Follow your fire

By NeoQueenSerenity28

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"Il faut suivre son coeur, suivre sa flamme, faire de notre feu intérieur le phare de notre vie. Quitte à se... More

Un petit mot & TW
Playlist
1 - El : Falling apart
2 - Phoebe : Back home
3 - El : A way out
4 - Phoebe : I need a drink, please.
5 - El : Never let a boy get you down
6 - Phœbe : I knew you were trouble
7 - El : Stand up
8 - El : To smile again
9 - Phœbe : Your fault
10 - El : Fall back and get up again
11 - El : Let's do this
12 - Phoebe : A stranger or a ghost ?
13 - Phoebe : Dance with me
14 - El : Dancing till dawn
15 - Phoebe : Talk to me
16 - El : Not alone anymore
17 - El : Scream if you want to
18 - Phoebe : Good person, good time
19 - Phoebe : I need you
20 - El : Hold me tight
21 - El : Take care of you
22 - Phoebe : Did you give up on me ?
23 - Phoebe : Lost without you
24 - El : A full heart
26 - El : Where I belong
27 - El : I See You
28 - Phœbe : Afraid of myself
29 - Phœbe : Don't Let The Fear Win
30 - Phoebe : Are You Flirting With Me ?
31 - El : Let there be the light
32 - Phoebe : Better a heartbreak than nothing
33 - El : Feeling the wave
34 - Phœbe : Only You
35 - Phoebe : Are we too far gone ?
36 - El : The final countdown
37 - Phoebe : Cause you make me feel alive
38 - El : Something just like this
39 - El : Whose side are you on ?
40 - El : You lied.
41 - Aspen
42 - Connor

25 - Phoebe : I wasn't ready to say goodbye

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By NeoQueenSerenity28

1 heure plus tôt...

Ma gorge est si serrée que je peine à respirer. Mes yeux me brûlent, à force de retenir les larmes, et fixent sans les voir les chiffres sur l'écran à côté du lit de Connor. Son pronostic vital n'est pas engagé, me répété-je, comme une chanson, pour m'empêcher de m'effondrer. Le médecin en moi sait qu'aucune de ses blessures n'est grave, que ce n'est plus qu'une question de temps avant qu'il ne se réveille, que ses poumons sont ceux d'un sportif : jeunes et forts, déjà en train de se remettre de la fumée noire qu'il a respirée. Pour autant, je me sens bien incapable de quitter des yeux le cardiogramme qui se dessine devant moi. Neuf minutes. Il n'y était que pendant neuf minutes, me répété-je.

Il t'a cherché pendant neuf minutes, murmure une voix en moi, et la culpabilité pèse si lourd sur mon estomac qu'elle m'écrase presque.

Mon ventre vide gronde, et mes paupières insistent pour se fermer, mais je tiens bon — la vision d'un Connor se jetant dans les flemmes est bien assez d'un cauchemar pour m'empêcher de fermer l'œil. Je resserre mes bras autour de ma poitrine, comme si ce geste pouvait m'empêcher de m'écrouler, et inspire profondément l'odeur de mon sweat — son sweat, piqué dans les affaires que Noah a ramené pour Connor.

Aspen, à moitié endormi sur le fauteuil jouxtant le lit d'Éléonore, n'est pas dans un meilleur état. Son visage est pâle, comme je l'ai rarement vu — pas depuis la mort de sa sœur. Ses mains jointes en prière devant ses lèvres closes, ses yeux fermés, il tient à peine debout. Voilà deux jours que nous sommes là, et nous n'avons pas pu dormir, ou très peu. Lui aussi, semble bloqué à son chevet. S'il n'avait pas craint que je ne tombe dans les pommes à force de ne rien avaler, il ne se serait même pas levé pour aller chercher à manger.

Un discret « toc toc » contre la porte de la chambre nous fait sursauter. Gabriel et Cora avancent doucement vers nous, d'un pas discret, comme si nos deux amis n'étaient pas simplement inconscients, mais juste endormis. J'adresse un sourire épuisé à Cora, qui me le rend et, silencieusement, vient s'assoir à côté de moi.

— Comment vas-tu ? me chuchote-t-elle, et ses yeux n'ont jamais été aussi doux.

L'espace d'une seconde, l'idée qu'elle s'en fasse davantage pour moi que pour son ami inconscient sur son lit me semble d'une absurdité sans nom, mais lorsqu'elle me prend dans ses bras, j'accueille la pression et la chaleur de son corps comme une bénédiction.

— Il ne s'est toujours pas réveillé, balbutié-je, et je ne peux retenir les tremblements dans ma voix.

— Il le sera bientôt, m'assure-t-elle.

Un silence, puis elle s'enquiert, la question résumée en un simple mot :

— Éléonore ?

Je hausse les épaules, et nous relevons toutes les deux la tête vers le deuxième lit de la chambre. Gabriel se tient debout derrière le fauteuil d'Aspen, une main sur son épaule, comme pour le retenir de s'effondrer. Les traits de l'Afro-Australien sont tirés, mais malgré tout, une lueur optimiste allume son regard et me redonne de l'espoir.

Après quelques minutes d'un soutien apporté en silence, Cora glisse son bras autour du mien et me force à me lever. Je n'ai plus la force de résister, mes jambes flageolent et ma tête me tourne.

— Mon Dieu, Phœb, souffle ma meilleure amie. Depuis combien de temps n'as-tu pas mangé ? Tu tiens à peine debout.

Et, sans attendre ma réponse, nous nous retrouvons dehors. Je traine des pieds, jetant un dernier regard à Connor par-dessus la vitre de la porte, tandis qu'elle me tire jusqu'au comptoir de la cafétéria, où une infirmière est en train de faire du café. Je réalise alors que je n'ai aucune idée de l'heure ou du jour auquel nous sommes. Je cherche l'horloge du regard, qui m'apprend qu'il n'est que huit heures du matin.

J'entends vaguement Cora commander deux cafés et un sandwich, puis deux paumes m'appuient sur les épaules pour me forcer à m'assoir sur l'une des chaises du hall. On me fourre ledit sandwich entre les mains, et par automatisme, j'en prends une bouchée. Aussitôt, je salive, et manque de tomber à la renverse alors que mon ventre gargouille. Je n'avais pas mesuré à quel point j'étais affamée. Cora m'observe manger avec attention, s'assurant que j'avale tout jusqu'à la dernière bouchée, portant de temps à autre le gobelet en carton à ses lèvres. Elle non plus n'a pas bonne mine — pour la première fois depuis la mort d'Ember, je lui remarque des cernes — et elle n'a fait aucun effort vestimentaire. Elle porte un sweat de Gabriel, et un legging de Yoga. Ses boucles sont déformées et vulgairement rassemblées en un chignon défait.

— Tu devrais rentrer dormir. Nous t'appellerons dès qu'il sera réveillé, promis.

— Je ne bouge pas d'ici.

Phœbe... commence-t-elle.

— J'ai déjà fait pire lors de mon stage à l'hôpital, la coupé-je, la détermination de ma voix contrastant avec mon visage épuisé.

Elle soupire, et insiste :

— Fais au moins une sieste sur l'un des fauteuils devant la chambre, comme Fallen et Kaia. Ça te fera du bien... tu ne tiendras pas indéfiniment comme ça.

Et malgré l'inquiétude qui me ronge, l'adrénaline n'est plus suffisante pour me faire tenir debout. Je me sens m'endormir de minute en minute, et il est inutile de prétendre le contraire.

Une fois le sandwich et mon café engloutis, je m'autorise à m'allonger sur deux fauteuils dans le couloir, ma tête sur les genoux de Cora. Je ferme les yeux, me promettant, « juste pour dix minutes ». Juste pour dix minutes...

*

Quand je me réveille, Cora n'est plus là, et la lumière du matin a depuis longtemps disparu. Si j'en crois sa couleur orangée, nous sommes en fin de soirée. Les nuages sont désormais parés de mille teintes chaudes, et la nuit prépare son arrivée. Mon cœur fait un bond, et je me redresse d'un coup — immédiatement stoppée par le tournis qui m'oblige à m'agripper au dos du siège. Malgré ma vision floue, mes yeux qui me brûlent, je cherche un visage connu dans le couloir. Je finis par distinguer Gabriel endormi sur l'un des fauteuils en face du mien, ainsi que Fallen, enroulée dans un plaid qui n'était pas là avant. Aucune trace d'Aspen, de Kaia ou de Cora, en revanche.

