Water Lily

By RosalineOscar

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Son doigt effleura ma peau. Froid et chaud à la fois. M'électrisant au simple contact. Il traça la courbe lég... More

Pitié, pas de rat.
Ou comment se retrouver sur le cul.
Adieu le rêve, bonjour le cauchemar.
Ce que je suis ? Oh je sais pas. Peut-être un truc poilu.
Moi bizarre ? Vous vous êtes regardés peut-être ?
Ou comment dire : je cours à la catastrophe.
Je n'ai pas besoin d'un chien de garde. Quoique. Tu mords bien ?
Ou comment se sentir plus monstrueuse que monstrueuse.
Qu'est-ce que je suis ?
Besoin de temps. Acte I, scène I.
Besoin de temps. Acte I, scène II.
Avance et ne recule plus.
Evolution. Non je ne parle pas de Darwin. Ni de Pokémon.
Avoir un petit-ami surprise en une leçon.
Oui maman, je ne suis plus une enfant. Ah et oui. J'attire les psychopathes.
J'entends des voix. C'est pas suffisant ? Bien, je vois des fantômes alors.
Finalement, je vais peut-être avoir quelques poils.
J'ai, comme qui dirait, un léger mal de crâne.
Baisé mouillé.
Doucement, tu grandiras encore. Si tu survies jusque là.
Envie d'une reconversion ? Essayez dompteuse de Lion.
Je ne deviendrai pas dompteuse de lion.
Hier, je te détestai. Aujourd'hui, tu vas me manquer.
Passé. Présent. Rêve. Réalité. Je ne sais pas ce que je préfère.
Plongé en terre inconnue.
Passion pour les frites.
Ou comment le Dieu des céréales m'a prise en grippe.
Monstre ou humaine. Un pas vite franchi.
Comment gérer les catastrophes (ou pas) pour les nuls.
Tuatha de Dannan, d'histoires en histoires.
Lien. Pas tout à fait celui que j'attendais.
Water lily, la puissance du nénuphar.
Marron. Ils étaient marron.
Sacrifice.
Epilogue
Tome 2

La mélodie de la lune.

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By RosalineOscar







Plus un battement, plus un son, plus rien. Le vide. Mon cœur s'était arrêté dans ma poitrine durant une longue seconde avant de s'animer trop vivement, bondissant en tous sens. Il n'avait pas pu me dire une telle chose, désinvolte. Cela ne pouvait pas être la réalité. Il y a quelques heures, je ne savais même pas que Bianca existait, ni même qu'ils avaient une sœur. Alors comment aurait-elle pu être morte par ma faute ? Cela n'avait aucun sens. Sinistrement aucun. Je paniquai. Je ne pouvais pas encaisser une information semblable. 

La main de Kenan se posa sur ma taille, assurant une pression suffisante pour attirer mon attention. Je vrillai mes yeux perdus, sur les siens, inquiets. Il soupira avant de me désigner l'étendue d'eau devant nous. Dont la surface plane et calme ne l'était plus. Se calquant sur mes émotions chaotiques, des vagues venaient remonter sur mes mollets. Mais ce n'était pas l'unique changement, la lune s'était camouflée derrière d'épais nuages noirs et ceux-ci semblaient nous menacer de leur courroux. Je fermai les yeux brusquement et enfonçai durement mes dents dans ma lèvre inférieure. Je devais me calmer. Je devais me calmer. Je devais me calmer. 

- Dis-moi que tu t'es mal exprimé, murmurai-je péniblement, luttant contre la panique qui me broyait pourtant l'estomac.

- Disons... que je préfère penser cela plutôt que d'avouer que c'était uniquement ma faute et celle de Maël.

Sa voix se brisait dans un éclat que je ne lui connaissais pas. Je tournai mes yeux vers lui contemplant ses iris d'un vert émeraude qu'il glissa dans les miens en laissant toutes ses émotions accessibles à mes pensées. Peine. Honte. Regret. Mais plus que tout autre : souffrance. Une souffrance immense qu'il n'avait jamais pu annihiler. 

