À la folie {chez Plumes du we...

By Cindy_Lia

41.6K 1.8K 199

Infirmière fraîchement diplômée en psychiatrie, Alicia rejoint l'équipe du Center Hospital, vieille instituti... More

I | Grain de folie
II | Fou à lier
III | Maison de fous
IV |Délirium
VI | Folie douce
VII | Folie des grandeurs
VIII | L'ombre du fou
☆ Annonce publication ☆
★ Sortie ebook ! ★
Questions diverses
Salon(s) du livre
Salon du livre Paris 2019

V | Sombre folie

1.6K 200 10
By Cindy_Lia

Une vague de frissons parcourt ma peau gelée. Mon cœur palpite, gronde, cahote dans ma cage thoracique. Je plisse les yeux, me pince les lèvres mais rien n'y fait. Il est bien là. Sa présence silencieuse envoie des ondes de choc dans tout mon corps. Mes poings se ferment aussitôt et je serre les dents, sur la défensive. J'analyse la situation avant de réagir : nous sommes seuls dans un couloir, aucun secours à proximité. Si je m'enfuis à toute vitesse, il m'aura rattrapée en moins de temps qu'il ne m'en aura fallu pour respirer. Mais en restant, je prends le risque d'une nouvelle agression et peut-être même d'y laisser ma peau cette fois. Le constat est vite fait : je suis foutue.

Une fois retournée sur lui, je lève péniblement les yeux vers son visage. Il me dépasse d'une bonne tête. J'arrive à peine à hauteur de ses épaules carrées. Les mains dans les poches, il me sourit avec cet air arrogant du premier jour, cette malice insidieuse dans le regard. Mais pas de trace d'une arme cette fois. Un simple pantalon clair en lin et une chemise blanche recouvrent son corps. Aucune séquelle de son isolement. Rien ne semble affecter cette allure nonchalante ! Comme s'il n'avait même pas souffert, comme s'il ne s'était rien absolument passé sur ce parking.

Le face-à-face me paralyse. Sa proximité ravive les sensations que j'essaie d'effacer depuis deux semaines, brouille tous mes radars. Il faut que je me ressaisisse ! C'est moi l'infirmière, lui le patient. J'ai remporté la première victoire, aucune raison d'échouer cette fois encore.

— Cessez de m'appeler ainsi, Julian, je lance d'une voix forte et sereine en apparence.

Il sourit, penche légèrement la tête de côté. Ses pupilles gourmandes balaient mon visage, comme s'il en mémorisait chaque recoin.

— Alors donnez-moi votre prénom.

Son timbre est posé. Ses mains dorment tranquillement dans ses poches et j'ai envie de lui hurler de foutre le camp, seulement je ne dois pas lui dévoiler mes failles. Je ne sais pas comment il s'est procuré ce couteau la dernière fois mais j'ai l'intime conviction qu'il n'est pas armé aujourd'hui. Si cet hôpital fait bien son job, je n'ai rien à craindre.

— Mon nom ne vous sera d'aucune utilité, je ne suis pas votre infirmière et je ne gère pas votre section.

— C'est de l'information générale ma jolie, j'ai besoin de connaitre les gens à qui je confie ma santé mentale, persiste-t-il en avançant d'un pas.

Instinctivement, je recule d'autant. La chair de poule s'étend jusqu'à la marque laissée par la lame dans mon cou. Elle me picote, comme une piqûre de rappel.

— Mais puisque je vous dis que je ne m'occupe pas de votre cas, vous n'avez toujours pas compris ?

— Raison de plus pour me le donner ! Cessez de lutter inutilement, ce n'est qu'un prénom ma jolie.

Je suis au pied du mur. Jouer les têtes de mule ne fera qu'attiser sa colère et je n'ai aucune envie de me retrouver au cœur d'une nouvelle polémique !

— Alicia, Alicia Bollet. Voilà. Êtes-vous satisfait ?

Il rit doucement puis secoue la tête.

— Pas encore mais ça ne saurait venir ! Je suis enchanté de faire votre connaissance, Allie.

Mon ventre se serre au surnom qui franchit ses lèvres.

Les images dansent sous mes paupières, s'accrochent à mon crâne comme une plaie mal cicatrisée. Mes joues chauffent et mon estomac vrille. Je pose une main sur mon ventre pour apaiser le souffle rapide qui s'échappe de mes lèvres. Cette douleur sommeille depuis trop longtemps. Trop longtemps que ces émotions n'avaient pas dévasté mon corps et mon esprit comme deux vulgaires buissons sur le chemin du rouleau compresseur de la vie.

— Je... je vous interdis de m'appeler de cette façon.

Ma voix n'est qu'un murmure, un filet écorché. Julian penche la tête, l'air perplexe.

— Et pourquoi donc ?
J'inspire profondément.

Il faut que je garde mon sang-froid, que je reste professionnelle.

— Parce que ça relève de la vie privée tout simplement ! Et ma vie privée ne vous concerne pas, Julian. Est-ce bien clair ?

Mais loin d'être impressionnée, la bête se révèle tenace.

— Allons, il y a bien quelque chose d'autre pour vous crisper de la sorte ! Personne ne réagit avec autant de colère pour un simple surnom, surtout quand il vous va à ravir, Allie.

Cette fois, c'en est plus que ce que je ne peux contenir ! La violente réminiscence de mon passé me frappe de plein fouet. Les souvenirs me basculent dans une autre dimension, les flashs m'envahissent. Je perds définitivement le contrôle. Une silhouette sombre se dessine à l'autre bout du couloir lugubre et je jurerais qu'elle se trouve là, avec nous. Les épaules larges, tête haute, elle avance vers la petite fille de mon passé, celle que je veux tant oublier. Julian disparait, l'hôpital aussi. Ne restent que notre vieille maison, ma chambre d'enfant et ses pas rapides, lourds, qui résonnent autour de moi.

Il approche si vite... Je protège mes oreilles et me recroqueville contre le mur, yeux fermés. Je ne peux pas m'enfuir, je n'ai pas d'autre choix que celui de subir sa colère. Personne ne me viendra en aide. Le plancher craque, vibre, s'enfonce sous son poids. Il est bientôt là. Je sens son souffle au-dessus de ma tête, le ronflement de sa poitrine penchée sur moi et ses grosses mains claquer dans l'air. Puis c'est le noir. Profond, total, assourdissant.

— Hey, tout va bien ?

La même voix qui m'a surprise quelques minutes plus tôt me ramène à la réalité. Julian est accroupi devant moi, les paumes posées de part et d'autre de ma tête. Il ne me touche pas, il semble même... inquiet. Je cligne des yeux. Rien dans cette vision n'était réel mais je suis bel et bien assise par terre, roulée en boule comme une petite chose apeurée. Mince... Ces flashs n'étaient pas revenus me hanter depuis bien longtemps. L'agression m'a rendue fragile et voilà l'état dans lequel je me trouve aujourd'hui ! Par sa faute.

— Reculez, Julian !

— Je ne vais pas vous agresser aujourd'hui Allie, dit-il en dégageant une mèche de mon front. Je ne voulais pas vous effrayer, je vous le promets.

De près, son visage me confirme ma dernière impression : il est superbe, mais je suis prête à parier qu'il va me causer une panoplie de problèmes que je ne soupçonne même pas à l'heure qu'il est. Ses yeux clairs, dont le centre illuminé d'une teinte ocre me fascine, se dévoilent et se révèlent bien plus perçants que je ne l'imaginais. La brèche que je viens de lui laisser entrapercevoir me rend vulnérable. Et c'est un avantage considérable que je refuse de lui céder !

— S'il vous plait, reculez maintenant.

— Quel âge avez-vous, Allie ?

— Cessez de m'appeler comme ça ou je vous jure que...

— Que quoi ? Comment comptez-vous interdire qu'un simple mot sorte de ma bouche ? Je ne sais pas ce qui vous remue autant mais je doute que fuir soit la bonne solution. On ne vous a jamais parlé de thérapie comportementale pendant vos études ?

Les bras m'en tombent. Le voilà qui déballe son savoir, maintenant !

