Les promesses du parc

By ElisaBerger039

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Jeune professeure de français, Clémence vient remplacer Adèle à Saint-André pour la seconde fois. Elle y retr... More

Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Epilogue

Chapitre 14

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By ElisaBerger039

Le réveil de Clémence en ce 30 juin fut amer. La jeune femme rêvait de revenir 10 mois en arrière afin de revivre pleinement chaque moment avec Jordan. Cette journée s'annonçait longue et pleine d'émotions entre le pot de départ d'Albert et la remise des diplômes.

La matinée passa rapidement. L'enseignante avait rencontré certains parents des quatrièmes et cinquièmes après qu'ils aient reçu leur bulletin. A 11h30, elle entra dans la salle des professeurs dans laquelle Albert avait préparé des boissons et des sandwiches avec diverses garnitures. Il accueillit sa collègue les bras grand ouverts. Pour la première fois depuis qu'ils se côtoyaient, il l'embrassa. Il lui présenta ensuite son épouse qui l'accompagnait puis les laissa toutes les deux.

— Bonjour, Charlène. Je suis enchantée de vous rencontrer.

— Tout le plaisir est pour moi, Clémence. Je suis contente de pouvoir enfin mettre un visage sur votre prénom.

— Pareil pour moi. Albert est assez discret sur sa vie familiale mais quand il parle de vous, c'est toujours avec énormément d'amour.

— Je suis chanceuse de l'avoir. Chaque jour passé à ses côtés est un jour heureux. Je vous abandonne, il me fait signe de le rejoindre. Nous reparlerons peut-être tout à l'heure.

Charlène était une jolie femme, très élégante, et partageait avec son mari cette bienveillance dans le regard.

Aux alentours de midi, Adèle arriva et salua Albert et son épouse avec dynamisme. Elle discuta un instant avec eux puis s'approcha de Clémence. Après avoir pris des nouvelles l'une de l'autre, la jeune maman demanda :

— Alors, les sixièmes ?

— Ils ont tous réussi. On ne les verra plus l'an prochain.

— Contente de l'apprendre. Je voulais participer à la cérémonie de remise des diplômes mais Pierre a un rendez-vous à 15h donc je dois rentrer pour les enfants.

— C'est dommage... Les jeunes auraient été contents de te voir.

— Moi aussi. Je peux déjà venir fêter le départ d'Albert, c'était important pour moi.

— Saint-André ne sera plus pareil sans lui l'année prochaine.

— Ne m'en parle pas. Les larmes me montent aux yeux rien que d'y penser.

— N'y pense pas maintenant, alors et profites-en tant qu'il est là.

Albert fit un discours à son image. Il remercia ses collègues pour le temps partagé dans ce local et raconta quelques souvenirs. Surtout, il conseilla à chaque personne présente de vivre la vie comme un cadeau et de toujours suivre leur cœur. Il finit en déclarant que Charlène avait toujours été son plus grand soutien et qu'il était heureux de passer plus de temps avec elle dans le futur. Ses collègues l'applaudirent vivement. A 14h, Adèle dut

sanglotait en lui faisant ses adieux et il lui essuya ses larmes. La jeune maman quitta la pièce avec chagrin. Charlène s'adressa à Clémence qui regardait la scène :

— Albert aura aussi difficile de partir d'ici. L'enseignement fait partie de lui.

— Ça se sent.

— Il a ce besoin de transmettre. Et pas qu'aux élèves. Il a un regard optimiste sur tout et il aime aider les autres à découvrir qui ils sont vraiment et ce dont ils ont besoin.

— J'ai eu de la chance de vivre cette année scolaire avec lui.

— Il n'en a pas fini avec vous...

Et elle partit avant que la jeune enseignante n'ait pu avoir plus de précisions.

Il était presque 15h et Monsieur Dupont demanda aux enseignants des sixièmes de se rendre au gymnase afin d'assister à la remise des diplômes. Sur place, il y avait déjà beaucoup de monde. Clémence aperçut plusieurs de ses élèves et leurs parents. Elle s'installa dans la première rangée avec les autres professeurs face à l'estrade placée spécialement pour ce grand jour. La cérémonie débuta une dizaine de minutes plus tard. Le directeur, devant le micro, parla d'une promotion très hétéroclite dont il était très fier et il félicita tous les futurs diplômés d'avoir été persévérants. Enfin, il remercia le corps professoral qui les avait épaulés durant leur scolarité. Il appela les étudiants un à un, par ordre alphabétique et leur donna leur diplôme sous les applaudissements de l'assemblée. Clémence était plus enthousiaste lorsqu'il s'agissait d'un de ses élèves. Quand Jordan fut sur l'estrade pour recevoir son précieux papier, Monsieur Dupont reprit le micro et s'adressa au jeune homme :

— Jordan, j'ai la joie de t'annoncer que tu es le major de ta promotion. Tes professeurs et moi-même voulons souligner ta maturité, ta régularité dans ton travail et ton courage. Tu mérites deux fois plus d'applaudissements.

