"Reprenez."
Il ressera sa main sur la sienne. Elle tenta de se cambrer un petit peu plus encore.
La douce mélodie du piano retentit pour la énième fois. Il appuya sa main plus fort sur sa fine taille et ils repartirent, pas à pas, essayant de suivre au mieux les pas de base. Ils n'avaient même pas encore de chorégraphie et c'était déjà atrocement dur pour les deux enfants de 12 ans.
Tiens tiens tiens, se disait Amelis, cambre cambre cambre, ok en arrière, stop ! Reprends en avant- non mince vers la droite, suis ton camarade, la professeure a dit que c'est lui qui guide.
"Prenez une pause."
Ils lâchèrent leur position, Amelis grogna fort en se tenant le dos et se cambrant en avant puis en arrière, prenant toute sorte de poses bizarroïdes.
"Rrrraaaaaaaahhhhh mon dooooos, Sombrrrrreeeenesss rappelle moi pourquoi j'ai accepté de faire ça ??"
"Parce que nous n'avions, tous les deux, pas le choix."
Répondit le hérisson noir en faisant attention d'utiliser les formules pour bien s'exprimer que lui apprenait Vectorus. Sa phrase semblait donc très fausse, mais au moins il essayait.
Leur professeure de danse de salon n'était pas la plus amusante non plus, mais elle était toutefois gentille, et très patiente. Surtout devant ses deux élèves très jeunes pour la discipline.
Amelis se plaignait tout le temps car la position à tenir était extrêmement fatiguante et douloureuse, et elle était maladroite des pieds et ne faisait que trébucher sur ceux de son ami ou les siens, tandis que Sombreness lui ne se plaignait pas, mais était constamment trop rigide et ses mouvements trop robotiques.
La chatte mauve tapa doucement des mains. Cinq minutes de pause c'était vraiment cinq minutes. Elle reposa ses griffes sur le piano et attendit que les enfants se remirent en place. Sous les grognements de la hérissonne.
-
Après la danse, iels pouvaient enfin se reposer. Plus ils grandissaient, plus leurs journées étaient chargées. Chacun de leur côté : language, politesse, art de savoir vivre. Ils auraient aussi des leçons communes dans ces matières là, pour apprendre à bien se comporter en s'entraînant l'un.e avec l'autre. Piano pour Sombreness, harpe pour Amelis alors qu'elle détestait ça. Lecture également. Et le dernier ajout : la danse de salon et ses différentes variantes.
Il semblait qu'ils grandissaient plus vite que ce qu'ils ne devraient. Mais Amelis ne perdrait absolument pas sa fougue de folie.
Justement, c'était une fin après-midi vide, et les deux hérissons restèrent -avaient le droit de rester, plutôt- dans le manoir de Sombreness. Plus précisément dans sa chambre.
Elle était grande, bien rangée. De grands rideaux bordeau en velours étaient attachés des deux côtés de la grande fenêtre qui donnait sur un petit balcon en pierre blanche, auquel Sombreness n'avait pas le droit d'accéder car jugé 'trop dangereux pour l'enfant dû aux rampes trop basses'.
Une grande bibliothèque peu remplie couvrait un mur, avec des livres d'enfant de toutes tailles et formes sur les étagères plus basses, et des livres un peu plus de la même forme sur celles au milieu. Sombreness avait lui même rangé ses livres ainsi, ceux 'pour les bébés dont il aimait parfois relire des bouts ou redessiner des images' sur le bas, et les plus récents au milieu. Il aimait particulièrement les romans de chevalerie et les histoires féeriques et fictives.
Le lit était de chêne noir, tout comme les meubles, et l'énorme tapis bordeau qui recouvrait presque tout le sol de la pièce était assez sombre aussi. Tout cela combiné aux murs gris en pierre donnaient une impression froide et terne à la pièce.
Seul le grand bureau jonché de dessins commencés, de quelques crayons, et d'une lampe à huile contrastait avec le reste. Certains dessins étaient accrochés sur le mur devant ce même bureau : trois paons du jardin des Rosas (un mâle, une femelle, et une femelle albinos dont les traits étaient faits en gris et avaient frustré Sombreness qui ne connaissait pas le moyen de dessiner sa blancheur plutôt nacrée), des fleurs, lui même avec une armure de chevalier, encore lui en armure sur un cheval, un cheval en armure. Il s'était servit des images de ses livres pour dessiner approximativement l'armure, et était très fier de lui.
