Follow your fire

By NeoQueenSerenity28

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"Il faut suivre son coeur, suivre sa flamme, faire de notre feu intérieur le phare de notre vie. Quitte à se... More

Un petit mot & TW
Playlist
1 - El : Falling apart
2 - Phoebe : Back home
3 - El : A way out
4 - Phoebe : I need a drink, please.
5 - El : Never let a boy get you down
6 - Phœbe : I knew you were trouble
7 - El : Stand up
8 - El : To smile again
9 - Phœbe : Your fault
10 - El : Fall back and get up again
11 - El : Let's do this
12 - Phoebe : A stranger or a ghost ?
13 - Phoebe : Dance with me
14 - El : Dancing till dawn
15 - Phoebe : Talk to me
17 - El : Scream if you want to
18 - Phoebe : Good person, good time
19 - Phoebe : I need you
20 - El : Hold me tight
21 - El : Take care of you
22 - Phoebe : Did you give up on me ?
23 - Phoebe : Lost without you
24 - El : A full heart
25 - Phoebe : I wasn't ready to say goodbye
26 - El : Where I belong
27 - El : I See You
28 - Phœbe : Afraid of myself
29 - Phœbe : Don't Let The Fear Win
30 - Phoebe : Are You Flirting With Me ?
31 - El : Let there be the light
32 - Phoebe : Better a heartbreak than nothing
33 - El : Feeling the wave
34 - Phœbe : Only You
35 - Phoebe : Are we too far gone ?
36 - El : The final countdown
37 - Phoebe : Cause you make me feel alive

16 - El : Not alone anymore

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By NeoQueenSerenity28

Le soleil inonde la pièce. Un de ses rayons vient réchauffer mon visage, et mes paupières papillonnent. J'ai mal à la tête. Mon corps pèse lourd sur le matelas, chaque mouvement est laborieux. La couette est tombée du lit, seul un de ses coins recouvre encore mes pieds.

Je redresse le menton, et me retourne vers l'autre côté du lit. Aspen est là, comme il l'avait promis. Son visage est détendu, il dort encore. Ses cils créent une ombre sur ses pommettes, et ses cheveux partent dans tous les sens, frottés contre l'oreiller. Il est beau. Il dort sur le ventre ; un de ses bras est glissé sous l'oreiller, l'autre est posé juste à côté du mien. Il suffirait que je le bouge de quelques centimètres pour qu'ils se touchent enfin.

Je l'observe encore quelques minutes, n'osant à peine respirer de peur de le réveiller. Je suis tentée de recoiffer une de ses mèches noisettes, tombées sur son front, quand il ouvre doucement les yeux. J'ai le temps de voir ses iris se teinter d'or, avant qu'il ne les referme, ébloui.

— Hey, murmuré-je.

Il sourit, et d'une voix encore endormie, répond :

— Hey.

Il ne bouge pas, et se contente de m'observer. Je me dis que je dois être assez effrayante : le mascara qui a coulé sur mes cernes, mes cheveux bouclés en pagaille, mon rouge à lèvres étalé autour de mes lèvres... Sans parler de mes joues crasseuses, recouvertes de mes larmes mélangées à mon blush. J'espère qu'il ne s'est pas étalé sur l'oreiller, blanc de surcroît... Je tente de cacher mon visage, honteuse, quand il lâche :

— Tes yeux sont magnifiques. Cette mosaïque de couleurs... toutes ces nuances de vert... C'est splendide. Le centre est légèrement plus foncé... Le contraste est incroyable.

Je me fige. Une vague de chaleur part de mes joues pour résonner dans tout mon corps. Je ne sais pas quoi dire, alors je reste comme une idiote, les yeux ronds, à le dévisager comme s'il avait formulé une absurdité. Il m'adresse un sourire sincère, inconscient de mon trouble intérieur, et se redresse. Il saisit son portable, posé au pied du lit :

— 9 h 6. On a dormi six heures... Tu veux te lever ?

— Je n'ai plus sommeil, avoué-je, gênée.

— Moi non plus. Je me charge du petit-déj ».

J'espère qu'il ne se lève pas pour moi. Si sa nuit n'a pas été fameuse, c'est bien de ma faute. Il ne me laisse pas le temps de protester, et s'exclame :

— Si tu veux prendre ta douche, il y a une salle de bain au bout du couloir, à droite.

J'acquiesce, et murmure :

— Ma robe...

— Elle est là, me dit-il, en me tendant le vêtement en question.

Le tissu n'est pas tellement froissé, mais en tout cas, il sent mauvais. Une odeur infecte mélangeant alcool, transpiration et... le parfum de Tyler. Je m'immobilise, tandis que je sens chacun de mes muscles se tendre douloureusement. Il est hors de question que je remette cette robe avant de l'avoir lavée.

— J'ai pensé que tu préférerais mettre ça.

Je relève la tête, et observe Aspen entrer dans la chambre. Je n'avais même pas remarqué qu'il en était sorti. Le jeune homme tient entre ses mains un short, un tee-shirt propre et un vieux sweat XL. Il pose la pile d'habits sur le lit.

— Tu seras plus à l'aise.

— Merci, c'est gentil.

Il opine, mine de dire « il n'y a pas de quoi ».

— Fruits, œufs au plat et... pancakes ? S'il y a bien un de mes plats que tu dois goûter, c'est celui-ci.

— Parfait, dis-je, en m'efforçant de paraître enjouée.

Avec un petit sourire, Aspen sort de la chambre. Je reste un instant en suspens, inspirant et expirant profondément par le nez. Je sens encore ma poitrine compressée par l'angoisse, et mon ventre est toujours douloureux. Je ferme les yeux, et m'applique à réguler l'émotion grandissante qui prend de plus en plus de place dans ma gorge nouée. Je patiente quelques secondes, puis je saisis les vêtements et me rends dans la salle de bain.

Au passage, j'en profite pour observer la maison. Elle n'est pas très grande, mais elle doit déjà faire le double de celle d'Anna. En tout cas, elle semble construite pour héberger une famille nombreuse. Il y a un parquet en chêne, des poutres en bois clair et des meubles dans les tons sable et ivoire. Les murs sont blancs, avec des cadres photos au mur. Je n'ose pas les regarder. Ce serait malpoli de ma part, d'autant plus qu'il n'était pas prévu que je sois ici. J'ai l'impression de m'immiscer dans la vie de la famille d'Aspen, et je n'aime pas ça.

Je me dépêche de me doucher, en résistant à l'envie de rester des heures sous l'eau chaude. J'ai cette sensation de ne jamais être assez propre, de toujours sentir les mains de Tyler sur ma peau. Je me sens souillée.

Une fois sortie de la douche, j'enfile un à un les vêtements, et m'étonne : ils ont une coupe féminine. Ils ont appartenu à une fille, donc. La mère d'Aspen ? Non, ils font trop jeune... Son ex-copine, peut-être ? Quelque chose chatouille soudain mon âme, et mon cœur se serre. Qu'est-ce que ça peut te faire ? Je secoue la tête et me dépêche d'essorer mes cheveux. Avec un rapide coup d'œild'œil dans le miroir, je m'assure de ne plus avoir aucune trace de maquillage sur le visage, puis je sors de la salle de bain.

Je trouve rapidement la cuisine, guidée par l'odeur chaude et sucrée des pancakes. Aspen a enfilé un jogging gris et un sweat large jaune pastel, qui ne met que davantage son bronzage en valeur. Il s'active aux fourneaux, coupant les fruits sur une planche en bois tout en gardant un œil sur les pancakes et les œufs, en train de cuire sur le feu. Je n'ose pas lui dire que je n'ai pas très faim, et m'approche silencieusement.

Il capte ma présence et tourne la tête. Quand ses yeux se posent sur moi et détaillent ma tenue, un voile de tristesse assombrit soudain ses iris. Je reste une seconde décontenancée, mais n'ai pas le temps de m'y intéresser davantage, car il retrouve un semblant de sourire.

