Ses pieds s'enfoncent dans le sable tiède, Esmée vient de finir sa balade quotidienne sur la plage de Barcelone. Elle s'installe sur le muret de la promenade au bord de la jetée. Ses yeux fixent l'horizon tirant sur un mélange de couleurs rougeoyantes et qui éblouit ses pupilles d'une luminosité inégalable. Esmée aime contempler l'horizon, là où la mer et le ciel se confondent.
La mélodie binaire des vagues, fracassant la plage, est apaisante. Rien ne vaut cette étendue bleue qui a noyé son enfance d'un bonheur inimaginable et rien ne vaut cette ville solaire qui transperce son cœur. Le soleil commence à disparaître. Elle observe les derniers enfants rejoindre leurs parents pour rentrer avec amerturme. Ses pensées sont tiraillées entre la colère et la déception.
- Maman commence à s'inquièter de ne pas te voir rentrer, dit une voix.
Esmée ne se retourne pas, elle a reconnu la voix de crécelle de Valentina. Cette dernière s'assoit à ses côtés, les yeux rivés sur le coucher de soleil s'accélèrant considérablement. Dans quelques minutes, il disparaîtra derrière la ville de Barcelone et sa lumière n'éclairera plus la plage, la laissant dans l'obscurité.
- J'ai cru que le procès allait me ramener Timéo, avoue Esmée d'une voix tremblante. Ça n'a rien fait, j'ai toujours aussi mal et j'en veux au monde entier. Pourquoi Timéo et pas un autre, hein ?
- Ça aurait pu être n'importe qui, souffle Valentina. Ce n'est pas ta faute.
- Je sais, tu me l'as déjà dit.
Esmée trouve cela injuste mais elle ne répond rien. En deux ans, la culpabilité qu'elle ressentait a laissé place à de la colère face à cette injustice. Ça aurait pu être n'importe qui, mais c'est tombé sur sa famille qu'elle tentait de construire. La face d'une mauvaise pièce lancée par une femme cruelle ne savant pas gérer les pleurs d'un enfant âgé de huit mois.
- On dit toujours que l'amour est capable de tout surmonter, sanglote Esmée. Et, ça nous a séparé, Benjamin et moi.
- Ça ne veut pas dire que vous ne vous aimez plus, il t'a laissé partir en sachant que tu n'étais plus heureuse à ses côtés. Connaissant Benjamin, il ne souhaite que ton bonheur avec ou sans lui.
Esmée réfléchit trop depuis un mois, ça l'empêche de dormir. Alors la pianiste fait des puzzles, elle les assemble dans sa chambre. Si, elle habitait à l'écart de tous, elle pourrait jouer du piano toute la nuit sans craindre de réveiller les autres par des mélodies fracassantes.
- Il ne t'en voudra pas pour Pierre, assure Valentina.
- C'est moi qui m'en veut, on dirait que je le trahis, souffle-t-elle.
- Ça fait deux ans. C'est légitime de tourner la page, je t'assure. Tu devrais en parler à Benjamin si ça te tracasse autant, pour entendre son point de vue. Est-ce que tu l'aimes bien ?
- Oui, je crois.
- Alors pourquoi tu doutes ?
- Viens, on rentre, esquisse Esmée. Maman va s'inquièter.
En passant la porte d'entrée de sa maison d'enfance, Esmée distingue une paire de chaussures en bas de l'escalier qu'elle ne connaît que trop bien. Elle se précipite à l'étage en enjambant les marches de l'escalier deux à deux, elle ouvre la porte et se jette dans le lit où se trouve Francesco.
- Ma petite sœur préférée, lâche-t-il en la serrant dans ses bras.
- Je t'ai entendu ! hurle Valentina depuis le hall d'entrée.
- Sois pas jalouse minimoys.
La porte s'ouvre de nouveau sur Valentina qui se jette également dans le lit de son frère où ils se retrouvent tous les trois emmêlés et entassés.
- Tu m'écrases Val, gémit Francesco.
- Esmée me bloque, je ne peux plus bouger, feint la benjamine.
- Et dire que j'ai vingt six ans et que je suis bloquée avec vous, souffle la pianiste. Tu m'as manqué face de crêpes.
