Les promesses du parc

By ElisaBerger039

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Jeune professeure de français, Clémence vient remplacer Adèle à Saint-André pour la seconde fois. Elle y retr... More

Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 13
Chapitre 14
Epilogue

Chapitre 12

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By ElisaBerger039

Le samedi suivant, la douleur et l'hématome s'étaient estompés. Clémence était en état d'aller faire un tour au parc. Le ciel était gris et le vent soufflait fort mais cela ne l'empêcha pas de profiter du printemps. Il y avait moins de monde au parc que les autres jours. La jeune femme trouva rapidement un banc où lire. Elle lut une quinzaine de pages puis fut interrompue par un appel d'Anna.

— Coucou. Ça va ?

— Coucou. Je voulais te voir mais tu n'es pas chez toi... Ça vaut la peine de t'attendre ?

Sa voix tremblait.

— Je suis au parc. Je suis là dans cinq minutes.

— Ok...

Clémence s'inquiéta. Elle sentait bien que quelque chose n'allait pas. Elle courut pour la rejoindre. Elle arriva devant son immeuble et Anna sortit de sa voiture, les yeux gonflés. Clémence se précipita vers son amie qui s'effondra dans ses bras. La jeune enseignante ne l'avait jamais vue dans cet état-là. Elle la serra dans ses bras puis la fit monter dans son appartement sans poser de question. Elles s'assirent dans le canapé. Anna pleurait toujours à chaudes larmes. Elle posa sa tête sur les genoux de Clémence. Cette dernière lui caressa affectueusement les cheveux. Elles restèrent ainsi de longues minutes sans échanger le moindre mot. Les pleurs d'Anna se calmèrent. Celle-ci se redressa, enleva ses lunettes et essuya ses larmes avec la main. Clémence lui présenta une boîte de mouchoirs. Elle regarda son amie et attendit qu'elle dise quelque chose.

— Je suis désolée. Je débarque ici sans prévenir et j'inonde ton pantalon.

— Ce n'est pas grave, voyons. Tu veux m'expliquer ce qu'il se passe ou tu as besoin d'autre chose ?

Les larmes montèrent de nouveau aux yeux de la jeune femme.

— J'ai appris une nouvelle horrible : je ne pourrai pas avoir d'enfant.

Cette annonce choqua Clémence.

— Comment le sais-tu ?

— Comme ça faisait plus d'un an que Simon et moi essayons d'avoir un enfant en vain, nous avons passé des tests et fait des examens. Le médecin nous a contactés hier pour nous donner les résultats. Mes ovocytes sont peu nombreux et anormaux. Mes chances d'être enceinte sont quasi nulles.

Elle finit sa phrase en sanglots. Clémence l'enlaça.

— Je suis tellement désolée pour toi, ma chérie.

La professeure savait qu'Anna rêvait de fonder une famille nombreuse. Elle en parlait depuis qu'elles avaient commencé à se fréquenter. Elle était fille unique et avait toujours trouvé sa maison trop calme. Son rêve s'effondrait et Clémence ignorait comment consoler son amie.

— Simon doit me détester, dit Anna entre deux sanglots. Lui qui avait tant envie d'être papa...

— Il t'a dit quelque chose ?

— Non. Depuis qu'on est au courant, on s'est à peine parlé. Je ne peux pas l'affronter alors que c'est de ma faute.

— Tu n'es absolument pas fautive. Ce n'est la faute de personne. Et je connais Simon, je suis sûre qu'il pense la même chose que moi. C'est une épreuve que vous devez affronter ensemble.

— Comment le regarder sans me sentir coupable ?

— Il faut que vous en discutiez et vous faire aider si nécessaire. Vous êtes un couple solide et je suis certaine que vous pouvez surmonter cela.

Anna ne dit plus rien. Ses larmes coulaient sans s'arrêter. De nouveau, elle s'allongea sur les genoux de Clémence. Au bout d'un moment, elle s'endormit. L'enseignante se leva délicatement pour ne pas la réveiller. Elle la couvrit avec le plaid qui avait servi pour Jordan. Elle se prépara un thé au tilleul puis alla dans sa chambre. Le soir tombait doucement. Elle téléphona à Simon. Il décrocha au bout d'une tonalité.

— Clémence ! Anna est chez toi ?

— Oui. Je t'appelais justement pour te prévenir.

— Elle t'a expliqué ?

— Oui... Je suis vraiment désolée pour vous. Comment te sens-tu ?

— C'est difficile à digérer mais on surmontera cette épreuve. On doit simplement en discuter pour éviter de sombrer chacun de son côté. On aura besoin l'un de l'autre.

— Elle a peur que tu la tiennes pour responsable.

— Jamais ! Ce n'est pas de sa faute. Ce n'est la faute à personne.

— C'est exactement ce que je lui ai dit.

— Tu es près d'elle ?

— Non. Je suis dans ma chambre. Elle s'est assoupie dans mon canapé. Je crois qu'elle n'est pas en état de conduire. Il vaut peut-être mieux qu'elle passe la nuit ici.

— Je vais venir la chercher. Je pense qu'elle a besoin que je lui rappelle que je suis là pour et avec elle. Je serai là dans une heure, ça te convient ?

— Prends ton temps. Elle dort. Ça doit lui faire du bien.

— D'accord. Merci d'avoir appelé.

— C'est normal. A toute à l'heure.

Elle raccrocha. Elle était tellement triste pour ses amis. Ils formaient un couple bien assorti et si heureux. Elle les avait toujours imaginés avec une flopée d'enfants dans une maison pleine de vie. Elle but son thé en observant le ciel par sa fenêtre. Le ciel était toujours gris comme s'il accompagnait la douleur d'Anna et Simon. Clémence versa silencieusement une larme puis retourna dans le salon pour être présente si son amie se réveillait.

Simon frappa doucement à la porte. Clémence le fit entrer puis le serra dans ses bras. Lui aussi avait pleuré, ses yeux étaient encore rouges. Elle lui servit un verre d'eau et ils s'installèrent dans la cuisine. Ils parlèrent à voix basse.

— Encore merci, Clémence. Je pense qu'elle avait besoin d'évacuer la nouvelle et que c'était plus facile avec toi.

— C'est normal que je sois là pour elle. Je ne l'avais jamais vue dans cet état...

— Moi non plus.

— Vous devriez partir quelques jours. Histoire de changer d'air.

— J'y ai déjà pensé. Ça nous fera du bien... Je vais aller la réveiller.

Il vida son verre d'une traite puis alla s'accroupir près d'Anna et la secoua délicatement. Celle-ci ouvrit les yeux et regarda son compagnon. Il l'enlaça amoureusement. Elle se remit à pleurer.

— Je suis désolée, mon amour...

— Moi aussi... Je t'aime.

Leur étreinte s'éternisa devant le regard ému de Clémence. Elle était témoin d'un moment tellement intense rempli à la fois de détresse et de tendresse. Les deux amoureux se levèrent et s'approchèrent de leur amie. Anna la prit dans ses bras en guise d'au revoir et ils quittèrent l'appartement. La jeune enseignante était encore sous le choc de la nouvelle qu'elle venait d'apprendre mais aussi de la force qui unissait ces deux personnes meurtries.

De retour à Saint-André, Clémence pensait toujours au samedi précédent. Elle avait donné ses deux premières heures de cours sans conviction. A la salle des professeurs, elle conversa avec Albert qui avait remarqué qu'elle était soucieuse. Elle lui exposa alors la situation de ses amis.

— Quelle triste nouvelle pour eux !

— Oui, vraiment... Mais je sais qu'ils surmonteront cette épreuve. Lorsqu'ils sont partis de chez moi, ils étaient si soudés et amoureux. Je le ressentais physiquement. Je ne sais pas comment l'expliquer...

— Il y a des couples dont l'amour est si fort que les autres peuvent le discerner. Pour peu qu'ils soient attentifs.

— C'était la première fois que je vivais ça.

— Vous devriez être plus attentive, alors, conclut-il.

Clémence se rendit dans la classe des sixièmes. Elle leur distribua un texte à lire et à analyser. Pendant qu'ils faisaient leur exercice, la jeune femme observa Jordan en pensant à ses amis. Elle était consciente que ses sentiments pour son élève étaient forts mais elle se demandait si ça l'était autant que ceux qui liaient Anna et Simon. Elle estima finalement que ce n'était pas comparable. Leur amour était réciproque alors que le sien était à sens unique. De plus, elle soupçonnait que son élève soit en couple avec une autre. Elle soupira et sortit de ses pensées. Elle marcha entre les bureaux pour vérifier l'avancée de ses élèves. Elle ralentit en arrivant à hauteur de Jordan et, en regardant sa copie, constata

qu'il avait fini. Il était occupé à dessiner sur une autre feuille. Il ne sembla pas avoir remarqué qu'elle était derrière lui et il continua son croquis. Le crayon glissait sur le papier et Clémence devina les contours d'une main fermée avec l'auriculaire levé. Elle tiqua. Elle avait eu plusieurs fois ce geste avec lui. Quelque peu perturbée, elle retourna à sa place. A la fin du cours, elle jeta un dernier coup d'œil vers Jordan avant de sortir. Ce dessin la poursuivit tout le reste de la journée. Elle se posait mille questions. Avait-elle mal vu ? Si non, pourquoi dessinait-il ça ? Etait-ce anodin ? Etait-ce la main de l'inconnue ? Ce dessin signifiait-il quelque chose ? Elle y pensa jusqu'à ce qu'elle s'endorme.

Le reste de la semaine, la jeune femme arriva à mettre cette esquisse en arrière-plan dans son esprit. Sauf lorsqu'elle voyait Jordan. Il suffisait qu'elle aperçoive sa main pour que l'image lui revienne comme un éclair. Elle ne pouvait s'empêcher d'imaginer que son élève avait eu ce geste avec l'autre fille. Elle tenta dès lors de ne pas le regarder et de l'interroger le moins possible. C'était un supplice pour Clémence. Le voir et l'entendre la réjouissait habituellement mais désormais, cela la blessait. Elle devait faire un effort de concentration durant ses cours avec les sixièmes. Les deux dernières heures du vendredi avec eux l'avaient éreintée. Elle rentra chez elle et mit de la musique pour qu'elle prenne le dessus sur ses pensées. Inconsciemment, elle se mit à danser. D'abord légèrement puis avec de plus en plus d'énergie. Elle évacuait toute l'émotion qu'elle avait absorbée ces derniers temps. Un message sur son téléphone stoppa sa transe. C'était Anna :

"Coucou. Je voulais encore te remercier pour samedi passé. Je sais que tu as tes propres soucis et que tu n'avais pas besoin des miens en plus... Je voulais aussi te dire que ça allait mieux et que tu avais raison : Simon ne m'en veut pas du tout. Il a même prévu qu'on parte à la mer ce week-end. Ça va nous faire du bien. Encore merci du fond du cœur. Je t'aime, ma belle. Bisous"

Clémence fut contente de savoir que son amie remontait doucement la pente. Elle était toutefois stupéfaite par son "je t'aime". C'était la première fois qu'elle le lui disait. Anna était plutôt pudique sur ses sentiments. L'enseignante lui répondit :

"Coucou. Je suis heureuse d'apprendre que tu vas mieux et que vous restez soudés, toi et Simon. Vous êtes plus forts quand vous êtes ensemble ! Pour le reste, c'est normal d'être là quand tu en as besoin. L'inverse m'aurait peiné. Et surtout, tu ne dois pas être la seule à soutenir l'autre en cas de problème. Prenez soin de vous et profitez de votre week-end. Je t'aime aussi. Bisous"

Elle reprit sa danse. Elle avait envie de se défouler en musique et de se vider l'esprit. Alors, elle envoya ensuite un message à Estelle pour lui proposer de sortir toutes les deux le soir même. Son amie lui répondit dans la minute qu'elle serait chez elle à 21h. La perspective de sortir détendit Clémence.

Elle était coiffée et maquillée mais seulement vêtue d'un peignoir quand elle ouvrit à son amie.

— Je vois que tu es déjà prête, ironisa la grande brune.

— Tu aimes ?

— J'adore !

Elles rirent. Estelle entra dans l'appartement. Elle portait une jupe crayon brune en cuir ainsi qu'un top nuisette bleu marine mais elle n'était pas encore maquillée pour la soirée. Comme elle le faisait déjà durant leurs études, elle avait amené sa trousse à maquillage chez Clémence. Après avoir échangé quelques nouvelles, l'invitée s'enferma dans la salle de bains pour finir de se préparer et son amie s'habilla dans sa chambre. Elle opta pour une longue robe rouge à bretelles fines. Une fois toutes les deux prêtes, elles partirent avec la voiture de Clémence. Elles pénétrèrent dans la discothèque peu après 22h. Elles commandèrent une bière chacune et s'installèrent au bar.

— Ça fait trop longtemps que nous ne sommes plus sorties toutes les deux. Ça me manquait, cria Clémence par-dessus la musique.

— C'est parce qu'on est dans la vie active, maintenant. on a moins le temps. Mais ça me manquait aussi.

— A notre soirée !

— A notre soirée !

Elles trinquèrent et discutèrent encore un instant. Quand leurs verres furent vides, elles se regardèrent pour se donner le signal de départ et filèrent sur la piste. Elles se déhanchèrent sans se soucier du regard des autres. Elles étaient dans leur bulle et elles s'amusaient comme des folles jusqu'à ce que deux hommes commencent à les draguer lourdement. Elles les supportèrent quelques minutes puis allèrent aux toilettes pour se faire oublier. Elles y restèrent un certain temps avant de retourner au bar pour reprendre une bière. Elles essayèrent de ne pas être repérées par les deux dragueurs. Heureusement pour elles, ils avaient jeté leur dévolu sur deux autres filles. Estelle but deux verres le temps que son amie en consomme un. Elles passèrent le reste de la soirée à se bouger sur la musique. La jeune femme brune reprit quelques verres et finit saoule. Elles dansèrent ensemble deux slows. Ensuite, deux hommes vinrent les inviter à en partager un. Estelle accepta sans poser de questions. Elle n'était plus vraiment en état de réfléchir. Clémence dit oui aussi surtout pour ne pas rester seule. Elle tournoyait avec cet inconnu quand une pensée lui traversa l'esprit. Elle voulait danser ce slow... mais avec Jordan. Même s'il fréquentait une autre, elle ne pouvait lutter contre cette envie d'être avec lui. Son cœur rata un battement. Elle s'excusa auprès de son partenaire et fonça aux toilettes. Elle y était seule. Elle se regarda dans le miroir et répéta à haute voix :

— Sors de ma tête ! Sors de ma tête !

La porte s'ouvrit. Estelle entra en titubant.

— Ça va, Clem' ? Je t'ai vue courir jusqu'ici...

— Oui, ça va. La tête qui tourne.

— On rentre si tu veux. Je t'avoue que je suis un peu saoule...

— Oui, rentrons.

L'enseignante prit son amie par le bras et elles quittèrent la discothèque. Dans la voiture, Estelle s'endormait. Elle tourna soudainement la tête vers la conductrice.

— Il était mignon celui avec qui j'ai dansé. Mais pas autant que Bertrand.

— Bertrand ? Notre Bertrand ?

— Non, celui d'Alice. Cette incruste d'Alice qui me l'a volé.

— Elle te l'a volé ? Vous n'avez jamais été ensemble pourtant.

— C'est vrai mais ça aurait pu... Si je lui avais parlé avant que cette Alice vienne me le voler. On aurait été bien lui et moi.

Elle s'endormit en finissant sa phrase. Clémence comprit que son amie était amoureuse de Bertrand depuis des années et qu'elle le voyait construire sa vie avec Alice. Jamais elle n'avait vu dans le comportement d'Estelle les sentiments qu'elle éprouvait pour leur ami. Elle regarda la belle endormie avec beaucoup de tendresse. Celle-ci devait souffrir de cette situation et Clémence eut de la peine pour elle. Elle attrapa sa main et la serra jusqu'à ce qu'elle se gare. Elle réveilla sa passagère pour rentrer à l'appartement. Estelle enleva sa jupe et s'effondra dans le canapé. L'enseignante la couvrit avec le fameux plaid et prépara un seau par terre ainsi qu'une aspirine et un verre d'eau sur la table basse. Elle embrassa son amie sur le front et alla se coucher.

Le lendemain matin, lorsque Clémence se leva vers 10h, son invitée dormait toujours dans le salon. La jeune professeure la considérait désormais autrement. Elle était toujours cette femme pleine de confiance et de spontanéité mais elle lui paraissait plus fragile. Elle l'apprécia d'autant plus. La jeune femme blonde se doucha en vitesse. Elle enfila un jean et un pull en coton. Elle se dirigea vers la cuisine et surprit son amie en train de se rhabiller.

— Salut, Estelle. Bien dormi ?

— Oui. Merci pour l'aspirine.

— De rien. Veux-tu quelque chose ?

— Toujours pas de café ?

— Non.

— Un jus, alors, s'il te plait.

Elle suivit Clémence dans la cuisine et s'assit à table. L'enseignante lui donna son verre et servit deux bols de céréales.

— J'ai la tête comme un seau. Je ne me souviens pas être revenue ici.