— Assieds-toi, c'est bientôt prêt, m'informe-t-il en désignant le comptoir pourvu de chaises derrière lui.

J'acquiesce, et prends place. En attendant qu'il me rejoigne, je laisse mes yeux divaguer sur le panorama offert par la baie vitrée. Grande ouverte, cette dernière laisse apercevoir l'infinie étendue bleue qui ronge la côte, toute proche. La vue est magnifique, de chez lui.

— Le reste de la bande dort encore.

Aspen s'installe à côté de moi, et me tend mon assiette. Je ne peux retenir un rictus attendri en constatant qu'il a soigné la présentation : les fruits sont disposés en fleurs, et l'œuf au plat dessine un sourire. Je veux le remercier, mais une forte nausée soulève mon estomac ; l'odeur de plat, qui a pourtant l'air divinement bon, me donne tout à coup la pressante envie de vomir. Une alarme semble résonner dans ma tête, et je me lève précipitamment pour trouver les toilettes. Je suis passée devant tout à l'heure, Dieu merci.

J'ouvre la porte en grand, dans un geste brusque et pressé. Je soulève la cuvette et, à la seconde où je me penche, un liquide chaud et acide s'échappe de ma gorge. Les restes des cocktails que je n'ai apparemment pas digérés me brûlent la gorge, et je redoute d'en maculer mes cheveux fraîchement lavés. Heureusement, une main vient les tirer et les retenir vers l'arrière, tandis qu'une pression douce et réconfortante se fait ressentir dans mon dos. Je crois mourir de honte.

Aspen attend patiemment que ce passage douloureux se termine. Quand je me redresse, les larmes inondent mes joues et je ne sais même pas pourquoi. L'émotion me submerge, et je bafouille des « Je suis désolée » qu'il balaye d'un mouvement de tête.

— Ce n'est rien. On peut manger plus tard, si tu veux.

J'opine, misérable, et il me serre contre lui. Je n'ai aucun équilibre et je suis à bout de force, alors je retombe mollement contre son torse. Ses bras m'entourent, comme hier soir, comme cette nuit. Agenouillé contre le sol froid des toilettes, il m'étreint le temps que mes larmes cessent de mouiller mes joues. Je me sens faible, pitoyable, avec l'horrible impression que je tourne en rond. J'ai l'impression de faire un bond de deux semaines en arrière, lorsque je pleurais la trahison de mon petit-ami.

Le pire, c'est qu'il ne méritait pas toutes ces larmes.

Luka. Les mots de son SMS d'hier soir défilent devant mes yeux, et mes épaules se crispent. Mes poings se resserrent contre le sweat d'Aspen, qui se détache de moi. Ses yeux fouillent les miens, qui luttent de toutes leurs forces pour endiguer la prochaine vague de larmes.

— Viens, suis-moi. On va aller prendre l'air et marcher un peu.

Mes jambes sont en coton, je tremble de toutes parts, mais j'accepte d'un hochement de tête. C'est une bonne idée, j'en ai besoin.

Nous ne prenons pas de veste, nos sweats palliant déjà la brise qui rafraîchit la matinée, mais enfilons rapidement des baskets. Il me prête une vieille paire de Stan Smith blanches un peu usée, et je devine qu'elles doivent appartenir à la même personne qui détient le pull.

Ma main dans la sienne, Aspen me fait passer la baie vitrée et m'entraîne dans son jardin. Il est très grand. En fait, pour être honnête, il tient plus du champ que de la petite pelouse familiale. Cette impression se renforce quand, d'un regard en arrière, je découvre que la maison est en fait une vieille ferme rénovée. Mais, il n'y a plus de doute quand le jeune homme me traîne jusqu'à une vieille grange. La bâtisse, vieille, mais bien entretenue — les planches en bois ont récemment été repeintes en blanc — a l'air de sortir tout droit d'un vieux feuilleton canadien.

Aspen lâche ma main et, d'un mouvement puissant, fait coulisser la grande porte. La lumière envahit l'espace, et se réfléchit dans les particules de poussières qui volètent dans la pièce. Un hennissement fend le silence, et me fait tourner la tête vers la droite. Mes yeux embrassent deux box, abritant deux magnifiques chevaux : l'un à la robe bai tachetée, l'autre d'un noir profond et uniforme.

— Je te présente Cupid, le noir, et Sailor, le bai, m'annonce Aspen. Sailor est mon fidèle destrier depuis mes dix ans...

— Et Cupid ? murmuré-je, en m'approchant du bel étalon.

— Il n'est pas à moi, mais j'essaye de le monter de temps en temps. C'est qu'il est jaloux, le bonhomme.

Je souris, le regard brillant. Ma main caresse le chanfrein d'ébène, et je suis projetée une dizaine d'années plus tôt, quand je pratiquais encore l'équitation. J'en ai fait trois ans, et puis mon emploi du temps a fait que j'ai dû choisir entre le cheval et les chaussons de danse... Aujourd'hui, je regrette de ne pas avoir insisté pour garder les deux.

— Tu es déjà montée à cheval ?

— Oh, il y a longtemps, répondis-je d'une voix absente, perdue dans mes souvenirs.

— Tu veux faire un tour ?

Ma paume s'immobilise contre la chair chaude de l'animal, et je jette un regard incertain à Aspen.

— Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée...

— Ne t'inquiète pas, le cheval, c'est comme le vélo : ça ne s'oublie pas. Et puis Cupid n'est pas un cheval très agité, et il a été très bien dressé.

J'hésite, en me mordant la lèvre. Ma main reprend ses aller-retour sur la robe du bel équidé, et je me rappelle subitement quelle était la sensation que j'éprouvais en montant : le vent dans les cheveux, je ne faisais qu'un avec mon poney de l'époque, Caramel. Je me sentais libre. J'avais la sensation de pouvoir aller où j'en avais envie...

— D'accord.

Aspen sourit, et m'entraîne dans une pièce annexe dans laquelle sont rangés les selles, les tapis, les licols et les filets. Je suis surprise de constater que je n'ai pas tout oublié de mes cours.

Sur ce, il m'adresse un clin d'œil et saisit deux licols, deux tapis et deux selles. Il les installe rapidement, puis me tend les rênes de Cupid.

— Tiens, sors-le.

Je saisis la longue corde d'une main incertaine, mais raffermis ma prise et inspire un grand coup. J'ouvre la porte du box, et lentement, m'approche du grand étalon couleur ébène. Il est splendide, je ne saurais le décrire autrement.

J'écoute les conseils d'Aspen, qui m'intime de ne pas le brusquer et de lui parler d'une voix douce. J'applique ses recommandations à la lettre et, finalement, j'arrive à sortir l'animal sans problème. Aspen positionne un escabeau pour m'aider à monter, et mon cœur tressaute quand je suis finalement assise à califourchon sur le dos du fier étalon. Le monde semble petit, vu de haut.

Aspen n'a pas besoin d'aide pour monter. En un battement de cil, il se retrouve sur le dos de Sailor, avec la grâce d'un félin. Il est à l'aise, c'est certain.

— Le surf, l'équitation... quoi d'autre encore ? fis-je remarquer, avec un petit sourire.

— En fait, l'équitation n'est pas vraiment mon sport de prédilection... Je m'y suis mis parce que...

Il s'interrompt dans sa phrase, puis secoue la tête. Je jure que ses yeux se sont à nouveau assombris ; cela vient titiller ma curiosité, mais quand il lâche un « Oublie » mélancolique, je n'insiste pas. Chacun son jardin secret. Je ne peux pas attendre de lui qu'il me confie toute sa vie alors qu'il ne connaît même pas ma véritable identité.

Nous sortons de la grange, et Aspen nous fait emprunter le chemin vers la plage. Je panique plusieurs fois en ne sachant plus comment diriger Cupid, mais je finis par reprendre la main.

