Les promesses du parc

By ElisaBerger039

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Jeune professeure de français, Clémence vient remplacer Adèle à Saint-André pour la seconde fois. Elle y retr... More

Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Epilogue

Chapitre 6

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By ElisaBerger039

Les semaines de novembre s'écoulèrent de façon routinière. Entre les cours, leur préparation et la météo peu engageante, Clémence s'était rendue seulement une fois au parc et n'y avait croisé que peu de promeneurs. Le mois de décembre arriva avec son esprit de Noël. L'enseignante adorait cette période et toute la magie qui l'accompagnait. Elle avait prévu d'installer et de décorer son sapin le vendredi après son travail, soit le lendemain soir. Elle s'en réjouissait d'avance.

La matinée du vendredi sembla courte à la jeune femme et elle arriva à la salle des professeurs de bonne humeur pour le repas de midi. Elle discuta avec ses collègues de leurs projets pour les fêtes de fin d'année. Elle constata que la plupart d'entre eux avait fondé une famille ou, du moins, était en couple. Lorsqu'elle fit savoir qu'elle passerait le réveillon de Noël avec ses parents et celui du Nouvel An avec ses amis d'université, une collègue lui demanda si elle était en couple. Un peu embarrassée, elle répondit par la négative.

— Elle attend juste le bon, voyons ! intervint Albert. Et elle a bien raison. Je suis certain qu'elle ne devra plus patienter bien longtemps.

Il lui adressa un sourire bienveillant avant de boire son café. La sonnerie retentit pour avertir de la reprise des cours et la salle se vida. Clémence se rendit dans la classe des sixièmes et remarqua une certaine agitation. Elle s'installa à son bureau et, le calme ne revenant pas, elle demanda ce qu'il se passait.

— Rien de spécial, répondit Jordan.

— On se demandait ce que Jordan allait faire pour son anniversaire vendredi prochain, dit Xavier.

— C'est ton anniversaire la semaine prochaine ? questionna Clémence.

— Oui mais je n'ai pas vraiment envie de le fêter.

— T'auras 18 ans, bien sûr qu'il faut fêter ça ! On ira boire des bières, reprit Xavier.

— Je ne veux pas savoir ce que vous ferez et consommerez la semaine prochaine. Vous en parlerez à un autre moment. Maintenant, vous allez vous concentrer sur le cours et avancer afin d'être prêts pour les examens qui vont arriver, conclut leur professeure.

Les deux heures de leçons filèrent à toute vitesse, à la grande joie de Clémence qui avait hâte de rentrer chez elle. C'est enjouée qu'elle se dirigea vers le parking. Elle démarra sa voiture dans laquelle le volume de sa musique préférée était constamment trop fort. Cette chanson s'adaptait toujours à l'humeur de la jeune femme. Heureuse, le rythme la motivait. Triste, l'interprétation de la chanteuse la rendait plus forte. En colère, les paroles étaient libératrices.

Dans son appartement, elle rangea son sac et ses affaires, enleva ses chaussures et se mit à la décoration de son salon. Une fois fait, elle but un thé en se remémorant l'évocation de son célibat avec ses collègues. C'était la première fois qu'elle se sentait gênée d'en parler. Elle n'en avait jamais eu honte auparavant. Mais, ce soir-là, en regardant les lumières briller dans son sapin, elle éprouva une certaine

solitude. Elle s'emmitoufla dans le plaid qui traînait dans son canapé et regarda une comédie romantique.

Le lendemain, elle se rendit à la papeterie pour acheter du matériel scolaire ainsi que des rouleaux d'emballage cadeau. Alors qu'elle marchait dans les rayons, son regard fut attiré par un cahier vert au format A4. Elle le prit en main, en feuilleta les pages immaculées et le reposa ensuite en secouant la tête. Elle quitta l'allée, toujours en pensant qu'un professeur ne devait rien offrir à un élève. Elle se dirigea vers la caisse. Brusquement, elle fit demi-tour, attrapa vivement le cahier et alla payer ses achats avant de rentrer chez elle. Elle le sortit de son sac et le posa sur la table de sa cuisine comme s'il lui brûlait les doigts.

— Je n'aurais pas dû t'acheter. Vraiment pas !

Elle décida d'aller au parc pour se changer les idées. Le chemin pour le rejoindre était assez court et elle y arriva rapidement tout en pensant à son achat. La vue des arbres dénudés lui offrit une pause dans ses réflexions. Elle admira les troncs et la façon dont les branches s'entremêlaient. Elle respira profondément et sentit l'air froid pénétrer dans ses poumons. Les arbres qu'elle contemplait lui rappelèrent le premier dessin de Jordan qu'elle avait vu. Il avait tellement de talent et désormais, il ne dessinait plus. Clémence sut alors ce qu'elle devait faire. Elle retourna chez elle et emballa le carnet.

Le jour de l'anniversaire de Jordan, et contrairement au vendredi précédent, la matinée fut longue. Une boule resta suspendue à son estomac tout au long de ses cours. Le temps de midi lui permit de se reprendre un peu mais elle était perdue dans ses hésitations. Devait-elle lui offrir le carnet ? Ce geste serait-il mal perçu par le jeune homme ? Elle pesait le pour et le contre. Le seul argument qu'elle trouvait pour lui faire ce cadeau était qu'il gâchait son talent en ne dessinant plus. Elle estima que cet argument était le plus important. Et pourtant... Elle se mit alors une condition. Si un seul élève, n'importe lequel, lui parlait de cet anniversaire, elle donnerait le carnet. Dans le cas contraire, elle le garderait pour elle. Elle sourit, contente d'avoir trouvé une solution.

— Vous avez fini de vous torturer l'esprit ? lui demanda Albert.

— Non, je réfléchissais...

— Vous sembliez surtout être en pleine bataille avec vous-même.

Décidément, il était très observateur !

— C'est vrai. J'hésitais sur un cadeau à faire.

— Je vois... lança-t-il, peu convaincu.

Clémence voulait échapper à cette conversation et, par chance, la sonnerie de la reprise des cours lui sauva la mise.

Dans la classe, l'enseignante fut à peine arrivée que Maxime lui annonça que le professeur du cours suivant était absent. Il lui demanda alors si elle acceptait de finir le cours plus tôt. Elle refusa mais Xavier enchérit.

— Allez, M'dame ! Pour l'anniversaire de Jordan.

En moins de deux minutes, la condition qu'elle s'était mise plus tôt était remplie. Il avait fait fort, ce Xavier.

— Faisons un marché : si nous avançons assez dans cette leçon aujourd'hui, je vous laisse partir plus tôt. D'accord ?

Les élèves répondirent par un oui collectif. Elle dispensa son cours à une classe très participative et inhabituellement motivée. Quinze minutes avant la fin du cours, l'enseignante libéra ses élèves.

— C'est bon, les gars. Vous avez bien travaillé, vous pouvez partir. Mais ne traînez pas et soyez calmes dans les couloirs.

Elle n'eut pas besoin de le répéter. Les jeunes rangèrent leurs affaires avec rapidité et sortirent tout aussi vite. Clémence espéra que Jordan soit le dernier à sortir. Et, comme si ses espoirs avaient été entendus, ce fut le cas. Pendant que les autres s'éloignaient dans le couloir, elle appela son élève qui s'approcha d'elle.

— Normalement, je ne fais pas ça mais bon anniversaire...

Elle lui tendit le paquet emballé. Le jeune homme fut surpris et resta ébahi avant de la remercier en souriant. Elle s'attarda sur son sourire, le temps du déballage. Son visage changea cependant lorsqu'il découvrit le carnet. Il semblait dubitatif. Elle justifia son cadeau.

— J'ai appris que tu ne dessinais plus. Je pensais que... En fait, je ne sais pas vraiment ce que je pensais, pour être sincère. Je suis désolée. Ce n'était pas une bonne idée.

Elle était confuse. Elle voulut reprendre le présent mais il l'en empêcha et le mit dans son sac à dos.

— Merci, Madame Leduc.

Il partit, l'air étrange. L'enseignante ne savait pas quoi faire. Et si quelqu'un l'apprenait ? S'il allait parler de ce cadeau ? Si elle avait mis sa place en danger ? Elle se posa les bonnes questions trop tard. Elle avait fait une erreur impossible à rattraper. Elle se ressaisit tant bien que mal et retourna chez elle. Elle passa une soirée difficile et ne dormit que très peu, son cerveau ne la laissant pas tranquille.

Le samedi matin était ensoleillé. Clémence était vaseuse à la suite de sa courte nuit. Prendre l'air lui serait sûrement bénéfique. Elle prit une longue douche chaude. Elle s'habilla à la hâte, se maquilla à peine et releva ses cheveux en un chignon grossier. Elle enfila sa veste, son écharpe et ses bottines et sortit en direction du parc. Ce dernier était quasiment vide. Le soleil était bien présent mais le vent était glacial. Elle marcha longtemps à travers les sentiers et croisa seulement quelques coureurs. Son pas était lent. Elle voulait ralentir le flux de ses pensées qui la ramenait sans cesse à ce qu'elle avait fait la veille. Elle s'assit sur un banc, les coudes sur ses genoux et la tête entre ses mains. Elle resta ainsi quelques instants.

