Water Lily

By RosalineOscar

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Son doigt effleura ma peau. Froid et chaud à la fois. M'électrisant au simple contact. Il traça la courbe lég... More

Pitié, pas de rat.
Ou comment se retrouver sur le cul.
Adieu le rêve, bonjour le cauchemar.
Ce que je suis ? Oh je sais pas. Peut-être un truc poilu.
Moi bizarre ? Vous vous êtes regardés peut-être ?
Ou comment dire : je cours à la catastrophe.
Ou comment se sentir plus monstrueuse que monstrueuse.
Qu'est-ce que je suis ?
Besoin de temps. Acte I, scène I.
Besoin de temps. Acte I, scène II.
Avance et ne recule plus.
Evolution. Non je ne parle pas de Darwin. Ni de Pokémon.
Avoir un petit-ami surprise en une leçon.
Oui maman, je ne suis plus une enfant. Ah et oui. J'attire les psychopathes.
J'entends des voix. C'est pas suffisant ? Bien, je vois des fantômes alors.
Finalement, je vais peut-être avoir quelques poils.
J'ai, comme qui dirait, un léger mal de crâne.
Baisé mouillé.
Doucement, tu grandiras encore. Si tu survies jusque là.
Envie d'une reconversion ? Essayez dompteuse de Lion.
Je ne deviendrai pas dompteuse de lion.
Hier, je te détestai. Aujourd'hui, tu vas me manquer.
Passé. Présent. Rêve. Réalité. Je ne sais pas ce que je préfère.
La mélodie de la lune.
Plongé en terre inconnue.
Passion pour les frites.
Ou comment le Dieu des céréales m'a prise en grippe.
Monstre ou humaine. Un pas vite franchi.
Comment gérer les catastrophes (ou pas) pour les nuls.
Tuatha de Dannan, d'histoires en histoires.
Lien. Pas tout à fait celui que j'attendais.
Water lily, la puissance du nénuphar.
Marron. Ils étaient marron.
Sacrifice.
Epilogue
Tome 2

Je n'ai pas besoin d'un chien de garde. Quoique. Tu mords bien ?

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By RosalineOscar


- Tu as vu ce qu'il vient de se passer, assena Kenan en stoppant le fil de mes pensées. Tu sais que cela peut se reproduire. Tu peux paniquer, énerver par mégarde un de ces fichus vampires, qui perdent le contrôle dès qu'ils n'ont pas eu leur dose de sang hebdomadaire, ou encore te retrouver confronté à un million de choses que tu n'as pas envie de voir et qui vont te faire dérailler.

- Je ne suis pas une gamine idiote qui refait continuellement les mêmes erreurs, rétorquai-je, crispée. J'ai bien compris qu'il valait mieux éviter de traiter de monstre n'importe qui uniquement parce que je suis effrayée.

- Tu fais ce que tu veux, affirma-t-il en haussant les épaules. Mais je ne te donne pas plus d'une semaine avant qu'Isidore ne soit dans ta chambre, décidé à t'utiliser comme quatre heure. Ce sera pas beau à voir, crois-moi.

L'image me frappa de plein fouet. Mon corps inerte, ma peau trop pâle, mes lèvres bleuies, mes yeux ouverts ne laissant voir qu'un iris vidé de toute couleur. Et surtout beaucoup de sang. Beaucoup trop. Il tâchait le parquet de ma chambre, s'infiltrant dans le bois qui l'épongeait à peine. Cette chambre était mon cocon. L'endroit où je me sentais en sécurité. Le seul où j'avais encore la sensation de pouvoir être celle que je désirai, le seul où j'avais encore un maigre contrôle. Et tout cela venait d'être brutalement détruit. Écrasé.

A côté de mon corps sans vie, le vampire, qui m'avait agressé, se tenait droit comme un I. Ses lèvres étaient recouvertes de sang. De mon sang. Dégoulinant jusque sur son menton. J'eus un spasme violent. La terreur me secoua de plein fouet. Pourquoi ? Parce que c'était une pensée qui ne semblait aberrante pour personne. Insinuée par Kenan, elle n'était réfutée ni par Maël, ni par Andrew. Et c'était sans doute encore plus terrifiant que cette simple vision forcée.