Cette partie de la côte n'a pas l'air fréquentée. Il n'y a aucun passant, aucun bruit ; seuls les vagues et leurs doux chuchotements nous tiennent compagnie. L'air frais de l'océan contrebalance la chaleur du soleil, qui entame sa montée jusqu'au zénith. Il nous apporte cette odeur iodée que je respire depuis plusieurs semaines maintenant, mais je ne m'en lasse toujours pas. J'aime la plage, j'aime l'océan... j'aime le soleil, sa lumière et son étreinte.

Aspen reste silencieux. Comme moi, il profite de la quiétude du lieu, de son atmosphère pure et apaisante. Sailor et Cupid poussent de temps en temps quelques ébrouements, mais ils sont calmes. Mes épaules se relâchent, et je me détends.

Sans crier gare, un nom survient dans mon esprit : Ana. Oh non ! Je ne l'ai pas prévenue que j'étais chez Aspen ! Que dira-t-elle quand elle se rendra compte que je ne suis pas dans mon lit ? Enfin, elle a sûrement dû s'en apercevoir, maintenant. Je vais me faire tuer.

— Quelle cruche... murmuré-je.

— Qu'est-ce qu'il y a ? m'interpelle le jeune homme, qui a rouvert les yeux.

— Ana... je ne l'ai pas prévenue. Elle doit être morte d'inquiétude... elle va me passer un savon.

— Ne t'inquiète pas pour ça. Je lui ai envoyé un message après t'avoir couchée.

— Avec mon téléphone ? m'étonné-je. Qu'est-ce que tu lui as dit ?

— Non, avec le mien. Rassure-toi, j'ai menti un petit peu : ton téléphone n'avait plus de batterie, et tu ne trouvais plus tes clefs. Tu étais fatiguée, tu as voulu rentrer plus tôt, donc tu as dormi à la maison.

Je souffle, soulagée, même si j'aurais préféré qu'elle ne sache pas que j'aie dormi chez Aspen. Que va-t-elle penser, maintenant ? Vu de l'extérieur, ça fait vraiment l'excuse de lycéens qui mentent pour se voir en secret. Mes joues rosissent, et je prie pour que cela ne se voie pas. Avec un peu de chance, le vent froid les aura déjà teintés de rouge.

— Merci, je le remercie.

— J'ai préféré ne pas lui révéler ce qu'il s'était réellement passé tout de suite... Je n'allais pas le lui dire par message.

Je ne réponds pas. Mon ventre se tord douloureusement, et mes mains se referment un peu plus sur la longe.

— El », insiste-t-il. C'est important que tu lui en parles, c'est très grave ce qu'il s'est passé. Il ne peut pas s'en sortir comme ça, la police doit être mise au courant pour que Tyler puisse être questionné.

Je sais qu'il a raison. Mais se rendre à la gendarmerie impliquerait de donner mon nom, et j'imagine déjà les journaux scander « La jeune mannequin Leutellier, saoule, se fait agresser sexuellement en soirée ». Génial, on a déjà vu mieux comme stratégie marketing.

Je hoche tout de même la tête, pour le rassurer. Je ne suis pas encore sûre de ce que je compte faire, mais j'en parlerais à ma tante.

Le silence refait sa place entre nous, mais cette fois, il n'a rien d'agréable. Il est lourd et étouffant. Je sens qu'il brûle de parler de la situation, de savoir ce qu'il s'est passé. Quand sa voix brise la quiétude, je ne suis pas étonnée. Chacun de mes muscles se tend pour se préparer à la question qui va suivre :

— Hier soir quand tu es montée sur le toit... tu étais tellement bouleversée que tu as fait tomber ton téléphone. Quand je l'ai ramassé, l'écran était toujours allumé.

Je sais ce qu'il va dire. Mon cœur s'emballe, je fuis ses yeux chocolat qui tentent tant bien que mal de capter les miens.

— Je ne comprenais rien, je ne savais pas quoi faire pour t'aider. Tu es partie si vite, au bord des larmes... alors sans pouvoir m'en empêcher, j'ai jeté un œil à ton téléphone.

Ma respiration se bloque.