Évitant comme je peux les mouvements brusques pour ne pas réveiller mes amis, alors même que l'impatience me fait trembler, je me rue vers la chambre de Connor et d'Éléonore, le cœur battant. La porte est à peine ouverte que mes yeux échouent sur son lit, vide. Mon sang se glace. Interpellé par mon arrivée brusque, Aspen sursaute, et se réveille. Sa main est toujours logée dans la paume d'El. Il n'a pas bougé d'un centimètre depuis le moment où Cora m'a emmené de force dans cette cafétéria. Et maintenant, il n'est plus là. Un torrent d'émotion se déverse dans ma poitrine vide, la colère, le soulagement, la surprise, l'appréhension, et je suis soudainement à bout de souffle.

— Où est-il ? parviens-je à articuler.

— Avec Cora, au rez-de-chaussée, a-t-il le temps de me dire, et je suis déjà partie.

Je dévale quatre à quatre les marches de l'hôpital, manquant au passage de rentrer dans une infirmière. L'ascenseur serait trop lent, et nous ne sommes qu'au deuxième. Mes cheveux fouettent mon visage alors que je cours dans le couloir à la base de l'escalier, et que je pénètre dans la salle principale. L'air ici est plus neutre, sans l'odeur des médicaments et des produits stérilisants des étages de soin. À toute vitesse, je scanne la pièce : elle est vide, excepté quelques personnes lisant ou discutant sur les chaises de la cantine — les familles et proches des patients, sûrement. Je finis par apercevoir Cora, discutant gaiement avec une personne que je ne vois pas, cachée par l'un des piliers en béton de la salle. La gorge et les poings serrés, je m'approche à grands pas, me préparant mentalement à la déception de ne pas voir Connor avec elle.

Ma meilleure amie a dû me voir approcher du coin de l'œil, car elle tourne la tête et m'adresse un signe de la main. Ses yeux ont retrouvé de leur vivacité, et je ne peux retenir la vague d'espoir qui manque de faire jaillir les larmes. Je contourne le pilier, le cœur au bord des lèvres, pour découvrir la silhouette qui se tient devant elle, me tournant le dos. Sweat rouge, jogging gris, des cheveux d'un brun presque noir, une peau mate —

Connor se retourne, et le demi-sourire qu'il arborait alors qu'il discutait avec Cora disparait. La surprise — non, le choc se peint sur son visage tiré. Je suis trop occupée à l'examiner pour m'en étonner. Ses yeux sont cernés, sa peau pâle, se cheveux en pagaille... Mais il n'a jamais été aussi beau. L'ambre de ses yeux me foudroie et mes jambes s'arrêtent dans leur course. Je dois me m'appuyer au pilier pour ne pas tomber à genoux. À son tour, son regard glisse sur moi, m'inspectant de la tête aux pieds, comme si j'avais été celle qui avait frôlé la mort, celle qu'il avait failli perdre, et l'espace d'une seconde, je me surprends à penser que je me suis sentie mourir, moi aussi. Ses épaules et son torse se tournent un peu plus vers moi, pour finir par me faire face complètement. Le temps s'arrête, le monde est silencieux, l'univers réduit à cet endroit, cet instant — à lui, devant moi. Sain et sauf.

Mais, bien vite, le soulagement laisse place à quelque chose de plus fort, qui me percute et me fait vaciller. Ses flammes me brûlent et me réveillent — la colère, peut-être ? Quoi que cela puisse être, cela me donne l'impulsion nécessaire, et je cours à nouveau. En deux secondes, je suis plantée devant lui, une main enserrant son poignet, le tirant vers la sortie pour le forcer à me suivre. Il se laisse faire, visiblement trop bouleversé pour esquisser la moindre résistance.

Ce n'est qu'une fois hors de l'hôpital, dans la rue déserte et à l'abri des regards, que mes poings le frappent au torse avec violence, encore et encore, et il me regarde sans comprendre, trébuchant de deux pas en arrière sous l'assaut de mes coups.

— Espèce d'imbécile, tu n'es qu'un idiot fini, tu... tu...

Ma voix vacille, mais je ne faiblis pas. La peur, la rage, le soulagement se mélangent, et une larme glisse sur ma joue. Je continue de le pousser, de le frapper, et il se laisse faire, ne me quittant pas des yeux. Je n'ai pas la force de le regarder pleinement, de lever mon visage, de lui faire face, parce que c'est tellement plus facile — de ne pas penser à ce qu'il serait resté de moi s'il... s'il — et c'est si absurde, si absurde, parce qu'il s'en est sorti, et une part de moi le sait, pourtant.

— Qu'est-ce qui t'a pris... qu'est-ce qui t'a pris ? hurlé-je, la voix emplie de sanglots qui tranchent chaque mot. Tenter quelque chose d'aussi stupide... alors que... la dernière chose que nous nous sommes dite...

Les mots se mélangent et m'échappent, mon cœur s'emballe et je ne peux retenir les paroles qui se déversent de mes lèvres tremblantes en même temps que mes larmes :

— Je n'étais pas prête, pas prête à te dire adieu...

Il saisit mes poignets, et ses mains sont puissantes, et les miennes si faibles ; et à cet instant, il me parait si grand, si irréel, comme s'il n'était qu'un rêve, et je suis si petite —

— Phœbe, murmure-t-il.

La douceur de son ton est à l'opposé de ma propre violence, de mon chaos qui explose et renverse tout sur son passage. Pourtant, sa voix, grave et râpeuse, me fait l'effet d'un électrochoc. Mes poings s'immobilisent. Mes yeux cèdent à l'appel de son visage. Je relève la tête. Si beau, il est si beau, chante une pensée qui m'échappe.

— S'il te plait, ne pleure pas, continue-t-il.

— C'est ta faute, ta faute ! m'écrié-je entre mes larmes, et je me défais violemment de sa prise, de son contact qui me brûle, et plonge ma tête entre mes mains. Tu n'es qu'un...

— Un idiot, un imbécile, oui, j'ai compris, dit-il avec un rire sans joie, et il se rapproche d'un pas.

Délicatement, il retire mes mains de mon visage. Ses yeux brillent, et sa voix est grave quand il déclare :

— Mais je suis ton idiot.

Ses bras m'enserrent, et son odeur, le contact de son corps, font s'écrouler mes dernières barrières. J'enfonce mon visage dans le moelleux de son sweat, inspirant profondément. Je disparais presque dans son étreinte.

— Il n'y a pas d'adieu qui tienne, chuchote-t-il ensuite. Tu es coincée avec moi.

Et un rire m'échappe, un rire plein de larmes, le premier en une semaine. Une sensation chaude réchauffe le désert froid qui me drainait depuis plusieurs jours.

Quand il se recule, ses deux mains enveloppent mes joues, et il se penche. Ses lèvres essuient mes larmes, d'une douceur infinie, et je ferme les yeux.

— Si tu avais été à l'intérieur... Phœbe, ça n'était pas stupide, c'était l'acte le plus important de ma vie. Cette décision était une évidence ; tu étais à l'intérieur, et je devais aller te chercher, je devais aller te chercher, insiste-t-il en me tenant plus fort.

Ses yeux ambres me fixent avec intensité alors qu'il débite ses paroles. L'empressement et la passion font trembler ses mots, comme s'il tentait par tous les moyens de me convaincre, et j'aimerais le croire. J'aimerais croire que je l'aurais laissé s'engouffrer dans cet enfer pour moi, mais... non, je ne le supporterais pas.

— Je t'ai choisie, en un battement de cœur, sans hésitation, articule-t-il en accentuant chaque mot. Et je le ferais, encore et encore.

Je secoue la tête, le cœur prêt à exploser, les larmes dévalant mes joues.

— Serre-moi contre toi, articulé-je simplement, parce que ce sont les quatre seuls mots que j'ai en tête.

Il se penche pour m'embrasser le front, mais se fige quand ses yeux remarquent mon sweat. Sa pomme d'Adam roule dans sa gorge, un sourire fleurit sur ses lèvres et ses yeux brillent plus fort quand il demande :

— Phoebe Victoria Kinley, serait-ce mon sweat ?