— Stupide ! s'insulta-t-elle à voix haute.

— Qui ?

Étonnée d'avoir obtenu une réponse, elle releva la tête.

— Oh ! Bonjour, Jordan. Tu as l'art de me surprendre dans ce parc.

— Maintenant que vous le dites, vous semblez chaque fois surprise de me voir ici.

Il s'assit à côté d'elle. Elle se décala pour lui faire de la place.

— Alors, qui est stupide ?

— Moi...

— J'ai cru que vous parliez de moi au vu de ma réaction d'hier.

— Non, pas du tout. C'est t'offrir ce carnet qui était stupide.

— Pourquoi ?

Elle ne sut que répondre. Il parla pour elle.

— Ce n'était pas stupide. Vous vouliez simplement me faire plaisir, je pense.

— Je croyais bêtement que ça te donnerait envie de dessiner à nouveau. Je me rappelle de l'arbre que tu avais fait le jour de notre rencontre et je trouve ça tellement dommage que tu ne dessines plus.

— C'est vrai que ce jour-là, vous m'aviez dit de ne jamais m'arrêter et je comptais bien vous écouter.

— Jordan ?

Il posa son regard sur elle.

— Que s'est-il passé ?

— Vous savez... Dépression, hospitalisation et tout ça.

— Non. Je veux dire : que s'est-il vraiment passé ?

Il ne répondit pas et regarda au loin.

— Je te prie de m'excuser. Ça ne me regarde pas. C'est ton histoire et je n'aurais pas dû te poser la ...

— J'ai été en colère, la coupa-t-il. Ce 30 juin, après notre discussion. Je suis rentré chez moi et j'ai déchiré tous mes dessins affichés aux murs de ma chambre et jeté mon carnet. Ensuite, je me suis effondré. J'avais tellement mal comme si mon cœur s'était littéralement brisé en mille morceaux. Je respirais mal et l'air me manquait. J'avais réalisé que la personne que j'aimais allait partir et que je ne la reverrai plus. Avouer ce que je ressentais pour vous était un espoir stupide : celui de vous faire rester. Que vous ne partagiez pas mes sentiments, je pouvais encaisser mais la perspective de votre départ m'avait anéanti. Moi qui avais ressenti les choses tellement fort, je me suis senti vidé de toute émotion. A partir de là, je n'avais plus goût à rien. Littéralement. Manger me semblait inutile, parler aussi et dessiner n'avait plus de sens. Finalement, mon corps a lâché. Une fois à l'hôpital, on m'a nourri par sonde. J'ai repris des forces mais je n'arrivais toujours pas à manger tout seul. On m'a transféré en psychiatrie jusqu'à ce que je mange sans quelqu'un pour me surveiller. Quand j'y suis arrivé, j'ai pu sortir. Mais le retour à Saint-André a été difficile pour moi. Chaque endroit de l'école me rappelait quelque chose de vous et votre absence était encore plus visible. Je ne sais toujours pas expliquer pourquoi j'ai éprouvé ça pour vous. Était-ce parce que vous étiez bienveillante avec moi ou bien parce que vous étiez la première à m'avoir encouragé sincèrement à continuer dans le dessin ? Il n'y avait peut-être simplement aucune explication... Tout ça pour dire qu'à ce moment-là, le vide était réapparu. J'ai eu le malheur de passer par le parc un jour et ça m'a fait de nouveau

sombrer. Je suis rentré chez moi et je n'ai plus voulu bouger de mon lit. Mes parents m'ont alors reconduit à l'hôpital où j'ai été suivi pour une dépression. J'ai eu la chance d'avoir une équipe de thérapeutes extra qui m'ont écouté sachant pertinemment que je ne leur disais pas tout. Ils m'ont appris à mettre ma douleur, et votre souvenir, de côté pour redevenir "normal". Ça a pris du temps. Trop pour réussir mon année scolaire mais assez pour que je reprenne un peu goût à la vie. De peur que je ne retombe dans la dépression, ma famille ne m'a jamais posé de questions sur ce qui l'avait déclenchée. Ce qui m'a bien arrangé car je ne sais pas comment je leur aurais expliqué tout ça.

La jeune femme contenait ses larmes du mieux qu'elle le pouvait. Elle déglutit avant de prendre la parole.

— Et le dessin ?

