Ariane

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  Ariane jette un coup d'oeil rapide au reflet que lui renvoie son miroir, prend une pose de vamp qui lui renvoie un pâle sourire. Faire encore ça, à quarante-six ans... Si son compagnon était là, il se moquerait d'elle à coup sûr. Mais il est encore reparti sur la route. Ariane hausse les épaules ; chacun s'occupe comme il peut. Lui, il prend sa voiture et sillonne le monde si cela peut l'apaiser. Tant qu'il la laisse dans ses livres...

  Elle ôte les bretelles de sa chemise de nuit, la laisse lentement glisser le long de ses jambes sans penser à rien. Puis elle se réveille et enfile en un sursaut un pantalon imitation cuir et une chemise blanche ouverte sur un débardeur noir au décolleté bordé de dentelle. Ensuite, elle passe un temps infini à mettre ses bijoux. Ariane aime aller lentement, ne serait-ce que pour la plus infime des actions, elle aime prendre son temps. Pourtant, elle est toujours d'une ponctualité peu commune. Si on l'appelle à deux heures pour lui donner rendez-vous à New York à quatre heures douze minutes et trente-sept secondes, elle y sera. En l'occurence, le rendez-vous de ce matin est à Paris. Tant mieux, elle y habite. Elle lorgne sur la montre posée sur l'accoudoir du fauteuil. Dans deux heures.

  Ariane va chercher son café qui siffle depuis la petite cuisine de son appartement, puis se plante à nouveau devant son miroir pour vérifier que tous ses bijoux sont en place. D'habitude elle ne se maquille pas, ne se parfume pas, et ne fait pas particulièrement attention à ses habits. Mais exceptionnellement, elle le doit. On le lui a demandé. Elle porte donc un collier de cuir à ras du cou, une longue chaîne au bout de laquelle pend un pendentif en forme de paon, une bague au chaton noir, plusieurs bracelets de couleurs et de formes diverses, tous plus ou moins élégants. Elle vérifie que chacun de ses ongles est toujours bien verni de bleu foncé, que ses lèvres sont toujours bien rouges, que le tour de ses yeux est toujours bien noir, que son parfum se sent toujours. A quoi peut-il bien être, d'ailleurs ?

  Elle se laisse tomber sur une chaise, se sert une tasse de café, puis une autre. Toutes ces futilités sont-elles réellement nécessaires ? Elle essaye de se souvenir des paroles précises -et toujours un peu étouffées- de la jeune femme :

  "Comment pourrai-je vous reconnaître ?

  -Hé bien... J'ai quarante-cinq ans, des cheveux noirs assez longs, des yeux gris...

  -Vous n'avez qu'à vous maquiller, vous parfumer, mettre des bijoux...

  -Cela suffira à me reconnaître ?

  -Oh, je pense. Au fait, je ne vous ai pas demandé votre nom.

  -Ariane Devalde. Vous ne m'avez pas dit le vôtre non plus.

  -Alba Mazzi. Soyez à l'heure, demain.

  -Comptez-y."

  Sur ce, la nommée Alba Mazzi avait racroché, sans aucune autre salutation que ce "soyez à l'heure, demain".

  Ariane regarde par la fenêtre d'un air absent. Un ciel lourd de nuage rase les toits. Peut-être devrait-elle y aller. Le rendez-vous a lieu dans un café dont elle n'a jamais entendu parler, mais Alba Mazzi lui avait indiqué le chemin à prendre avec force détails, elle ne risquait pas d'arriver en retard. Elle avait largement le temps. Mais elle préférait y être le plus tôt possible. Elle prit son sac, y fourrant son porte-monnaie, ses clefs, son téléphone portable, et un livre. Les Mystères d'Udolphe d'Ann Radcliffe. Elle enfile ses chaussures de cuir et sort. Dans l'ascenseur, son téléphone vibre. Un message de son compagnon, Aurélien.

  Aurélien: Je pense rentrer après-demain finalement.

  Ariane: Qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ?

  Aurélien: Mais c'est toi qui veux que je revienne.

  Ariane: Je peux vivre une semaine sans toi, tu sais. Je ne t'ai rien demandé, fais ce que tu veux.

  Aurélien: On m'a quand même téléphoné parce que tu avais besoin de moi. Donc je rentre, et dis-moi ce qui se passe.

  Ariane: Mais rien ! Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Qui t'a téléphoné ?

  Aurélien: Je ne sais pas trop, elle dit qu'elle s'appelle Alba Mazzi, et elle m'a demandé de revenir à Paris le plus tôt possible parce que tu auras besoin de moi.

  Ariane éteind son téléphone sans se donner la peine de répondre. L'ascenseur s'immobile après un ultime hoquet, et ouvre ses portes. Elle en sort avec lenteur, ses yeux gris tanguant entre le vide et la réalité.

  Les nouvelles sont donc si mauvaises ?

La lumière derrière le murOù les histoires vivent. Découvrez maintenant