12 - Salope de Vénus

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— Ça va aller, t'inquiète.

Je l'entends pouffer, mais elle la ferme enfin. Une plombe qu'elle me cassait les couilles avec ses talons de merde. Pas de quoi m'emmerder, pourtant. Pieds nus, c'est très bien.

Bon, ça pique un peu plus les arpions sur le goudron, mais c'est hors de question, les talons.

Sensibles, les pieds de gonzesse. Longtemps que la corne m'avait blindé, alors c'est un peu le baptême du pieu.

— C'est là, Cécile.

Je me retourne pour trouver la Marie-France à côté d'une vieille Twingo rouge déglinguée.

OK.

Je fais demi-tour pour me poser sur le siège passager sans rien dire, sans soutenir son regard inquiet.

Dans l'habitacle, un puissant parfum de tabac. J'inspire à fond avec extase. Sandra a voulu que j'arrête de fumer, et comme son père venait de crever d'un cancer du poumon, j'ai pas eu le cœur de refuser. Mais ça me manquait, putain !

— J'peux t'piquer une clope ?

Au point où j'en suis, j'ai bien droit à une compensation, hein !? En plus, j'ai un beau supplément de poumon, maintenant !

Je me marre tout seul en attachant ma ceinture, mais je me tourne vers Marie-France pour voir pourquoi elle m'ignore. Elle me scrute avec ses yeux grands ouverts — et c'est pas peu dire, bordel ! On dirait qu'elle a vu un kangourou faire une pipe à un éléphant !

— Ben quoi ? Me dis pas que t'as arrêté ! On peut couper le tabac au couteau dans l'air de ta caisse ! Allez, fais pas chier ! Une taffe, ça va pas m'tuer !

Putain que j'en ai besoin !

Avec des gestes très lents, elle ouvre son sac à main. D'une main hésitante, elle en sort son paquet... que je lui arrache des mains ! Choper la Marlboro, un coup de bic...

Nom d'une putain de bordel ! C'que c'est bon ! Les yeux fermés, je savoure la fumée qui envahit, ma bouche, ma gorge, mes poumons...

... et je me mets à tousser comme un crevé, les bronches en feu.

— C'est en effet pas le meilleur moment pour commencer à fumer, ma chérie.

— Roule ! je lui crache avec un reste de fumée et probablement un bout de poumon.

Et elle démarre.

Sans parler pour ne pas déclencher de nouvelle quinte, je regarde la ville défiler devant mes yeux. Je vais enfin entrer dans la piaule sur laquelle je fantasme depuis près d'un an.

Et je m'en fous.

J'ai aucune idée de ce que je dois faire. Si ça se trouve, je vais me réveiller d'un coup. Ou crever. Ou bien ma queue va repousser. Va savoir.

Quand elle se gare à l'ombre d'un immeuble d'une douzaine d'étages, je soupire d'aise. Bientôt, je vais pouvoir être tranquille chez moi. Enfin, chez elle ?

En ouvrant la portière, dégoûté : des connards ont pété des bouteilles de verre un peu partout. Je crois que je suis bon pour me percher sur les aiguilles...

— Pas de commentaires, s'il te plaît.

Marie-France me tend les grolles de torture sans rien dire, et je les enfile rageusement. Déterminé, je sors de la Twingo et manque me vautrer.

— Putain de bordel de merde ! Quel est le genre de connard qui a inventé ces saloperies de pièges ?!

— Ma belle, je crois que tu as perdu ta grâce dans l'accident ! Laisse-moi t'aider.

Et elle m'agrippe le bras en me soulevant presque de terre pour m'entraîner vers la porte de l'immeuble. Sur les marches, quatre racailles de bougnoules font le guet, sûrement pour leur trafic de drogue.

— Bonjour, Mesdames, lance un des caïds. Désolé pour votre accident, ajoute-t-il en me regardant d'un air triste. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas ! Si on peut aider, ce sera avec plaisir.

Méfiant, je réponds rien et avance, soutenu d'une main de fer par ma camarade. Un des trois autres gars en profite pour me reluquer, mais le premier lui colle une tarte, et il baisse la tête.

— Djamel, tu veux que je dise à tes sœurs et à ta mère que tu ne sais plus où poser les yeux quand tu croises une femme ? grogne Marie-France au mateur.

— Désolé, Madame, fait le morveux, tout penaud, pendant que ses potes se marrent.

L'un des deux qui sont restés silencieux nous tient la porte, et nous traversons le hall vers l'ascenseur.

En panne.

— Quel étage ?

Elle me jette encore un de ces regards perplexes dont elle a le secret et m'entraîne dans les premières marches. Du coup, je la suis sans insister — et sans trop avoir le choix, en fait. La grosse est forte comme un bœuf, mais j'ai les pieds qui commencent à gueuler sévère dans leurs engins de torture sadiques, et j'ai hâte de les foutre à la benne.

Au troisième, elle me tire vers le palier et se fige devant une porte en m'invitant à entrer. Du coup, j'appuie sur la poignée, mais c'est verrouillé.

— La clef, Cécile ! me crie-t-elle avec agacement. Je commence à me dire que les docteurs ont laissé passer un traumatisme crânien, là !

— Mais, je l'ai pas, ta clef !

Elle commence à me gonfler, à la fin !

— Essaie de regarder dans ton sac à main !

Et elle me tend l'un des deux sacs qu'elle trimballe avec elle depuis l'hosto. Elle sourit. Elle se fout de ma gueule, dis donc ! Et je me sens con, tout à coup, plongeant la main parmi ce bordel sans nom à la recherche d'un trousseau éventuel.

Cinq clefs. Bon, ben c'est parti...

À la troisième tentative, c'est la bonne, et j'ouvre la porte.

L'appartement est sombre mais propre.

Je me tourne vers Marie-France.

— Merci beaucoup. J'aimerais être seul, maintenant.

Elle plonge ses grands yeux noirs dans les miens et garde le silence.

Je me sens gagné par un tremblement glacé. L'impression qu'elle me voit à l'intérieur du corps de son amie. Son amie que j'ai tuée. Enfin, je crois.

— OK, lâche-t-elle enfin, mais je reviens ce soir.

Je hoche la tête et ferme le battant entre nous.

Aussitôt, je me débarrasse de mes chaussures et les envoie valser à l'autre bout de l'appartement d'un coup de pied. Bon débarras !

Ça me fait tout drôle de me retrouver seul, soudain, et je repense à la bande d'Arabes au pied de l'immeuble. Je verrouille la porte et soupire enfin de soulagement.

Un bain.

J'ai besoin d'un putain de bon bain bien chaud.

Et d'une bière.

Je pars explorer, à la recherche de la salle de bain, et je souris devant la baignoire. Je règle l'eau, et, pendant que ça se remplit, je pars me dégotter une bière.

Cinq minutes plus tard et deux bières cul sec avalées, me voilà à poil dans mon jus, une main sur ma troisième pinte bien fraîche, l'autre flottant sur mon ventre.

J'ai un peu la tête qui tourne, mais je suis foutrement bien.

La mousse me chatouille la peau, et je sens mes tétons durcir. Soufflant sur les bulles, je dévoile à mes yeux gourmands deux beaux seins bien galbés comme je les aime et n'en tète que trop peu. Du bout du doigt, j'en suis les aréoles, et un frisson intense me traverse jusque l'entrejambe. Alors je me laisse guider par mes sensations.

Oh, putain de bordel de merde ! 

Recto-VersoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant