Pierre n'a qu'une seule hâte, que la soirée se termine rapidement pour rentrer à son hôtel. Cette saison, touchant à sa fin, a été particulièrement éprouvante pour lui, son cœur a de nombreuses fois vécus les montagnes russes de son sport. Il a porté, à lui tout seul, l'écurie italienne sur ses épaules.
Tout cela pour ne décrocher qu'une petite neuvième place au classement des pilotes, malgré une saison plutôt correcte, peut être l'une des plus régulières de sa carrière. Il a enchaîné les bonnes qualifications, mais les résultats de course obtenus n'ont parfois pas été à la hauteur de ses attentes.
Un pilote de qualification, voilà ce qu'il a été.
Les remises des différents prix sont d'une lenteur démesurable, elles sont entrecoupées par l'intervention d'artistes sur scène. Le pilote français se contente d'applaudir ses homologues des diverses sport mécaniques, récupérant les trophées pour les ajouter à leur étagère.
Pierre ne compte que trois podiums en formule 1 dont une seule victoire obtenue sur les terres italiennes après une course plutôt chanceuse. Où les pénalités des autres ont favorisé sa course et lui ont permis d'obtenir la plus haute marche du podium.
Il regarde le champion du monde en titre récupérer son trophée, Max Verstappen, il en profite pour remercier les partisans de ce sacre. Un rictus étire ses lèvres quand il évoque la prestigieuse écurie Red Bull, une top team de la grille.
Cette écurie qui l'a dégradé deux ans plutôt, après une successions de mauvaises performances, il n'a pas réussi à s'adapter à sa monoplace. Pierre ravale sa frustration grandissante, quand il sait que le second pilote n'est pas autant méritant que lui sur cette saison et qu'il continuera la saison prochaine. Les deux derniers grand prix l'ont fait rentrer dans la légende, il a fait la différence en aidant son coéquipier, ce qui lui a permis de décrocher le titre.
Son regard croise celui d'Alex Albon, assis sur une table voisine. Les deux pilotes se comprennent sans parler, un simple regard suffit. Ils ont vécu la même situation, la descente vertigineuse aux enfers en étant rapatrié dans l'écurie sœur ou simplement écarté du monde prestigieux de la formule 1.
Pierre porte de nouveau son regard sur l'estrade. Le néerlandais quitte la scène, Max a toujours tout eu. Ses deux parents sont issus du milieu automobile contrairement à Pierre, son destin était tout tracé, tout lui a été donné dès son enfance ; le talent, l'argent, la voiture.
Il arrête de se morfondre quand le néerlandais quitte la scène pour laisser place à une jeune femme. Elle s'installe derrière un piano, tout juste installé, ses doigts tatent les touches avec délicatesse comme pour s'assurer de leur sûreté.
Elle commence à pianoter, sur des notes qu'elle ne fait que frôler, tout s'empile, tout s'emporte, les notes pleurent pour elle. Ses yeux brillent et retiennent de l'eau salée qui ne coule pas et ses doigts glissent sur les touches, ils ne s'arrêtent pas. Pierre l'observe compter son histoire du bout des doigts comme si sa vie en dépendait, que si elle arrêtait, son cœur suivrait.
Elle continue jusqu'à en avoir mal aux doigts, le son s'amplifie dans la salle et le cœur du pilote s'arrête. Qu'est ce qu'elle ressent en jouant du piano ? Certainement pas l'adrénaline qu'il a sur les circuits de course. Peut être quelque chose de plus triste. Un mal profond doit l'habiter et le piano l'extériorise.
- Pourquoi tu ne me regardes jamais comme ça, moi quand je joue du piano, souffle une voix à sa droite.
- Charles, arrête tes conneries, je suis pas ta meuf, rétorque Pierre.
Il n'a jamais vraiment écouté du piano dans sa vie et il semblerait que le temps se soit arrêté à cet instant. Ses cheveux bruns se balancent légèrement quand elle passe d'une partie à l'autre du clavier, à une vitesse folle.
Il ne quitte pas du regard ses mains dont la peau est parcourue de reflets bleus provenant de sa robe pailletée. Le pilote ne souhaite pas que le morceau s'arrête mais paradoxalement, il aimerait qu'elle se tourne vers le public pour apercevoir son visage.
Un mélange de frustration et d'impatience le gagne quand elle plaque le dernier accord sous les applaudissements du public. Elle finit par se lever, sa robe brillante sous les quelques projecteurs qui éclairent cette sombre scène, ses yeux parcourent la foule.
Par hasard, elle capte son regard bleu, il n'applaudît pas mais Pierre lui esquisse un faible sourire se voulant rassurant face à ses mains tremblotantes. Il garantit ainsi que sa peur et sa tristesse grandissante sont passées inaperçues aux yeux de tous, excepté lui.