*Dans la forêt
« Je suis sûr que vous êtes là ! Montrez-vous avant que je ne doive encore une fois assommer mon débile de collègue ! »
L'appel réitéré nous plongea encore un peu plus dans la perplexité. Qu'est-ce que c'était que cette histoire ?!
— C'est sûrement un piège, commenta Jude d'une voix pensive. Ils nous attendent certainement plus loin, dissimulés dans la forêt.
— Vu ton ton, tu n'y crois pas toi-même, le contra aussitôt Gabriel.
— Ok, alors qu'elle est ton analyse, Colombo ? lui demanda-t-il en souriant.
— A peu près la même que la tienne, je suppose. Son comportement est étrange, mais je ne pense pas que ce soit un piège. C'est trop... brouillon.
Jude sembla réfléchir quelques instants, pesant le pour et le contre.
— Mais tu n'en es pas absolument certain, non plus ?! reprit-il, en scrutant intensément les bois depuis notre perchoir.
— Bon, cela fait plus de cinq minutes que l'on conjecture en tournant en rond, résumai-je dans un soupir agacé en me relevant de la position semi-accroupie dans laquelle j'étais postée. Felton, tu le connais, toi, ce mec ?
Le jeune homme, qui avec Leah nous avaient rejoints un peu avant la fin de notre conversation, sursauta à l'entente de son nom.
— Oui, c'est une grande gueule. Il est arrivé peu de temps avant moi et n'arrêtait pas de s'attirer des ennuis.
— Quels genre d'ennuis ? demanda Gabriel aussitôt.
— Vous avez pu en avoir un aperçu tout à l'heure. Il... il asticotait toujours les gradés, cherchait toujours la petite bête. Le jour de mon arrivée il s'est retrouvé au trou pour insubordination.
— Alors pourquoi est-il là ?
— Je suppose qu'ils ont eu besoin de tout le monde après l'explosion. Je ne vois que ça. Ils m'ont bien envoyé moi, alors que je savais à peine me servir d'un fusil.
— Tu le crois digne de confiance ? demandai-je tout en réfléchissant à la suite des évènements.
— Je ne le connais pas mais de prime abord, je dirais que non, bredouilla le jeune homme visiblement peu sûr de lui.
« Ce n'est pas un piège ! J'ai vraiment besoin de votre aide ! »
Les derniers mots du militaire, teintés d'une pointe de désespoir, résonnèrent une nouvelle fois depuis la forêt, amplifiés par la grotte. Je ne lui faisais pas plus confiance que les autres, mais rester là, à tergiverser ou à se planquer ne résoudrait pas notre problème. Nous devions sortir de cette forêt sans nous faire repérer.
— Je vais y aller !
— Pas toute seule ?!
— Non mais tu es folle !
Les commentaires fusèrent, Leah, à ma grande surprise, étant la plus virulente.
— Tu ne peux pas y aller... et s'ils t'attrapent ?!
— Leah, je sais me défendre et puis, Gabriel et Jude vont me couvrir d'ici. Je ne crains rien et c'est la solution la plus évidente pour pouvoir partir d'ici rapidement.
Devant les yeux paniqués de l'adolescente, je fis bonne figure, donnant le change en lui souriant avant de m'approcher de Jude.
— Si c'est un piège, n'intervenez surtout pas. Tu les protèges et tu les emmènes loin d'ici, je me débrouillerai, promis ? lui murmurai-je à l'oreille pour être certaine qu'il soit le seul à m'entendre.
Le regard qu'il me lança était lourd de sens et exprimait aussi clairement que des mots ce qu'il ne pouvait pas dire à voix haute. Le coup d'œil qu'il lança à Worth, confirma mon analyse. Il s'occuperait des jeunes mais en ce qui concernait Gabriel, il ne pourrait pas l'empêcher de faire ce qu'il voudrait.
— Tu sais que je ne te laisserai pas ? chuchota ce dernier, achevant de me donner raison.
— Tu le feras si tu sais que c'est la seule solution, lui rétorquai-je avec un sourire attendrit. Leah à besoin de toi et, maintenant que je t'ai mis le grapin dessus, tu ne te débarrasseras pas de moi si facilement.
— J'y compte bien, me répondit-il farouchement avant de me voler un baiser aussi court que passionné. Sois prudente.
— Toujours, murmurai-je avant de m'approcher de l'ouverture de la grotte.
Je me métamorphosai en plein saut et traversai la végétation en planant. Pour brouiller les pistes, je restai à couvert avant de prendre un peu d'altitude et de me poser sur une des branches intermédiaires de l'arbre surplombant notre homme. De là où j'étais, je pris le temps de l'étudier plus en détail.
De loin il avait l'air bravache et sûr de lui mais de plus près c'était une autre histoire. Le regard perçant d'Ivy, décelait les gouttes de sueurs qui perlaient sur son front et dans son cou, malgré la fraicheur de l'aube. La nervosité de sa main moite qui peinait à tenir la crosse de son arme sans glisser. Sans compter la peur. La peur qui suintait par tous les pores de sa peau en une odeur unique et fugace que seul mon odorat de métamorphe pouvait capter et analyser.
D'ailleurs je ne captais pas que de la peur. Il y avait de l'urgence, de la crainte et un soupçon d'espoir. Alors qu'il tentait son appel pour la quatrième fois, je me laissai tomber de ma branche et atterrit pile derrière lui, sur mes deux jambes. Toutes ses métamorphoses successives rendirent le processus un peu plus lent et douloureux que d'ordinaire, ce qui ne m'empêcha pas de le désarmer sans le moindre effort, retournant son arme contre lui.
— Vous vouliez me voir ?
Mon ton voulu désinvolte, fut quelque peu gâché par la vague de fatigue qui me saisit brutalement, faisant vaciller ma voix. Mais surpris par mon arrivée brutale, il ne sembla pas le remarquer. Troublé, il me fixait, les yeux écarquillés et la respiration rapide.
— C'est... vous... vous êtes...
Conscient de son malaise, il interrompit son bredouillement maladroit et prit une grande inspiration avant de reprendre plus posément sans même regarder l'arme braquée sur lui.
— Vous êtes Hannah Moore ?! parvint-il enfin à articuler correctement, ne semblant même pas croire lui-même à ce qu'il disait.
— Vous ne vous attendiez pas à moi ? lui susurrai-je, l'air de rien, malgré la brindille qui venait de craquer quelques mètres derrière moi, mettant tous mes sens en alerte. Qu'est-ce que vous voulez ? demandai-je plus abruptement, sentant une présence se rapprocher lentement de nous, le militaire, lui, n'ayant rien remarqué.
— Je... j'ai... j'ai besoin de votre aide.
— Et pourquoi nous vous aiderions, au juste ? Vous venez d'essayer de nous tuer ?
— Pourquoi êtes vous là, dans ce cas ?! Je suppose que vous n'êtes pas seule ? enchaina-t-il d'une voix plus assurée, augmentant aussitôt d'un cran dans mon estime. Si vous aviez voulu me tuer, vous auriez pu sans problème. J'en déduis donc, qu'il y a moyen de discuter.
— Si ce n'est pas un piège... bien sûr, répondis-je toute mon attention concentrée sur l'animal qui s'approchait à pas lent et que je ne parvenais pas encore à identifier.
A cet instant, le militaire vautré aux pieds de l'homme commença à remuer en gémissant doucement.
— Il ne faut pas rester là, ils vont revenir, dit Johnson d'une voix précipitée avant d'asséner un coup de poing à son coéquipier, le sonnant une nouvelle fois pour le compte. C'est un idiot et je ne l'aime pas, mais je ne veux pas le tuer pour autant, m'expliqua-t-il en secouant sa main. Venez, nous devons partir d'ici...
— Je ne vous suivrai nulle part tant que vous ne m'aurez pas expliqué clairement ce que vous attendez de nous, dis-je alors qu'un grondement sourd accompagnait l'arrivée d'un grand loup gris, échine dressée et crocs apparents.
J'avais reconnu Thomas quelques secondes auparavant et l'avais laissé faire son entrée, histoire d'impressionner Johnson et le dissuader de faire quelque chose qu'il pourrait regretter.
— Comme vous le disiez, je ne suis pas venue seule. Maintenant, pourquoi vous suivrai-je, plutôt que de partir de mon côté ?
— Il y a des barrages partout autour de la forêt, vous ne ferez pas un kilomètre avant d'être intercepter.
J'accusai le coup de la révélation, même si elle ne me surprenait guère. Je pouvais toujours prendre la voie des airs avec Jude et Leah, mais ce n'était pas le cas des autres. En gros, nous étions coincés. Piège ou pas, nous n'avions pas vraiment d'autres choix que de le suivre.
— Vous n'avez toujours pas répondu à ma question, tentai-je une dernière fois avant de lui donner mon accord. Pourquoi avez-vous besoin de nous ?
Un voile de douleur troubla momentanément son regard lorsqu'il planta ses yeux dans les miens, s'ouvrant à moi aussi sincèrement qu'il le pouvait.
— Ma sœur s'est fait attaquée et... je ne sais pas quoi faire... nous ne savons pas quoi faire, m'avoua-t-il dans un souffle. Je vous promets de tout vous expliquer en détail mais nous devons partir tout de suite où il sera trop tard.
Sentant l'urgence dans sa voix, je sifflai le code établi entre nous, signifiant que tous danger était écarté et à peine deux minutes plus tard, le reste du groupe nous rejoignait. Johnson essaya de ne pas paraitre surpris ni intimidé par l'arrivée de nos compagnons ; surtout Jude, qui le toisait d'un regard noir et suspicieux, mais ne pu se retenir en voyant Felton.
— Il... qu'est-ce qu'il fait là, lui ?!
— Il est avec nous, assurai-je sans la moindre équivoque. Je croyais que nous étions pressés ?
Le militaire se tourna vers moi, visiblement sur le point de dire quelque chose, mais il se ravisa et nous fit signe de le suivre. Il contourna son collègue toujours à terre et commença à s'enfoncer entre les arbres en direction de la mine. Nous nous regardâmes tous, indécis, avant de finalement lui emboiter le pas, trop conscients que nous n'avions pas d'autres choix mais aucune idée de ce qui nous attendait.