Dans le gymnase, les étudiants s'étaient levés et scandaient son prénom. Jordan, peu habitué à être le centre de l'attention, sourit nerveusement. Xavier cria à son ami de faire un discours et fut suivi par ses camarades. Le directeur lui passa le micro.

— Je ne m'attendais pas à devoir faire un discours... J'aimerais juste dire une chose. Nous allons nous éloigner chacun dans des directions différentes mais cela ne veut pas dire que nous nous oublierons. Chaque conversation, chaque regard, chaque moment que nous avons partagés resteront des souvenirs impérissables. Et surtout, ce jour n'est pas la fin de tout ! Nous nous reverrons, promis ?

Il jeta un œil furtif vers Clémence en prononçant son dernier mot. Elle leva discrètement son auriculaire et lui répondit silencieusement alors que les autres élèves crièrent derrière elle. Il descendit de l'estrade et le directeur continua la remise des diplômes. La jeune enseignante suivit Jordan du regard jusqu'à ce qu'il rejoigne sa famille. Sa mère, émue, le serra dans ses bras. Clémence remarqua aussi l'inconnue qu'elle avait vue au parc avec Jordan. Son estomac se serra. Elle était donc assez proche de son élève pour assister à sa remise de diplôme.

A la fin de la cérémonie, un verre de l'amitié était offert aux familles. C'était également l'occasion pour les parents de discuter avec les professeurs. Les premiers à venir aborder Clémence furent ceux de Marie. Elle félicita son élève de vive voix puis le père de celle-ci prit la parole :

— Nous n'avons pas encore eu l'occasion de vous remercier d'avoir aidé Marie lors du Nouvel An. Elle nous a tout expliqué et nous apprécions ce que vous avez fait. Merci beaucoup.

— C'était normal, voyons. J'étais ravie d'avoir Marie dans ma classe. Elle est responsable et veut toujours bien faire. Elle fera une bonne infirmière.

— Nous en sommes certains aussi. Au revoir, Madame Leduc.

— A ce soir, Madame, lança Marie.

Elle conversa également à d'autres parents qui avaient beaucoup entendu parler d'elle. Enfin, la mère de Jordan s'approcha.

— Madame Leduc ? demanda celle-ci.

— Bonjour, Madame.

— Je suis Valérie, la maman de Jordan. Il m'a dit que c'était votre première année à Saint-André.

— La première complète. J'avais déjà remplacé Madame Michaux il y a trois ans pendant plusieurs semaines.

— Vous avez connu Jordan avant, alors. Vous savez, il a vécu une période difficile il y a deux ans... Mais cette année, j'ai l'impression qu'il a fait un grand pas en avant : il a recommencé à sourire. Un vrai sourire. Et à dessiner aussi ! Mais comme il est très secret et qu'il ne se confie jamais, je ne sais pas ce qui a pu se passer pour que je le retrouve enfin. Peut-être que vous avez une idée ? Vous qui l'avez vu presque tous les jours... Vous avez vu quelque chose à l'école qui pourrait l'expliquer ?

Clémence répondit qu'elle en ignorait la raison tout en masquant sa surprise d'apprendre que Jordan ne parlait pas de lui. Durant leurs échanges au parc, il avait abordé avec elle des sujets plutôt personnels.

— Je crois que je ne le saurai jamais, conclut Valérie. Mais ce n'est pas grave : l'important, c'est qu'il aille mieux ! Je suis tellement heureuse pour lui et pour son frère aussi. Vous savez, Jack, son frère va se marier ! C'est Sybille, sa fiancée qui lui a demandé de l'épouser. Et Jordan l'a aidé à faire sa demande en faisant une espèce de bande dessinée de leur histoire. Regardez comme ils sont beaux, ces amoureux.

Elle pointa un homme, ressemblant beaucoup à Jordan mais en plus trapu et avec une barbe naissante qui tenait par la taille l'inconnue du parc. Clémence comprit enfin qui était celle qu'elle prenait pour une prétendante de son élève. Elle culpabilisa d'avoir été si critique envers elle.

