, que M. Delcourt, le frère aux yeux verts, avait reconnu. Il fallait dénicher miss Wesley et lui demander de plus amples informations sur cette femme et les deux hommes qui l'accompagnaient.

« Ah, Marie Tullier, bien entendu ! s'exclama Johanna Wesley à la table du petit déjeuner.
Pour une fois, Alceste fut ravi d'avoir trouvé la vieille dame au petit salon à son arrivée, il s'était empressé de la saluer et de s'asseoir à sa table. Les deux passagers étaient maintenant installés, petit déjeuner servi et thé en main. Le jeune homme venait de conter la scène de la matinée à Johanna.
— Tullier... N'est-ce pas là le nom de la fiancée supposée de lord Canterbury ? demanda Alceste à mi-voix.
— Vous avez bonne mémoire ! Je pensais sincèrement que vous ne m'écoutiez pas, hier après-midi, rit la vieille dame. En effet, toutes ces femmes perdent leur temps. Si la rumeur dit vrai, lord Canterbury est fiancé à la fille de Charles Tullier. Très fortuné, l'industriel est à la tête d'une compagnie de sidérurgie florissante du nord de la France.
— Mais je pensais que cette mystérieuse fiancée n'était pas à bord ? De plus, cette femme impolie ne se comportait point comme une fiancée secrète, loin de là.
— Vous êtes très observateur ! s'exclama miss Wesley d'un air amusé. Non, Marie Tullier n'est pas la fille de Charles, mais sa cousine. Elle voyage avec M. Tullier et son partenaire d'affaires, Henri Mercier. Si vous avez dîné au salon hier soir, vous avez dû les voir tous trois à la même table. »
La table de la blonde colérique et des deux hommes d'affaires, pensa Alceste. Il commençait à comprendre. La rumeur disait que Charles Tullier aurait convaincu lord Canterbury d'épouser sa fille dans le cadre d'une discussion d'affaires, un arrangement mutuel pour le bénéfice de tous. Mademoiselle Tullier devait rejoindre son père sur le paquebot mais elle était finalement restée en France, disant se porter pâle.
« Il paraît qu'en réalité, elle est restée pour préparer l'annonce officielle des fiançailles.
— Préparer des fiançailles ? demanda Alceste, interloqué. Je connais de nombreuses familles bourgeoises qui passent des mois à préparer un mariage, mais des fiançailles...
— Ces rumeurs vous laissent dubitatif, jeune homme ? s'enquit la vieille dame, le regard en coin. Moi aussi. On dit que lord Canterbury annoncera ses fiançailles à son retour des États-Unis, dans quelques semaines. Mais je ne suis pas sûre que le lord se complaise à être importuné, enfin, courtisé, partout où il va.
— Vous voulez dire que s'il était vraiment fiancé, il l'aurait déjà annoncé pour être tranquille ? Je ne sais pas...
Alceste caressa son menton distraitement.
— Il a l'air flatté par toute cette attention.
— Ne vous fiez pas aux apparences, M. Allaire. Je suis persuadée qu'il se trame davantage dans la tête de Canterbury que ses manières pompeuses ne laissent croire. »

Laissant Alceste méditer sur ces paroles, Miss Wesley prit congé, ne laissant que silence et questions derrière elle. Il sortit son carnet de notes et se remémora sa première rencontre avec lord Canterbury, à la réception du Grand Hôtel Frascati, deux jours auparavant. Avait-il catalogué le personnage trop rapidement ? S'était-il laissé influencer par ses grands airs et les reproches de la petite Anglaise aux cheveux courts ? Ou bien miss Wesley laissait-elle libre cours à son imagination pour pimenter son voyage solitaire ?

Agacé par le vagabondage de son esprit, Alceste rangea son carnet et sortit ses notes de thèse. Il savait que cette histoire de fiançailles était une parfaite excuse pour remettre son travail à plus tard. Cela devait cesser.

