III

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Ces vieux étaient fous.
Ces vieux étaient fous.
Ces vieux étaient fous. Car il n'y avait pas d'autre explication. N'est-ce pas? Ils avaient consacré huit ans de leur vie à l'analyse poussée de journaux. Ils avaient suivi une jeune fille à travers tout le pays. Ils avaient appris la magie dans le seul but de la protéger. Elle, une parfaite inconnue qu'ils ne connaissaient que de nom. Elle, qui ne représentait rien à leur yeux. Elle, qui aurait dû mourir bien des années plus tôt, dévorée par les flammes. Leur récit m'avait fait chaud au cœur : à l'époque de l'incendie, ils n'étaient que de petits vendeurs d'articles de magie, près du château, dans la capitale et un soir, alors qu'ils allaient fermer, ils avaient vu débarquer une petite fille. Elle portait des lunettes de soleil trop grandes pour elle, un long manteau couvrant une robe déchirée, ses cheveux blonds avaient été couverts d'une casquette rose, mais ils l'avaient reconnue. Alors, quand elle leur avait demandé une bague magique pouvant modifier l'apparence du porteur, ils la lui avaient donnée sans discuter. À l'époque, ils avaient comprit ce qu'elle voulait en réalité : se cacher jusqu'à être en mesure de se dévoiler au monde. Aussi, ils avaient laissé tomber leur affaire, et ils s'étaient lancés sur ses traces pour la garder en vie.


- Nous n'avons jamais perdu la tête, si c'est que vous vous demandez.


Je faillis protester, mais à quoi bon? Je pensais sincèrement qu'ils étaient fous à lier.


- Simplement, quand on vous a vue, on a estimé que notre devoir de sujet devait être accompli.

- Beaucoup n'en aurait pas fait tant, affirmais-je.

- Certes, reconnut l'homme. Mais nous ne pouvions pas vous laisser tomber.


Je baissai les yeux pour camoufler partiellement mon émotion. Ce couple avait jeté sa petite vie aux oubliettes pour se consacrer uniquement à moi, à ma survie. Ils étaient mes héros, me protégeant dans l'ombre.


- Vous êtes l'héritière légitime du trône de Fiore, comment aurions-nous pu vous ignorer?

- Mais assez bavardé, s'impatienta la grand-mère. Vous devrez partir.

- Partir? Mais je viens d'arriver ici!


Elle secoua vivement la tête et commença à ramasser les coupures de journaux pour les entasser dans un sac posé à ses côtés. Sa soudaine agitation me fila une pression d'enfer et je scrutai les environs avec une certaine angoisse, jetant des coups d'œil répétés vers la rue révélée par la grande baie vitrée du café. Mais rien ne semblait anormal, les gens flânaient dans les rues commerçantes, à la recherches de la perle rare à acheter.


- Plus aucun endroit n'est sûr, fit la voix grave de l'homme.

- Pendant le mois et demi qu'il vous reste, vous devez bouger constamment.

- Mais enfin, je ne peux pas passer tous ce temps dans un train, m'insurgeais-je.

- Pas un train, non.


Perplexe, j'inclinai la tête sur le côté, jusqu'à ce que la femme m'accorde enfin son attention, les yeux pétillants, le visage fendu d'un sourire lumineux.


- Un véhicule magique.


Bouche bée, je la regardai se lever pour aller payer l'addition au comptoir, tandis que je me tournai vers son mari, en train de remettre sa veste pour sortir du café. Histoire de lui laisser plus de liberté de mouvement, je me levai de la banquette, et il se leva juste après moi pour m'offrir un petit ricanement amusé.

Mon étoileWhere stories live. Discover now