— Éléonore. Ce message était la plus grande grande connerie que j'ai jamais lue. J'espère que tu en as conscience. Ce Luka — ton ex petit-copain, je suppose — ne te méritait pas.

Je renifle amèrement. La blessure se rouvre, je sens le sang couler et se répandre sur mon âme froide. La colère et la tristesse se mélangent, et je les sens gonfler en moi. Bientôt, elles prendront assez de place pour m'étouffer complètement.

— Qu'est-ce que tu en sais ? articulé-je difficilement. Tu ne me connais que depuis quoi... ? Deux semaines ?

— Peut-être. Mais visiblement, je crois te connaître mieux que lui, alors que — si je m'en souviens bien — vous êtes restés ensemble cinq ans.

Je reste silencieuse, chamboulée intérieurement par une tempête de sentiments contradictoires qui manquent de faire ressurgir les larmes. Sa voix m'hypnotise, elle se fraie un chemin jusqu'à mon cœur en faisant tomber toutes les barrières. Je me sens nue, transparente, comme un livre ouvert.

— J'ai connu une personne incroyable. J'en côtoie même sept depuis des années, en fait. Crois-moi, j'ai appris à reconnaître ceux et celles qui donnent leur force au monde et le rendent plus beau. Tu en fais partie.

Je tremble. Chacun de ses mots me heurte, me bouscule. Je ne peux plus me retenir : le barrage saute, et j'éclate en sanglots qui secouent tout mon corps. J'ai envie de hurler, parce que j'ai mal, parce que je n'en peux plus, parce que je suis perdue... Arrête de pleurer !

Je m'accroche de toutes mes forces à la longe, mes cheveux retombant devant mes yeux pour tenter de dissimuler les pleurs qui fendent mes joues, cuisantes de honte. Peine perdue, Aspen ne rate pas une miette de ma descente aux enfers, de mon cœur qui s'écroule à ses pieds. Il reste muet. Je n'arrive pas à savoir ce qu'il pense. Je ne suis pas sûre d'en avoir envie. Peut-être que je lui fais pitié ? La simple évocation de cette idée me terrifie et me met dans une colère noire à la fois.

— Excuse-moi... Je... il faut que je rentre, je parviens à bégayer, entre deux sanglots.

Je ne veux pas avoir à supporter son regard plus longtemps. Je ne veux pas qu'il me voie comme ça.

D'un léger coup de talon, j'intime à Cupid d'accélérer le pas. L'animal part au trot, et je le guide avec la longe pour lui faire faire demi-tour. Aspen me rattrape, et me prend la corde des mains. Le cheval noir s'arrête.

— Éléonore. Tu n'as pas besoin de faire semblant avec moi. Reste comme tu es. Peu importe si tu es au plus bas, je m'en fiche. Peu importe que tu pleures, que tu doutes et que tu aies peur. Sois juste toi : un être humain avec des sentiments réels, qui débordent et le submergent. N'ait pas honte d'appeler à l'aide, et ne t'excuse jamais de laisser les larmes couler. Ne t'excuse pas d'être vraie.

Je me mords la langue pour retenir un énième sanglot, si fort que le goût du sang vient imbiber ma bouche. Aspen lève la main jusqu'à mon visage, qu'il fait délicatement tourner vers lui. D'une caresse de son pouce, il essuie mes larmes.

Ses yeux me sondent avec intensité ; ils brillent et tremblent en me regardant. J'y décèle une force discrète, mais ardente, qui vient tout ébranler en moi.

— Personne ne devrait avoir honte de pleurer, poursuit-il d'une voix douce, mais ferme. Cela ne fait pas de toi une personne faible... au contraire. En fait, même les personnes les plus fortes finissent pas se briser, parce que personne n'est capable d'encaisser plus qu'il n'est capable de supporter. Tu es courageuse, El ». Tu peux me dire le contraire, je ne te croirais pas. Et puis même, c'est ceux qui ont le plus souffert hier qui sont les plus forts aujourd'hui, parce que c'est avec la souffrance qu'on apprend à se relever.