Shut up, grogné-je en cachant mes joues brûlantes dans son propre pull.

Et sans attendre, je suis à nouveau dans ses bras, son menton contre le sommet de mon crâne, puis sa joue contre mon cou, et je dois me retenir de m'agripper à son buste. Nos deux respirations sont brûlantes, saccadées. Mon oreille vibre au rythme des battements de son cœur. Sa main se pose contre l'arrière de mon crâne, emmêlant encore davantage ma tignasse brune. Il me serre avec force contre lui, et sa force ne m'effraie pas, mais me relève. Je prends ma première vraie inspiration, et je ferme les yeux.

*

Une demie-heure plus tard, après avoir englouti le dernier paquet de bonbon du distributeur, blottis l'un contre l'autre, nous nous décidons à quitter le hall principal de l'hôpital pour regagner les étages supérieurs et nous enquérir de l'état d'Éléonore.

La tête baissée, je suis nos pas du regard, observant ses grandes jambes engloutir en une enjambée ce que je fais en deux. Connor m'a toujours semblé si grand, si fort — invincible, presque, parce qu'il a toujours été là — mais depuis quarante-huit heures, je ne suis plus sûre de rien.

— À quoi tu penses, Love ?

Je sursaute presque à l'entente de ce surnom, qu'il ne m'avait pas donné depuis des lustres, qui me semblent si absurdes — qui me fait rougir à chaque fois. Peut-être mets-je trop de temps à répondre, car sa main, naturellement posée sur mon épaule, vient caresser ma joue pour m'encourager.

Mes pas ralentissent, et je finis par m'arrêter. Il s'immobilise à mes côtés, et je me défais de son contact pour me planter devant lui. Le couloir est vide, et silencieux. Je n'entends que mon cœur battre la chamade dans mes oreilles.

— Je n'ai jamais pu te dire... que j'étais désolée. Pour tout. Je suis désolée, répété-je, et ma voix se brise sur le dernier mot.

Il fronce les sourcils et secoue la tête, comme pour m'interrompre, mais je l'en empêche.

— Connor, non, laisse-moi continuer. Ce que je t'ai dit sur le bateau... je ne le pensais pas. Tu as affronté le deuil comme tu as pu, seul — je n'étais pas là, et je m'en voudrai toute ma vie...

— Je n'étais pas en droit de te demander de sacrifier tes études, souffle-t-il, les yeux brillants, mais je continue :

— ... Mais tu m'as demandé pourquoi, et je te dois des explications, en effet.

Il se tait, soudain plus attentif. L'atmosphère change, et se fait électrique, la tension entre nous presque palpable. J'inspire profondément, avec de continuer :

— J'ai essayé, au début. Je t'ai tendu la main, plusieurs fois... mais j'ai abandonné, trop vite. Parce que, quoique tu en dises, et même si j'ai rencontré Emy plus tard, je l'ai moi aussi aimée comme une sœur.

Il secoue la tête, comme s'il voulait ajouter quelque chose, le remords voilant son regard.

— Personne ici ne le sait, pas même Cora, avoué-je. Mais... je me suis levée en larmes, chaque matin, pendant trois mois.

Je serre de toutes mes forces mes doigts tremblants, me mordant la lèvre pour ne pas céder aux larmes.

— J'ai mis des semaines à réserver mon billet d'avion pour rentrer. J'avais peur de ce que j'allais trouver en rentrant. Cet endroit a toujours été magique, parce que nous étions heureux, et soudés, et insouciants... mais la mort d'Emy a été une bombe qui a tout fait voler en éclats, et je n'étais pas prête à y faire face. Cora... Cora le savait, peut-être, ou alors elle l'a fait pour le bien de mes études, ou pour elle-même, je ne sais pas — mais elle a rapidement arrêté de me partager les mauvaises nouvelles, ne me laissant qu'avec les bonnes. Et je n'étais pas dupe, mais... je n'ai pas insisté.

Je m'autorise un regard vers lui. Ses yeux sont rouges, sa mâchoire contractée. La peine, la culpabilité, le regret, le ressentiment assombrissent ses prunelles. Je déglutis, et continue.