— J'espère que Jordan rencontrera aussi quelqu'un qui le rendra si heureux. Vous savez, Jack et Sybille sont ensemble depuis les secondaires. Cela fait 6 ans mainten...

Jordan arriva à ce moment-là, interrompant sa mère.

— Bonjour, Madame Leduc. J'espère que ma maman ne vous a pas trop embêtée : elle est plutôt bavarde, dit-il en lançant un regard taquin à sa mère.

— Bonjour, Jordan. Non, pas du tout.

— Allons retrouver ton père et les autres. Au revoir, Madame Leduc. Passez une bonne soirée.

— Merci. A vous aussi. Jordan ?

— Oui ?

— Beau discours !

— Merci, Madame Leduc.

A 17h30, le directeur invita les dernières personnes présentes à libérer le gymnase afin de le préparer pour le bal. Clémence retourna chez elle pour manger et s'apprêter pour la soirée. Comme tous les professeurs qui s'occupaient de la surveillance, elle pouvait arriver plus tard. Elle prit une longue douche durant laquelle elle ressassa cette journée et anticipa sa dernière fois à Saint-André avec Jordan. Elle se maquilla avec un fard à paupières doré et un trait d'eyeliner en plus de son mascara, se vêtit de sa robe rouge et chaussa des sandales noires. Elle coiffa ses longs cheveux avec un headband doré dans lequel elle fit passer quelques mèches. Elle emporta avec elle un blazer noir pour couvrir ses épaules. Le soir tombait et l'air se faisait plus frais. Elle arriva devant l'école vers 20h45. En sortant de sa voiture, elle entendit la musique venant du gymnase. Elle y entra et constata que les élèves ne dansaient pas encore. Elle admira la décoration. Un tapis rouge accueillait les participants, des ballons rouges et noirs flottaient par endroits, des cartes de jeu géantes ornaient les murs et une roulette ainsi qu'un tapis de black jack avaient été déposés sur des tables. L'estrade installée pour la remise des diplômes était investie par un DJ. Enfin, un buffet proposait des apéritifs et des boissons. Clémence distingua Albert au loin et le rejoignit. Il était habillé d'un costume noir avec une chemise blanche et une cravate parée de cartes de jeu.

— Vous êtes très élégant, ce soir.

— Je peux dire la même chose à votre sujet.

— Merci. Les jeunes n'ont pas envie de danser ?

— Ils attendent que le roi et la reine ouvrent le bal. On les annoncera vers 21h, le temps que tout le monde arrive.

Ils allèrent se servir un verre.

— Votre épouse est vraiment agréable. Vous allez bien ensemble.

— Merci. Elle vous a trouvée sympathique.

— Elle m'a un peu parlé de vous et de votre rapport avec les autres. Elle m'a également dit que vous n'en aviez pas fini avec moi...

— C'est vrai mais pas maintenant. Les derniers élèves sont arrivés.

Il pointa la porte du gymnase du doigt et elle se retourna. Maxime, Xavier et Jordan se tenaient à l'entrée. Elle contempla le troisième. Il portait une chemise noire dont il avait retroussé les manches, une cravate rouge vif, un pantalon slim de la même couleur et des tennis blanches. Clémence le trouva encore plus beau dans ses vêtements parfaitement ajustés. Elle croisa le regard du jeune homme. Il lui sourit. Le cœur de l'enseignante s'emballa. Zoé arriva soudain près d'elle avec Marie.

— Vous êtes super belle, Madame Leduc.

— Encore mieux qu'au Nouvel An, ajouta Marie.

— Merci, les filles. Vous êtes superbes aussi dans vos robes.

Monsieur Dupont monta sur l'estrade et prit le micro.

— Bonsoir à tous. Je suis ravi de vous retrouver tous pour cette partie plus festive. Il semblerait que tout le monde soit là. Il est alors temps de vous dévoiler qui sont les roi et reine de votre promotion. Étant donné qu'il s'agit de sa dernière année parmi nous, c'est Monsieur Pochet qui va vous les annoncer. Toutefois, avant de lui donner la parole, je vous demande de vous comporter correctement. Vous êtes des adultes mais, jusqu'à la fin du bal, vous êtes encore nos élèves. Sur ce, amusez-vous et profitez de la fête.

Il céda le micro à Albert et rejoignit d'autres professeurs.

— Bonsoir, les jeunes. Avant de vous révéler ce que beaucoup attendent, je voulais vous dire un petit mot. C'est votre dernière soirée ici, ne partez pas sans regret ! Si un ultime choix est à faire, c'est maintenant ou jamais. Bon, maintenant, je vais ouvrir cette enveloppe pour que le roi et la reine ouvrent le bal. Vous pourrez évidemment les rejoindre dès que vous le souhaiterez.