Son regard est doté d'une profondeur que je n'ai jamais vue chez quelqu'un, et pour cela, je le crois. Il ne ment pas.

— Tu as peur. Ce n'est pas grave. Tout le monde a peur de se relever, après une chute. On a mal, on ne veut pas y retourner. Mais il le faut. Ça semble absurde et fou dit comme ça, mais c'est ce qui fait la vie. La vie.

Je médite un instant sur ses paroles. À nouveau, nous n'entendons plus que les vagues, qui mènent leur éternelle danse. Je sens le regard lourd d'Aspen sur moi ; il n'est pas pesant, mais au contraire, m'enveloppe comme pour me tenir chaud, réchauffer mon cœur endormi comme en plein hiver.

J'inspire profondément en passant ma main sur mes joues pour essuyer mes larmes, et il reprend la parole, d'un ton calme et prudent :

— Tu veux en parler ? D'hier soir, ou de ta relation avec... Luka. Ou les deux, comme tu veux.

J'hésite un instant. Je ne sais pas si j'en ai envie ou non. Mon regard dévie et rencontre celui de mon ami, doux et patient. Je sais que je peux lui faire confiance, qu'il ne me jugera pas. Et c'est dingue, parce que je ne l'ai rencontré qu'il y a deux semaines à peine. Certaines personnes sont rentrées dans ma vie il y a dix ans, et jamais aucune d'entre elles n'a eu ne serait-ce qu'un aperçu de ce qu'il se passe sous ma carapace. Même pas Luka — et tant mieux, sachant que notre relation était fondée sur le mensonge, la trahison, l'ambition... Il n'a jamais été compréhensif. C'est à cause de lui et de mon père que j'associe le chagrin à la faiblesse, aujourd'hui. À ses côtés, être triste, mélancolique ou nostalgique n'a jamais été autorisé ; je me souviendrai toujours de ce qu'il m'a dit, le jour où sonnaient les dix ans du décès de ma mère : « Oui, bon, il serait peut-être temps que tu t'en remettes, nan ? J'veux dire, c'est bon, on a compris. »

— Il a été mon premier amour, commencé-je, d'une voix légèrement tremblante. Je l'ai rencontré quand j'avais seize ans... À l'époque, mon rêve était de tomber amoureuse : je baignais encore dans tous ces romans et ces films à l'eau de rose débiles qui ne reflètent pas du tout la réalité. Alors il a suffi qu'il flirte un petit peu et fasse son bad boy torturé pour que je lui tombe dans les bras... Je n'ai pas été dure à convaincre.

Je marque une pause, un goût amer dans la bouche. J'en veux à l'adolescente naïve que j'étais.

— Nous avons grandi, on s'est installé ensemble, bref, tout allait bien. Mon père, qui est propriétaire d'une agence et bénéficie ainsi d'un large réseau de contacts, lui a même permis de faire carrière dans le milieu qu'il visait. Puis, il l'a embauché. Nos professions respectives font que nous voyageons énormément tous les deux, mais ça n'a jamais été un obstacle pour moi... Apparemment, ce n'était pas son cas : en rentrant de mon dernier voyage, il y a un mois, j'ai découvert qu'il n'avait aucun scrupule à aller voir ailleurs quand je n'étais pas là.

Aspen hausse un sourcil, méprisant, tandis que l'angle de sa mâchoire se fait plus marqué. Quand je reprends la parole, ma voix est moins assurée : je vais aborder la partie de notre histoire qui fait le plus mal.

J'inspire, puis me lance :

— J'ai découvert ce même soir qu'en fait, il se foutait de ma gueule depuis cinq ans. Il ne m'avait approchée que pour ce que mon père pouvait lui apporter... Il m'a utilisée. Quand je l'ai appris, je l'ai viré de notre appartement et me suis assurée qu'il soit licencié de l'agence familiale... Forcément, il l'a très mal pris. Je ne l'ai jamais vu aussi en colère, aussi violent, comme s'il était devenu fou. Il a tenté de me blesser, mais j'ai pu lui échapper... J'avais perdu tout repère, j'étais perdue et ma vie était devenue un véritable fiasco... alors j'ai pris le premier avion et je suis venue me ressourcer ici, chez ma tante.

Quand j'achève mon récit, Aspen secoue la tête, un rictus dégoûté aux lèvres. Ses cheveux dissimulent son regard, mais je peux percevoir dans sa voix tout le mépris qu'il ressent à l'égard de mon ex-petit ami :

— El », je ne sais pas quoi te dire à part que ce mec était clairement un enfoiré.

Il lâche un rire nerveux, et ses poings se resserrent autour de la longe. Ses jointures se teintent de blanc.

— Peut-être, mais si lui est un enfoiré, moi je suis bien naïve, raillé-je.

— Non, ce n'est pas de ta faute. Il est le premier garçon avec lequel tu es sortie, tu n'avais aucune expérience et il en a profité. Comme une enflure... Tu n'as rien à te reprocher. Tu étais juste amoureuse.

Je hausse les épaules, tandis que mes yeux se lèvent vers le ciel. Je lâche, avec colère :

— Oui, eh bien on ne me verra pas retomber dans les filets de l'amour de si tôt. J'ai assez donné pour au moins quelques années.

Aspen ne rétorque rien, et son mutisme me fait tourner la tête dans sa direction. Il m'observe, ses pupilles mêlant tristesse et colère. Il s'écoula une longue minute avant qu'il ne lâche, d'une voix morne :

— Ne dis pas ça. Tu n'as que vingt-et-un ans. Il est trop tôt pour renoncer.

— L'amour peut aussi bien détruire que construire...

— Il peut reconstruire aussi.

Je ne réponds pas.

— Je ne sais pas ce qui me retient d'étrangler celui qui t'a fait perdre espoir en la seule chose qui importe vraiment, marmonne-t-il en pinçant les lèvres.

J'esquisse un léger sourire, puis nous nous reconcentrons tous les deux sur Cupid et Sailor, qui continuent de marcher calmement en nous emmenant toujours plus loin, longeant la côte. Leurs sabots s'enfoncent dans le sable mouillé, pour laisser des empreintes garantes de notre passage sur la plage. Le vent se réchauffe, et bientôt, le soleil est bien haut dans le ciel. Nous sommes restés au moins deux heures sur la plage. Mon ventre finit par produire un bruit étrange, qui fait esquisser un sourire à Aspen. Sans relever la tête, il murmure d'un air espiègle :

— On rentre ? Tu n'as pas encore goûté à mes pancakes.

Je retiens un rire, les joues rouges d'embarras, mais un fin sourire aux lèvres.

— On rentre, acquiescé-je.

Les deux équidés font demi-tour, sans broncher. Je profite encore un peu du silence que nous apporte cet endroit magnifique, avant de le briser avec une simple question ; ma voix est petite, légèrement rauque, comme si j'hésitais quant à mon envie que l'on m'entende :

— Comment on se relève ?

Aspen paraît comprendre immédiatement à quoi je fais allusion, puisqu'il n'hésite pas longtemps avant de me répondre :

— Grâce à notre famille, nos amis. Ceux que nous aimons, et qui nous aiment en retour.

Et quand on n'en a pas ? ai-je envie de répliquer. Je ne dis rien, car je ne veux pas passer pour encore plus misérable que je ne le suis. Aspen semble cependant entendre la question muette qui résonne dans ma tête, car il ajoute :

— Ana... Fallen, Cora, Phœbe, Kaia... Noah, Connor, Gabriel... Moi. On est là pour toi. Nous sommes une bande, nous nous soutenons les uns les autres.

Je ne sais pas s'il sait à quel point sa réponse me heurte en pleine poitrine. Mon cœur se serre. Est-ce qu'il dit ça juste pour me faire plaisir ? je me surprends à me demander.

Peut-être. Peut-être pas.

Quoiqu'il en soit, je n'arrive pas à réfréner ce sentiment qui me fait sentir plus légère, et cette petite lumière que je sens s'éveiller en moi. 

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