- Ça suffit ! Intima Maël en posant vivement une main rassurante sur mon épaule. Ne l'effraies pas. Je pense qu'elle l'est déjà suffisamment comme ça.

- Visiblement non puisqu'elle ne se rend pas compte des dangers qu'elle va courir, désapprouva Kenan, impassible.

Maël se crispa, resserrant sa main sur mon épaule. Il ne le disait pas mais je savais qu'il était en accord avec son frère. Je n'avais aucune conscience de ce qui se jouait, du danger que je courais. Il avait aussi des images en tête, des pensées sombres. Moins affreuses que celles de son frère mais présentes malgré tout. Il ne m'imaginait pas morte et ne m'infligeait pas, volontairement, cette vision mais, pour autant, je voyais défiler dans ses pensées des centaines de monstres. Des créatures poilues dont je ne dessinais qu'une vague forme dans la noirceur de la forêt, à travers des yeux qui n'étaient pas les miens. Des bestioles qui faisaient dix fois ma taille, d'autres qui étaient ridiculement petites mais dont les caractéristiques physiques ne m'inspiraient pas plus que celles étant gigantesques. Je devais le reconnaître. Je n'avais aucune idée du monde dans lequel je venais de rentrer. Et je n'avais eu aucune envie de le savoir.

La panique ne cessait d'enfler. Ma gorge était nouée, mon corps entier tremblait et mes yeux fixaient un point invisible, perdus devant moi. Je luttais de toutes mes forces pour ne pas me mettre à penser qu'ils avaient tous raison. Luttais pour ne pas m'imaginer morte avant même d'avoir eu le temps de me rendre compte que je faisais partie de ce monde. Mais admettre le danger n'était-il pas le rendre encore plus concret ? Le rendre plus dur. Plus effrayant encore. Le nier était tentant, me permettrait de m'enfermer encore un peu dans une illusion de douceur. La main de Maël sembla vouloir m'influer du calme, mais sans succès. Cette fois, son don semblait parfaitement inefficace. Je ne pouvais pas me calmer. C'était au dessus de mes moyens.

- Tout ira bien, Keyli, me souffla Andrew dans cette rengaine que je commençai à trouver très agaçante. Personne ne te fera de mal.

- Si je reste avec elle, rajouta Kenan, cynique.

- Elle ne risque rien dans l'établissement, rétorqua Andrew. Aucun élève ne se permettra de lever la main sur toi, je te le promets.

- Comment peux-tu lui promettre un truc dont tu n'es même pas sûr ? Souligna Cyriel tout aussi platement que s'il avait demandé l'heure. Tu n'as aucune influence sur certains élèves et tu le sais pertinemment. Ils ne sont ici que pour apprendre à maîtriser leurs pouvoirs et, les plus âgés, n'attendent plus ton autorisation pour agir.

- C'est bon, coupai-je, la mâchoire serrée. Vous avez réussis. Je crève de trouille. Reste avec moi Kenan, s'il te plaît.

L'intéressé me fixa un instant. Quoi ? Il insistait de façon virulente et au dernier moment il voulait renoncer ? Me perturbant un peu plus, il se contenta de hocher la tête. Satisfait de ma réaction ? Aucune idée. Je supposai que oui, il avait délibérément tout tenté pour m'effrayer afin d'obtenir cette autorisation, alors pourquoi ne serait-il pas content de lui-même ? Je soupirai. Ici, tout semblait bien trop complexe, bien trop difficile à gérer.

Maël s'écarta en attirant mon regard. Son visage fermé me laissait supposer qu'il était vexé de ma décision. Je me doutais qu'il aurait préféré que je lui demande à lui rester avec moi, mais je devais admettre que Kenan était plus rassurant. Sans doute à cause de ce côté menaçant et effrayant. Deux critères qui me semblaient essentiels dans mon nouvel environnement.

Doucement, une main ferme se plaça proche de ma taille et je regardai Maël qui était revenu à la charge. Il était plus assuré et affrontait le regard noir de son frère sans détourner le regard, sans paraître gêné par le regard furieux que lui décochait le démon. Quelque chose n'allait pas entre eux. Je ressentis leur affection l'un pour l'autre, mais aussi cette rancœur amère. Plus encore. Une certaine part de haine. Je restai donc silencieuse, mal à l'aise de me retrouver entre eux deux. Pourquoi avais-je le sentiment que leur tension était dirigée vers moi ?

- Je la raccompagne jusqu'à sa chambre, souffla Maël. Mieux vaut qu'elle se repose.

- Je vous suis.

Maël fusilla son frère du regard mais me tira derrière lui, sans répondre. J'obéis malgré moi, les jambes tremblantes et les yeux baissés pour ne pas croiser le moindre regard. Je me sentais perdu. Honteuse. Pas à ma place. Et pour ne rien arranger, tous me regardaient à nouveau. Mais plus de la même manière. Ce n'était plus de la curiosité maladive. Je ressentis la pitié. La haine. La peur. J'effrayai ceux qui me dévisageaient et ils m'effrayaient en retour. Mais plus que cela, une pensée résonnait dans leurs esprits, m'affirmant ce que j'avais toujours voulu éloigner de moi : j'étais différente.

Je restai silencieuse tout le long du bref trajet qui allait nous conduire jusqu'à ma chambre. Mes pensées étaient si chaotiques que je ne perçus même pas les paroles de Maël qui tentait de me rassurer. Comment pouvais-je ne pas être effrayée après tout ce qui venait de se passer ? Comment allais-je pouvoir me calmer ? Me rassurer ? C'était inconcevable. Je ne pouvais pas.

Je poussai, machinalement, la porte de ma chambre, totalement ailleurs. Agrippée au bras de Maël, il entra donc, percevant sans doute mon geste comme une invitation. En réalité, je n'avais pratiquement même plus conscience que ma main était crispée sur son avant-bras et qu'il ne pouvait se défaire de mon emprise. Je finis par me détacher, m'avançant jusqu'à mon lit que je me maudissais d'avoir quitté quelques heures auparavant.

- Comment tu te sens ?

- Ça va, mentis-je en me laissant tomber sur mon lit. Tu peux rentrer Kenan.

Obéissant, le démon, qui était resté sagement dans l'encadrement, s'engouffra dans la pièce tandis que je m'étais bien accoutumée à cette habitude de n'entrer dans une chambre que sur invitation. Maël s'installa à côté de moi, familièrement, alors que je remontai mes jambes contre ma poitrine, serrant mes avant-bras autour de mes genoux pour bien rester en boule, le dos appuyé contre le mur. Je regardai fixement devant moi comme si, soudainement, quelque chose allait venir me distraire. Mais ce n'était pas possible. J'étais condamnée à ressasser indéfiniment tout ce que je venais de vivre.

J'avais encore l'impression de sentir les doigts de ce vampire sur moi. Sa puissance. Sa force. Sa facilité à me balancer dans les airs. Ses doigts avaient pourtant à peine serrés mes épaules. Et pourtant il m'avait projeté en arrière comme si je n'étais qu'une vulgaire chaise. Comme si je n'étais qu'un moustique sur son pare-brise. C'était terrifiant. Il avait une force sur-humaine. Je savais qu'il ne l'était pas, mais constater la différence qui nous séparait était rude. Je me sentais démunie. Car moi, je n'étais qu'une humain. Je n'étais encore qu'une humaine. Qu'une humaine fragile.

- Tu n'as jamais vraiment été une simple humaine, m'interrompit doucement Maël. Ce que tu es à toujours été enfoui au fond de toi. Tu savais lire dans les pensées bien avant l'apparition de tes marques, non ?

- J'arrivai à me convaincre que ce n'était qu'un désagrément causé par un quelconque médicament ou quelque chose dans le genre, avouai-je dans un maigre sourire contrit.

- C'était ridicule, me souligna donc Kenan en me faisant soupirer. Aucun médicament ne pourrait donner ce genre de don.

- Et il était ridicule d'imaginer que j'étais un vampire ou toute autre créature fantastique ou mythologique, rétorquai-je sans le regarder.

- Tu marques un point, admit-il. Mais arrêtes de paniquer. Ce type ne t'approchera plus.

Je ne savais quelle réponse lui donner. Je ne voulais pas vexer Kenan ou encore Maël, qui semblaient approuver la pensée de son frère, mais un pressentiment viscéral m'empêchai d'être convaincue par leurs assurances. Tu vas mourir d'ici quelques jours. Voilà tout ce qui était resté imbriqué en moi. Creusant de plus en plus mon âme. J'étais censée assimiler que tout cela n'était pas un rêve et, en prime, je devais apprendre à vivre dans ce monde trop différent. Et ce, très rapidement sous peine de me faire plus d'ennemis que si j'avais été une poule décidée à intégrer une meute de loup affamée.

Je retins une crise de larme de justesse en me mordant la lèvre furieusement alors que je tentai, au mieux, de cacher mes pensées. Kenan tourna pourtant ses yeux vers moi, comme pour m'affirmer que toute tentative était vaine. Il franchissait les murs, tous. Sans aucune exception. Cela me rendait folle de constater à quel point il pouvait y accéder à sa guise. J'avais beau faire de mon mieux, il pourrait tout voir. Je serrai les poings. Je ne voulais pas. Il n'en avait aucun droit. Malgré moi, je me redressai pour le dévisager, ravager par une fureur inouïe. La colère brûlait en moi, incendiant tout sur son passage. Effaçant la peur. C'était comme si me concentrer sur cet autre sentiment me permettait d'atténuer celui que je ne voulais pas ressentir. Mais tout dérapa. Ou plutôt : tout brûla.

Le bas du pantalon, en jean, de Kenan s'enflamma alors que j'écarquillai les yeux, totalement abasourdie. Kenan gronda durement mais à peine la flamme eut elle le temps de monter sur le tissu, que de l'eau apparaissait de nulle part, la faisant aisément disparaître. En tournant la tête vers Maël, je remarquai que ses yeux, habituellement d'un bleu parfait, tiraient sur le gris. L'eau c'était lui. Et le feu, c'était moi. La boule dans ma gorge grossit encore un peu plus.

- Impressionnant, souffla Kenan comme si rien ne c'était passé. Être déjà capable d'utiliser ses dons est un exploit. Tu n'es peut-être pas si en danger que ça.

- C'est moi... qui ai fait ça ? Bégayai-je, incertaine.

- Tu étais en colère, expliqua Maël, très sereinement. La colère décuple nos dons. De plus, au début, ils sont toujours très instables. C'est une simple question d'habitude.

- Je n'ai pas voul...

- Je sais, me coupa Kenan alors que je devenais livide. Ne t'en fais pas.

- J'en ai mare d'entendre ça, me crispai-je, cachant mon visage dans mes bras. Bien sûr que je m'en fais. Je m'en fais quand je découvre que les loups-garous et les vampires existent. Je m'en fais quand j'apprends que je suis même peut-être l'un ou l'autre. Je m'en fais quand un type me balance dans les airs. Et oui, je m'en fais quand j'enflamme le pantalon de quelqu'un juste parce qu'il me tape sur le système.

Ni l'un, ni l'autre ne rétorqua, visiblement conscient qu'il ne fallait mieux pas prendre le risque de m'énerver quand j'enflammais tout ceux qui me posaient problème. Je soupirai avant de tourner la tête sur le côté et de contempler la grande fenêtre qui éclairait la pièce. La forêt semblait s'étendre à perte de vue. Dans un premier temps, face à ce paysage, je n'avais pu que penser être perdu au milieu de nulle part. Mais aujourd'hui, je pensais qu'il était préférable d'être ainsi éloigné du monde civilisé. Autant pour les humains. Que pour tous les nouveaux arrivants désireux de s'enfuir.

J'avais envie que tout redevienne comme avant. À l'époque où je n'étais qu'une enfant, qu'une gamine qui ne lisait pas dans les pensées. À l'époque où j'allais à l'école avec insouciance. À l'époque où mon père était encore là. Je jouai nerveusement avec mon médaillon tandis que son visage, flou, voulait imprégner mes pensées. Je me voilais la face en affirmant qu'il ne me manquait pas. Je le savais parfaitement.

Le regard vide, je me forçai à regarder cette forêt immense pour éviter de me sentir envahie par les émotions de Maël et de Kenan, qui semblaient m'atteindre plus intensément. Ils ressentaient de la peine pour moi. Pas de pitié. Juste une peine sincère. Ils savaient ce que cela faisait. Je tournai un peu mes yeux vers eux, me dirigeant naturellement vers Maël. Ses yeux avaient repris leurs teintes et il tenta de m'offrir un sourire chaleureux. Je faisais de même bien plus facilement que je ne l'avais craint.

- C'est dû à quoi le changement de couleur de vos yeux ? Demandai-je afin de changer de sujet, peu désireuse de parler de mon père.

- Nos yeux s'éclaircissent quand nous utilisons nos dons, débuta Maël. Mais sache que ton don est souvent limité à une certaine quantité, si ton iris devient transparente tu courras le risque de perdre toute ton énergie vitale.

- Traduction ?

- Il y aura de forte chance que tu meurs, grimaça-t-il, gêné d'admettre si clairement une telle information.

- Génial, soupirai-je.

- Mais cela n'arrive quasiment jamais, me rassura-t-il. Tu apprendras ici où se trouve ta limite à ne pas franchir.

Je hochai faiblement la tête. Après tout ce n'était qu'une des nombreuses manières de mourir que j'ajoutai à ma longue liste. C'était moins barbare que par la main d'Isidore. Je soupirai tandis qu'un amas de questions me taraudait. Est-ce qu'enflammer le pantalon de Kenan avait consommé beaucoup de mon énergie ? Y avait-il un moyen de se rendre compte de cela ? Est-ce que je risquai actuellement quelque chose ? J'avais l'impression de n'être qu'un nourrisson découvrant le monde et, au fond, je ne devais pas être loin de ce triste statut. Je me mordillai la lèvre. Je me retrouvai, encore une fois, face à une nouvelle information à encaisser. Mais une de plus ou une de moins, ne changerait pas grand-chose. Je rouvris donc la bouche, la première :

- Et pourquoi ceux de Kenan deviennent-ils plus foncés ?

- Un truc de démon, répondit l'intéressé. Quand nous éprouvons du désir, de la colère ou une émotion forte considérée comme mauvaise, nos yeux deviennent de plus en plus noirs selon la force du sentiment éprouvé.

- On raconte que Dana a jeté ce sort au premier des démons afin d'éviter qu'il ne s'en prenne aux femmes mortelles, ajouta Maël dans un sourire moqueur.

- Ce n'est qu'une légende, affirma Kenan sans répondre au jeu de son frère. Les anges peuvent être tout aussi diaboliques que nous.

- Alors pourquoi changent-ils de couleur ? Demandai-je, intriguée et ravie de me changer les idées avec un sujet plus léger.

- Je ne saurais pas le dire, personne ne le sait, affirma Kenan en haussant les épaules. Il y a des rumeurs mais toutes semblent infondées. La meilleure, selon moi, est que, contrairement aux autres espèces, les démons ont choisis de ne pas cacher leurs désirs profonds.

- Quand je suis arrivée à Dacer... Tes yeux sont devenus noirs ?

Un peu surpris par ma question, Kenan tourna enfin ses yeux vers moi et, quelques secondes, je crus percevoir cette fameuse noirceur. Une brève seconde, mon cœur accéléra ses battements sans que je n'en comprenne la raison. Maël se crispa à côté de moi, mais déjà Kenan avait-il détourné les yeux. Ses épaules esquissèrent un vague mouvement pour me signaler son indifférence, qui semblait être un trait de caractère fondamental chez lui. Tout comme chez Cyriel.

- Tu m'intrigues, comme tout le monde. Simple désir de curiosité.