— Et toi... t'avoir au téléphone rendait les choses encore pires. Il me fallait souvent une heure pour m'en remettre, parce que tu me rappelais que j'étais loin, et seule, et perdue... je me suis faite plus distante, et tes appels se sont espacés. J'étais dévastée, j'ai regretté, mais j'avais honte... je ne savais pas comment t'en parler. Je ne savais plus moi-même ce dont j'avais besoin pour remonter la pente. Les semaines sont devenues des mois... et l'été est arrivé. Je m'attendais à te trouver furieux, je voulais te présenter des excuses... je m'étais préparée à tout, mais pas à ça : à ton jemenfoutisme, à ce masque de froideur et d'insolence, à tes conquêtes à répétition... Tu n'étais plus toi-même. Chaque fois que tu rentrais avec une fille différente, je me sentais sombrer un peu plus. J'avais mal. Tu m'as dit que je ne savais pas ce que c'était, de ne pas se sentir assez, mais crois-moi — cet été-là, je me suis sentie comme une moins que rien.

Un frisson me traverse, et mon regard s'est perdu dans le vide, alors que mon esprit se retrouve projeté un an et demi en arrière. Je croise les bras sur ma poitrine, tremblante. Devant moi, Connor est aussi pâle et immobile qu'une statue de marbre.

— En deuxième année, je me suis enfermée dans mes études, pour oublier. J'angoissais à l'idée de revenir ici, après vous avoir tous vu au plus bas, après le diagnostic de la dépression d'Aspen, après... toi. Et peut-être était-ce de ma faute, parce que je n'ai rien fait pour arranger les choses, mais... l'été suivant a été pire que le premier.

La fatigue des quarante-huit dernières heures vient à bout de mes dernières résistances, et je ne fais plus aucun effort pour retenir les larmes. Le visage de Connor n'est plus qu'un tableau de souffrance. Je me surprends à songer que le mien doit être son miroir.

— C'est pour ça que cette année... je suis arrivée avec ce mensonge stupide. À propos de John, précisé-je, la gorge serrée.

Je secoue la tête, retenant un rire jaune, et l'envie de me coucher à même le carrelage froid de l'hôpital me prend, soudain.

— À vrai dire, je ne me reconnais plus, moi non plus. Tu me mets hors de moi. Il suffit que tu sois dans la même pièce pour que je sois incapable de penser.

Ce n'est que lorsqu'il franchit mes lèvres que je réalise l'ampleur de mon aveu, et de ce qu'il sous-entend ; de ce que je viens peut-être seulement de comprendre pleinement, après l'avoir exprimé à voix haute devant lui, pour la première fois. Une terreur nouvelle me foudroie, et je peux presque sentir le sang quitter mon visage. Je n'ose le regarder — seul le bruit de ma respiration me rappelle que je ne rêve pas.

Connor, qui n'a pas bougé d'un centimètre, souffle alors :

— Nous sommes deux dans ce cas, alors.

Et en l'observant tandis qu'il s'approche, doucement, comme pour ne pas m'effrayer, je le vois tel qu'il est vraiment : un jeune homme de vingt-et-un ans. Je m'étonne de la peur que je lis sur son propre visage, et qui semble faire écho à la mienne. Il parait si jeune, d'un coup.

Il s'arrête, un pas devant moi, et je ne crois pas l'avoir déjà vu aussi hésitant, aussi maladroit.

— Je ne suis pas amoureux d'Emy, Phœbe. Ni de ces filles. Je ne me souviens même plus de leur visage, et de leur nom encore moins.

Mon cœur bat si fort dans ma poitrine que je crains qu'il ne soit visible à l'oeil de tous. Le trop-plein de pensées qui sature en permanence mon esprit est soudain porté disparu. Je ne suis même pas sûre que je respire encore, alors qu'il poursuit, d'une voix lente, posée, ferme — d'une voix qui dément le tremblement de sa main alors que celle-ci saisit l'une des miennes.

— Je n'ai jamais pu retrouver en elles ce que j'avais perdu avec toi. La complicité...

Il fait un pas de plus, et je dois maintenant hausser le menton pour le regarder dans les yeux.

— L'évidence, ajoute-t-il, et ses yeux se voilent, perdus quelque part, sur mon visage.