Malgré moi, ma main vint se poser sur sa cuisse, lui assurant ma présence. Il baissa les yeux, mais sa main vint se placer par-dessus la mienne, ses doigts venant écraser les miens un peu durement. Cependant, je ne protestai pas le moins du monde. Il s'excusa vaguement avant de passer ses doigts, plus doux, entre les miens. Ce geste était d'une normalité tranchante face à ce qu'il s'apprêtait à me raconter. Néanmoins, mon cœur battait plus chaudement dans ma poitrine. La panique s'était dissipée, seule l'inquiétude résonnait désormais en moi. 

- C'était il y a dix ans, reprit-il, ses doigts se crispant sur ma peau. Maël et moi... avons entamé une énième dispute à ton sujet. Nos idées divergeaient.

- À quel propos ? Questionnai-je, doucement.

- S'il avait accepté le lien, ce n'était pas mon cas, tenta-t-il de paraphraser.

- Depuis quand mâches-tu tes mots ? Rétorquai-je donc sobrement.

- Comme tu veux. Je voulais te tuer pour rompre le lien définitivement. Il n'était pas d'accord, résuma-t-il sommairement dans une froideur parfaite.

Mon visage devint livide. Kenan évitait mon regard alors que mes yeux écarquillés le détaillaient dans l'espoir qu'il éclate de rire pour me signifier une blague de mauvais goût. Mais il était mal à l'aise, trop pour se décider à relever le visage. Et anxieux. Anxieux de savoir comment j'allais prendre le fait qu'il avait souhaité, profondément, ma mort. Il m'avait haï dès ma naissance. Il avait haï toute mon existence. 

Dans un geste impulsif, je tentai de lui retirer ma main mais il la serra fermement, ne me laissant d'autre choix que de m'immobiliser. Enfin, il daigna ne plus fixer le lac, m'accordant le droit de voir dans ses iris une supplication silencieuse. Je me crispai, mais ne tentai plus de me débattre, lui laissant l'occasion de reprendre la parole : 

- Je regrette d'avoir agi de la sorte, m'assura-t-il calmement. Ne me juge pas pour mon passé, Keyli. J'ai changé depuis bien longtemps déjà.

- Tu as voulu me tuer alors que je n'étais qu'une enfant, je ne t'avais rien fait.

- Ce lien était insensé pour moi, articula-t-il plus durement. J'étais un démon avec peu de vertu, je n'avais aucune envie de me ranger. Cependant, j'ai changé d'avis. Je ne suis plus le même qu'à cette époque. T'ai-je donné la moindre raison de penser que je te voulais du mal ?

Je marquai un temps d'arrêt avant de soupirer. Je me détournai, venant triturer, de ma main libre, mon médaillon. Il marquait un point. Je me sentais en sécurité avec lui, jamais il ne me serait venu l'idée qu'il me ferait le moindre mal. Alors il avait sans doute raison. Le passé était le passé. Mais le passé ne constituait-il pas notre présent ? Pouvions-nous réellement faire une simple croix dessus et passer à autre chose ? Je n'en étais pas convaincue. 

Ce lien était un poids pour lui. Ou, du moins, en avait été un. Et la question qui voulait émerger dans mes pensées était simple : est-ce que ce fait avait changé ou était-ce le lien qui était devenu trop fort pour qu'il ne me haïsse pleinement ? Mes doigts entre les siens restaient immobiles, n'exerçant plus la moindre pression. Mais il ne les lâchait pas, les gardant solidement en sa possession. Si le geste pouvait sembler mignon, son corps crispé et le soupir d'agacement qu'il laissa échapper, témoignait du trouble de ses sentiments. Il n'aimait pas que je le remette en question. Pas plus qu'il n'aimait avoir, un jour, voulut nuire à ma vie. Ses yeux se posèrent sur un point invisible devant lui, se perdant dans un méandre d'émotions diffuses. Je pris alors conscience que le démon enfouissait beaucoup de choses. Peut-être même trop. Il devait parvenir à s'exprimer, parvenir à parler de ces événements douloureux. Et je ne pouvais pas me permettre d'être une enfant. Je n'en étais plus une. 

- Continue, annonçai-je. Je t'écoute.

- Une dispute a éclaté avec Maël sur ce sujet, obéit-il en me surprenant quelque peu, se montrant soudainement assez distant. Elle a été violente. Plus que d'habitude. Nous avons perdu le contrôle de nos pouvoirs, l'un comme l'autre.

Il se stoppa quelques secondes. Il ne savait pas comment continuer cette histoire, ne savait même pas s'il était capable de le faire. Les regrets le submergeaient. La souffrance l'étouffait. Mes doigts se refermèrent sur les siens et il releva les yeux vers moi. Je ne le détournai pas mais rougis vivement lorsque Kenan laissa tomber son visage dans ma direction. Je ne bougeai pas, mon cœur loupa un battement. Il allait m'embrasser, n'est-ce pas ? Mais, avant même que je ne sache définir si j'en avais envie ou non, j'eus la réponse à mon interrogation. Non. Son front venait juste de se coller au mien. 

Surprise, je n'osai pas bouger, comprenant mal ce geste qui nous imposait une proximité intime. Son souffle s'écrasait sur mes lèvres. Et accentuant cette sensation d'intimité, sa main monta dans ma nuque, caressant ma peau dans un contact des plus doux. Hésitante, je finis par passer mes doigts dans ses cheveux sombres, décidant de le laisser agir comme il le désirait. 

- Elle a voulu nous arrêter. Elle s'est interposée, murmura-t-il difficilement. Le feu et l'eau sont des éléments puissants séparément... alors ensemble... elle est morte sur le coup.

- C'était un accident, murmurai-je, peinant à trouver d'autres mots que ceux-ci.

- Cela ne change rien à nos responsabilités, désapprouva-t-il. Je suis le plus responsable dans cette histoire. En réalité, je me trouve des excuses en affirmant que tu es responsable ou que Maël a une part à prendre, lui aussi...

- Elle ne t'en veut pas, assurai-je doucement. Elle m'a uniquement dit de vous dire qu'elle vous aimait. Elle savait, Kenan, et elle ne vous en a jamais voulu.

Kenan ne répondit pas, laissant juste tomber sa tête dans ma nuque. L'humidité de ses larmes venant couler sur ma peau. Je fermai les yeux, la mâchoire serrée alors que sa peine affluait trop fortement en moi. Comme si c'était la mienne. Mais n'était-ce pas un peu le cas ? Je l'enlaçai plus fermement, passant une main dans son dos et gardant l'autre emmêlée dans ses cheveux. Ses bras me ramenèrent contre lui, me serrant aussi fort qu'il semblait pouvoir le faire. 

Sa chaleur m'enveloppait à un tel point que je ne parvenais plus à savoir qui réconfortait l'autre. Aucun danger. Aucune menace. Kenan ne me voulait aucun mal. Tout au contraire, la faiblesse qu'il m'offrait me laissait voir une personnalité que je n'aurai pas soupçonnée. Tout était d'un naturel que je ne pus pas relier à ce lien. C'était plus profond, plus réel, plus puissant qu'un lien créé par un autre. 

Silencieux, nous restions ainsi pendant un long moment, Kenan s'apaisant au fur et à mesure. Il avait gardé sa tête camouflé dans ma nuque, détestant l'idée de me montrer de quelconques larmes. Il était déjà assez difficile, pour lui, de se montrer plus fragile que d'habitude. Mais, il finit par redresser le visage, me gratifiant d'un mince sourire. Je fronçai les sourcils, sceptique devant ce sourire attendri, plus que déstabilisant provenant de ce bougre de démon. Il ne tarda, cependant, pas à me l'expliquer : 

- Tu as l'air idiote avec tes yeux rouges.

- Je te retourne l'amabilité, rétorquai-je.

Il grimaça, m'affublant d'un nom d'oiseau pour me signifier son mécontentement. Mais, conservant son calme, il ajouta un mince remerciement à peine audible. Au fond, seules ses lèvres avaient esquissé le mouvement, sa voix ne les avait pas franchis. Mais c'était amplement suffisant. Je hochai simplement la tête, voulant affirmer qu'il n'avait pas à le faire. Je ne méritai aucun remerciement. Au contraire. J'étais coupable. Sa parole première avait une part de vérité : j'étais responsable. Si je n'avais pas existé, si ce lien n'avait pas eu lieu d'être, tout aurait été différent. Pour eux. Pour elle. Pour lui. 