— Le principe de cette méthode, poursuit-il l'air de rien, c'est d'exposer la personne au stimulus anxiogène pour diminuer progressivement sa réponse. Puisque c'est moi qui vous inquiète tant, je pourrais donc être votre thérapie ! Qu'en pensez-vous, Allie ?

Il ponctue sa tirade d'un large sourire, fier de son effet.
Bon, il est temps de faire du tri dans tout ce foutoir. Je me fiche de savoir comment il sait tout ça ni même ce qu'il cherche à provoquer. Entre les souvenirs que ce surnom m'évoque et notre proximité dérangeante, c'est la colère qui gagne finalement le terrain. Il faut qu'il parte !

— Et sinon, c'était bien l'isolement ?

Ses yeux s'écarquillent. Ma voix aiguisée claque dans le silence du couloir. Sa bouche s'entrouvre légèrement, mais le sourire narquois bien accroché, lui, ne disparait toujours pas.

— Je rêve où vous venez de m'envoyer une pique ?

Je me relève tout de go, le déséquilibrant par mon geste.

— Retournez à votre activité je vous prie, Julian !

— Non, mais dites-moi Allie, c'était bien une pique ?

Il ricane et se relève à son tour.

— Incroyable, notre relation vient de passer une nouvelle étape ! Nous sommes enfin quittes maintenant.

Je le fusille du regard, à deux doigts de lui bondir dessus pour l'agresser à mon tour.

— Comment pouvez-vous ramener cette petite pique à une véritable prise d'otage ? Vous êtes complètement siphonné ma parole ! Bon sang, je n'arrive pas à croire que nous ayons cette conversation...

Pour la deuxième fois en peu de temps, les limites de mon travail ont été franchies. Ce type a le chic pour me faire sortir de mes gonds et tout mon professionnalisme vole en éclats. À chaque fois !

— Tout de suite les grands mots ! Si j'avais voulu vous faire du mal, croyez bien que je l'aurais déjà fait. Et si vous étiez traumatisée par ma petite scène de l'autre jour, vous ne seriez pas seule dans ce couloir ma jolie. Vous n'êtes pas mon infirmière rappelez-vous, je suis libre de mes allées et venues. J'ai tout mon temps.

D'un murmure, il ajoute en se penchant vers moi :

— Et croyez bien que je vais le prendre.

Son sourire éclatant me renvoie à ma faiblesse. Quel crétin ! J'ai toujours peur de lui mais quelque chose d'autre vient compliquer nos rapports. Quelque chose sur lequel j'ai du mal à mettre le doigt. Au milieu de ce bourbier, une forme d'alchimie est en train de naitre. Je comprends mieux cette fascination qu'ont les gens pour ce qui est ténébreux, inquiétant...

Julian est une créature de l'ombre au physique alléchant, un trompe-l'œil, ce qu'il y a de plus redoutable ! Et j'ignore combien de personnes ici se sont laissées berner, mais ce ne sera pas mon cas.

— Alors cessez de me faire perdre le mien, je claque en tournant les talons.

J'ai terriblement envie de piquer un sprint jusqu'à la chambre de mon patient mais ça lui ferait bien trop plaisir. Et puis, je sens encore sa présence dans mon dos. Autour de moi. Partout dans cet hôpital, en réalité ! J'en attrape un violent tournis. Ce type n'en a pas fini avec moi, c'est certain.

Et il est à nouveau libre.

Continue Reading

You'll Also Like

8.8K 267 69
Le récit tourne autour de Priscilla, une jeune femme mariée à un homme qui désire ardemment un enfant. Malheureusement, elle est confrontée à des pro...
1.3K 34 36
Avoir conscience de l'autre. Drôle de concept pour Sybille qui se satisfaisait jusque-là, d'elle-même et de la routine de sa vie. Jusqu'à ce jour, où...
11.1K 370 47
Pendant toute sa vie, elle a pensé être orpheline, sans savoir qu'elle a une sœur jumelle qui est une criminelle redoutable. Un jour, elle recrute un...
418K 25.2K 33
Cinq adolescents furent enfermés, des énigmes ils durent trouver, survivre était la clé, un seul fut sauvé.