Part 1.

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« Le problème d'un bon livre c'est qu'on voudrait connaître la fin sans jamais le terminer. »

Perdue dans mes pensées les plus profondes, je n'écoute plus un mot de la vidéo-conférence qui se déroule sur mon ordinateur. La bibliothèque est calme puisque les rendez-vous s'y font sur créneaux à présent. Autour de moi, des regards inquiets, incompris, fanés... La crise sanitaire officiellement terminée, le monde n'a pas pour autant repris son cours normal.

Je laisse mon pied cogner le sol en rythme, consumée par le stress de tous les évènements passés. Les écouteurs dans les oreilles, j'entends mon professeur nous expliquer que les examens auront lieu à distance, ou peut-être pas, mais peut-être que si. Tout est encore trop incertain. Personne n'ose crier victoire de peur de sombrer de nouveau.

Je laisse mon regard traîner dans la salle. Mes iris tombent sur un garçon qui vient de passer la porte d'entrée. Je le détaille du regard. Ses joues sont légèrement rosies par le froid de l'hiver. Il porte un long manteau beige qui s'accorde avec ses cheveux blonds. En conclusion, il est plutôt mignon. Ses yeux sont foncés, impénétrables. La fatigue se ressent sur ses traits, mais qui pourrait le lui reprocher ? Il semblerait qu'elle fasse désormais partie intégrante de notre quotidien à tous. Un fardeau dont personne n'arrive à se débarrasser.

Je l'observe tenter de dompter les livres qu'il porte dans les bras en plus du café qu'il tient à la main. Il se précipite sur une table déjà occupée alors que sa pile de bouquins glisse de son étreinte. Inévitablement, il renverse son café qui s'étale sur les affaires de la jeune fille qui travaillait tranquillement là. Elle s'indigne et lui hurle dessus en faisant de grands gestes alors qu'il se confond en excuses. Je souris, amusée par la situation et nos regards se rencontrent. Instinctivement, je détourne le mien pour revenir à mon cours. Tout ça pour me rendre compte qu'il est terminé et que je suis déconnectée. Je soupire et me lève en direction des toilettes, prenant bien soin de suivre le marquage au sol.

Je m'éclabousse le visage. Qu'est-ce qu'il me prend ? Ça ne me ressemble pas de me laisser distraire comme ça. La vie est devenue outrageusement ennuyante, j'ai l'impression d'être dans un film catastrophe qui ne prend jamais fin. Que quelqu'un me réveille.

La porte des toilettes s'ouvre brusquement et je suis surprise de tomber nez à nez avec le garçon qui vient de provoquer la troisième guerre mondiale dans la bibliothèque.

-Tu te trompes de toilettes, c'est les filles ici. Je déclare, amusée par sa maladresse.

Il lève un sourcil et pousse la porte de la cabine la plus proche. C'est bien un urinoir. Échec et Mat. Je laisse échapper un rire, un peu honteuse. Pour quelle idiote je passe... Il me sourit face au miroir.

-Je t'aime bien. Il dit, ses yeux profonds plantés dans les miens.

-Tu ne me connais même pas. Je réponds, perplexe par ce revirement de situation.

-Certes. Mais j'aime cette lueur dans tes yeux, tu as l'air te concentrer sur le positif des évènements. S'il savait le pauvre...

-Tu tires de rapides conclusions sur quelqu'un qui s'est amusé de ta situation embarrassante il y a quelques minutes à peine.

-C'est sur toi que j'aurais dû renverser mon café.

-Tu l'as fait exprès ? Je m'empresse de lui demander en me retournant vers lui. Je suis frappée par la douceur de son visage.

-Je l'aurais fait exprès si j'étais arrivé jusqu'à ta table en tout cas. Il me répond en haussant les épaules. Son assurance me fait rire.

Je me sèche les mains et le visage pendant qu'il me toise du regard, adossé contre le mur à côté de la porte. Puis je passe devant lui pour retourner dans la bibliothèque, ne détournant pas une seconde mes yeux des siens avant de le perdre de vue.

*

Après un petit moment, je m'octroie une pause dans mes cours et replonge dans ma lecture personnelle : l'antépisode de la trilogie « Le labyrinthe ». Pendant tout ce temps, le blondinet s'est installé à quelques tables de moi. De sorte à ce que mes yeux tombent automatiquement sur lui quand je relève la tête vers la pièce. Il est tellement concentré dans ses livres qu'une petite ride vient se former sur son front. Et moi je suis tellement occupée à l'observer que je remarque ce détail ridicule. Alors que je me réprimande intérieurement, un sourire se forme sur ses lèvres. Il pianote quelques minutes sur son téléphone et le repose nonchalamment sur sa table. Mon cœur loupe un battement quand mon écran s'allume. Je me jette dessus, prise par un élan de curiosité.

Une invitation air drop s'affiche sur mon téléphone. Combien de chances y avait-il pour que cette situation se déroule ?J'accepte et un selfie de lui apparait, avec une petite phrase sur le bas : « J'espère que le cours qui s'affiche sur mon front est très enrichissant, il en a l'air en tout cas puisque tes yeux sont rivés sur moi ».

J'étouffe un rire dans mon col roulé et lui lève mon doigt d'honneur. Il m'offre un sourire radieux, content de lui, avant de se replonger dans sa lecture. Je m'efforce de me reconcentrer et remarque que j'ai dépassé mon heure de réservation à la bibliothèque. Si je traine plus longtemps je vais louper le dernier métro pour rentrer chez moi. Je commence donc à ranger mes affaires et m'avance vers la réception pour rendre les livres empruntés avant de tout ramasser et m'en aller. La bibliothécaire me regarde avec de grands yeux, comme si j'étais sur le point de lui refiler la peste. Elle réajuste son masque et se recule de quelques mètres en m'indiquant de déposer les livres sur le comptoir, qu'elle se chargera du reste. Son comportement me sidère, le masque n'est plus obligatoire depuis quelques mois déjà. Les gens n'ont donc rien tiré de bon de cette crise sanitaire, ils sont tous devenus fous. Mais après tout, comment ne pas le devenir... ?

Au moment de retourner à ma table, mon mystérieux inconnu n'est plus à sa place. Il doit probablement être parti chercher un livre dans les rayons. Je suis tout de même déçue de ne pas pouvoir le saluer avant de partir. Je m'avance vers ma table et y trouve un livre qui ne m'appartient pas. Je fronce les sourcils, l'examine, et ouvre la première page de couverture. Dessus, j'y trouve quelques mots : « C'est un cadeau. J'insiste. J'espère qu'il te plaira autant qu'il m'a plu. Appelle-moi si tu veux en discuter... ». Et juste en dessous, il me laisse son numéro.

Je me retourne et le découvre de retour sur sa chaise, comme s'il ne l'avait jamais quitté. Un sourire radieux plaqué sur les lèvres et un regard malicieux. Je lui mime un « merci » en désignant le livre du doigt et me promet de le lire le plus vite possible pour avoir une bonne raison de lui téléphoner. Outre le fait qu'il me plait déjà beaucoup.

Quoi ? J'avais omis de le préciser ? 

Échec et Mat (OS)Where stories live. Discover now