Il ouvrit l'enveloppe et prononça les prénoms de Marie et Xavier. Les deux élèves avancèrent, surpris, sur la piste de danse sous les applaudissements de leurs camarades. Le DJ mit un slow et ils dansèrent timidement.

— Ca ne m'étonne pas, dit Zoé, restée près de Clémence. Xavier avec son idée de casino a gagné des points et Marie est toujours sur tous les fronts. C'est mérité !

Maxime invita son amie à danser avec lui. L'enseignante regarda les élèves au milieu du gymnase et en surprit quelques-uns s'embrasser. Albert arriva devant elle.

— Accepteriez-vous de danser avec un jeune retraité ?

— Volontiers.

Sur la piste, Albert posa une main sur la hanche de sa collègue et lui prit la main. Elle mit sa main disponible sur l'épaule du professeur et ils entamèrent leur danse.

— Clémence, je sais pertinemment que je ne suis pas celui avec qui vous voudriez danser ce soir.

— Qu'est-ce que vous dites ? s'étonna la jeune femme.

— Je ne suis pas comme les autres. Vous ne me trompez pas. Ce que je vais vous dire maintenant ne comporte aucun jugement, je veux que vous le sachiez. Cela fait des mois que vous souffrez et que vous le cachez aux autres. J'ai compris immédiatement. Vous le regardez comme je regarde Charlène chaque jour. Je vous vois le chercher dans la cour et sourire quand vous l'y trouvez. Je sais que vous êtes profondément amoureuse de Jordan et que vous menez une bataille intérieure contre cet amour que vous éprouvez pour un élève. Mais maintenant, il est temps d'arrêter de vous faire du mal. Vous n'ếtes pas Samuel Sion. Il n'y a rien de malsain dans ce que vous ressentez. Vous êtes une jeune femme qui mérite l'amour. Ce soir, après le bal, il ne sera plus votre élève et vous ne serez plus son enseignante. Vous serez simplement Jordan et Clémence. Vous avez le droit ! Vous pouvez

vivre ce que vous voulez avec le garçon qui s'est réveillé en vous retrouvant et qui vous apporte une poche de glace pour soulager votre douleur.

Clémence avait les yeux humides.

— Vous ne savez pas tout, Albert. C'est plus compliqué que ça... Il a déjà tellement souffert à cause de moi. Comment pourrais-je espérer que cet amour soit réciproque ?

— Les complications sont dans votre tête ! Comme je l'ai dit à midi, suivez votre coeur. Vous avez perdu des mois à cause de votre raison, ne perdez pas un jour de plus. Ne partez pas d'ici avec des regrets.

La musique avait changé. Ils stoppèrent leur danse. Des larmes avaient perlé sur les joues de la jeune femme. Albert prit le menton de sa collègue entre son pouce et son index.

— Ne pleurez pas, Clémence. Ce qui vous attend n'est pas triste.

Elle hocha la tête puis l'étreignit.

— Merci, Albert.

Elle essuya ses joues et alla se chercher à boire. Elle resta près du buffet et veilla sur les élèves qui s'agitaient sur la piste de danse. Elle remarqua que Marie et Xavier se tenaient toujours la main. Jordan se servit un verre à côté de sa professeure.

— Il était temps, dit-il. Ça fait des mois qu'ils se tournent autour.

— De qui parles-tu ?

— Marie et Xavier. C'est dommage d'attendre le dernier moment.

— Oui, c'est dommage. Mais ils appliquent le conseil de Monsieur Pochet. Ils n'auront aucun regret.

— On pourrait croire que cette phrase leur était destinée.

— Oui, on pourrait... Retourne danser et profite de cette soirée.

Elle le scruta pendant qu'il s'éloignait. Les paroles d'Albert tournaient en boucle dans sa tête. Elle pensa aussi à ce qu'Anna lui avait dit. Ils semblaient tellement convaincus que ce serait positif pour elle d'avouer ses sentiments au jeune homme. Mais comment pouvait-elle en être sûre ? Ses pensées furent interrompues par les élèves de sa classe qui souhaitaient faire une photo de groupe avec elle. Albert joua les photographes et fit en sorte que Jordan et Clémence se trouvent côte à côte sur les clichés. Elle était embarrassée mais ne laissa rien paraître. Elle profita simplement de sa présence.

Vers 23h, le directeur partit en laissant à Albert le soin de fermer le gymnase et de glisser les clés dans la boîte aux lettres de l'établissement. Les adolescents s'amusaient beaucoup sur la piste et avec les jeux mis à disposition. Clémence les observait toujours en discutant avec ses collègues. Elle aperçut Jordan parler au DJ qui faisait oui de la tête. Elle se préparait un verre d'eau lorsqu'elle entendit sa musique préférée. Elle ne put s'empêcher de se trémousser au rythme de celle-ci. Des élèves la remarquèrent et vinrent la chercher pour danser avec eux. Elle ne leur résista pas. Certains professeurs l'imitèrent, comme Albert. Il avait l'air de s'amuser autant que les jeunes diplômés.

Les premiers élèves partirent vers minuit. Leurs parents, pour la plupart, venaient les rechercher. Clémence sortit prendre l'air. Bien qu'elle ait enlevé son blazer depuis un moment, elle avait trop chaud à l'intérieur. Elle discerna quelques personnes dehors. Des professeurs qui fumaient, des amoureux qui s'embrassaient langoureusement, des jeunes qui discutaient et Jordan qui téléphonait. Il raccrocha et s'approcha d'elle.

— Mes parents devaient venir me chercher dans une demi-heure mais j'ai bien envie de rester jusqu'à la fin. Je suis bon pour prendre un taxi.

— Si tu t'amuses, ça vaut la peine de payer le taxi, non ?

— Oui. Je ne pensais pas que ce serait si sympa.

— Et la soirée n'est pas finie.

Xavier sortit aussi et appela son ami pour le rejoindre. Ce dernier rentra alors, mettant fin à son échange avec son enseignante. Elle resta encore cinq minutes à admirer les étoiles puis elle retourna dans le gymnase. Elle croisa des collègues qui regagnaient leur voiture, estimant qu'il y avait suffisamment de surveillants vu le départ de nombreux élèves. Elle constata effectivement que la pièce s'était bien vidée. Elle retrouva Albert et quatre autres professeurs. Alors qu'ils discutaient, le DJ prit la parole :

— Je vois que vos profs s'ennuient près du buffet. Si vous alliez les chercher pour entamer cette nouvelle série de slows ?

Zoé se pointa et invita Albert. Xavier voulut venir mais Marie le retint pour qu'il danse avec elle. Clémence crut rêver quand Jordan lui tendit la main. Elle lui donna la sienne et l'accompagna sur la piste. Leurs mains ne se lachèrent pas quand il la prit par la taille et qu'elle déposa sa main libre sur le bras du jeune homme. Ils commencèrent à danser sans se regarder. Elle profita de cette proximité pour respirer son odeur et s'imprégner de la sensation de la paume de son partenaire dans la sienne.

— Je croyais que danser ne t'intéressait pas.

— Ça dépend.

— De quoi ?

— De la personne avec qui je partage cet instant.

Clémence rougit et continua à éviter son regard en fixant sa cravate.

— Je tenais à te dire que je te trouve très élégant ce soir. Les tennis finissent parfaitement ta tenue.

— Merci. Ma mère était déçue que je ne porte pas un costume plus classique.

— Ça te ressemble. C'est très bien ainsi.

— Je dois admettre que votre robe est plutôt sympa aussi. Je suis content de n'avoir eu aucun indice sur elle. La surprise n'en a été que meilleure.

— Je te remercie.

Elle osa enfin lever la tête pour le contempler. Il lui sourit et leurs yeux se fixèrent avec intensité. Elle se retint de ne pas poser ses lèvres sur les siennes. La musique s'arrêta. Trop rapidement pour

Clémence qui aurait bien continué à danser avec Jordan toute la nuit. Malheureusement, elle devait être raisonnable pour éviter le moindre malaise. Elle s'éloigna de son corps avec amertume.

— Merci pour cette danse, Jordan.

— Merci à vous, Madame Leduc.

Il se dirigea vers le buffet tandis que la jeune femme ne savait pas où aller. Albert vint à sa rescousse.

— Il semblerait que mon plan ait fonctionné.

— J'aurais dû m'en douter ! Merci, Albert.

— J'en ai profité aussi : Zoé est une jeune fille très sympathique. Néanmoins, je vous ai quand même regardés, vous et Jordan et vous ne pouvez pas partir d'ici sans lui avoir parlé.

Il partit aussi vers le buffet laissant sa collègue dans les vapeurs de cette danse.

