Chapitre 7 (1)

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Pierre Delcourt jaugea Alceste Allaire avec une pointe de mépris.

— Je n'ai pas de temps à perdre avec ces balivernes.

— Le capitaine a demandé mon aide pour résoudre ce meurtre, expliqua Alceste sans se démonter.

— Capitaine Saurin peut jouer à tromper votre ennui s'il le souhaite, mais je ne rentrerai pas dans votre petit jeu, monsieur Allaire. L'Île de France accoste à New-York dans quelques jours, je suis sûr que la ville dispose d'une expertise policière adéquate.

Le jeune Français commença à s'éloigner.

— Je n'ai qu'une question pour vous, monsieur Delcourt. Connaissiez-vous la victime avant ce voyage?

— Absolument pas.

Claquant la porte de sa cabine, Pierre Delcourt mit fin à la conversation.

Il est devenu blanc en apercevant la table de la victime le premier soir, songea Alceste en s'éloignant. S'il disait la vérité, ce serait la vue du partenaire d'affaires, Henri Mercier, ou de la cousine, Marie Tullier, qui l'aurait décontenancé. Cela, ou il connaissait la victime dans des circonstances qu'il ne souhaitait pas dévoiler. Alceste griffonna un mot dans son carnet.

Détail suivant : la dispute à la fin de la partie de bridge. S'il s'agissait d'une simple altercation liée au jeu de cartes, les joueurs n'auraient pas caché les faits aux employés du paquebot. Que l'un d'entre eux oublie de la mentionner était une chose, mais quatre personnes ? Alceste devait s'entretenir avec Henri Mercier, partenaire d'affaires de la victime et joueur de bridge.

Après avoir visité les espaces publics de la première classe et frappé à la porte de la cabine de M. Mercier, Alceste prit conscience de l'immensité de l'Île de France. Il se promenait comme une âme en peine sur le pont, incapable de trouver son témoin. Peut-être devrait-il partir à la recherche de la quatrième joueuse de bridge, Marie Tullier. Une douce voix flûtée interrompit sa rêverie.

— M. Allaire ! Je suppose que vous êtes au fait de la tragédie, demanda Miss Lockhart d'un air faussement grave. Vous qui êtes un expert en psychologie du meurtrier, que faites-vous donc de cette affaire ?

La petite Anglaise portait une longue robe noire, par décence peut-être ? Un châle gris, illuminé d'une broderie entrelacée de vert et bleu paon, couvrait ses épaules. Elle s'ajusta au rythme de marche d'Alceste, alors que le soleil de fin d'après-midi inondait le pont de la première classe. Légèrement ennuyé par l'interruption, le détective s'apprêtait à la congédier lorsqu'elle reprit la parole.

— J'ai entendu la plus intéressante des conversations ce matin. J'ai prévu de m'entretenir avec le capitaine bien sûr, mais je me suis dit que l'information pourrait vous intéresser. Vous êtes, après tout, à la recherche du meurtrier, n'est-il pas ?

— En effet, répondit Alceste, flatté. Mais comment le savez-vous ? Le capitaine vous a-t-il parlé de moi ?

— Pas du tout ! Ce ne serait pas très sérieux de consulter un jeune passager sur l'affaire.

Lynn marqua une pause et observa la moue d'Alceste. Hésitant entre agacement et curiosité, il serra les poings mais laissa la jeune femme continuer.

— Je vous ai vu entrer dans la cabine du capitaine de bon matin, traîner votre carnet partout et tenter de parler à d'autres passagers. Je doute que vous cherchiez à échanger des plaisanteries avec les convives du dîner d'hier soir.

— Vous êtes très observatrice, miss Lockhart. J'effectue en effet une enquête discrète pour le compte du capitaine Saurin. Je travaille en qualité de consultant sur la psychologie des meurtriers. Il souhaiterait offrir un suspect à la police New-Yorkaise en arrivant.

— Quel défi ! Il ne vous reste donc que quelques jours. Comment avance votre enquête alors ?

— Je regrette de ne pouvoir vous en dire davantage, miss Lockhart. Vous êtes après tout...

— Suspecte ? Intéressant ! Voulez-vous entendre ce que j'ai à vous dire ou non, monsieur le consultant ? demanda miss Lockhart d'un air espiègle.

— Bien entendu, tout témoignage m'est précieux. Je vous écoute, concéda Alceste d'un air vaguement ennuyé.

Il avait du mal à cerner cette jeune Anglaise. Cherchait-elle à attirer l'attention ? Pourtant, son comportement depuis leur rencontre ne suggérait pas un tel caractère. Glaner des informations alors ? Alceste se retint de froncer les sourcils et écouta la passagère.

— Cela s'est passé ce matin. En fin de matinée peut-être ? Entout cas, tout le monde parlait de la tragédie de la nuit dernière. Je m'étais éloignée pour lire en paix. J'ai trouvé un coin assez confortable et isolé, là-bas, autour des canots de sauvetage.

— Vous grimpez là-haut pour lire ? demanda Alceste, surpris, en observant les canots alignés au-dessus du pont.

— Vous savez, ce n'est pas si difficile à atteindre. Mais là n'est pas la question. Ce matin, j'ai surpris une conversation entre deux dames de compagnies. Je n'ai pas pu les observer de près. D'après elle, la victime se serait rendue à Hatfield. Au domaine de la famille Canterbury. Là-bas, les bruits de cuisine mentionneraient un accord d'affaires pas tout à fait consensuel.

— Pas tout à fait consensuel ? répéta Alceste d'un air sceptique.

— Un chantage, monsieur Allaire. Serait-ce possible que l'origine de ce mariage arrangé entre lord Canterbury et mademoiselle Tullier soit forcé? Voilà qui garantirait une ambiance unique dans les repas de famille !

— C'est une information de grande importance, miss Lockhart.

— Mais ?

— Je ne peux pas baser l'enquête sur une rumeur de cuisine, rapportée par la discussion volée entre deux passagères qui auraient un accent de dames de compagnie.

— C'est bien vrai. Après tout, ce n'est pas comme s'il vous restait à peine trois jours pour trouver un suspect.


Meurtre à l'AncienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant