Mon iPhone vibre sur la double vasque. Je jette alors furtivement un ultime coup d'œil à mon reflet dans le miroir de ma salle de bain et souffle un grand coup en traçant mon trait d'eye liner. Là, tout est bon. Je ressemble à quelque chose dans ma petite nuisette verte de chez Victoria's Secret.
L'écran de mon iPhone affiche l'appel entrant de Paul. Je souris timidement en passant une mèche de mes cheveux fraîchement lissés derrière l'oreille et fixe mon écran un moment, penseuse. Je finis par décrocher une dizaine de secondes plus tard, d'une voix sensuelle. Enfin, j'essaie.
- Allô ?
- Je sais que t'as fait exprès de laisser ton téléphone sonner pour...
À nouveau, je souris. Il me connaît un peu trop bien.
- Qu'est-ce que tu veux ? je l'interrompt.
Il arbore son air ironique.
- Je devais rejoindre une charmante jeune femme au regard vert envoûtant pour lui faire passer une soirée magique mais je crois qu'elle a changé d'avis. Pas grave, je vais me payer une pute dominicaine.
- La charmante jeune femme au regard vert envoûtant est toujours enchantée à l'idée de vous recevoir.
- Recevoir dans tous les sens du terme ?
- Dans tous les sens du terme.
Il rit.
- La petite dort déjà ?
- Oui.
- Très bien, j'essaierai d'y aller doucement pour ne pas la réveiller quand je te...
- Contente-toi de venir, le coupé-je en ricanant.
- Je ne suis pas très loin bébé.
- Je t'attends.
Affalée dans mon lit, je ne peux m'empêcher de sourire comme une adolescente de dix-sept ans sur le point de faire sa première fois avec le garçon dont elle est éprise depuis l'école primaire. Chaque acte avec Paul est une partie de plaisir dont les orgasmes sont garantis. Je me demande d'ailleurs s'il y a meilleur que lui dans ce domaine... Muller peut-être ? Thomas... Je secoue la tête pour m'éradiquer cette pensée ignoble de mon crâne. Thomas n'existe plus , Thomas n'a jamais existé, me souffle une voix intérieure dans tous ses états. Un homme qui décline ses responsabilités de père ne mérite de loger dans les pensées de quiconque.
La sonnette de la porte d'entrée retentit et me tire de mes pensées dérangeantes. Je fronce les sourcils, agacée. Putain...il va réveiller Lisa ! Il sait qu'il doit m'appeler pour que j'aille lui ouvrir. Tant pis.
Tout de même joyeuse qu'il soit là, je m'empresse d'aller lui ouvrir. Il se tient droitement devant la porte, et, vêtu d'un jean bleu nuit ainsi que d'un t-shirt gris qu'il ôte sous mes yeux, Paul me fait un clin d'œil. Son sourire en coin qui laisse paraître quelques rides suggère l'idée que je vais prendre cher.
- Bonsoir mademoiselle Lias.
Je lui tends mon bras, il me baise délicatement la main tel un gentleman. Je ne tarde alors pas à l'attirer à l'intérieur. Il me surprend en m'attrapant par la taille et me fait basculer sur son épaule avant de me mettre une fessée.
- Cesse de glousser, tu vas réveiller ta fille, m'ordonne-t-il.
J'obéis puisque je n'ai de toute manière pas le choix. Il me porte jusque dans ma chambre et me jette sur le lit.
Pendant quelques secondes — bien trop longues — Paul me fixe avec une lueur d'admiration dans le bleu de ses iris. J'en rougis, évidemment. Je fuis son regard en observant le plafond, un sourire timide scotché aux lèvres. Et je l'entends rire doucement.
Il ne met pas longtemps avant de me rejoindre dans le lit. Le poids de son torse presse mes seins, ses lèvres frôlent les miennes et son nez frottille le mien tandis que mon regard est plongé dans le sien. Je pose naturellement et délicatement ma main dans sa barbe de cinq jours légèrement piquante que je caresse tendrement.
- Tu es beaucoup trop jolie Amber.
Souriante, je dépose un chaste baiser sur le bout de son nez et y laisse le bordeaux de mon rouge à lèvres.
- Et tu sens tellement bon, renchérît-il en enfuyant son nez dans mon cou.
Je gémis sous la chaleur que me procurent ses doux baisers. Mais Paul Verger est un con qui a le don de tout gâcher, il s'arrête net et me demande:
- C'est dans ce lit qu'a été conçue Lisa ? C'est ici que tu te faisais prendre par Muller ? Le grand frère bien-sûr.
Le sourire qui errait sur mon visage disparaît instantanément, naturellement.
- Ne fais pas cette tête, tu sais que je me fous de ta gueule, déclare-t-il en me tiraillant les joues.
- Ce n'est pas drôle.
- Si c'est drôle, tant que ça me fait rire, c'est drôle.
Je lève les yeux au ciel. Il ôte ma petite nuisette.
- Bon, dernière question. Tu es plutôt d'humeur "soit doux Paul" ou tu préfères que je te traite comme...
- Surprend-moi.
- Je savais que t'allais dire ça, m'avoue-t-il en commençant par me manger le cou.
- Tu as choisi la douceur, lâché-je entre deux halètement.
- Laisse-moi te surprendre, souffle-t-il d'une intonation des plus sensuelles.
Mes mains attrapent naturellement les draps blancs de mon lit, prête à être envoyée au septième ciel, en première classe. Les yeux fermés, je tourne légèrement la tête en direction de la porte après avoir senti une présence. Lorsque j'ouvre les yeux, je croise le regard de Lisa, ma fille. Fait chier ! Je me débarrasse aussitôt de Paul qui ne semblait pas avoir remarqué Lisa. Il ne l'a pas remarquée, hein ?
- Ben tien, il ne manquait plus que ça, soupire Paul.
Je nous couvre avec le drap. Paul a les mains derrière la tête et ne peut s'empêcher d'exprimer sa déception en fronçant les sourcils.
- Qu'est-ce que tu veux ma petite Lisa ? interroge-t-il ma fille d'un air sarcastique.
Elle le fusille du regard.
- Qu'est-ce qu'il y a ma chérie ? lui demandé-je, honteuse.
- J'ai fait un cauchemar. Je veux que tu viennes dormir avec moi.
- Tu n'es plus un bébé Lisa, cesse d'être aussi égoïste ! Ta maman aussi a besoin qu'on s'occupe d'elle, la gronde Paul.
Je me retourne aussitôt vers Paul et le toise.
- Arrête ! l'interdis-je.
Mon regard s'adoucit lorsqu'il s'attarde à nouveau sur ma fille.
- Lisa, tu veux bien sortir le temps que maman se rhabille ?
Elle hoche la tête, un sourire en coin aux lèvres.
- Merci ma chérie, attends-moi au couloir. J'arrive.
Je me revêt de ma nuisette pendant que Paul boude.
- Je ne serai pas longue, je lui promets après l'avoir embrassé.
Paul n'est pas le seul à tirer là tronche, Lisa aussi. Elle ne dit pas un mot après que je me soies couchée dans son grand lit, au premier étage de la maison de Thomas, de ma maison.
- Tu es fâchée contre maman ? je lui demande tristement.
- Oui.
- Pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle a fait ?
- Je n'aime pas ton ami, il est méchant.
- Paul ? Non...il est très gentil et tu sais maman l'aime beaucoup...
- Je veux revoir oncle Ethan, m'interrompt-elle.
Oh merde, Ethan. Il vivait ici, avec Lisa et moi. Jusqu'au mois dernier. Il était irréprochable et s'est même très fortement lié d'amitié avec elle. Il m'a aidé à l'élever comme si elle venait de lui. D'ailleurs Ethan aime tellement Lisa qu'il l'a désignée comme héritière de tout l'héritage que lui a légué Connor, après sa mort il y a 4 ans. Seulement voilà, puisqu'Amber Lias ne peut vivre une vie paisible, il a fallu qu'il développe pour moi des sentiments qu'il ne devrait développer. C'est à partir de là que nos relations se sont corsées. Plus ça allait, moins ça allait. Puis un beau jour, il a décidé de partir, ne pouvant tolérer ma relation avec Paul.
- Je veux revoir oncle Ethan maman, s'il te plaît. J'arrêterai de faire des bêtises, promis, je mangerai mes légumes et je ne toucherai plus à ton maquillage, m'implore-t-elle.
Je soupire en me passant la main dans les cheveux.
- Maman ne te suffit plus ?
- Si, me fait-elle de sa petite voix, mais oncle Ethan me manque beaucoup, me confit-elle les larmes aux yeux.
Oh non... Je la prends dans mes bras.
- D'accord, d'accord, ne pleure pas. Demain on appellera ton oncle.
- Je veux le voir ce soir.
Je fais les gros yeux.
- Lisa, il est tard. Il dort sans doute déjà. Toi aussi tu dois dormir, tu as école demain.
- Et ben alors pourquoi toi et ton ami vous ne dormiez pas ?
Je glousse involontairement.
- Tu as gagné petite fille, je vais appeler tonton Ethan maintenant mais je ne te promets rien, on est d'accord ?
Elle sourit et hoche la tête. Ses yeux bleus qu'elle hérite certainement de son père brillent de joie.
Sortie de la chambre de ma petite fille, je passe la main dans mes cheveux. Je suis réticente quant à l'idée de rappeler Ethan, j'angoisse. J'ai entendu dire qu'il s'était fourré dans des affaires pas nettes. Paul dit qu'il a des ennuis. Es-tu sérieusement en train de te chercher des excuses pour ne pas l'appeler ? Oui, bon...d'accord.
Je me redirige vers ma chambre, puisque mon portable y est. Paul me sourit énigmatiquement pensant sans doute que je suis de retour pour continuer ce que nous avions commencé.
- Tu as été longue, me dit-il. Je commençais à me demander si ta petite diablesse n'avait pas réussi à t'endormir.
- Lisa n'est pas une diablesse Paul.
Je me rends dans la salle de bain de la chambre et récupère mon iPhone sur la double vasque.
- Je me fous encore de ta gueule Lias, me crie Paul depuis la chambre. Tu sais que j'aime bien ta gamine.
Je quitte la salle de bain, puis la chambre.
- Où est-ce que tu vas comme ça ? s'écrie-t-il à nouveau depuis ma chambre.
- Je ne serai pas longue.
Mon téléphone se trouve à présent dans le creux de ma main. Je dois appeler Ethan mais l'envie n'y est pas. Peut-être pourrai-je faire croire à Lisa qu'il ne m'a pas répondu ? Non...non. Je ne suis pas une menteuse. Je n'ai pas envie de mentir à ma fillette. Alors, je compose le numéro d'Ethan que je connais par cœur. Ça sonne, encore et encore. Il ne décroche pas. Devrais-je insister ? Lias, tu as ta raison.. Tu as essayé. Je ne supporte pas qu'on m'ignore, donc je lance une seconde tentative. Cette fois, il répond dès la seconde sonnerie.
- Qu'est-ce que tu me veux ? répond-il d'une voix rude.
- Bonsoir Ethan, bredouillé-je.
- Bonsoir Amber. Qu'est-ce que tu me veux ?
- Ethan magne-toi, s'écrie une voix féminine. Oui, viens ici ! ajoute une seconde voix.
- Oh...tu es occupé. Désolée...
- Non, je ne suis pas occupé, ment-il en s'éloignant des voix de filles qui gloussaient. Quelque chose ne va pas avec Lisa ? reprend-il.
- Oui...enfin non. Lisa, elle...elle te demande. Elle veut te voir.
Je l'entends sourire. Enfin, je crois.
- Je passerai demain.
- Euh...en fait Ethan... elle te veut ce soir.
- Ce soir ? Elle ne dort pas ? s'étonne-t-il.
- Non. Elle a encore fait un cauchemar...
- Dans lequel elle est poursuivie par ce grand méchant loup en s'aventurant seule dans la forêt la nuit parce qu'elle recherche son père ?
Je fronce les sourcils, ahurie.
- Elle rêve de ça ?
- Chaque soir. Je pensais qu'elle t'en avait parlé.
- Non... Je croyais lui suffire amplement...j'étais loin d'imaginer qu'elle penserait à lui.
- C'est une gamine de 5 ans Lias, à cet âge on se pose énormément de questions. Elle a des amies qui ont des papas alors c'est normal qu'elle se demande où se trouve le sien.
Je déglutis, peinée.
- Je commence vraiment à penser qu'il vaudrait mieux qu'on lui dise qu'il est mort.
- Tu es folle ?
- Qu'est-ce que ça changerait ? Thomas a été très clair: il ne veut pas d'elle...
- Il pense à elle, m'informe-t-il.
Mon cœur se réchauffe.
- Comment tu le sais ?
- Dois-je te rappeler que c'est mon frère ? Je l'ai revu. Il y a trois semaines. Il m'a demandé si tu as vraiment eu un enfant. Je lui ai dit que oui. Il m'a demandé si cet enfant lui ressemblait, je lui ai dit que c'est le portrait craché de Tom. Il a souri et m'a fait promettre d'en prendre soin comme si c'était ma propre fille. De prendre soin de vous.
