Water Lily

By RosalineOscar

2.1M 171K 43.7K

Son doigt effleura ma peau. Froid et chaud à la fois. M'électrisant au simple contact. Il traça la courbe lég... More

Ou comment se retrouver sur le cul.
Adieu le rêve, bonjour le cauchemar.
Ce que je suis ? Oh je sais pas. Peut-être un truc poilu.
Moi bizarre ? Vous vous êtes regardés peut-être ?
Ou comment dire : je cours à la catastrophe.
Je n'ai pas besoin d'un chien de garde. Quoique. Tu mords bien ?
Ou comment se sentir plus monstrueuse que monstrueuse.
Qu'est-ce que je suis ?
Besoin de temps. Acte I, scène I.
Besoin de temps. Acte I, scène II.
Avance et ne recule plus.
Evolution. Non je ne parle pas de Darwin. Ni de Pokémon.
Avoir un petit-ami surprise en une leçon.
Oui maman, je ne suis plus une enfant. Ah et oui. J'attire les psychopathes.
J'entends des voix. C'est pas suffisant ? Bien, je vois des fantômes alors.
Finalement, je vais peut-être avoir quelques poils.
J'ai, comme qui dirait, un léger mal de crâne.
Baisé mouillé.
Doucement, tu grandiras encore. Si tu survies jusque là.
Envie d'une reconversion ? Essayez dompteuse de Lion.
Je ne deviendrai pas dompteuse de lion.
Hier, je te détestai. Aujourd'hui, tu vas me manquer.
Passé. Présent. Rêve. Réalité. Je ne sais pas ce que je préfère.
La mélodie de la lune.
Plongé en terre inconnue.
Passion pour les frites.
Ou comment le Dieu des céréales m'a prise en grippe.
Monstre ou humaine. Un pas vite franchi.
Comment gérer les catastrophes (ou pas) pour les nuls.
Tuatha de Dannan, d'histoires en histoires.
Lien. Pas tout à fait celui que j'attendais.
Water lily, la puissance du nénuphar.
Marron. Ils étaient marron.
Sacrifice.
Epilogue
Tome 2

Pitié, pas de rat.

166K 6.7K 2.4K
By RosalineOscar

Chapitre 1 à 3 corrigés par  lune-noire ! 

Et Chapitre 1 à 7 corrigés par MarinePtoux !


Impossible. Hors de question. Nada. Niette. Ie. Não. Jamais. Plutôt mourir. Je regardai ma mère, les bras croisés sur ma poitrine puis rivai mes yeux sur mon bol de céréales, espérant secrètement que celles-ci aillaient soudainement lui sauter à la gorge en la menaçant d'une mort imminente si elle obligeait sa fille à se rendre dans cette école. Je battais du pied nerveusement, le carrelage froid de la cuisine glissant sous ma voûte plantaire m'enveloppant d'un sentiment rassurant qui ne suffisait pourtant pas à m'apaiser. Je ne savais pas ce qui me mettait plus mal encore : le silence pesant qui enveloppait la petite cuisine, dont la décoration semblait être restée coincée dans les années soixante dix, ou son regard vert qui pesait sur moi avec mécontentement. Finalement, je finis par éliminer les deux options. Il y avait quelque chose de bien pire. Ses pensées étaient pires que tout.

« - Quand va-t-elle grandir ? Depuis que son père est parti... »

Je tentai de couper net cette voix qui s'imposait à mon esprit alors que ce n'était pas la mienne. Mais je n'y parvins qu'à demi. Les bribes de ses pensées me parvenaient toujours mais de façon tamisées, comme si le réseau était mauvais et que les grésillements constants m'évitaient d'entendre des mots que je trouvais injustes. Ce n'est pas depuis que mon père est parti que je suis bizarre, maman. La phrase me brûlait les lèvres. Je crevais d'envie de tout lui balancer, de lui dire qu'elle avait tout faux. Mais je me contentai de me renfoncer dans ma chaise, mes bras se resserrant un peu plus contre ma poitrine.

Je n'étais pas ainsi à cause du départ de mon père. Non. C'était à cause de ces voix que j'entendais sans cesse. De ces voix qui n'étaient jamais la mienne. Et j'avais fini par admettre l'inévitable. J'entendais les pensées des autres. Heureusement, j'avais aussi fini par comprendre que cette capacité ne se développait qu'après un contact physique. Peau contre peau. Et je m'en sentais incroyable heureuse car je n'aurais clairement pas supporté entendre mon professeur de math fantasmer sur les tenues sexy de Stéphanie Bernard. Je frissonnai d'un dégoût partagé pour l'un et pour l'autre. Autant j'étais partisane de l'idée que chacun devrait pouvoir s'habiller comme il le souhaitait sans qu'un regard déplacé ne vienne se poser sur eux, ou qu'aucun comportement ne soit justifié par une tenue, autant je trouvai le comportement de Stéphanie Bernard tout aussi détestable. Elle n'était pas dupe et usait clairement de ses charmes pour en tirer profit, sans réaliser à quel point elle pénalisait d'autres filles qui, elles, ne souhaitaient clairement pas vivre une telle situation.

Et puis de toute façon, je la détestais tout simplement elle et son teint qui passait du blanc à l'orange foncé du jour au lendemain. Je refoulai une nausée profonde. Je ne savais pas qui avait inventé le fond de teint, mais il aurait dû laisser un mode d'emploi très explicite afin d'éviter que certaines ne se prennent pour un mur à repeindre.

Mes pensées dérivaient, tentant de se focaliser sur toute autre chose. Mais c'était vain. Son nom avait claqué dans mon esprit malgré mes tentatives pour ignorer les pensées de ma mère. Mon père. Cet homme qui avait disparu, alors que je n'étais qu'une gamine, ne me manquait pas vraiment, contrairement à ce qu'imaginait ma mère. Il était vrai que nous avions été proches. Que je l'avais aimé comme toute petite fille adorant son père. Mais il était parti en emportant chaque souvenir, chaque bribe de bonheur, chaque morceau de ce quelque chose qui aurait pu me manquer. Avant de partir, il avait brûlé les photos, prit toutes ses affaires, puis il avait disparu dans la nature. Sans un mot. Pourquoi ? C'était la question que ma mère se posait chaque jour. Ils se disputaient ? Non. La seule fois où je les avais entendus élever la voix, la dispute n'avait duré qu'une dizaine de minute avant qu'ils ne tombent dans les bras l'un de l'autre. Dette de jeu ? Non plus. Mon père passait le plus clair de son temps à la maison et le peu de temps qu'il ne nous accordait pas, il travaillait durement pour nous permettre de mener une vie normale. Pour combler son incompréhension, ma mère disait souvent qu'il était probablement parti avec une femme plus jeune ou qu'il était parti en quête de liberté, que sa vie de famille l'enchaînait à la banalité. Mais je n'avais jamais été convaincue par ces mots. Néanmoins, aucune autre explication n'avait trouvé grâce à mes yeux. Il fallait se rendre à l'évidence, nous ne comprendrions jamais. Et c'était peut-être mieux ainsi.

Dans tous les cas, cette disparition totale et brusque avait eu pour avantage de me laisser sans souvenirs, sans pensées tendres à adresser à ce père absent, sans rancœur à l'idée qu'il aurait pu être à mes côtés à chaque étape de ma vie d'adolescente. Il n'avait tout simplement jamais existé. Comment regretter quelque chose dont je ne me souvenais pas ? Et ma mère avait compensé le maigre vide qui voulait persister, jouant les deux rôles à la fois dans une maîtrise absolue. Il était parti. Et je lui en voulais. Mais cela s'arrêtait là.

- Keylinda, souffla ma mère en attirant mon attention. Tu m'écoutes ?

- Non, pas du tout, avouai-je, morose. Tu disais ?

- Cette école a une excellente réputation, reprit-elle sans s'énerver, sa voix restant douce et calme mais trahissant le fait qu'elle cherchait aussi à se convaincre elle-même. Leurs élèves viennent des quatre coins du monde et ils ont un cursus très riche...

- Mon lycée est très bien coté, rétorquai-je, venant jouer de ma cuillère dans le bol de céréales dans une obstination totale. Pourquoi tiens-tu tant à m'envoyer là-bas ? Je suis bien ici.

- Keylinda, soupira-t-elle, peinée. Cela ne peut plus durer ainsi. Tu n'es pas bien et je ne laisserais pas ma fille dans un lycée où elle se fait persécuter.

Aïe. En plein dans le mille. L'argument que j'espérais ne pas entendre, venait de s'abattre lourdement sur la table. Je me renfrognai, mes doigts si crispés sur la cuillère que j'allais finir par la tordre. Je fixai mes céréales qui tournaient en rond, flottant à la surface du lait. Allez, sautez petites céréales, aidez-moi. Mais elles continuèrent leur ronde dans une indifférence totale. Merci, je retiens. Elles commencèrent à s'enfoncer dans le lait, disparaissant de mon champ de vision. Génial, quel soutien. Je soupirai un peu plus alors que je ne pouvais pas rester dans mon mutisme quand ma mère me fixait intensément, attendant une réaction plus orale de ma part.

Cependant, mes pensées restaient sombres. Stéphanie et sa bande avaient fait de moi leur cible préférée dès l'instant où j'avais posé les pieds dans la petite cour du lycée Victor Hugo. J'étais trop bizarre. Trop différente. Trop anormale. Combien de fois m'avait-elle donné cette justification pour toutes les humiliations qu'elle me faisait subir ? Et au fond. Je la comprenais. C'était probablement ça le pire de toute cette histoire.

Dès l'instant où j'avais réalisé que c'était le contact direct qui me faisait lire les pensées des autres, j'avais refusé tout rapprochement, développant ce que ma mère jugeait être une agoraphobie et, de son point de vue, c'était vraisemblable. Passant mon temps enfermée dans ma chambre, je n'en sortais vêtue que de pulls informes aux manches immenses, de pantalons épais même sous les plus grosses chaleurs de l'été et faisait en sorte de n'arborer aucune originalité. Je me coiffais toujours de la même manière d'une tresse sur le côté, je ne me maquillais pas, je ne portais pratiquement aucun bijoux et je veillais à toujours porter des couleurs sombres. Je voulais passer inaperçue, devenir une fille banale que personne ne regardait. Si cela avait fonctionné durant le collège, j'avais obtenu tout l'inverse de mes espérances au lycée. Le talent que je pensais avoir développé pour être invisible, ayant volé en éclats lorsque, pour la première fois, Stéphanie Bernard m'avait pointé du doigt en éclatant de rire.

- Cela ne peut pas continuer, répéta ma mère plus fermement. Keyli... je m'inquiète tellement pour toi. Regarde-toi, tu n'es pas heureuse...

Ses sentiments me serraient violemment la poitrine, se logeant en moi comme si c'étaient les miens. Mes yeux devinrent humides et je détournai le regard. Je savais qu'elle était sincère. Je savais qu'elle ne voulait que me protéger. Je savais aussi qu'elle m'aimait. Qu'elle m'aimait beaucoup trop pour me laisser rester dans un endroit où, chaque jour, on me rabaissait. Je restai silencieuse, les yeux rivés sur mes genoux. Comment étais-je censée protester quand ses sentiments m'envahissaient de la sorte ? Aucun argument ne trouvait de valeur face à cela.

Me faisant légèrement sursauter, sa main se posa sur la mienne. Je me crispai aussitôt, mon corps se tendant. Le contact augmentait sa voix en moi, la rendant impossible à ignorer. Elle résonnait très clairement dans mon esprit et je ne pouvais qu'écouter en espérant qu'elle retirerait sa main le plus rapidement possible. Elle se demandait si j'allais accepter. S'interrogeant aussi sur ma capacité à être heureuse là-bas. Non à être heureuse quelque part. Elle se demandait aussi si elle avait été une bonne mère malgré l'absence de mon père. Puis, constatant mes réticences, la question fusa naturellement : pourquoi me tient-elle à ce point à distance ? Mon cœur se stoppa, la douleur le comprimant bien trop. J'aimais ma mère et j'avais toujours été proche d'elle, mais aujourd'hui je m'en sentais de plus en plus incapable. La gorge serrée, je ne reculai pas pour autant ma main consciente qu'elle en serait beaucoup trop blessée. Mais il fallait faire cesser tout cela.

- D'accord, lançai-je un peu trop vite pour que cela semble naturel. J'irai à Dacer.

Je pressai sa main brièvement et l'écartai prestement alors qu'elle était trop satisfaite pour se rendre compte de mon recul. Lorsque je redressai les yeux vers elle, surprise qu'elle ne réponde pas, je croisai ses yeux embués de larmes. Je crois qu'elle n'avait pas vraiment envie que je parte. Non. J'en étais même sûre. Elle n'avait jamais voulu se séparer de son enfant. Elle aurait pu choisir de m'abandonner comme l'avait fait mon père, mais elle m'avait choyée, aimée plus que quiconque et toujours veillé sur moi. Elle aurait voulu trouver une autre solution, mais il n'y en avait pas. Alors, pour mon bien, elle avait choisi de me faire entrer dans cet établissement. Même si cela signifiait qu'elle allait se retrouver seule dans cette maison où elle avait gardé de trop nombreux souvenirs.

Prétextant avoir l'envie d'être un peu seule, bien que cela ne soit qu'un mensonge partiel, je me relevai de table, délaissant mes lâcheuses de céréales et me dirigeai vers ma chambre, le cœur sur le point d'exploser. Un nouveau lycée. Un nouvel enfer. Son rêve de me voir heureuse dans cet endroit, allait devenir mon plus grand cauchemar.

Un large frisson traversa mon dos, passant du bas de ma colonne vertébrale et remontant jusqu'au haut de ma nuque. Ma valise à la main, les cheveux en pagailles, je regardai le bâtiment qui me faisait face avec un hébétement total. Un château. Je faisait face à un château. Mes yeux se tournèrent vers ma mère, mais lorsque je constatai son propre regard ahuri, je compris qu'elle n'était pas plus au courant que moi. Et pourtant c'était elle qui me bassinait avec les mérites de Dacer depuis une semaine, soit depuis l'instant même où j'avais accepté d'intégrer cet établissement.

Les choses étaient allées tellement vite. Je n'avais jamais pensé que dire « oui » impliquerait que, quelques jours plus tard, je me retrouverai à parcourir une forêt pour arriver devant un vieux château dont l'aspect lugubre faisait se répéter les frissons. Et puis, c'était quoi cette idée de venir enterrer un lycée, doublé d'un internat, au fin fond de la forêt ? Il était pratiquement impossible d'y accéder en voiture et la nôtre en avait fait les frais, calant au bout de quelques mètres et nous condamnant ainsi à la marche à pied. Devais-je préciser que l'unique sentier était en terre et qu'il était hors de question de faire rouler une valise ? Non. Ce n'était qu'un détail. Enfin. Pas pour mes bras.

Un croassement me fit blêmir. D'accord. Ok. Je m'engouffrai apparemment dans un château hanté où une population de rats devait avoir élu domicile dans chaque chambre. Peut-être qu'ils organisaient même une séance de bienvenue en se réunissant tous au seuil de la porte ? Une furieuse impatience de découvrir ma chambre allait me saisir tôt ou tard. J'eus un rictus de dépit devant l'ironie de ma pensée. En réalité, je voulais en rester le plus éloigné possible.

- C'est plutôt joli.

Si mes yeux avaient pu, ils auraient sauté de leurs orbites tant la voix aiguë de ma mère trahissait son manque de conviction. Joli ? On ne devait pas du tout avoir la même définition du mot. Les pierres grises rendaient la bâtisse encore plus imposante, les gargouilles qui traînaient de-ci de-là ne semblaient là que pour dire : "circulez ou je vous casse la figure". Les fenêtres teintées dans des tons ocre me faisaient penser aux vieilles basiliques et je priai soudainement pour que je ne sois pas entrain d'intégrer une quelconque secte.

- Tu crèves autant de trouille que moi, finis-je par rétorquer à ma mère dont le visage était aussi blême que le mien.

- Allez ma chérie, ce n'est qu'à une petite heure de route de la maison, si jamais cela se passe mal, tu n'auras qu'à m'appeler et je viendrai te chercher. On trouvera alors une autre solution.

Je hochai la tête, sans conviction. Il n'y avait pas d'autre solution, ou du moins aucune n'était envisageable. Ma mère travaillait dur et avait un bon boulot, elle avait ainsi pu m'élever sans avoir de trop grandes difficultés financières. Néanmoins, elle commençait à vieillir, doucement mais sûrement. Changer de ville impliquait de perdre son emploi et n'avoir aucune garantie d'en trouver un là où nous irions. Le lycée le plus proche après Dacer et Victor Hugo se trouvait à plus de trois heures de route et sa réputation ne me donnait aucunement envie de m'y rendre. Je soupirai. Cela se passerait bien ici, je n'avais pas le choix. Mais, comme pour me contredire, le croassement se refit entendre de façon bien plus sonore cette fois-ci. Je me tournai vaguement et croisai les deux grands yeux d'un corbeau au plumage noir nuit, il semblait vouloir me dire une unique chose : « fui à toutes jambes tant que tu le peux ». Et étrangement, il m'en convainquait extrêmement bien.

- Vous devez être Madame Leilani et Keylinda.

D'un même geste, nous sursautions, ma mère laissant même échapper un petit cri de surprise que notre interlocuteur ne prit pas la peine de relever. Un homme d'un âge que j'estimai entre le mi-jeune et le mi-vieux, soit entre la trentaine et la quarantaine, s'avançait vers nous. Ses cheveux étaient bruns, tombant soigneusement dans sa nuque et rehaussant deux pommettes saillantes alors qu'il nous offrait un sourire poli mais visiblement gêné. Il était plutôt grand, me dépassant de quelques centimètres alors que j'avais toujours été extrêmement fière de mon mètre soixante quinze. Son regard brun me fixa un instant et un petit picotement s'étendit dans ma nuque. Je passai aussitôt mes doigts sur l'endroit douloureux, intriguée par cette sensation aussi désagréable, qu'inquiétante. Je n'aimais pas ça. Mais alors là, pas du tout.

- Je suis désolé de vous avoir effrayé, affirma l'homme en tendant déjà sa main pâle en direction de ma mère. Je suis le directeur du lycée, Andrew Cernunnos.

- Enchantée, affirma ma mère en retrouvant son aplomb, empoignant la main tendue. C'est moi qui vous présente mes excuses pour notre retard. Notre voiture n'est pas de première jeunesse et n'aurait pas supporté le chemin qui mène jusqu'ici, nous avons dû finir à pied.

- J'aurai dû vous avertir, grimaça Monsieur Cernunnos, contrit. J'espère que vous avez fait, malgré tout, bon voyage.

- Le coin est charmant, souffla ma mère dans un sourire pincé après l'avoir brièvement remercié.

Je n'écoutai pas la suite de la conversation, assez peu intéressée par les discussions d'adultes surtout quand il s'agissait des formules de politesse et de bienséance. Pire, administrative. Je préférai occuper mon esprit en examinant, de la tête aux pieds, le fameux directeur. Je devais admettre être étrangement envoûtée par son aura. Il était quasiment sorti de nulle part, presque comme par magie. Mais le plus troublant était le fait que Monsieur Cernunnos cadrait étrangement bien avec le décor, semblant presque sorti tout droit d'un siècle moyenâgeux.

Il portait un costume noir, certes très élégant, mais qui semblait surtout venu d'une autre époque bien antérieure à la nôtre. La veste descendait dans son dos jusqu'à ses genoux et son pantalon moulant semblait fait d'une matière étrange, peut-être du velours mais je n'aurai pas su l'affirmer. L'avant du costume était fermé strictement jusqu'au col ou dépassait juste la tache blanche d'une chemise. Tout le costume était finement brodé de fins fils d'ocre rehaussant à merveille la couleur de ses cheveux et de ses yeux. J'aurai mis ma main à couper que le vêtement était fait sur-mesure tant il lui allait à la perfection.

- Keylinda, m'interpella ma mère alors que tous deux posèrent leurs yeux dans ma direction. Monsieur Cernunnos te parle.

- Excusez-moi, soufflai-je en baissant vivement les yeux sur mes pieds. Vous disiez, monsieur ?

- Tu peux m'appeler Andrew, dit-il sans que je n'ose redresser la tête pour vérifier s'il se moquait de moi. Tu verras que Dacer a une approche très particulière de l'éducation.

- Bien Monsieur, répondis-je machinalement.

- Souhaiterai-tu aller déposer tes affaires dans ta chambre avant que je ne te fasse visiter ton nouvel établissement ?

- Si cela est possible, avec plaisir.

Je tâchai de paraître plus enthousiaste tandis que le regard inquiet de ma mère ne trompait pas. Si je ne montrai pas le moindre signe de contentement, elle me ramènerait illico à la maison. Et pourtant qu'est-ce que j'en avais envie. Je soupirai. Mais si je voulais au moins la rassurer, je devais rester ici. Et puis peut-être que ce lycée ne serait pas si catastrophique ? Hormis le proviseur tout droit sortit d'un film en noir et blanc, le château hanté et la possibilité d'avoir des rats comme animaux de compagnie, le lycée semblait sympa. Je me mordis la lèvre. Je me voilais la face. Cet endroit ressemblait véritablement à un cauchemar. Et l'absence d'élève dans ce qui semblait être la cour du lycée, me faisait me demander si j'étais la seule à me trouver dans cet enfer ?

En relevant le visage, je remarquai le regard du directeur posé sur moi et je piquai un léger fard en priant le Dieu des céréales pour qu'il ne soit pas entrain de lire dans mes pensées. Je secouai la tête, mes rougeurs disparaissant aussitôt. Il n'y a que moi qui était anormale. Peu importe où j'irais, je le serai toujours. Mais, ça, ma mère ne le savait pas et je pouvais le lui cacher. Je tâchai de sourire à nouveau alors que son regard se faisait de plus en plus suspicieux. Mais le sourire se transforma en grimace lorsque Monsieur Cernunnos reprit la parole :

- Par contre, tu vas devoir dire au revoir à ta maman ici, les étudiants et le personnel de l'établissement sont les seuls à pouvoir entrer dans le bâtiment.

Après une petite minute de silence, il s'écarta légèrement, saluant ma mère d'un bref signe de tête et des formules de politesse habituelles. Je lui étais reconnaissante de s'écarter, nous laissant un peu plus d'intimité en faisant mine de marcher un peu au bord de la forêt qui longeait tout le château. Sans réfléchir, je me précipitai vers elle, fonçant dans ses bras qu'elle eut à peine le temps d'ouvrir pour m'accueillir. Je fis au mieux pour rejeter toutes les pensées qui m'attaquèrent aussitôt.

Ma mère était réellement surprise, mais ses bras vinrent rapidement se nouer autour de moi alors que nous mesurions pratiquement la même taille. Les images affluèrent de plus en plus alors que mes sentiments incontrôlés intensifiaient le fait que je ne parvenais pas à ignorer ses pensées. Je dus rompre l'étreinte, ne supportant plus d'avoir son esprit de plus en plus imbriqué dans le mien. Elle était encore extrêmement inquiète mais elle espérait tellement que cela se passerait bien que je savais qu'il était impossible, ni pour elle, ni pour moi, de faire marche arrière. Alors il fallait faire face à la réalité : ce lieu allait devenir ma seconde maison. J'allais y dormir tous les soirs et probablement de nombreux week-ends. Je ne savais pas quand j'aurai l'occasion de rentrer. Je tâchai de chasser mes idées noires, venant coller un baiser sonore sur la joue de ma mère.

- Soit prudente sur la route, ne t'éloigne pas du sentier pour retourner jusqu'à la voiture, sermonnai-je vaguement. Et envoie-moi un message dès que tu es de retour à la maison ! 

- Oui ma chérie, sourit-elle, amusée. Et toi prends bien soin de toi. N'hésite surtout pas à m'appeler si tu as le moindre problème, je rapplique illico. Je t'aime, Keylinda. 

- Je t'aime aussi, maman. 

Elle me tira à nouveau, me ramenant dans ses bras et j'y restai, le cœur serré et la gorge nouée. C'était première fois que j'allais être séparée d'elle. La première fois que je n'allais plus sentir sa présence près de moi. Ma tristesse faisait écho à la sienne, mais elle refoulait ses larmes, persuadée que me laisser ici était la meilleure manière de me montrer qu'elle m'aimait. Elle s'écarta et colla un dernier baiser sur ma joue avant de repartir en direction du sentier que nous venions de gravir. Je la regardai, le cœur tambourinant et les doigts un peu tremblants. J'avais envie de lui courir après et de me réfugier dans ses bras, comme une enfant que je n'étais pourtant plus. Mais je restai immobile, la laissant disparaître dans l'épaisse forêt. 

- Tu es prête ? 

Monsieur Cernunnos s'avança vers moi alors que je me retrouvai désormais seule, plantée comme un piquet et incapable de bouger. Je hochai la tête, la gorge trop nouée pour parler. Doucement, il posa sa main sur mon épaule, se voulant probablement rassurant bien que je trouvai simplement ce geste juste très professionnel. 

- Ce n'est pas toujours facile de prendre son envol, mais tu verras, tu auras de quoi t'occuper ici, soufflai-t-il doucement. Allez viens, je vais te conduire jusqu'à ta chambre. 

- Je la partage avec quelqu'un ? Demandai-je distraitement pour me changer les idées. 

- Pas pour le moment. 

Sans me laisser le temps de l'interroger sur l'intonation de sa voix, plus que suspecte, il attrapa ma valise de mes mains et s'avança devant moi. Bien sûr, j'avais eu la tentation de tendre la main vers la sienne, pouvant faire passer ce geste comme l'unique volonté de récupérer ma valise et de la porter moi-même mais je stoppai net le mouvement quand il se tourna brusquement vers moi. Sans doute pour vérifier que je le suivais. Pourtant quelque chose clochait. Un fin sourire se dessina sur ses lèvres alors que je m'apprêtai simplement à retenter ma chance. Voulant absolument, pour la première fois de ma vie, pouvoir lire dans les pensées de quelqu'un. Mais ce sourire semblait vouloir m'annoncer que je n'y parviendrai pas et qu'il valait mieux que je renonce tout de suite à mon projet. 

Calme et tempéré, le directeur s'écarta de moi, installant une distance qui ne me permettrait plus d'atteindre sa main. Je fronçai les sourcils. Mais je me résonnai bien vite. Ce n'était qu'une coïncidence. Monsieur Cernunnos ne pouvait pas avoir deviné que je prévoyais de lire dans ses pensées ou même soupçonné que j'en avais la capacité. Une simple coïncidence. Mais, pourtant, je n'étais pas au bout de mes peines avec cet homme. Plus encore. Avec cet endroit tout entier. 

Bientôt, nous arrivions devant une immense porte en bois vieillie et aux poignées métalliques si rouillées qu'elles étaient probablement d'époque. Je pâlis, une première fois, lorsque Monsieur Cernunnos posait l'une de ses mains sur ces fameuses poignées, prêt à ouvrir les portes de ce qui allait être mon nouveau lieu de vie. Je pâlis un peu plus avant de prendre une longue inspiration. Pitié. Pas de rats. Pas de bestioles qui grouillent partout. Pas de bestioles tout court


Continue Reading

You'll Also Like

348K 10.2K 24
Et si vous craquiez sur le meilleur ami de votre grand frère . Et si le meilleur ami de votre grand frère craquez sur vous . Cela pourrait faire une...
4M 275K 82
La vie de Ruby bascule quand elle se découvre métamorphe alors qu'elle se rend à Forest Dawn, un camp pour surnaturels où elle vivra des vacances pou...
2.1M 171K 37
Son doigt effleura ma peau. Froid et chaud à la fois. M'électrisant au simple contact. Il traça la courbe légère de ma nuque, dessinant du bout des d...
122K 5.7K 21
(T/p) (t/n) est une pourfendeuse entraîner par un pilier, ce qui fait d'elle sa successeur. Elle finit par se retrouver dans une impasse qui pourrai...