Le vendredi matin, en voiture avec Sally et Cassie, Maddie ne suivait pas la discussion. La tête posée contre la vitre, elle observait les passants dans les rues de la ville et se laissait bercer par le ronronnement du moteur. Son attention se portait sur les couples et en croiser lui suscitait un généreux sourire. Elle ressentait un bien-être inconnu. Cela la ravissait autant que cela la rendait anxieuse. Elle était amoureuse. C'était ça, elle était totalement, complètement, follement et indiscutablement amoureuse. Ces petits picots dans le ventre et cette sensation de vide lorsqu'elle était loin d'Anthony en étaient des signes flagrants.
En entrant dans le lycée, Maddie s'arrêta quelques secondes pour profiter du spectacle. La décoration était magnifique et l'ambiance extrêmement joyeuse. En plus des guirlandes et cœurs présents depuis le début de la semaine, des ballons voletaient partout dans le lycée. Une douce odeur de fleurs flottait dans l'air grâce à la multitude de roses distribuées. De petits cadeaux étaient accrochés sur les casiers.
Sur le sien, Maddie découvrit deux sucettes en forme de cœur, une rose et une rouge. À chacune était joint un mot. Elle déplia celui de la sucette rouge et découvrit qu'il était signé d'Anthony. Il lui donnait rendez-vous le soir même au restaurant pour « célébrer cette fête si spéciale avec une personne exceptionnelle ». Maddie ne put réfréner un nouveau sourire.
Elle ouvrit ensuite la note de la seconde sucette. Elle fut agréablement surprise de s'apercevoir qu'il venait de Sally et y lut. « À une super Venus devenue plus qu'une simple coéquipière ! Sally »
Maddie releva la tête et chercha Sally des yeux. Les regards se croisèrent et la capitaine lui adressa un clin d'œil accompagné d'un sourire en coin.
Sally discutait avec Cassie et Rachel, au fond du couloir, lorsqu'elle croisa le regard de Maddie. Cette dernière tenait en main deux sucettes et lui apparut heureuse, exactement ce que Sally espérait. Elle lui adressa un léger sourire accompagné d'un clin d'œil. Sally était ravie que Maddie n'ait pas remis sa parole en doute concernant le vol au centre commercial. Elle avait hâte de voir comment réagirait Maddie après ce qu'elle lui réservait.
— Ma puce, tu es prête pour la plus merveilleuse Saint-Valentin de ta vie ? demanda Ashton en arrivant derrière Sally et en la serrant contre lui.
Elle acquiesça, en souriant.
— Je suis prête pour la plus surprenante des Saint-Valentin, mon cœur.
De son côté, Anthony était nerveux et impatient. Il avait hâte d'être au soir même. Ils avaient convenu avec Maddie de ne pas se voir de la journée et de se retrouver directement au restaurant. Ils se découvriraient dans un cadre romantique, tous deux biens habillés pour l'occasion. Vu les relations tendues qu'entretenaient Maddie et sa mère depuis plusieurs semaines, Anthony avait sauté au plafond quand il avait appris que Joanna laissait Maddie libre pour cette soirée.
En arrivant devant son casier, il y découvrit une sucette violette. Anthony sut que c'était un cadeau de Maddie, lui-même en a placé une sur son casier. Il la plongea dans sa poche et se promit d'arriver au restaurant avec la langue si violette qu'elle serait visible dans le noir complet.
— Maddie ! s'étrangla Joanna.
— Je ne retrouve pas ce satané débardeur !
Au milieu de sa chambre, Maddie fouillait à quatre pattes dans un amoncellement de vêtements. La porte de son armoire étant restée grande ouverte, Joanna la découvrit entièrement vide. La totalité des cintres se trouvait aussi sur le sol de la pièce.
— Je pense que tu es un petit peu stressée, non ?
— Pas du tout ! Qu'est-ce qui te fait dire ça ? s'étonna Maddie.
Joanna gloussa et montra le plancher aux pieds de Maddie. Celle-ci sourit en apercevant l'étendue des dégâts. Même ses chaussures étaient dispersées partout dans la pièce et reformer les paires demanderait des heures.
— Ah, ça ! J'ai du mal à me décider !
— Essaye cette petite robe beige.
Maddie marmonna une fois vêtue de la robe. Elle ne se sentait pas du tout à l'aise ni mise en valeur. Elle souffla et se laissa tomber à genoux dans le tas de vêtements.
— Attends !
Joanna disparut. Elle revint un instant plus tard, rapportant une magnifique robe bleue et de longues boucles d'oreilles dorées. Elle tendit le tout à Maddie qui les enfila.
— De quoi j'ai l'air ? demanda-t-elle anxieusement.
— Tu es parfaite, Anthony va adorer.
Maddie vérifia son maquillage et jeta un dernier coup d'œil à sa coiffure. Laissés libres, ses longs cheveux ondulés cascadaient dans son dos. Elle consulta l'heure. Elle ne voulait pas faire attendre son cher et tendre. Sa mère accepta de la déposer et le trajet se fit dans un climat enjoué. Après lui avoir souhaité une bonne soirée et rabâché les règles à respecter, Joanna laissa Maddie descendre de voiture et la regarda pénétrer dans le restaurant. Malgré ce qu'elle avait vécu dernièrement, Joanna était fière de sa fille et émue qu'elle puisse enfin passer une Saint-Valentin avec un garçon qu'elle appréciait.
Après avoir vérifié le nom de la réservation, un jeune serveur escorta Maddie à table.
— Vous êtes la première arrivée. Installez-vous.
Maddie prit place et observa autour d'elle. La salle était comble. Le temps passa et pas d'Anthony en vue. Elle l'appela, trouvant bizarre qu'il ne l'ait pas prévenue. Elle insista et appela trois fois de suite. Pas de réponse.
Elle commençait à s'impatienter. Elle tenait dans sa main gauche la sucette qu'elle avait gardée précieusement depuis le début de la semaine. Elle souhaitait l'offrir en mains propres à Anthony, à son arrivée. Elle l'avait emballée joliment et y avait ajouté un petit mot qu'elle avait hâte qu'il découvre. Elle frissonna en imaginant sa tête en le lisant. Le serveur vint lui proposer une boisson pour patienter.
— Non, ça va, murmura Maddie.
Elle voyait les aiguilles de sa montre tourner et pas d'Anthony à l'horizon. Les minutes s'écoulèrent, aussi lentes que des heures. Maddie appela sans relâche sur le portable de son petit ami sans succès. Le serveur revint la voir, une heure plus tard.
— Je suis désolé d'insister, mais vous allez commander à manger ou pas ? Ça fait un moment que vous êtes là et vous occupez une table sans consommer. C'est pas moi que ça dérange, mais, vous savez, mon patron, il surveille et on est un jour spécial, les tables disponibles sont des denrées rares. Je ne peux pas vous laisser patienter plus, je suis navré.
Maddie ne protesta pas et se leva. Un peu pâle, elle parla d'une voix tendue.
— Je comprends. Je m'en vais.
Exaspérée et en colère, elle quitta la salle de restaurant, laissant volontairement sur la table la sucette destinée à Anthony. Elle tenta de nouveau de le joindre sur son portable, mais, comme elle s'y attendait, cela se solda par un nouvel échec. Elle se retint de lui laisser un message incendiaire et raccrocha. Elle appela sur le téléphone fixe de la résidence des Ryan-Tate et fut encore déçue ; personne ne décrocha. Pleine de rancœur, elle pressa le téléphone entre ses deux mains de toutes ses forces. Passé en mode silencieux, elle le flanqua dans le fond de son sac à main.
Elle décida de ne pas se présenter chez Anthony bien qu'au fond d'elle, elle en mourait d'envie. Que quelque chose de grave se soit passé lui effleura l'esprit, mais elle balaya aussitôt cette idée. Elle aurait été informée si un évènement sérieux était survenu au point qu'il ne puisse ni appeler ni répondre au téléphone. Tout le monde était au courant qu'ils se voyaient ce soir, et ce, autant dans la famille d'Anthony que du côté de Maddie. Bien que n'ayant, pour l'instant, jamais rencontré les membres de la famille Ryan-Tate, Maddie savait qu'Anthony les avait informés de leur relation.
Elle resta debout, plantée devant l'entrée du restaurant, le regard vide. La pluie se mit à tomber et Maddie sentit des gouttes ruisseler dans son cou. Un taxi s'approcha d'elle.
— Je vous emmène quelque part mademoiselle ?
Maddie déclina en secouant la tête. Elle avait besoin de se calmer et de réfléchir. Marcher lui ferait du bien. D'un pas lent et lourd, elle avança le long de la grande avenue bruyante. La pluie redoubla d'intensité. L'averse qui lui fouetta le visage lui fit un bien fou et l'apaisa.
Se moquant du regard des autres, elle retira ses talons neufs qui la faisaient souffrir horriblement et poursuivit sa route. Elle avait une bonne heure de marche pour rentrer chez elle, mais elle s'en fichait. Maddie progressa d'un pas automatique, indifférente à cette masse d'eau qui se déversait sur elle.