Bouche bée, ces paroles me figent un moment. Lorsque je reprends mes esprits, je me racle la gorge et lui dit:
- Viens vite. S'il te plaît.
Il soupire et reste silencieux un moment.
- À tout de suite.
Je raccroche et libère silencieusement, toutes les larmes que j'ai réprimé ces sept dernières années. La haine que je ressens envers Thomas est aussi grande que mon amour pour lui. Mais aujourd'hui, ce soir, les paroles d'Ethan ont su atténuer mon aversion pour lui, pour le père de ma fille. Il pense à elle, il pense à moi. Mon Dieu que ça soulage.
Une bonne heure après, Ethan sonne à ma porte. Ses yeux bleus océan m'ayant longuement observé de la tête aux pieds ont vite saisi que j'ai pleuré, alors il me prend dans ses bras. Et je pleure encore.
- Inutile de te demander comment tu vas, me dit-il en entrant.
Paul sort de ma chambre tout habillé, oh merde, je l'avais oublié.
- Bonne soirée Lias, jacte-t-il d'un ton sec.
Je lui souris hypocritement, submergée par la honte.
- Je vois que toi aussi tu étais occupée, dit Ethan. Je monte voir Lisa. Elle dort toujours dans ma chambre ?
- Non, elle est dans la sienne.
- D'accord.
Ethan monte les marches, entre dans la chambre de Lisa et en ressort quelques secondes plus tard.
- Elle dort déjà, je lui ai fait un bisous, je crois que je vais revenir demain.
- Non reste. Elle aimerait sûrement te voir demain matin avant d'aller à l'école.
Ethan me sourit en ne me quittant pas des yeux. Gênée, je feins avoir froid en me frottant les bras et fuis son regard insistant.
- Je l'accompagnerai moi même alors, m'avertit-il en souriant.
Il s'éclipse quelques instants dans la cuisine puis refait surface avec dans ses mains, deux verres ainsi qu'une bouteille de vin de Bordeaux. Il vient ensuite s'assoir près de moi.
- Comment c'était sans moi ? Je veux dire quand tu ne voyais pas Paul.
- Franchement ?
- S'il te plaît.
- C'était compliqué. Je m'étais habituée à ce que tu t'occupes d'elle alors quand tu es parti...
Il acquiesce, le regard fixant son verre tandis que le mien fixe son visage.
- C'est fou comme tu lui ressembles, soufflé-je doucement.
- À Lisa ? s'étonne-t-il.
Je secoue mollement la tête. Il rit.
- Tu penses toujours qu'il est plus beau que moi d'ailleurs ?
Je souris.
- Je l'ai vu dans un magazine de mode, avec Amanda. La quarantaine lui va à merveille.
- Je l'ai vu en vrai, et il faut dire que les rides ne lui vont pas si bien que ça.
- Je trouve ça sexy les rides sur un homme de la quarantaine. George Clooney est sexy.
- J'avais oublié tes goûts prononcés pour les hommes plus âgés que toi, se moque-t-il.
Ethan et moi papotons une bonne heure en sirotant le vin. Il me raconte ce qu'il a fait dernièrement, avec qui il est sorti, avec qui il a couché. De mon côté, je lui donne des nouvelles de Lisa. Je lui apprends que depuis qu'il s'en est allé, elle a rencontré beaucoup de lacunes en mathématiques. J'ai beau me plier en quatre pour lui fournir les meilleures explications pour l'aider, rien y fait. Il est apparemment le seul qui sait lui faire retenir ce genre de choses.
Mon iPhone vibre pour la énième fois ce soir. Je m'excuse auprès d'Ethan avant de le prendre en main, cette fois, c'est un message d'Ashley. Elle me dit :«regarde la 37.» Étonnée qu'elle m'envoie un message à une heure aussi tardive, je me dépêche d'allumer ma télé et zappe jusqu'à la 37. Ethan baisse étrangement la tête en rougissant. C'est une chaîne dédiée aux célébrités dont le gros titre actuel est "Amanda Reyes a dit oui à son bel anglais".
J'éteins immédiatement ma télévision, bouillonnant de l'intérieur mais extérieurement, l'expression de mon visage reste neutre.
- Tu le savais ? je questionne Ethan.
- Oui. Il y a trois semaines il m'a invité chez lui et avant de s'informer de l'existence de Lisa, il m'a invité à son mariage.
- Quand est-ce qu'il se marie ?
- En août, le 29. Dans deux mois.
- Le jour de l'anniversaire de Lisa.