Chapitre 15

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La porte de son appartement se referme à peine qu’elle soupire bruyamment, les paupières closes et la tête appuyée contre le métal, le cœur tambourinant encore. Lexi se revoit quitter le véhicule aérien, stationné sur le parking de sa résidence, comme n’importe quelle voiture bien qu'il n'ait rien à faire ici. Il aurait attiré l'attention des voisins si l'endroit n'avait pas été désert.  À ses oreilles, la voix grave de Coma lui murmure, inlassablement : « Sois prudente, je ne serai pas toujours là pour te sortir d’affaire ».

Cette petite parenthèse, ce tête-à-tête improvisé, l’a mise aussi mal à l’aise qu’il l’a laissée sur un nuage. Sans mauvais jeu de mots, sachant qu’elle venait de quitter le tas de nuages sur lesquels elle était juchée, cette fois au sens littéral.

Au début, elle a voulu s’éclipser, terriblement confuse d’avoir atterri dans l’appartement de Coma. Plus encore quand il n'a pas semblé gêné par son intrusion.

Lexi a bien pensé rejoindre Zeck, tant qu'il était encore dans les couloirs, pour le convaincre de l'emmener voir Hayden. Neuf mois que son frère n'avait pas eu de permission, bientôt dix. Ils ne s'étaient pas parlé plus d'une dizaine de fois et quelques minutes à peine, la communication étant loin d'être optimale, entre les interférences et les coupures. Et enfin, alors que Lexi avait mis les pieds dans la Tour, le trou béant qu’Hayden avait laissé derrière lui était sur le point de se résorber. Même si ce n’était que temporaire.

Mais quand elle a tenté sa pirouette pour filer, elle s’est heurtée à un refus pur et simple : Coma l’a attrapée par le bras et l’a assise sur un tabouret, contre le mur, face à lui, comme pour mieux la surveiller. Le tout en lui assurant qu’elle ne bougerait pas d’ici avant d’avoir avalé suffisamment de nourriture pour que sa pâleur disparaisse. Inutile de préciser que l'argumentaire de la demoiselle, dans l'espoir de lui faire entendre raison, était tombé à l’eau. Elle a eu beau clamer que ses ancêtres eux-mêmes étaient aussi pâles, voire peut-être plus qu'elle, qu’il s’agissait là de sa couleur naturelle... il n’a rien voulu croire et s'est contenté de rester campé sur sa position. Évidemment, il a même usé de son précieux « c'est un ordre » pour couper court, laissant une Lexi outrée et gênée - dans un savant mélange des deux - sur son siège inconfortable. Visiblement pas fait pour accueillir qui que ce soit.

Ce qui était parti pour être un supplice s’est toutefois transformé en un moment agréable. Ils ont même pu… discuter.

Elle n’en revient pas, même avec un peu de recul.

Alors que la parenthèse semble enfin se fermer, Lexi caresse l’idée de se reposer, de retrouver son lit douillet, un contraste indéniable avec le sol inconfortable qui l’a remplacé la nuit dernière. Mais elle se ravise en se rendant compte que cela l’angoisse. Elle sait ce qui l’attend au moment où elle fermera les yeux, sans la morsure du froid pour engourdir ses membres, sans le trop plein d’émotions pour la plonger dans ce qui ressemblerait presque à un coma. Sans eux, elle craint de ne pouvoir dormir paisiblement, envahie par les images qu’elle repousse tant qu’elle est éveillée. Tant qu’elle peut le contrôler. 

Des images qui refont immédiatement surface, comme si leur simple mention les invoquait à nouveau. Pour les éloigner, elle prend une décision rapide, comptant sur le fait qu'elle ne soit pas soumise au couvre-feu, cette semaine. Pas plus que les autres habitants, d'ailleurs.

Une demi-heure plus tard, la jeune femme quitte son domicile, les cheveux encore trempés, sans maquillage et sans avoir prêté la moindre attention à sa tenue. Aurait-elle cherché à se camoufler, laissant sciemment de côté ses habitudes, qu'elle ne s’y serait pas mieux prise.

Quelques clics sur son téléphone et elle commande un taxi, tout en descendant l’avenue qui mène à sa résidence pour se rendre au point de rendez-vous : un abri d’airbus, au bas de l’allée fleurie. Sur les trottoirs, quelques passants marchent, détendus, vaquant à leurs occupations loin de cette terrible réalité dont ils ignorent tout. Deux gamins se chamaillent, passent près d’elle en courant, juste avant de se faire rabrouer par leurs parents. Leur regard malicieux croise celui de Lexi et ils rient, comme s’ils partageaient avec elle une quelconque complicité, une blague d’enfants qu’eux seuls comprennent. Des rires qui retentissent au plus profond de son âme, éveillant les souvenirs d’une enfance volée.  

Lexi et ComaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant