La chose était étrange. Pourtant, je parvenais de temps en temps à la solliciter. Il n'y avait rien entre nous. Je l'utilisais lorsque la pression était trop forte, lorsque je me réveillais après avoir rêvé de Jungkook, ou que je le voyais rentrer de la boxe, encore ruisselant et les cheveux en bataille.
Ni elle, ni moi ne nous apprécions. Elle se manifestait systématiquement lorsque je ne lui en donnais pas l'ordre, me mettait mal à l'aise et me réveillait parfois en pleine nuit pour salir mes draps.
Comme le reste de mon corps, je la haïssais, à la différence près qu'elle me provoquait un plaisir certain. En échange, je lui permettais d'être là en ne tentant pas de me foutre en l'air.
Ce matin de fin janvier, j'étais de mauvaise humeur. Mes cheveux ne ressemblaient à rien, mon visage était gonflé d'avoir peu dormi, et mon pantalon fétiche était au sale. Celui derrière lequel je planquais mes longues cuisses de grenouille. Et pour couronner le tout, il pleuvait un crachin glacé qui faisait trébucher les passants et le bus était en retard. La foule s'amassait devant l'arrêt, et comme je détestais toujours autant me mêler au genre humain, je décidais de marcher.
Capuche sur la tête, mains dans les poches et casque sur les oreilles, je longeai les avenues grises et encore obscures de Busan. L'air marin transportait dans les rues une odeur iodée et des effluves du marché aux poissons qui me retournaient l'estomac.
— Hey !
Une main se posa sur mon épaule. En me retournant, mon cœur manqua de ressortir par ma bouche.
— Jungkook ?
— On peut marcher ?
— Toi derrière ou devant moi, oui.
Je continuai ma route sans attendre et sortis une cigarette de mon paquet. La brûlure sous mon genou me faisait souffrir depuis deux jours. J'y étais allé un peu fort, et j'avais saigné, me contraignant à enrouler mon genou dans un bandage. J'allumai la cigarette en prenant garde au vent, lorsqu'une main me l'arracha de la bouche pour la jeter au sol.
— Heyyy !!!
— C'est mauvais pour ta santé ! Est-ce que tu t'en fiches à ce point ?
Mon regard trouva ses iris noires et colériques. Jungkook était furieux. Ses lèvres étaient pincées en une ligne fine, et s'il avait caché ses mains dans ses manches pour se protéger de la pluie, je devinais ses poings serrés.
— Je le sais.
— Alors pourquoi est-ce que tu fumes ?!
Je repris ma route, les mains dans les poches.
— Je ne vois pas pourquoi ça t'intéresse.
Il ne me rattrapa pas et resta sous la pluie battante.
— Tu es stupide, Kim Taehyung !!!
Sa remarque fendit l'air et la pluie verglacée pour me heurter de plein fouet. Mon cœur se serra, mais mon visage resta impassible. Je devais l'ignorer et poursuivre ma route ou j'allais l'entraîner dans ma chute.
En cours, le professeur peinait à maintenir le calme, les boulettes de papiers volants entre les tables. Je regardai mollement la pluie s'abattre sur la vitre dans des petits claps clops que moi seul entendais. Subitement, je me redressai en entendant le professeur répéter :
— N'oubliez pas le voyage scolaire pour toutes les terminales dans trois semaines !!!! Si vous n'avez pas rendu votre autorisation de sortie, vous ne pourrez pas monter dans le car pour l'aéroport ! Le trousseau des affaires vous sera donné en fin de semaine avec toutes les informations !
Merde. J'avais complètement occulté de satané voyage. Moi qui détestais devoir sociabiliser, j'allais devoir le faire durant dix jours en Écosse avec l'intégralité des classes de terminales de l'école.
Jimin poussa mon coude.
— J'ai trop hâte putain, ça va être incroyable !
— Hmm...
— Arrête de faire la gueule, Tae ! On va pouvoir draguer les Écossaises et s'enfiler des bières pendant dix jours ! Loin de Busan, loin de la Corée !
Le menton dans la paume de ma main, je répondis difficilement à son enthousiasme.
— Hmm...
— Oh, t'es chiant ! Hobi !
Il se retourna pour continuer sa conversation avec Hoseok, bien plus réceptif.
En rentrant, j'avais un nouveau rendez-vous à honorer avec le docteur Kim. Je m'installai en salle d'attente, et scrolai sur mon téléphone, lorsque je tombai sur le profil Instagram d'Heather. Mon Dieu... elle était encore plus belle et envoûtante qu'avant. Je manquai de me décrocher la mâchoire et défilai ses photos. Elle apparaissait en bikini au bord de la plage avec un type à l'air sportif. Le cliché total. Cliché bien rageant tout de même puisque j'eus l'envie de jeter mon téléphone par terre. Même à des milliers de kilomètres, elle restait gravée en moi comme la fille qui avait fait débarquer la jalousie dans ma vie. Chez elle, j'étais jaloux de tout : de son physique unique, de sa façon d'être, ni hautaine, ni méchante, au contraire, Heather était gentille et douce. Je jalousais son succès auprès des garçons et des filles – elle était aimée de tous –, de sa relation avec Jungkook même si elle n'existait plus. Parce qu'elle l'avait embrassé plus de fois que je ne le ferai jamais en une vie complète. J'agrandis la photo et constatai qu'elle portait toujours le collier que Jungkook lui avait offert ; le petit zirconium au milieu de l'étoile argentée. Elle ne l'avait donc pas oublié...
— Taehyung ?
Je relevai le regard vers monsieur Kim. Il portait un col roulé noir et des lunettes aux montures assorties. Il ne faisait pas partie des gens beaux dans notre pays, pourtant, il dégageait une assurance et un charisme qui indiquaient tout le contraire.
Je m'installai sur le fauteuil près de la baie vitrée. La mer était agitée et le sable semblait tourbillonner autour des rares promeneurs.
— Alors, quoi de beau ?
— Je pars en Écosse.
— Ah oui ? C'est génial, tu y vas avec ta famille ?
— Non, avec l'école. Un voyage avant la fin de l'année scolaire.
— Tu dois être ravi !
— Oui.
— J'imagine que c'est parce que tu pourras être avec tes amis.
J'esquissai un sourire arrogant en posant ma jambe en travers de l'autre.
— Non, uniquement parce que je n'aurais plus à vous supporter pendant dix jours.
**
Le départ arriva bien plus vite que prévu. Ma mère m'emmena au car garé devant le lycée. Il faisait encore nuit, et je n'étais que partiellement réveillé. Jimin attendait déjà avec Hoseok, les mains dans les poches et un bonnet sur la tête lui donnant l'air d'un nain de jardin. Lui était parfaitement éveillé.
— Salut, Tae !!!!
— Salut.
J'envoyai un bref signe de tête à Hoseok.
— Faut absolument qu'on soit dans le même dortoir ! Il doit y avoir des groupes de trois ou quatre pour les chambres, tu viens avec nous ?
— Hmmm...
Ma mère me fit un signe de la main depuis l'autre bout de la rue, auquel je répondis sans grand entrain. Je n'avais plus d'entrain pour rien. Monsieur Kim avait dit à ma mère que j'avais besoin d'un suivi plus long que prévu, car je ne coopérai pas et qu'il ne pouvait pas lui certifier que j'allais bien et que je n'étais pas en train de me faire du mal.
Je poussai ma valise dans la soute et montai pour me tasser dans un siège au fond, contre la vitre. J'entendis Jimin et son excitation matinale m'agresser lorsqu'il s'assit devant moi avec Hoseok. Son siège bougea tant il sautillait dessus. J'installai mon casque sur mes oreilles et rabattis ma capuche sur ma tête que je posai contre la vitre en fermant les yeux.
Il y avait plusieurs cars, parce que les cinq classes de terminale étaient présentes pour cette sortie. Je ne faisais pas partie des élèves surexcités de se retrouver entre eux pendant dix jours sans leurs parents sur le dos. Mais je ne faisais pas non plus partie de ceux qui étaient angoissés de se retrouver loin de chez eux. En fait, je ne ressentais rien, et c'était de plus en plus courant ces derniers temps.
— On va y aller !!! cria un des professeurs à l'avant. Évitez de vous lever pendant le trajet jusqu'à l'aéroport et il est interdit de manger ou boire à bord du car !!!
— Désolé, m'sieur !
— Jeon, dépêche-toi de trouver une place ! Tu as failli louper le départ !
Je rouvris les yeux pour observer Jungkook longer l'allée centrale à la recherche d'une place libre, jusqu'à ce qu'il s'arrête à mon niveau. Il me fixa un instant, et je lui envoyai un regard sombre et désintéressé. Il baissa les yeux et s'assit à mes côtés. Je me tassai contre la vitre pour éviter que nos épaules se frôlent, et fermai à nouveau les yeux.
Le trajet fut rapide, car je dormis la plupart du temps, et j'ignorais mon voisin de droite. En arrivant, je suivis le groupe jusqu'à la salle d'embarquement, Jungkook derrière moi, son regard me brûlant la nuque. Il faisait un froid polaire, et ma doudoune faisait un bruit insupportable lorsque mes bras bougeaient le long de mon corps. J'avais des mitaines, afin d'avoir les doigts libres pour fumer. Je posai d'ailleurs mon sac au sol et rejoignis la salle fumeurs, un peu à l'écart, pendant qu'un prof expliquait aux autres comment se tenir en public.
Des animaux...
— Où vas-tu ? m'arrêta une professeure.
— Fumer... dis-je en agitant ma cigarette coincée entre mes doigts.
— D'accord, mais dépêche-toi.
Je quittai le hall pour ouvrir un sas menant à l'extérieur. Le froid me gifla le visage, et ma brûlure derrière le genou se réveilla sous la toile fine de mon pantalon. Je grimaçai en allumant ma cigarette et la retins entre mes dents le temps de frotter l'arrière de mon genou.
— Tu me dépannes ?
Mon regard s'arrêta sur Jungkook qui se tenait face à moi.
C'était étrange, car il n'avait pas changé. Est-ce que notre visage restait foncièrement le même toute notre vie ? Les rides s'amoncelaient, mais nous gardions les mêmes traits, les mêmes mimiques. Jungkook avait toujours le même visage ovale, mais ses joues étaient plus creuses que lorsqu'il était enfant. Sa bouche était la même, deux lèvres fines et brillantes sous lesquelles se tenait un minuscule grain de beauté qui faisait tout son charme. Ses yeux, bien moins bridés que la plupart des Coréens, étaient d'un noir vif, vibrant et profond. Ils étaient si expressifs, que je dus détourner le regard pour éviter de le dévisager trop longtemps.
— Tu ne fumes pas.
— Toi non plus.
— Si.
— Tu fais semblant.
Je claquai ma langue contre mon palais en lui jetant une œillade de travers.
— Rentre. Tu vas attraper froid, intimai-je.
— Tu restes, je reste.
Je serrai les poings et me tassai contre le mur en avalant ma bouffée de tabac. D'ordinaire, ça me calmait. Mais en l'instant, ça me nouait l'estomac et me tournait la tête. Je jetai le mégot sous ma semelle, puis le ramassai pour le déposer dans un cendrier. Lorsque je quittai le fumoir, il me suivit.
— Taehyung.
— Jungkook.
— Ne fais pas ça.
Je haussai les sourcils d'étonnement.
— Faire quoi ?
— M'ignorer.
— Je ne t'ignore pas puisque je te parle.
— Arrête.
— Arrête quoi ?
— De jouer au plus stupide.
— Je ne joue pas. Je n'ai jamais joué.
À son tour, il claqua sa langue contre son palais et je lui tournai le dos.
— S'il vous plaiiiiit, un peu d'attention !!! Nous allons vous donner vos billets. Observez bien la place qui vous est attribuée dans l'avion, il faudra chercher la rangée, et le numéro du siège ! Lorsque nous serons arrivés, nous vous donnerons la répartition des chambres !
— C'est des chambres de combien ? demanda Jimin.
— De deux, monsieur Park !
— Pas plus ?!
— Non... c'est un hôtel à Édimbourg, dans le style château fort, et les chambres sont par deux. Ce n'est pas un camp de vacances, vous êtes des adultes, ne nous faites pas honte !
Cette remarque me glaça le sang. Faire honte... je savais y faire, selon mon oncle.
Lorsque nous étions retournés chez lui, j'avais eu la boule au ventre, et j'avais rendu mon petit déjeuner sur une aire d'autoroute. Jae-Hui avait félicité mon père pour m'avoir « redressé ». Je m'étais senti comme un animal, un moins que rien, et encore plus lorsqu'il m'avait affublé d'une petite tape sur la tête en souriant faussement.
— C'est bien, Taehyung, tu es obéissant.
J'étais un putain de clébard.
Lorsque je montai dans l'avion, j'avais envie de fumer. Jungkook avait ruiné le plaisir de ma dernière clope. Le premier vol durait presque 15 heures. Nous avions une escale à Amsterdam, puis un second vol d'un peu moins de 2 heures. J'espérais alors sincèrement que personne ne se trouverait à mes côtés durant les quinze prochaines heures, et que je pourrais profiter de la seconde place pour allonger mes jambes ou poser mes affaires.
Jimin était cinq rangs devant moi, et se disputait déjà avec une fille qui baissait son siège et l'empêchait de regarder « les rebelles de la forêt ». Hoseok était assis devant, tout près des toilettes, et serrait l'accoudoir, le regard exorbité, tandis qu'une hôtesse s'agenouillait près de lui pour le rassurer et lui tendre un verre d'eau.
J'ôtai mon sac à dos que je hissai dans les espaces au-dessus des sièges avec ma veste, puis je pris place côté hublot et gardai mon bonnet par-dessus lequel j'installai mon casque.
Tout le monde semblait être installé, et je me réjouis d'avance de me savoir tranquille pour ce long voyage, lorsque je vis Jungkook, son billet en main, ralentir et son visage se décomposer. Il s'arrêta sur la place libre, et j'y installai un plaid et un coussin fourni par la compagnie aérienne.
— Cherche une autre place, c'est pris.
— Je suis 37B...
— Je m'en fiche.
— Taehyung...
— Jungkook.
— Je n'ai pas le choix.
— Si tu l'as. Va voir un des profs, et échange avec lui.
Son regard se baissa et il se mordit la lèvre. Mon cœur tambourina dans ma poitrine. Je refusais qu'il soit là pendant les quinze prochaines heures. Devoir supporter sa présence, son odeur, ses gestes, sa chaleur près de moi. J'avais déjà envie de m'enfermer dans les toilettes, de sortir mon briquet et brûler l'arrière de mon genou.
Il me regarda avec insistance pendant de longues secondes, comme s'il cherchait pourquoi tout ça se produisait, puis il s'éloigna. Je me laissai choir dans mon fauteuil en soupirant. J'avais hâte d'entrer à la fac. Il n'y aurait plus de Jeon Jungkook pour m'écraser le cœur. Je pourrai enfin oublier, et me foutre en l'air en toute tranquillité.
Mais alors que je croyais pouvoir souffler, il reparut avec monsieur Tongbang, notre professeur de maths.
— Je suis désolé, Taehyung, mais il n'y a aucune autre place de libre. Jungkook va devoir s'asseoir avec toi.
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Hello mes kiwis !!! 🥝
J'espère que vous allez bien et que votre week-end de Pâques s'est bien passé. Vous n'avez pas mangé trop de chocolats au moins ?! 🤔🤨
Bon, les choses s'accélèrent, et Taehyung et Jungkook vont devoir passer les 15 heures de vol côte à côte, est-ce que ce n'est pas quelque chose qui nous arrange, ça ? Hm ? 🥰🤗
RDV vendredi pour la suite du voyage, et vous n'allez pas être déçus ! 😏🤭
Prenez soin de vous ! 🤸🏻♀️