***

« Ce voyage me semble une suite de déjeuners et de dîners qui n'en finissent pas.
— Vous oubliez l'heure du thé, mademoiselle Lockhart, répondit Alceste, qui venait de prendre place pour le dîner.
— Je vois que vous appréciez votre séjour sur ce paquebot autant que moi, rit la jeune Anglaise. Puisque l'heure est aux discussions courtoises, puis-je vous demander ce qui vous amène à New York, M. Allaire ?
— Mais, mes recherches bien sûr. Voyez, je suis en train de rédiger une thèse sur la psychologie de certains tueurs. Je pense que l'on peut isoler des caractéristiques communes, déchiffrer leur comportement afin de les appréhender plus facilement. Voyez, nombre d'entre eux sont extrêmement intelligents, et se fondent parfaitement dans la masse. Une simple série d'interrogatoires ne suffit pas à les percer à jour. Dans certains cas, le coupable s'est avéré être l'un des premiers suspects que la police a écarté ! Mon postulat se base sur l'étude du profil psychologique du meurtrier à partir des données du crime. Une fois ce profil établi, et seulement à ce moment-là, la police pourrait rassembler les détails personnels des suspects potentiels et chercher les similitudes. N'est-ce pas fascinant ? »
Regardant les lumières du plafond d'un air absent, Lynn but une gorgée de Champagne. L'ennuyait-il déjà ? Alceste fronça les sourcils.
« Et vous, miss Lockhart ? Ne seriez-vous pas à bord de ce paquebot précisément parce que votre lord Castle-Berry s'y trouve ? piqua-t-il sèchement.
— Vos études du comportement humain ne comprennent pas de volet pratique, je suppose ? répondit-elle avec un large sourire. Pour quelle raison aurais-je suivi cet odieux personnage pendant un voyage de six jours ?
— Et pourquoi avez-vous embarqué au Havre et non à Plymouth ? N'êtes-vous pas sujet de la Couronne ?
— J'habite Paris. Vous avez rencontré Johanna Wesley. Vous trompez l'ennui en spéculant avec elle sur les rumeurs de testament de la famille Canterbury. N'avez-vous pas une thèse à écrire ?
Lynn regardait Alceste d'un air amusé.
— Mais pas du tout. Comment appeliez-vous cela ? Une discussion courtoise ? répliqua Alceste.
— Vous avez une définition intéressante de la courtoisie, M. Allaire. Mais vous avez rendu cet échange fort passionnant. Avez-vous défini une liste de prétendantes à bord ? Ou bien suis-je la première candidate ? »

Alceste s'apprêtait à répondre lorsque la conversation fut interrompue par l'arrivée des autres convives. Marie Tullier, la jeune blonde impétueuse, prit place aux côtés de Lynn Lockhart et entama une conversation. L'industriel Charles Tullier et son associé Henri Mercier encadraient Alceste.

Quelques minutes plus tard, lord Alastair Canterbury compléta la table avec Robert Carlisle, qui se présenta à l'assemblée comme conseiller financier de la famille Canterbury. Avec de tels convives, le dîner promettait d'être mémorable. Alceste se surprit à apprécier la situation : il avait hâte d'observer les réactions de chacun. Marie Tullier arborait un large sourire en direction de lord Alastair, tandis que Lynn Lockhart forçait toute son attention vers la discussion qui animait les autres convives.

« Le groupe Tullier semble avoir le vent en poupe, Monsieur, commença miss Lockhart. J'ai entendu que vous aviez obtenu un contrat de taille pour la construction de lignes de train électriques dans le sud de la France ?
— En effet, répondit M. Tullier, surpris. Vous semblez fort bien informée, mademoiselle.
— Certains titres ont pris de la valeur en conséquence, sourit-elle.
— En voilà une surprise ! s'exclama Tullier. Une dame au fait de la spéculation boursière. En effet, notre compagnie de sidérurgie vient de décrocher le contrat, nous allons fournir le matériel ferroviaire nécessaire pour moderniser les lignes le long de la Côte d'Azur.
— Le train électrique, ponctua Henri Mercier, son jeune associé. Voilà la modernité. Ne vivons-nous pas une époque merveilleuse ? ajouta-t-il, paumes de mains vers le ciel.
— Ce paquebot est exceptionnel, en effet, convint M. Carlisle.
— Les compagnies de transport ont le vent en poupe de nos jours, renchérit Tullier. Notre civilisation étend ses ailes, l'internationalisation est en marche. N'est-ce pas là un excellent secteur dans lequel investir ? lança-t-il d'un clin d'œil à miss Lockhart. Enfin, à condition d'en savoir suffisamment sur les relations entre les acteurs du secteur, n'est-ce pas, mylord ? Sinon, l'on pourrait se retrouver à miser sur le mauvais candidat.
— Plaît-il ?
Lord Canterbury s'extirpa de sa conversation avec Marie Tullier.
— L'agneau n'est-il pas fameux ? s'interposa Robert Carlisle.
— Peu importe l'agneau, Robert, balaya Alastair Canterbury. Je sélectionne mes placements de la façon la plus pointue qui soit, M. Tullier. Pensez-vous que je serais ici avec vous, en première classe de la Rue de la Paix de l'Atlantique, si ce n'était pas le cas ? Vous devriez peut-être miser sur un sujet de conversation que vous maîtrisez, lorsque vous dînez en telle compagnie. »

Le lord Britannique jeta un regard furtif en direction de miss Lockhart, qui regardait les deux convives en silence. Après une courte pause gênée, la conversation reprit autour de l'éloge de l'Île de France et de ses aménagements modernes et luxueux.