— Il est resté avec le garçon vide de 15 ans...

— Tu n'as jamais réessayé ?

— Non car je n'avais plus envie. Et hier, vous m'offrez ce carnet... Donc je suis venu ici pensant que l'inspiration viendrait peut-être et finalement, c'est vous que je trouve. Dire qu'en deux ans, c'est la deuxième fois que j'y reviens et que vous y êtes aussi.

— Vu ce que tu viens de me raconter, je peux comprendre...

— J'y suis revenu en septembre, après vous avoir vue en classe. Je voulais savoir si revenir ici me provoquerait la même réaction que nos retrouvailles.

— Et alors ?

— Ça, je le garde pour moi...

Il sourit mystérieusement. Elle le fixa, se demandant ce qu'il pouvait bien penser. Elle orienta la conversation vers un sujet plus léger en lui demandant comment il avait fêté son anniversaire avec ses camarades de classe. Il lui expliqua qu'ils avaient juste été boire un verre puis qu'ils étaient ensuite tous rentrés chez eux. Jordan ajouta que ses parents ainsi que son frère et la compagne de ce dernier l'avaient invité au restaurant.

— Juste vous cinq ?

— Oui, qui d'autre ?

Elle ne s'attendait pas à cette question mais elle en profita pour avoir l'information qu'elle espérait depuis plusieurs semaines.

— Je ne sais pas, moi. Des cousins, des amis, une petite copine ... ?

— Je ne suis pas proche de mes cousins. Je n'ai pas vraiment d'amis. Il faut dire que mon année d'hospitalisation m'a éloigné de ceux que j'avais avant. Les copains que j'ai à présent sont ceux de ma classe que j'ai rencontrés l'année passée. Quant à la petite copine, il n'y en a pas.

Clémence se sentit soulagée mais ne sut que dire. Le silence s'installa alors entre eux. C'est lui qui le rompit :

— Je vais rentrer chez moi, je commence à avoir froid. A lundi, Madame Leduc.

— A lundi, Jordan. Passe un bon week-end.

Il partit en lui lançant un dernier sourire. Elle rentra le bas de son visage dans son écharpe et sourit béatement. Elle contemplait la direction que son élève avait prise. Savoir qu'il allait bien et que son cadeau ne l'avait pas perturbé la soulageait. Cependant, le récit de son élève l'avait bouleversée. Elle ne s'imaginait pas qu'il avait été si mal. Elle prit le chemin de son appartement en pensant à Jordan. A la maturité dont il faisait preuve. Au gamin de 15 ans aux cheveux mi-longs et au jeune homme au visage allongé qu'il était devenu. A ses yeux bleus, son nez droit et son sourire... Ce sourire qui la faisait rougir rien qu'en l'imaginant. Ce sourire dont l'image ne s'effaçait pas depuis qu'il était parti. Devant la porte de son bâtiment, elle secoua sa tête pour la libérer de ses pensées. Elle lutta tout le week-end contre le souvenir du visage de son élève.

Lorsque le lundi arriva, Clémence angoissait à l'idée de retrouver les sixièmes. Elle avait peur de croiser le regard de Jordan et de laisser transparaître son malaise d'avoir pensé à lui les deux derniers jours. En se rendant dans la classe tant redoutée, elle chantonna sa chanson préférée pour se donner du courage. Avant d'y entrer, elle souffla un bon coup. Elle salua ses élèves et déposa ses affaires sur son bureau. Immédiatement, elle remarqua l'absence de Jordan. Elle demanda à ses camarades la raison de cette absence qui lui répondirent qu'il avait pris froid durant le week-end et qu'il ne reviendrait que le jeudi. L'enseignante fut déçue de ne pas le voir alors que quelques minutes plus tôt, elle appréhendait ce moment. Elle donna son cours sans grand enthousiasme.

Durant la pause midi, dans la salle des professeurs, elle contemplait distraitement sa tasse de thé fumant. Albert vint lui tenir compagnie.

— Tentez-vous de refroidir votre thé grâce à la force de la pensée.

Elle lui sourit.

— A quoi pensez-vous ?

— Aux révisions, aux examens et aux congés, mentit-elle.

— Ça va bien se passer, ce n'est pas votre première fois. Quant aux vacances, elles feront du bien à tout le monde. Enfin, à tous ceux qui n'ont rien qui les attache trop à cette école...

Clémence ignora le sens de cette phrase, trop songeuse pour y prêter une réelle attention.

— Vous avez raison : ça fera du bien. Qu'avez-vous prévu durant votre congé ?