- Dois-je dire que je sais que tu mens ? Soulignai-je.

- Non, ce n'est pas nécessaire, sourit-il aussitôt, son regard brillant d'une espièglerie que j'avais déjà vu chez Maël. Crois cette version, cela t'évitera d'être gênée en ma présence.

- Cela me semble mieux effectivement, soupirai-je.

Sans état d'âme, Kenan vint se vautrer sur mon lit, s'étendant de tout son long à mes pieds. Il regardait le plafond alors que j'en profitai pour le contempler. Il était étrange. Mais il ne m'effrayait réellement plus. Ses pensées étaient calmes et sereines. Je n'y relevais rien d'anormal pour un garçon de mon âge. Il n'était ni cruel, ni méchant malgré ce qu'il voulait prétendre. Il avait la volonté d'affirmer le contraire mais quelque chose en lui était d'une pureté et d'une douceur infinie. Je n'aurai pas eu l'audace d'aller jusqu'à dire qu'il arrivait à la cheville de Maël, mais il avait quelque chose de rassurant, lui aussi. Comment le savais-je ? Sinistrement aucune idée.

Je finis par soupirer, basculant ma tête en arrière pour l'acculer au mur qui la soutint sans se faire prier. Je gardai les yeux clos, tentant de me vider l'esprit. Je devais me concentrer sur des choses agréables. La première qui me vint fut, forcément, ma mère. Son sourire. Son rire. Sa douceur. Son affection. Néanmoins, si je parvenais à d'abord esquisser un sourire, mon cœur se serra bientôt. Elle me manquait. Et si elle savait ce qui se passait dans cet établissement, elle frôlerait l'infarctus. Je soupirai encore une fois. Pour la pensée agréable, je repasserai. Machinalement, je triturai mon médaillon, la petite pierre scintillant à chaque fois que la lumière venait s'y percuter. Je m'amusai à en faire refléter les rayons du soleil qui passaient par la fenêtre, le calme parvenant à m'envahir petit à petit. Le visage de ma mère avait été remplacé par celui d'une femme plus âgée, mais possédant les mêmes yeux émeraudes.

Ma grand-mère était une femme forte et très calme. Ma mère disait qu'elle ne l'avait jamais vu s'inquiéter de quoi que ce soit. Beaucoup affirmaient qu'elle était folle, une insouciante idéaliste qui n'avait pas su voir la réalité de la vie. Mais moi, je savais qu'elle était juste une femme qui avait décidé de vivre chaque jour sans se demander ce qui se passerait le lendemain. C'était peut-être, pour certains, une façon naïve et insouciante de vivre, mais pour moi c'était une vie que je lui enviais. J'aurais aimé savoir être comme elle, savoir écarter tous les soucis quotidiens et ne garder qu'une chose : le sourire. Ce fameux sourire qu'elle m'avait constamment offert et qui restait ancré dans ma mémoire. Elle me manquait énormément. Mais c'était plus doux, plus rassurant.

Mais rien ne pouvait durer. Ou plutôt, rien n'était fait pour que je reste calme. Un hurlement retentit au loin. Je tremblai. Ma tête se tourna lentement vers la forêt, le cœur au bord des lèvres. Le hurlement venait de là-bas. Kenan avait bondit sur ses pieds et si Maël était resté assis, son visage se crispait. Quelque chose de mauvais était en train de se passer. Pas encore. Pas une nouvelle catastrophe. Pas une nouvelle raison de paniquer. Je n'étais pas prête à en subir d'avantage. J'avais déjà assez encaissée comme ça, je ne pouvais tout simplement pas me prendre encore une claque dans la figure. Je n'avais pas envie de savoir d'où venait ce hurlement. Pas envie de savoir par qui il avait été provoqué. Pas envie de comprendre pourquoi j'avais le sentiment que je n'étais pas étrangère à ce hurlement.

- Tu sens cette odeur ? Questionna Kenan.

- Oui, murmura Maël en se redressant lentement.

- Va voir Andrew. Dis lui qu'on a un problème.

- To...

- Je reste avec elle, gronda la voix grave de Kenan.

Ses yeux se tournèrent vers nous et étincelèrent d'un noir profond. Sa colère était palpable. Et quelque chose l'effrayait profondément. Maël ne sembla hésiter qu'une brève seconde avant de se lever et de se ruer hors de la chambre. Un nouveau cri retentit dès qu'il eut disparut. Il était rauque cette fois-ci. Sans doute celui d'un homme. Je plaquai mes mains sur mes oreilles, secouée par une crise de panique. Je ne voulais pas savoir. Ni entendre. Ni voir. Ni rien. Je voulais juste me réveiller de ce foutu cauchemar. Le calme avait éclaté. Il avait été éradiqué avec une facilité déconcertante. Aussi éphémère que s'il n'avait jamais existé.

Une main chaude se glissa dans ma nuque et, dans la panique, je frappai cette paume brûlante qui s'écarta calmement. Je croisai le regard de Kenan. Redevenu vert. Je regrettai aussitôt mon geste, mais fut incapable de m'en excuser. Ma voix ne voulait pas sortir. Sobrement, il la reposa simplement au même endroit. Je le laissai faire, affrontant son regard si similaire au mien. Je ne savais pas quel était les dons de Kenan, mais j'avais le pressentiment que, tout comme son frère, il pouvait influer sur les sentiments car je m'apaisais faiblement.

- Tu es en sécurité, pas besoin de paniquer.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? Réussi-je articuler péniblement.

- Le coquatrix.

- Le quoi ? Grimaçai-je.

- C'est du latin, soupira-t-il en s'écartant un peu. Cela signifie traqueur.

- Et pourquoi ai-je le pressentiment que je ne vais pas aimer ce type ?

- Cette chose, rectifia-t-il dans une certaine ironie. Le coquatrix est une créature que les humains appellent Basilic.

Un serpent. Un serpent géant se trouvait possiblement à quelques kilomètres de moi. Un serpent démesurément grand. J'avais regardé Harry Potter, comme tous les jeunes de ma génération, et ce truc m'avait fichu froid dans le dos. Je détestais les serpents. C'était visqueux, avait des crocs très souvent venimeux en plus d'être énormes, avalait leurs proies entières et était capable d'étrangler tout type de créatures. Êtres humains compris. J'avais du mal à trouver ces bestioles sympathiques. Alors comment devais-je apprécier l'idée de me retrouver face à un serpent mesurant vingt fois ma taille ?

- Le Basilic n'est pas tout à fait comme ça, dans la réalité, m'informa Kenan sur ses gardes. Il est seulement à moitié serpent.

- Et quelle est son autre moitié ? Araignée ? Ours ? Un truc bien dangereux et effrayant, j'imagine, lançai-je totalement désarmée et tentant d'alléger la situation avec un humour foireux.

- Un coq.

Je m'arrêtai net. Un coq ? Ce moquait-il de moi ? Pourtant, ses yeux étaient très sérieux et il ne souriait pas le moins du monde. Un coq. Le Basilic était à moitié coq. L'image assez improbable d'un serpent avec des plumes et des petites pattes gesticulant en tout sens, fut passablement ridicule. Je retins un fou rire qui fut totalement coupé, dans ma gorge, par un nouveau cri. Encore celui d'un homme. Ma crispation ne pouvait pas être plus présente.

- Je suppose qu'il reste dangereux, murmurai-je, n'ayant plus du tout envie de rire.

- Extrêmement. Et il ne s'arrêtera que pour deux raisons.

- Je t'écoute.

- Soit nous le tuons. Soit il atteint sa cible.

- Et qui est-elle ?

Un instant, son visage se crispa, sa mâchoire devenant saillante sous la pression qu'il y exerçait. Je regrettai instantanément ma question et voulus la retirer. Je ne voulais pas la poser, je ne voulais pas connaître la réponse. Je me mordis la lèvre, inconsciemment. Même si je n'en avais aucune envie, je n'avais pas le choix. Je devais savoir. La sentence, lourde, tomba. Et fut sans appel :

- Toi.

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