La peur me cisaille le ventre, et je veux reculer, mais il me retient en m'attrapant le bras, me défiant du regard de faire un pas de plus, de m'enfuir une nouvelle fois.

— De quelle complicité tu parles, Connor ? hissé-je, essoufflée, masquant ma crainte par la colère. Les trois premiers mois de notre rencontre, tu ne m'as pas adressé la parole, tu m'as à peine regardée. Tu as ensuite mis trois mois de plus pour t'ouvrir, et me parler de toi. Et il nous a fallu trois ans pour construire notre amitié. Trois ans. Et tu parles d'une évidence ? Tu as flirté avec tout ce qui bouge, sauf moi !

— Justement ! me coupe-t-il, et ses mains agrippent mon visage, me forcent à le regarder, comme s'il craignait que je ne disparaisse entre ses doigts.

Et je me dis qu'il a raison, car si j'en avais eu la possibilité, je l'aurais fait.

Je reste muette, perdue, presque brusquée par sa voix et il enchaîne :

— Je n'ai jamais pu faire semblant avec toi, Phœbe. Avec les autres, il n'y a aucun enjeu, aucun risque, parce qu'ils ne comptent pas autant à mes yeux. Toutes ces filles, je n'en ai rien à faire. Mais toi... toi, je n'ai jamais pu enfiler ce masque. Parce que tout est bien trop réel.

Son front vient se coller contre le mien, et malgré ma tête qui me hurle de reculer, un autre instinct, plus fort, plus grand, fige mes pieds au sol... et me pousse même à lever la tête. Mes yeux échouent sur ses lèvres, et un sentiment de tournis m'envahit, alors que, le temps d'une seconde, une peur froide laisse place à un sentiment brûlant et nouveau, exaltant et dangereux — qui donne vie.

— Je t'ai confié mon cœur, soupire-t-il alors, et son souffle s'échoue contre mes lèvres, se mêlant au mien. Je te l'ai donné ce premier jour où tu as croisé mon regard — mais tu es partie. Tu es partie à Sydney, et tu l'as pris avec toi.

Il marque une pause, et malgré le sens de ses prochaines paroles, je ne décèle qu'une infinie douceur dans sa voix, et l'épuisement d'un soldat déposant les armes :

— Et tu me reproches d'être sans cœur... à qui la faute, Phœbe ?

Désormais, je tremble comme une feuille. Je secoue la tête, comme pour m'empêcher de laisser ses mots s'imprimer en moi, et tout bouleverser sur leur passage. J'ai peur, si peur, et mon esprit tourne en boucle, énumérant nos différences, nos disputes, ces mois d'errance et de souffrance, et je ne suis pas prête à sauter, mais je me sens tomber, tomber, tomber, et je ne sais pas voler —

ses paumes enveloppant mes joues est la seule chose qui me maintient encore debout. Nos lèvres ne sont qu'à quelques centimètres l'une de l'autre, et alors qu'il les entrouvre pour ajouter quelque chose, je me recule précipitamment, en secouant la tête. Trop, trop d'informations — notre dispute, l'accident, mon aveu, son aveu...

Je sais que si je le laisse formuler ce que je lis dans ses yeux, il n'y aura plus de retour en arrière. Mon cœur cessera pour toujours d'être à moi, et ne battra que pour lui. Et je crains qu'il ne soit trop lourd, trop grand pour lui, trop, et qu'il ne regrette, et me rejette —

— Arrête, lui ordonné-je, dans un souffle.

— Non, me répond-il simplement.

La détermination que je lis dans son regard me fait reculer d'un pas.

— Arrête de fuir, me supplie-t-il, et ses yeux brillent plus fort.

Mais je lui tourne déjà le dos, marchant à toute vitesse vers la cage d'escalier. Derrière moi, je l'entends ajouter, d'une voix pleine de regrets :

— Je sais que j'ai été horrible, que ce garçon que tu as vu pendant deux ans t'a fait peur. Tu as besoin de temps, je comprends, et je serai là quand tu seras prête. La balle est dans ton camp.

Mon pas ralenti, et il conclut :

Love, n'oublie pas : c'est moi. Je suis prêt. 

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