Moins radicale, je relevai à une pensée qui ne m'avait pas effleurée depuis quelques temps mais qui revenait violemment accaparer mon esprit : j'aurais voulu être une fille normale. Pas une marquée. Juste une fille banale qui, à cette période de l'année, aurait juste eu comme préoccupation de savoir quelle robe de bal serait la plus judicieuse à porter pour la cérémonie de fin d'année du lycée. Inspiré par les écoles Américaines, depuis deux ans, mon ancien lycée tentait d'organiser une petite soirée festive pour les terminales. Ce n'était rien d'extraordinaire. Mais cela créait toujours l'euphorie. Et je dus admettre que comme la plupart des filles de mon âge, j'avais un jour espérer me rendre à ce bal, imaginant qu'il bouleverserait ma vie de jeune adolescente. Comme si, soudainement, cette soirée attirerait l'attention de ce garçon sur lequel nous bavions depuis l'école élémentaire. 

- Tu as vraiment des rêves stupides, me souligna Kenan, placide.

- Fiche-moi la paix, protestai-je. J'ai les rêves que je veux.

- Debout.

S'obéissant à lui-même, Kenan se hissa sur ses jambes avec aisance, aidé par ses longues ailes noires. Pour ma part, je restai immobile, inquisitrice lorsqu'il se planta devant moi, attendant visiblement que je l'imite. Évidemment, il ne prit pas la peine de répondre à mes interrogations me fixant stoïquement avant de me tendre sa main dans m direction. Je la contemplai un instant. Soupirai. L'attrapai. Et me retrouvai debout en moins d'une minute, sans savoir ce qu'il me réservait. Mais il semblait décidé à me troubler un peu plus encore : 

- Donne-moi ton téléphone.

- Pourquoi ? Interrogeai-je cherchant, néanmoins, déjà l'objet dans la poche arrière de mon jean.

- J'en ai besoin.

- Ça j'aurais pu le deviner toute seule, soupirai-je, agacée.

Il haussa les épaules et m'arracha presque le petit objet des mains quand je le lui tendis. Obtenir une information d'un démon était une tâche des plus complexes. Vaincue d'avance, je me contentai de le regarder fouiller, quelques secondes, dans mon téléphone, ses doigts pianotant sur l'écran tactile en me faisant remarquer que je ne l'avais jamais vu avec un téléphone portable dans les mains. Et je me doutai qu'il n'en possédait pas. À quoi bon utiliser un portable quand nous pouvions  user de la voie télépathique pour communiquer à distance ? Même moi, ancienne accro de cette technologie, ne m'en servait plus que pour joindre ma mère. 

Mes sourcils se froncèrent finalement lorsque Kenan appuya une dernière fois sur l'écran, déclenchant une douce mélodie qui nous engloba bientôt. Je n'avais aucun mal à reconnaître la voix si envoûtante d'Ed Sheeran. Je contemplai Kenan, de plus en plus intriguée par son comportement lorsqu'il déposa le téléphone au sol, le laissant diffuser la mélodie. 

- Tu m'accordes cette danse ?

J'écarquillai les yeux, comprenant soudainement à quoi il jouait. Sans trop me laisser le temps de réfléchir, sa main attrapa la mienne, mais il attendit avant de m'entraîner derrière lui. Il me laissait le droit de refuser. Je me mordis la lèvre. Pour quelle raison pourrais-je refuser ? Et pour quelle raison accepterai-je ? Étais-ce réellement le moment le plus opportun pour jouer les adolescents ? Sa patience déjà à bout, Kenan céda à son envie de décider à ma place. Il me tira fermement en avant. 

Ses ailes se déployèrent d'un grand coup sonore. D'abord paniquée lorsqu'il nous emmena sur l'eau, je me calmai cependant rapidement. Mes pieds nus frôlaient l'eau tandis que les mains de Kenan serraient ma taille et me collait à lui. Avec douceur. Chaleur. Affection. Ma poitrine se gonfla. J'avais besoin de ce moment, loin de toute inquiétude, loin de toute l'angoisse des derniers jours. Ma tête se reposa contre son torse alors qu'il menait la danse. Ou plutôt la faisait à lui seul. 

Les paroles de cette chanson résonnaient étrangement bien. Trop pour que Kenan ne l'ait pas choisi délibérément. C'était comme une déclaration. Il ne me laisserait jamais. Que mes jambes ne tiennent plus, que ma raison ne soit plus présente, que je sois malade, que je sois différente. Rien ne lui ferait changer d'avis, rien ne l'écarterait de moi. Il resterait là, ses bras autour de ma taille et son corps tout contre le mien. 

La lune brillait, les nuages s'étant dissipés. Son halo d'argent semblait nous accorder sa bénédiction. La scène semblait issue d'un livre pour adolescente, l'un de ces fameux dont je raffolais tant. Cela ne pouvait pas être réel. Cela ne pouvait pas être ma réalité. Pourtant, ses bras m'enlacèrent plus fortement, me faisant presque grimacer. Mais la sensation ne quelque peu désagréable fut dissiper lorsque ses lèvres embrassèrent la peau de ma nuque. Le frisson parcourut mon dos, se propageant dans tout mon corps. 

- Keyli...

Sa voix grave résonnait tout contre mon oreille. Grave. Rauque. Sensuel. Mon corps réagissait à cette mélodie dont il comprenait la signification. Il écarta son visage, posant ses iris sombres dans les miennes. Peut-être comme les miennes si j'avais été un démon. J'inspirai profondément, le monde autour de moi s'étant immobilisé. C'était lui. Moi. Juste lui. 

Sa main se faufila dans le creux de ma nuque, bloquant un peu plus ma respiration déjà difficile. La musique résonnait encore je crois, mais je n'en étais pas certaine. Ses yeux hypnotisaient les miens. Je ne pus pas m'en détourner, pas lutter contre cette envie d'être là. Dans ses bras. Tout contre lui. Je ne m'écartai pas, désirant ce qui allait se passer. Et cette envie était plus que perturbante. Je n'aurai pas dû l'éprouver, je n'aurai pas dû avoir envie de le laisser faire. Pas à ce point. Pas quand tout était aussi chaotique. 

Mais lorsqu'il descendit son visage, le portant à quelques centimètres du mien et que ses lèvres toutes proches diffusèrent une première sensation de chaleur, je m'agrippai vivement à son vêtement. C'était doux. Brusque. Vivant. Profond. Mes doigts se serrèrent plus violemment sur le tissu, mon cœur battant à tout rompre dans ma poitrine. Et enfin, ses lèvres se collèrent aux miennes. 

« - Keylinda. » 

Je sursautai vivement et, oubliant où je me trouvais, je m'écartai du corps de Kenan. Le résumé de la situation ? Un plouf monumentale. Magistrale. Ce mot était parfait pour exprimer ce qui venait de se dérouler. Je ressortis la tête de l'eau, un peu sonnée avant de rougir lorsque le rire de Kenan résonna à mes oreilles. Je le fusillai du regard et il continua simplement de rire avec un naturel agaçant. Vexée, je refusai la main qu'il m'offrit pour me sortir de cette situation humide et me dirigeai vers la berge, le gratifiant d'un « foutu démon » baragouiner trop bas pour que je sois certaine qu'il ne le comprenne. 

Aisément, je remontai sur le bord du lac, grimaçant en constatant l'état de mes vêtements. J'étais déjà chanceuse que mon téléphone ne se soit pas trouvé dans la poche de mon pantalon, sinon il aurait été fichu. Mais, à peine me redressai-je totalement que je me retrouvai face à un visage fermé. Froid. Mon cœur s'arrêta alors que Maël me contemplait avec une froideur immense. J'avalai ma salive. Finalement, j'aurais peut-être dû rester dans l'eau

- Désolé pour l'interruption, lança-t-il, platement. Je peux repartir si vous voulez.

- Ce serait bie...

- Ce n'est pas nécessaire, coupai-je un Kenan prêt à jeter de l'huile sur le feu. Je... ce n'était qu'un accident.

- Très romantique l'accident, commenta-t-il dans un sourire en coin, amer.

Maël se détourna et récupéra sobrement son sac d'où il en sortit une couverture épaisse que je l'avais déjà vu utiliser depuis notre départ de Dacer. Il ne m'adressa plus la moindre attention, se couchant en sol tandis que je restai désemparée, trempée et penaude à le fixer. J'étais profondément stupide. Comment avais-je pu ne pas réaliser à quel point ce n'était pas le moment de me laisser avoir par l'ange ou le démon ? La situation était déjà catastrophique et je semblais prendre plaisir à envenimer la chose. 

Décidée à arranger les choses, si cela était possible, je m'avançai vers lui afin de tenter de lui parler mais Isidora barra soudainement mon chemin. Sa tête velue se dandina de gauche à d'autre, me signifiant son désaccord. Intriguée, je me stoppai malgré mon incompréhension. Je passai ma main dans ma nuque, indécise. 

« - Il a besoin d'être seul, affirma-t-elle pour faire pencher la balance. 

- J'ai fait une énorme erreur, murmurai-je.

- Ce n'était pas le moment idéal pour montrer un penchant pour l'un ou l'autre, concéda-t-elle. »

Elle avait raison et je le savais mieux que quiconque. Ce baiser n'avait pas eu lieu d'être. Il n'aurait pas dû exister. Pas ce soir. Pas maintenant. Je restais immobile encore quelques secondes pour fixer le dos ailé de Maël. Mais la main de Kenan vint se poser sur mon épaule comme pour me dissuader, lui aussi. Je soupirai vaguement et m'écartai rapidement. Je n'allais pas refaire la même erreur deux fois de suite. Je devais me tenir loin de l'ange et du démon. Pour eux. Pour moi. Pour nous. Je me mordis la lèvre, consciente que ce n'était pas aussi aisé. 

Je soupirai une seconde fois alors que le silence était devenu pesant. Kenan était parti s'installer dans un coin, me laissant seule entre l'un et l'autre. Je me décidai donc à les imiter, m'allongeant au sol et coupant la mélodie qui c'était enchaînée à Ed Sheeran. Isidora vint se lover contre moi, me permettant d'enfouir mon visage dans ses longs poils bruns et roux. Ma dernière pensée avant de sombrer dans un sommeil factice, fut de me demander comment allait Andrew et les autres. Avec tout ce qui c'était passé, je n'avais que peu pensé à eux mais l'inquiétude n'avait jamais cessé de me broyer l'estomac. Mais, heureusement pour moi, j'étais trop épuisée pour lutter. Je devais dormir. Je devais oublier. Juste une nuit supplémentaire. Demain, je devrai me montrer plus adulte et responsable que je ne l'avais été jusqu'à présent. 

  ♫ 

« Changement de point de vu. Saurez-vous le reconnaître ? »

- Ce n'était pas le tour de garde de Shayna ?

- J'ai pris sa place, annonçai-je calmement, m'installant à côté de Tamara avec familiarité. Elle avait besoin de soin. Désolé pour le retard, elle n'a pas été aisée à convaincre.

- Aucun souci, assura-t-elle en me souriant à pleine dent. La soirée est calme et si la lune brille bien, elle n'est pas encore pleine.

- Mais dès demain ce sera le cas, soupirai-je en me crispant. Il faudra que nous nous montrions plus que solide.

- Nous gagnons, tenta-t-elle de me rassurer en constatant mon angoisse naissante.

- Certes, approuvai-je. En réalité, ce qui m'inquiète est de savoir si nous avons gagné assez de temps pour Keyli. J'ai peur ... que notre utilité ne soit que minime face au danger qui la poursuit.

- Elle est en vie et le restera, souffla la vampire avec conviction, cherchant sans doute à me convaincre en même temps qu'elle. Nous y veillerons.

- Devon souhaite tenter de les rejoindre dès demain, confis-je en hochant la tête.