***

« Vous voyez, M. Allaire, c'est précisément ce genre d'attitude que je trouve tout à fait insupportable, expliqua miss Lockhart autour d'un thé, quelques heures plus tard.
Les convives s'étaient dispersés vers leurs occupations de seconde partie de soirée. La plupart des hommes s'étaient réunis au fumoir, certaines femmes avaient pris congé ou rejoint leurs amies pour une partie de cartes. Alceste se trouvait seul en compagnie de Lynn Lockhart, la jeune Anglaise aux cheveux courts.
— Faites-vous allusion à l'échange entre lord Canterbury et Charles Tullier, mademoiselle ?
— Tout à fait. Et je fais le lien avec notre discussion courtoise de début de soirée, M. Allaire. Je ne suis pas sur ce paquebot afin de présenter ma main à ce freluquet. Par ailleurs, il ne manque pas de demoiselles à son service. Ne vous inquiétez pas, vous avez de quoi occuper le reste de votre séjour.
Elle jeta un œil à la table de Marie Tullier, affairée à une partie de cartes un peu plus loin. Alceste soupira.
— Certes, votre manque d'estime pour lord Canterbury m'est apparu de manière évidente au cours de ce dîner, miss Lockhart.
— Il serait bien plus digne et courageux de sa part d'admettre son mauvais placement, plutôt que d'attaquer M. Tullier de la sorte, expliqua Lynn. Les titres du groupe concurrent, celui qui a raté le contrat de modernisation des lignes de côte d'Azur, ont perdu une valeur significative ces dernières semaines. Il se rend ridicule à nier ainsi ce que toute personne un tant soit peu informée sait pertinemment.
— Vous êtes donc réellement au fait dans ce domaine, mademoiselle ? Je suis impressionné.
— Parce que je suis une femme ? J'ai repris l'affaire de mon père à sa mort, je me dois d'être à la page sur ces sujets pour remplir mon rôle de dirigeante d'entreprise au mieux. Si lord Canterbury veut être estimé en société, il devrait faire de même.
— Cela dit, il connaît certainement ses propres placements mieux que M. Tullier. Je suis étonné que M. Carlisle, son conseiller financier, ne soit pas intervenu.
— Peu importe la situation des placements de l'un ou de l'autre, M. Allaire. Il s'agissait de faire le coq. Je suppose que M. Carlisle ne souhaitait pas rentrer dans ce jeu-là. Je n'approuverais pas non plus, à sa place.
— En tout cas, le dîner fut intéressant, sourit Alceste. Je préfère manger seul, mais j'avoue que cet échange était passionnant. Il en dit long sur la personnalité de chacun.
— Avez-vous établi notre profil psychologique, M. Allaire ? rebondit Lynn Lockhart avec un large sourire.
— Nullement, ce ne serait pas correct. Après tout, ceci n'est pas une enquête criminelle.
— Sur ce, je vais vous laisser. Je pense que cette discussion courtoise a fait son office, je vais me retirer.
— Bonne nuit, mademoiselle. »

Assis à une table en retrait, Alceste sirota un Brandy en observant une table de joueurs de bridge : le couple fraternel, Adèle Montrouge et Pierre Delcourt, étaient assis en compagnie de Marie Tullier et de l'associé de M. Tullier, dont le nom échappait à Alceste. Les quatre joueurs se jaugeaient avec prudence. L'associé semblait contraint de participer à cette partie de cartes. Pierre Delcourt, digestif à la main, agissait en maître de maison avec sa sœur, et Adèle restait en retrait. Alceste s'attarda quelques minutes avant de se lever de table. Après tout, il serait peut-être intéressant de s'exercer à établir le profil psychologique des passagers, pensa-t-il en retournant à sa cabine. Cela n'était incorrect que s'il était découvert.

L'opportunité se présenta moins d'une demi-heure plus tard. Lassé d'attendre le verre d'eau qu'il avait demandé au personnel de bord, il décida de partir le chercher lui-même et fut intrigué par des éclats de voix venant du petit salon. Était-ce les joueurs de cartes, pouvaient-ils encore y être à cette heure-ci ? Alceste consulta sa montre à gousset. Vingt-trois heures trente. Il observa le frère Français, M. Delcourt, se diriger vers sa cabine. La partie de cartes était donc tout juste terminée. Peut-être la table comprenait-elle un mauvais perdant.

Alceste regretta de s'être retiré si tôt. Lorsqu'il passa au petit salon sur le chemin du retour vers sa cabine, la pièce était vide. Il repartit, carafe d'eau en main. Il fronça le nez, le bien surnommé Rue de la Paix de l'Atlantique gagnerait à améliorer son service. Les cabines devraient être pourvues en eau, et même si ce n'était pas le cas, le personnel devrait être plus prompt à répondre aux besoins de leurs passagers. Il n'était probablement pas le seul à le penser, songea Alceste en apercevant la belle Française, Adèle Montrouge, quitter sa cabine au moment où il regagnait sa propre suite.



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