— Quel est ton dernier souvenir ? demanda Clémence.

— On a dansé un slow ensemble puis c'est le néant. Y a-t-il eu des choses intéressantes après ?

— Non. On a dansé un slow avec deux hommes puis nous sommes rentrées. Tu m'as avoué être un peu saoule.

— Un peu, ouais !

Elles rirent.

— C'était cool de se refaire une soirée toutes les deux. On aurait pu proposer à Anna aussi, comme au bon vieux temps.

— Elle partait en week-end avec Simon.

Estelle n'était apparemment pas au courant pour Anna et son compagnon. L'enseignante reprit :

— On l'aura faite en célibataire, c'est bien aussi. D'ailleurs, tu n'as toujours personne, toi ?

— Non. Et toi ?

— Rien de sérieux. Tu me connais, Clem', je ne m'attache pas facilement.

— Oui, je te connais.

Elle sourit à son amie qui semblait avoir oublié sa confession dans la voiture. Clémence n'en fit pas allusion. Elle ne voulait pas brusquer Estelle. Si celle-ci avait un jour envie de lui en parler, elle serait là.

Elles finirent de déjeuner en se promettant de réitérer leur soirée prochainement puis Estelle rentra chez elle. Clémence se sentait pleine d'énergie après le départ de son amie. Elle ne restait pas en place dans son appartement. Elle le quitta alors pour aller faire du shopping. Elle se rendit dans le centre-ville à pied et parcourut plusieurs magasins de vêtements. Dans la dernière boutique, elle rencontra Zoé et Marie. Ces dernières étaient à la recherche de leur tenue pour le bal. Marie apprit à sa professeure que le thème du casino avait été retenue par une grande majorité des élèves. Elle précisa ensuite que les vêtements rouges et noirs étaient de mise pour cette soirée. En les quittant, Clémence se souvint du même enthousiasme qu'elle avait eu pour son bal de promo. A présent, elle ne cherchait plus LA robe qui marquerait sa soirée. Elle se dit que celle qu'elle portait la veille au soir conviendrait parfaitement.

Elle passa par le parc pour rejoindre son appartement. Celui-ci était animé et elle décida finalement d'y rester. Elle ne trouva aucun banc libre. Elle s'assit alors sur l'herbe. Elle posa ses sacs de vêtements à côté d'elle. Elle balaya les environs du regard et aperçut au loin Juliette et Louis. Elle ne les voyaient pas distinctement mais elle les imagina main dans la main. Elle vit aussi Jordan, lui aussi assis sur le gazon avec "elle". Le sang de Clémence ne fit qu'un tour quand elle remarqua qu'il lui montrait ses dessins. L'inconnue minaudait devant le jeune homme et finit par enlacer soudainement. Cette fille avait l'air très superficielle et immature. L'enseignante bouillonnait. Elle s'allongea et se dit intérieurement :

— Calme-toi, Clémence ! Pourquoi réagis-tu ainsi ? Il peut faire ce qu'il veut. Et cette fille aussi. Et tu ne la connais pas. Elle est peut-être très gentille. Tout ce qui compte, c'est qu'il soit heureux...

Elle resta couchée une dizaine de minutes à tenter de se détendre en appréciant l'animation autour d'elle puis elle se releva. Elle regarda l'endroit où son élève était assis mais il était parti. Sa déception fut grande car elle avait envie de lui parler. Leur dernière vraie conversation lui semblait très lointaine. Du coin de l'œil, elle vit quelqu'un s'approcher à sa droite. Elle se tourna vers cette personne, apaisée et le sourire aux lèvres.

— Bonjour, Jordan.

— Bonjour, Madame Leduc. Je peux m'asseoir ?

— Oui, bien sûr.

Il s'installa à côté d'elle puis montra les sacs du doigt.

— Vous avez été faire du shopping ?

— Oui. J'ai croisé Zoé et Marie dans un des magasins. Elles cherchaient leur robe pour le bal.

— Elles ont hâte d'y être à ce bal.

— Pas toi ? J'ai remarqué que tu étais moins emballé que les autres quand j'en ai parlé en classe.

— Je n'ai pas hâte d'y être mais je serai content de passer cette dernière soirée à Saint-André.

— As-tu déjà ton costume ?

— Non. Ma mère commence à insister pour qu'on aille l'acheter ensemble. Elle est enthousiaste à ma place. Nous irons sans doute le week-end prochain.

— Elle doit être heureuse que tu y participes.

— Vu ce que je lui ai fait vivre il y a trois ans, elle l'est. Sa seule déception est que j'y aille non accompagné. Mon frère avait été au sien avec sa copine et elle imaginait la même chose pour moi.

Clémence était étonnée. Elle venait pourtant de le voir plutôt proche avec une fille quelques minutes plus tôt.

— Tu n'as pas demandé à une fille d'être ta cavalière ?

— Non. Je serais obligé de danser un slow avec elle et ça ne m'intéresse pas. C'est trop intime, je trouve.

Clémence repensa à sa soirée de la veille et à cet inconnu avec qui elle avait débuté une danse.

— Ce n'est pas faux ce que tu dis... Il y a des instants dont on ne profite que s'ils sont partagés avec la bonne personne.

— Tout à fait. Vous avez votre tenue ? Vous serez à la soirée aussi, il me semble.

— Oui. Je serai là pour veiller sur vous. J'ai une robe chez moi qui fera l'affaire. Elle est...

— Je ne veux pas savoir, la coupa-t-il. Je verrai ce soir-là...

— Comme tu veux.

Elle lui sourit. Il regardait au loin.

— Je suis content de discuter avec vous. J'ai eu l'impression que vous m'évitiez ces dernières semaines.

Clémence resta interdite. Elle ne pensait pas que c'était si visible. Elle se demanda si elle devait lui parler de la fille et du dessin de la main. Elle ne voulait pas le mettre mal à l'aise et risquer qu'il l'évite à son tour. Elle ne voulait pas lui mentir non plus. Cependant, cela faisait des semaines qu'elle lui cachait ses sentiments. Elle n'était pas honnête avec lui.

— J'avais quelque chose qui me tracassait mais ce n'est plus le cas. Je suis désolée si tu as été mal à cause de ça.

— Je ne l'ai pas été.

— Tu es sûr ? Tu ne m'en aurais pas parlé sinon...

— Oui, je le suis. Ne vous inquiétez pas pour ça. Promis ?

Il leva son petit doigt. La jeune femme rit intérieurement face à l'ironie de la situation. Elle l'imita.

— Promis !

Le contact de leur auriculaire dura plus longtemps qu'il n'aurait dû.

— Je vois que tu as un carnet à dessin.

— Oui, c'est complètement revenu, maintenant.

— Bonne nouvelle. Puis-je voir ce que tu as fait ?

Jordan la regarda bizarrement.

— Je ne préfère pas... Ce qui a dedans est secret.

— D'accord, dit Clémence, surprise. J'aurai peut-être l'occasion de voir d'autres de tes dessins.

Elle ne comprenait pas pourquoi l'inconnue avait pu voir ses esquisses et pas elle. Elle essaya toutefois de ne rien laisser paraître.

— Sûrement. Comme sur ma feuille d'examen, par exemple.

— N'espère pas qu'en faisant cela, je te donnerai des points supplémentaires.

— J'aurai essayé, plaisanta-t-il.

Ils se regardèrent et se sourirent. Elle oublia l'autre fille et se perdit dans ses yeux bleus. Elle devait partir avant que son cœur n'explose dans sa poitrine. Dès que leurs regards se croisaient ou qu'il lui souriait, un frisson de chaleur la traversait.

— Je vais rentrer chez moi. J'ai des nouveaux vêtements à laver.

Ils se levèrent en même temps et il l'aida à ramasser ses sacs.

— Merci, Jordan. À lundi.

— A lundi, Madame Leduc.

Ils partirent chacun de leur côté. Elle se retourna pour l'admirer une dernière fois. Elle adorait être avec lui, ici. Elle avait le sentiment que ce parc était leur jardin secret où la frontière entre la relation professeur-élève et l'amitié était aussi fine qu'une feuille de papier. Elle savait que ça lui manquerait une fois qu'il serait parti faire ses études ailleurs. Elle détestait l'idée de son départ. Elle se maudissait de l'aimer en sachant qu'elle ne serait qu'une coquille vide en septembre. Elle haïssait cet amour qui rend heureux et malheureux à la fois.

Elle passa le reste de son week-end dans son canapé, emmitouflée dans le plaid qui avait couvert Jordan quand il avait dormi chez elle. Le tissu n'avait plus l'odeur de son élève mais il avait gardé une trace de sa présence qui réconforta la jeune femme.

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