Elle ébouriffe les cheveux de son frère de sa main avant de se redresser, libérant ainsi sa sœur et son frère.
- Dix neuf heures ! A table ! hurle une voix depuis la cuisine.
Les trois frères et sœurs s'observent avant de descendre pour s'installer autour de la table, la famille enfin réunie au grand complet. Esmée fronce les sourcils et ses pensées se tournent vers Pierre ayant sans doute terminé sa première course dont il parle avec tant d'entrain depuis des semaines.
Il va l'appeler, Esmée le sait.
•••
Bahreïn, mars 2022.
Pierre entame son quarante sixième tour sur ce grand prix de Bahreïn. Le ciel s'est assombri au dessus de lui, le soleil a disparu laissant la piste éclairée par les lumières artificielles.
Au milieu du second virage, il sent cette rétrogradation anormale du moteur, provoquant une légère secousse dans sa monoplace. Un coup d'œil dans ses deux rétroviseurs suffit pour comprendre qu'un défaut du moteur vient de mettre fin à sa première course de la saison.
Il s'arrête près d'une rambarde de sécurité, détache ses harnais de sécurités afin de quitter la monoplace dont le feu s'échappe du capot moteur. Impuissant, il observe les commissaires de piste éteindre les flammes avec un extincteur.
Un barbecue, pense-t-il.
Le français rentre au paddock et se présente avec amerturme dans la zone des interviews alors que la course veines tout juste de se terminer sans lui. Face aux journalistes, il déclare simplement son ressenti et relève simplement :
- Nous avons perdu des points importants, mais il reste encore beaucoup de points positifs à tirer d’aujourd’hui.
Il disparaît aussitôt suivie de près par son attachée de presse, qui enregistre la moindre de ses paroles. En revenant vers la motorhome de l'écurie italienne, il salue ses mécaniciens quand son ingénieur l'interpelle par dessus le brouhaha :
- Débrief post-course dans trois quart d'heure, on attend Yuki qui termine les interviews.
Pierre acquiesce et récupère son téléphone au près de son ami et entraîneur physiologique Pyry. Il ère durant quelques minutes dans le paddock avant de se diriger machinalement vers les célébrations du podium. Un sourire esquisse ses lèvres en apercevant Charles tenir fermement le trophée dans sa main et lancer des signes de mains frénétiques à la foule.
Il ne reste pas bien longtemps et finit par s'éclipser dans sa motorhome pour avoir un peu de tranquillité. Il retire sa combinaison ignifugée pour revêtir des vêtements portant le logo de son écurie.
Les cheveux encore humides par son casque, Pierre jette un coup d'œil à son téléphone en se demandant s'il a le temps de l'appeler avant le debriefing. Il hausse les épaules, après tout, il peut bien s'accorder ce temps s'il en a envie, il compose le numéro qu'il a appris par cœur.
Quand elle prononce son prénom, son cœur se réchauffe immédiatement et toute sa déception s'évapore aussitôt en entendant la douce voix d'Esmée.
- Ça va ? demande-t-elle.
- Ça va.
Et il sourit en se doutant qu'elle n'a pas regarder le grand prix, cette pensée se comfirme quand elle s'empresse d'ajouter d'une voix innocente :
- J'espère que tu as gagné.
- Non, c'est Charles, rit-il.
- La prochaine fois que je le vois, je l'écrase. Ça éliminera un concurrent, déclare-t-elle.
Pierre esquisse un sourire avant de déclarer qu'il n'a même pas terminé la course à cause d'un moteur un peu trop explosif.
- Je me sens bête, souffle Esmée au combiné.
Pierre assure le contraire. Il attrape une bouteille d'eau dans son frigidaire et boit de longues gorgées pour se rafraîchir, ne s'étant pas rendu compte de la soif donnée par cette course infernale.
- Tu me manques, lâche-t-elle finalement.
- Tu me manques aussi, déglutit-il difficilement.
Ils ne disent rien pendant de longues secondes écoutant la respiration de l'un et de l'autre à travers le combiné, se rendant compte que des milliers de kilomètres les sépare.
- Bientôt ? murmure sa petite voix enfantine.
- Bientôt, promet Pierre.
italique = discours en anglais bref pas du français