- VIENS ON JOUE AUX CHEVAUX !!
Cria Amelis dès arrivée dans la chambre en enlevant ses chaussures et les jetant presque contre le mur, près de la porte qui devait toujours rester ouverte. Son ami la suivit dans le geste, en les déposant doucement.
- On vient de faire de l'exercice, peut-être on dessine d'abord ?
Le "jouer aux chevaux" consistait à prétendre qu'ils étaient chevalier.e.s et avaient un cheval imaginaire dont ils s'occupaient. Amelis adorait principalement car elle pouvait faire semblant d'avoir un beau cheval, Sombreness aimait bien car il pouvait prétendre être un chevalier.
La petite accepta l'offre et ils se mirent au bureau. Amelis tentait de se dessiner elle même sur son cheval Caramel, mais elle était clairement plus forte en chevaux qu'en armure.
- Rhoooo, c'est trop dur je fais juste des gros carrés les uns sur les autres et j'arrive pas à faire mon casque !
Sombreness tourna la tête, attira sa feuille vers lui pour gommer les carrés et corriger son armure. Il n'était pas non plus expert, mais s'en sortait mieux grâce à de l'entraînement.
- C'est quoi sur ton casque ?
Demanda-t-il confus.
- Une grosse plume.
- Bah ça n'existe pas..
- Si ça existe !
- Je n'ai jamais vu ça dans mes livres.
- Moi j'ai une plume sur mon casque, et même que y a des plumes dans la crinière de Caramel car c'est trop beau.
Sombreness eut envie de sourire. Il laissa la plume d'oiseau inconnu sur le casque, et finit de corriger le dessin avant de lui redonner la feuille. Elle se reconcentra sur le cheval.
De son côté, il les avait dessiné ensemble, côté à côté, avec des épées, comme prêts à se battre contre un danger hors de la feuille. Quand il en vient aux mains des personnages -enfin d'eux mêmes- il eut une montée de chaleur aux joues. Il les fit se tenir la main, tandis que l'autre tenait l'épée. Presque honteux, il montra le croquis à son amie, attendant sa réaction.
- WOW TROP BEAU, on se bat contre des dragons je parie !! Par contre, t'as oublié ma plume.
Sombreness sourit cette fois-ci. Il rajouta la fameuse plume sur son casque.
-
Amelis rentra, fatiguée par la danse, par la force mentale qu'elle avait déployée à faire de jolis dessins pour impressionner Sombreness avec ses beaux chevaux, et par la course en rond dans la chambre en prétendant être sur son cheval.
Ils s'étaient dit au revoir par le fameux câlin, et elle avait déjà hâte de le retrouver, même si demain c'est des cours de pilotesse qui l'attendaient. Elle n'aimait pas ça, du tout même, devoir parler en se la jouant l'énervait.
"Amelis, vous avez reçu une lettre de vos parents. Je vous la lirais après votre toilette."
Vanilla lui chuchotta en la déshabillant. Le bain était préparé, l'eau fumait doucement dans la baignoire sur pattes en marbre -oui tekass, les matériaux-.
Cette phrase hérissa les pics de la petite. Elle n'aimait pas en entendre parler, de moins en moins. Cela lui piquait le coeur. Vanilla était en train de lui défaire sa longue tresse. Amelis se regarda dans le grand miroir oval doré positionné dans la salle de bain.
"J'aimerais me laver seule maîtresse."
Demanda-t-elle, d'une voix sûre et posée. Vanilla s'arrêta dans son geste, sans lever les yeux, puis repris. En hochant la tête en signe d'acquiescement.
Elle se releva ensuite, remis sa robe en place, caressa la tête de la hérissonne, et sortit en disant :
"Je suis juste derrière la porte si vous avez besoin de moi."
Elle faisait déjà seule, depuis pas longtemps, les allers retours chez les Thorns, et maintenant elle voulait se laver seule aussi.
Amelis n'ouvrit pas la lettre de ses parents.