- Nous devrions en faire de même.

- Tant que nous pouvons maintenir ici quelques créatures, nous devons le faire. C'est la chose la plus utile que nous pouvions faire pour l'aider, pou l'instant.

Tamara hocha la tête, ses belles boucles rousses tombant en cascade sur ses épaules. Ses yeux noisettes croisèrent les miens et je pus y lire toute la douleur des années trop longue que nous avions déjà vécue. Voilà le supplice des marqués. Créatures sans égales, dotés de dons et de facultés incroyables, nous avions une contrepartie à subir : une vie trop longue. Beaucoup trop longue. Grisés par l'idée de vivre éternellement, les marqués se laissaient emporter dans le plaisir de la découverte. J'avais vu tant de chose. Appris tant d'autres. J'avais voyagé par-delà le monde, découvert mille cultures, mille vies. Et une question avait fini par annihiler l'euphorie d'une vie de spectacle. Comment espérer quand nous avions constaté, de nos propres yeux, que les hommes étaient toujours voués à se détruire entre eux ? Se déchirer jusqu'à la mort de ceux qu'ils aimaient. La mort de ceux que nous aimions. Parfois pour des idéaux. Parfois sans raison. Trop souvent sans raison. 

Alors, avec les années, chaque marqué finissait par se demander à quoi lui servait ce temps infini. Que faire quand nous avions déjà appris trop de choses ? Que faire lorsque le monde n'avait plus de secret pour nous ? Quel intérêt d'avancer en sachant que le lendemain serait fait des mêmes choses que nous avions déjà vues durant les dernières décennies ? Voilà ce qui nous manquait : un but, une raison de posséder un tel temps de vie. Et les yeux de Tamara, pourtant plus jeune que je ne l'étais, exprimaient ce même sentiment. Car elle avait trouvé un but, trouvé une raison à son existence. 

-  Elle me manque, lâcha-t-elle sans me surprendre.

- Moi aussi, approuvai-je plus mollement. Keyli ... a quelque chose d'unique.

- Elle m'a redonnée l'envie de croire en Dana. Elle ... m'a redonnée du courage.

Je hochai la tête, conscient que Tamara visait plus que juste. L'apparition de cette divinité – ou plutôt de cette supposée divinité puisque je ne l'avais pas encore identifié concrètement – était un signe plus que claire : Dana attendait d'elle l'accomplissement d'une quête dont nous ne connaissions pas encore les détails. Mais je savais qu'elle venait sans doute de l'entamer. Peut-être que Dana avait aussi entendu nos supplications, plaçant cette enfant sur le chemin dont nous nous étions détournés. Elle nous guiderait, nous pousserait à aller de l'avant. J'en étais convaincu.

Cependant, j'étais aussi lucide. Cette quête entraînerait des combats auxquels nous ne sortirions pas toujours indemnes. Mes yeux se tournèrent vers Tamara dont les cheveux cachaient, sur son épaule, une large plaie fraîche et suintante d'un long filet rougeâtre. Je n'avais aussi pu que remarquer les nombreuses petites éraflures sur ses paumes et ses avant-bras. 

- Il faut faire soigner ça, ordonnai-je en empoignant fermement son bras pour regarder la plaie sur son épaule. Tu es vraiment pire que Shayna.

- Ce n'est rien, affirma-t-elle avec fierté avant de grimacer quand je posais mes doigts sur la naissance de la blessure pour en estimer les dégâts.

- Soit plus prudente, soupirai-je. Ne fonce pas sans réfléchir et repose-toi donc un peu plus sur les autres. À la fin de ta garde, va voir Brigitte. Ce n'est pas grave mais cela pourrait le devenir si tu ne le soignes pas.

- Dois-je te rappeler que j'ai sauvé tes fesses d'ours, plus d'une fois aujourd'hui ? Gronda-t-elle, agacée.

- Dois-je te souligner que, à six reprises en deux jours, j'ai dû t'envoyer de force à l'infirmerie ? Et... que j'ai sauvé tes fesses de vampire à deux reprises, aujourd'hui ? Repris-je dans un sourire en coin.

Elle fit la moue et je la gratifiai d'un rire franc. Elle était encore une enfant malgré son grand âge. Elle finit par se détendre, m'offrant un large sourire détendue. Mon propre rire mourut dans le fond de ma gorge lorsqu'elle se rapprocha de moi, tirant mon bras contre elle avant de laisser tomber sa tête contre mon épaule. 

Je restai immobile, incrédule, pantois. Je ne savais pas quoi faire. Les bras ballants et oubliant presque de respirer, alors qu'elle n'avait jamais agi de la sorte. Je réalisai mal que cette furieuse vampire, que je convoitais secrètement depuis des années, me montrait clairement que j'avais des raisons de croire que mon affection était réciproque. Je finis par soupirer, discrètement. Dire que j'avais des centaines d'années d'expérience et que je me comportais comme un adolescent prépubère, maladroit et devant affronter son premier flirt. 

Après deux longues minutes, je finis par glisser un bras autour de ses épaules, veillant à ne pas appuyer sur ses nombreuses blessures. Elle en sembla satisfaite, malgré le temps d'attente qu'elle avait dû subir. Son odeur vanillée et sucrée emplit mes sens. Les derniers jours avaient été rudes et, surtout, angoissants. La guerre n'était pas mon domaine de prédilection, je n'étais pas un guerrier contrairement à Tamara ou Cyriel. J'étais un intellectuel qui aimait se camoufler derrière son bureau et ses livres. Je me complaisais dans mon rôle de directeur, beaucoup moins dans celui de meneur. Ainsi, si je n'étais pas sans défense, je n'aimais pas pourtant user de mes aptitudes de métamorphe. 

Néanmoins, j'avais fait la promesse à Maël de gagner du temps. Autant que possible pour leur permettre de créer une mince distance entre eux et leur poursuivant. Mais je n'étais pas le seul à mettre engager dans cette lutte, j'avais la responsabilité de nombreuses vies sur les épaules. Je soupirai, trop angoissé par tous ces événements que je ne parvenais pas à contrôler. Et, au fond, j'étais surtout mort d'inquiétude pour cette enfant. Nous n'avions aucune nouvelle d'eux et Devon avait perdu le contact avec son lié. Ils étaient seuls. Sans autre défense que leurs capacités. 

- Ne t'en fais pas, murmura Tamara en m'étonnant grandement. Elle est en sécurité avec eux et n'oublie pas qu'elle a Isidora ! Cette créature est plus que dangereuse quand elle le veut.

- Les pouvoirs de Keyli sont encore terriblement instables, désapprouvai-je. Elle peut voir quelque chose qui va l'effrayer ou Kenan peut la mettre en colère... et ... je dois admettre que je ne peux oublier ce qu'il s'est passé avec la Manticore.

- Il faut que tu cesses de la prendre pour une enfant, me rétorqua Tamara, plus sévèrement. Elle n'a pas douze ans, elle a progressé et elle sait se défendre. Et je doute qu'elle ait envie de recommencer à tester les piques d'une Manticore.

- Depuis quand sembles-tu aussi proche d'elle ? Soufflai-je, les yeux écarquillés.

- Depuis quelque temps.

Sa précipitation pour me répondre m'indiqua qu'elle tentait de me dissimuler quelque chose mais elle oubliait un peu trop aisément que ses pensées étaient plus qu'accessibles. Elle n'était pas douée pour les dissimuler. Elle ne l'avait jamais été. Je souris doucement, attendri. J'embrassai ses cheveux dans un geste naturel, fermant les yeux en laissant mon bras autour de ses épaules.  

Il avait fallu presque deux cents ans pour que j'approche cette femme m'ayant pourtant envoûtée dès la première seconde où j'avais posé les yeux sur son visage candide. Elle envoûtait mes rêves. Et ce changement radical dans nos comportements respectifs semblait initié par celle que je considérai comme une simple enfant. Je finis par sourire. Elle allait tout bouleverser, j'en étais persuadé. Je ne connaissais pas son avenir mais je savais qu'il entraînerait de grands changements. Et elle semblait avoir déjà commencé son ouvrage.

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