A 2h, le DJ lança le dernier morceau. Les dernières personnes présentes se retrouvèrent toutes sur la piste, élèves et professeurs confondus. Après cette ultime danse, tout le monde quitta le gymnase. Celui-ci serait rangé et nettoyé le lendemain. Clémence et Albert éteignirent les lumières et fermèrent les portes à clé. Ils échangèrent leur numéro de téléphone pour rester en contact et se saluèrent. En regagnant sa voiture, Clémence vit Jordan assis sur le trottoir.

— Tu attends ton taxi ?

— Oui. Apparemment, ils sont débordés ce soir.

— Je vais attendre avec toi.

— Non, rentrez chez vous. Il ne fait pas très chaud en plus.

— Je n'ai pas froid avec ma veste. Je ne vais pas te laisser attendre ici tout seul.

— C'est vous qui voyez...

— Quand les as-tu appelés ?

— Il y a une dizaine de minutes.

Elle s'assit à côté de lui. Ils patientèrent en silence pendant un moment durant lequel les voix d'Anna et Albert se firent entendre dans la tête de la jeune femme :

"Prends le risque... Ça en vaut la peine... Suivez votre coeur... Ne perdez pas un jour de plus... Ne partez pas d'ici avec des regrets..."

Elle pensa aussi à Estelle et son amour inavoué pour Bertrand qui semblait la faire souffrir. Elle hésitait toujours quand un taxi freina bruyamment devant eux. Ils se levèrent ensemble et se dirigèrent vers le véhicule. Clémence regarda, tout en retenant ses larmes, son ancien élève qui s'installait à l'arrière. Il ouvrit sa fenêtre :

— Je ne vous ai même pas remercié pour cette année. Alors, merci et au revoir, Madame Leduc.

— Au revoir, Jordan.

Il hocha la tête tout en arborant un léger sourire et la voiture démarra en trombe. La jeune femme se retrouva seule devant l'école où elle avait rencontré un jeune garçon qui avait bouleversé sa vie. Elle ne put contenir ses larmes plus longtemps. Elle s'accroupit dans la rue déserte et cacha son visage dans

ses mains. Elle pleurait en repensant à ces derniers mois, aux nombreuses questions qu'elle s'était posées et, surtout, au courage qui lui avait manqué. Au fond d'elle-même, Clémence savait que si elle devait dire la vérité à Jordan, c'était ce soir, quand ils étaient seuls sur ce trottoir. Sa lâcheté avait eu le dessus. Elle reprit son calme en se dirigeant vers le parking. Dans sa voiture, elle regarda son visage dans le rétroviseur intérieur et essuya le maquillage qui avait coulé sur ses joues. Elle démarra et augmenta le volume de sa radio. La chanson devait prendre le dessus sur ses regrets. Alors qu'elle se dirigeait vers son appartement, elle fit un détour et se stoppa devant le parc. Elle ne voulait pas rentrer chez elle pour retrouver cette solitude qui l'attristait désormais. Elle se rendit à pied dans l'écrin de verdure. A cette heure si tardive, il n'y croisa personne et cela lui convint. L'obscurité ne l'empêcha pas de trouver l'endroit où elle avait eu son premier échange avec Jordan, il y avait plus de trois ans. L'enseignante s'assit, ferma les yeux et respira profondément pour remettre de l'ordre dans ses émotions. Les larmes ne coulaient plus mais la tristesse était toujours bien présente. Qu'allait-elle faire ? Allait-elle venir ici tous les jours de l'été dans l'espoir de parler avec Jordan ? Et en septembre ? Allait-elle réussir à oublier cette douleur ? Elle posa sa tête sur ses genoux et resta immobile plusieurs minutes.

— Tout va bien ? fit une voix derrière elle.

Elle se leva et se tourna vivement, appréhendant cette rencontre nocturne.

— Madame Leduc ? Qu'est-ce que vous faites ici ?

— Jordan ? Je pourrais te poser la même question.

— Je n'arrivais pas à dormir... Et vous ?

— J'avais juste envie de venir ici avant de rentrer chez moi. J'avais besoin de me vider l'esprit.

Il l'observa sans rien dire. C'était étrange de le retrouver ici à près de 3h du matin. Pour la première fois, le parc était tout à eux seuls. Cette pensée encouragea Clémence.

— Jordan... J'aimerais te parler de quelque chose.

Il la regarda, inquiet.

— Je vous écoute.

Elle ignorait comment aborder le sujet. En voyant son hésitation, le jeune homme lui demanda :

— C'est si grave que ça ?

— Non, pas du tout. C'est juste... compliqué à formuler.

— Dites-le sans réfléchir. Je ferai un effort pour comprendre malgré l'heure tardive.

— Il y a quelques semaines, lors d'une de nos discussions ici, nous avons parlé de nos projets pour septembre. Tu t'en souviens ?

Il acquiesça.

— Tu as dit que nos rôles d'il y a trois ans étaient inversés à quelques détails près. Si je veux être honnête avec toi, ces "quelques détails" existent aussi aujourd'hui...

— Qu'est-ce que vous voulez dire ?

— J'éprouve des sentiments pour toi. Quelque chose qui va au-delà d'une relation prof-élève et même d'une amitié.

— Vous me faites une blague ?

Il fut subitement nerveux. Elle eut un moment de doute mais elle en avait déjà trop dit.

— Je suis sérieuse. Je ne l'ai jamais autant été.

— Vous vous rendez compte qu'il y a trois ans, vous m'avez dit qu'il n'y aurait jamais rien entre nous et maintenant, vous me dites ça !

— Oui, je sais. Et crois-moi, cette discussion, je la redoutais et je ne voulais pas l'avoir...

— Alors pourquoi me l'avoir dit ?

— Parce que je prends le risque ! Le même risque que tu as pris en quatrième. Celui de s'ouvrir à la personne qu'on aime. Celui de te dire que je n'ignore plus l'amour et que je le vis pleinement. Si fort que je suis heureuse comme jamais en ta présence et malheureuse dès que tu n'es pas là. Tu avais raison sur tout : le frisson qui parcourt le corps, la voix qui résonne, le visage qui hante les pensées. Je n'imaginais pas une seule seconde vivre ça un jour et encore moins avec toi que j'ai tant fait souffrir. Je te jure que j'ai lutté aussi fort que j'ai pu pour ne plus rien ressentir mais j'ai perdu la bataille. Maintenant, tu vas partir loin et je suis sincèrement heureuse pour toi que tu suives ta voie mais ça me fait tellement mal de savoir que tu ne seras plus là.

Les pleurs qu'elle avait essuyés plus tôt recommencèrent. Lui ne disait rien. Elle continua.

— Je suis amoureuse de toi, Jordan et ce, depuis des mois. J'ai bien conscience de l'ironie de la situation. Je me sens tellement bête... Et égoïste de t'avoir dit tout ça ce soir. J'ai cru, à tort, que ce serait réciproque et que nous finirions comme Juliette et Louis. Je suis désolée, Jordan. Tellement !

Il ne réagit toujours pas. Résignée, elle se dirigea vers sa voiture. Elle avait fait quelques mètres quand il cria :

— Clémence !

Elle se figea sur place, surprise de l'entendre l'appeler par son prénom. Il courut vers elle.

— Notre conversation n'est pas terminée. C'est à mon tour de parler. Vous avez raison. Vous avez tout compris de l'amour et de son paradoxe. Vous avez aussi raison sur l'ironie de la situation vu notre passé commun. Cependant, vous avez également tort sur certaines choses. Je vous l'ai déjà dit : ce n'est pas vous qui m'avez fait souffrir, je l'ai fait tout seul. Et vous n'êtes pas égoïste, vous êtes sincère comme n'importe qui dans cette situation. Enfin, qui vous dit que ce n'est pas réciproque ? Vous pensez réellement que j'allais au parc uniquement pour dessiner ? Ou que j'ai dansé avec vous par politesse ? Ou encore que j'ai quitté Marie par pur altruisme ? Depuis que vous êtes revenue en septembre tout ce que j'avais ressenti pour vous en quatrième est remonté à la surface. J'ai cru vous avoir oublié mais je me trompais. Votre retour m'a fait tellement de bien. Les sentiments que j'ai toujours eus pour vous sont plus forts que vous ne l'imaginez. Ils ont traversé le temps, la douleur et l'absence. Et ce soir, vous me dites qu'ils sont partagés ! Ne soyez pas désolée de faire de cette soirée la meilleure de ma vie.

Clémence n'en croyait pas ses oreilles. Elle pleurait maintenant de joie. Elle prit le visage de Jordan entre ses mains et l'embrassa avec fougue. Le jeune homme entoura la jeune femme de ses bras et lui

rendit son baiser. Celui-ci dura longtemps et quand il cessa, ils restèrent dans les bras l'un de l'autre dans la douceur de cette nuit d'été. Soudainement, Jordan demanda :

— En fait, qui sont Juliette et Louis ?

— Le couple de personnes âgées que tu as dessiné lors de notre toute première rencontre dans ce parc. Je leur ai demandé leurs prénoms un jour où j'y étais seule. Je te ramène chez toi ?

— Pas tout de suite. Je veux profiter de cet instant encore cinq minutes.

— Ça me va.

Ils intensifièrent leur étreinte. Celle que Clémence s'était tant de fois imaginée blottie dans son plaid. Ils marchèrent ensuite jusqu'à la voiture de la jeune femme. Ils montèrent à l'intérieur et elle mit le contact. Le volume élevé de la musique les surprit. Elle le diminua.

— Désolée.. Plus elle va fort, plus je la vis. C'est ma chanson préférée.

— Je sais. Je l'ai entendue quand tu as été malade dans le buisson et, surtout, tu la chantonnes sans arrêt.

— J'en déduis donc que ce n'était pas un hasard si elle est passée durant le bal.

— Je plaide coupable.

— Merci.

Ils échangèrent un sourire.

— Avant que tu ne t'endormes comme la dernière fois, peux-tu me dire où tu habites ?

— C'est tout droit puis la première rue à gauche et encore à gauche.

— D'accord.

La jeune femme commença à rouler lentement afin de profiter au maximum de la présence de Jordan à ses côtés.

— C'est drôle mais je ne me souviens pas être venu dans ta voiture au Nouvel An. Mais sincèrement, même si c'était plutôt embarrassant pour moi, je ne regrette pas cette soirée. Commencer cette année en tête-à-tête avec toi, c'était parfait.

— Je t'avoue que ça m'a fait bizarre de te déposer dans mon canapé. Mais c'est en te voyant là que j'ai réalisé ce que je ressentais réellement pour toi. Pour être honnête jusqu'au bout, je t'ai même caressé la joue avant d'aller dans ma chambre.

— Je ne l'avais donc pas imaginé !

— Je plaide coupable...

Il lui prit la main qui tenait le levier de vitesse et se caressa la joue avec. Elle ne comprenait pas son geste et l'interrogea du regard.

— Je voulais vivre ça en étant conscient.

Quand il lâcha sa main, elle la laissa où il l'avait posée et elle fit glisser doucement ses doigts jusqu'aux lèvres du jeune homme.

— Ça ressemblait plus à ça... précisa-t-elle.

Elle reposa sa main sur le levier de vitesse. Ils arrivèrent dans la rue qu'il lui avait indiquée. Il la fit s'arrêter devant une autre entrée du parc.

— Et maintenant ?

— Je descends ici. J'habite dans l'immeuble qui fait le coin.

— Je ne pensais pas que tu habitais si près.

— Ça a des avantages. Comme celui d'y voir, parfois, sa prof de français depuis son salon.

Ils se regardèrent dans les yeux. Clémence déclara :

— J'aimerais que cet instant dure pour toujours. Que tu ne quittes pas cette voiture. Que tu ne t'éloignes plus jamais de moi. Que septembre n'arrive jamais.

— Je le voudrais aussi mais on sait tous les deux que c'est impossible.

Il sortit brusquement du véhicule, en fit le tour et ouvrit la portière de la conductrice. Il l'invita à sortir d'un geste de la main. Elle quitta l'habitacle et se tint debout face à Jordan.

— Clémence, cette soirée a été plus que parfaite et je ne veux pas la finir sur cette pensée triste. Alors, pensons plutôt aux deux prochains mois durant lesquels nous nous aimerons pleinement. Pensons à tous ces appels téléphoniques que nous nous passerons tous les jours après les cours. Pensons à tous ces week-ends et congés que nous mettrons à profit pour nous voir. Pensons seulement à nous deux. Promis ?

— Promis !

Ils croisèrent leurs auriculaires.

— Tu sais que tu parles bien ? dit-elle.

Il lui sourit et approcha son visage de Clémence pour l'embrasser. Ils échangèrent un baiser long et tendre et s'enlacèrent avec douceur. Elle le repoussa gentiment.

— Rentre chez toi maintenant. Sinon, je risque de ne jamais te laisser partir. Je serai là demain... Très certainement plus tôt que d'habitude.

— A demain, alors, Clémence. C'est fou ce que j'aime t'appeler ainsi ! s'exclama-t-il en s'éloignant pour rentrer chez lui.

Elle remonta dans sa voiture et l'observa jusqu'à ce qu'il soit entré dans le bâtiment. Elle démarra et rejoignit son appartement plus heureuse que jamais. Elle se mit au lit et envoya un message à Anna :

"Coucou, ma belle. Tu avais raison : le risque en valait la peine."

Elle posa son téléphone sur sa table de nuit et s'endormit rapidement, le sourire aux lèvres.

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