— Avec mon épouse, Charlène, nous irons rendre visite à notre fils qui vit en Allemagne. Nous en profiterons pour faire les marchés de Noël, Charlène adore ça.

— Albert, je crois que c'est la première fois que vous me parlez de votre famille. Combien d'enfants avez-vous ?

— J'ai deux fils et une fille. Ainsi que six petits-enfants âgés de 4 à 13 ans.

— Je ne vous avais pas imaginé grand-père.

— J'ai déjà 66 ans, vous savez...

— Maintenant, oui. Et depuis combien de temps êtes-vous marié ?

— Ça fait 42 ans mais je l'ai courtisée à 19 ans et un an plus tard, nous étions en couple.

— Ça m'impressionne toujours ces couples qui tiennent si longtemps. Surtout lorsqu'ils se sont rencontrés si jeunes.

— Si jeunes ? Vous n'êtes guère plus âgée. Quel âge avez-vous ?

— 25 ans.

— C'est bien ce que je disais. Mais vous savez, à 19 ans, on comprend très bien ce que c'est l'amour. La première fois que j'ai vu Charlène, j'ai tout de suite su que je l'aimerais pour toujours. C'était une évidence pour moi. Pour elle, par contre, ça a été différent. Au début, elle me rejetait. Nous n'étions pas du même monde et cela lui faisait peur. Lorsqu'elle m'a dit qu'elle m'aimait, elle m'a également avoué avoir mis du temps à comprendre qu'elle était rapidement tombée amoureuse de moi. Elle était trop apeurée par le regard des autres et la société. Nous avons perdu un an de notre vie à cause de cela. Heureusement, nous l'avons vite rattrapé. Désolé, je dois vous embêter avec mes histoires de vieux nostalgique.

— Bien au contraire, Albert ! Vous êtes de ceux qui ont tout compris à l'amour. Vous m'inspirez.

Il rit légèrement.

— Mais vous savez, Clémence, vous aussi vous avez tout compris mais vous vous voilez la face.

— Pourquoi dites-vous cela ? demanda-t-elle, interloquée.

— Je le sais, c'est tout. Buvez votre thé, il doit être bon maintenant.

Il partit en laissant sa collègue complètement béate.

Le jeudi matin, elle commençait sa journée de travail une heure plus tard avec les sixièmes. Elle fut ravie d'y retrouver Jordan. Elle lui demanda comment il allait et s'il avait eu les cours par un de ses camarades. La matière qu'il avait manquée était importante pour l'examen qui approchait. Le jeune homme répondit par la négative. Elle lui proposa alors de le retrouver en classe à midi pour la lui expliquer. Il accepta puis le cours commença.

A midi, elle retourna dans la classe qu'elle avait quittée deux heures plus tôt en avalant rapidement un casse-croûte. Elle essuya sa bouche en arrivant dans la salle où son élève l'attendait. Il mangeait aussi mais rangea son sandwich en voyant son enseignante. Elle s'excusa de le priver de son temps de midi mais il n'en semblait pas contrarié. Clémence sortit les feuilles dont il aurait besoin, prit une chaise et s'installa à côté de lui, sur le même bureau. Ils étaient assez proches pour qu'elle puisse sentir son parfum. Elle le respira intensément avant d'entamer les explications. Jordan l'écoutait attentivement et prenait les notes qu'elle lui indiquait. Pendant la trentaine de minutes que dura ce cours de rattrapage, elle fixa obstinément les copies et ne releva les yeux que pour lui demander :

— C'est clair pour toi ?

— Oui, très clair.

Il lui sourit. Elle fut une fois de plus subjuguée par celui-ci mais ne s'attarda pas dessus. Elle croisa alors son regard qui, pour la première fois, lui provoqua le même émoi que son sourire. Elle se releva

alors et fit tomber sa chaise avec fracas. Elle se pencha pour la ramasser. Le jeune homme voulut l'aider et leurs mains se touchèrent sur le dossier. Ce contact inattendu surprit Clémence qui enleva alors la sienne. Ses joues s'empourprèrent.

— Ça va, Madame ?

— Oui. J'ai simplement été effrayée par le bruit. Tu peux y aller, maintenant.

— D'accord...

Il rangea ses affaires dans son sac à dos et quitta la pièce. Clémence caressa sa main, là où le contact avait eu lieu. Son élève réapparut à l'encadrement de la porte.

— Madame Leduc, j'allais oublier : merci de m'avoir consacré du temps. C'est important pour moi... de réussir mes examens.

— C'est normal.

Il repartit. Sa professeure se mit à chantonner.

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