Gare aux clichés (Soft - Extrait)

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Il est seize heures, et le soleil se couche déjà sur New York, baignant la ville d'une lumière nostalgique qui filerait le cafard à n'importe quel plouc sentimentaliste. Moi ? Non, aucun risque. Je suis bien trop occupé à checker les nouvelles recettes de cocktails du Blue Manhattan, l'un des bars les plus branchés de NY, sur mon téléphone. Ce que je fais dans la vie ? Disons que je suis... un privé particulier. Ou un particulier privé. Ou quelque chose qui s'en rapproche. Où me trouver ? Sur le dark web exclusivement. Nom de code : le Français. Patronyme réel : Malo Chérel, né à Paris il y a près de 30 ans. Immigré non clandestin aux States, où je vis depuis 25 ans. Mon surnom, je le dois à ça, et à un accent français abominable dont je ne parviens à me départir. Pas de ma faute, la bonne qui m'a élevé était également française. L'avantage, c'est que je suis bilingue, et binationalisé. De la France, je tiens ce goût pour la littérature (je suis un grand fan de polars) ; des States, ce goût de l'aventure (j'ai décidé de faire de ma vie un polar). Non, je devrais dire plutôt : des aventures. J'y peux rien, je suis un vrai dragueur. Ça m'a posé problème quelques fois, car j'ai toujours la fâcheuse tendance à flasher sur mes victimes, et à descendre les commanditaires. Alors, j'ai un peu bougé mon CV, pour me diversifier et éviter ces épineuses situations. Je ne suis plus qu'un simple tueur à gages, j'ai évolué en homme de main freelance.

Si ça a pu nuire un jour à mon image ? Jamais. Prenons un exemple : A veut que je tue B. Je fricote avec B, puis décide de tuer A, après lui avoir raconté que B est monté au (7e) ciel et empoché le fric. Tout le monde croit que le contrat était sur A, et ignore ma traîtrise. B, parfois, propose même un petit supplément pour s'assurer que A n'en sorte pas vivant. B m'est éternellement reconnaissant. Vous n'imaginez même pas à quel point ce genre de commerce peut être lucratif. Mais bon, puisque vous avez opté pour la version soft, vous ne lirez qu'une version édulcorée de ce petit business.

Officiellement ? Je suis écrivain. Pour de vrai, avec de vrais livres et tout. Et traducteur, du français vers l'anglais, ou l'inverse, il faudrait que je vérifie. Officiellement, je traduis une série ultra importante, ultra célèbre, ultra connue, ce qui me rapporte un fric de malade. Voilà comment je blanchis mon pognon. J'ai même de faux exemplaires à la maison, en cas de perquis', pour faire plus crédible. Les flics, de toute manière, sont des brêles en littérature et ne pensent jamais à comparer mes bouquins aux éditions présentes en magasin. Il y a même des cons pour me demander des dédicaces.

Je vis dans un immense et splendide appartement moderne. Cent mètres carrés qui surplombent une partie de cette ville de malades. Une vue à couper le souffle, vers le couchant. Le meilleur endroit pour lever quelqu'un, c'est moi qui vous le dis ! J'ai un salon blanc cosy, une cuisine ultra moderne qui ne sert qu'à faire illusion puisque je ne cuisine jamais, une chambre immense avec un pieu trois places, dans les tons blancs également. Au mur, j'ai mis des photos en noir et blanc, ça fait plus intello. Dans les placards, mon armurerie se dissimule derrière un habile double fond. Une télé dans les deux pièces principales.

Je vis ici depuis un mois et demi. J'hésite encore à faire installer des caméras, ce serait plus prudent. En même temps, me faire surprendre par l'ennemi, surtout en plein acte, fait partie de mes fantasmes. Imaginez : alors que je suis avec un mec, un autre arrive, hésite, son arme pointée sur notre duo, puis décide de la baisser et de se joindre à nous... Graouf. Ou alors, dans mon sommeil : le gars arrive, hésite, puis décide de me sauter, au lieu de se contenter de ma cervelle. Je me laisserais faire, éternellement reconnaissant. Dans ces moments-là, je crois comprendre ce que ressentent mes victimes.

Après avoir consulté la liste des cocktails de mon bar favori, je prends une douche. Je n'ai rien d'autre à faire, et me glisser sous l'eau chaude me plonge dans une torpeur bienheureuse. Je me frotte le corps avec lenteur. Je ne suis pas très grand pour la profession, 1m75 seulement, mais je suis agile. Mon corps est fin, délicatement musclé sans en faire trop. C'est mieux pour le travail. Mon corps est mon principal outil. Je dois pouvoir jouer tous les rôles, pour réussir mes infiltrations. J'adore ça, ce côté volage, changeant, insaisissable. Et le danger. C'est un putain d'euphorisant.

Alors que je nettoie consciencieusement la meilleure partie de moi-même, mon téléphone portable sonne. Je sors en pestant, attrape une serviette que je jette sur mon épaule et vais décrocher. C'est David McCain, un collègue du privé. Il travaille pour une agence de détectives. Il n'hésite jamais à me filer des petits contrats en échange d'extras. Ses clients ont très souvent soif de vengeance...

« Malo, dis-je en décrochant.

– Salut mec, j'ai un dossier pour toi.

– Amène-le-moi à la maison ».

Je raccroche, les lignes peuvent être sur écoute. Officiellement, il s'agit d'un dossier à traduire en français, pour le cas où on nous poserait la question. McCain a toujours un faux dossier sous la main, qu'il actualise de temps en temps. Pour l'instant, cette précaution s'est toujours avérée inutile.

En l'attendant, je m'essuie avec regret. J'aurais pu rester jusqu'à ce que David me trouve sous la douche, mais ce fumier est strictement hétéro, et mon corps d'éphèbe le laisse de marbre.

McCain arrive une demi-heure plus tard. C'est un type d'1m95, ultra baraqué, blond aux yeux gris-bleu. Un vrai fantasme sur pattes. Je l'attends, allongé sur le canapé, les yeux clos, à demi-endormi. Je ne me suis pas rhabillé. McCain se penche sur moi, son visage est si proche du mien que je peux sentir son souffle doucement caféiné... Je me relève brusquement et essaye de l'embrasser, mais il me bloque avec son bras. Pas grave, ma bouche a effleuré ses lèvres. C'est une première victoire.

« Tu ne changeras jamais, soupire-t-il.

– Nan.

– J'ai ton dossier, je l'ai posé sur ton bureau.

– Fais-moi le topo.

– Ok, mais tu mets un caleçon pendant ce temps. Une femme souhaiterait divorcer de son mari. Les choses ne vont plus entre eux.

– Elle a un amant et veut s'enrichir, comprends-je en me servant un verre et en ne m'habillant surtout pas.

– Je ne dispose pas de ce type d'information. Habille-toi ou je m'en vais ».

Je pousse un soupir entre le désespoir et l'exaspération. Je m'exécute, pendant qu'il continue :

« Pour obtenir un divorce fructueux, il faut que son mari soit pris en faute. Or, tu es un expert dans la compromission des âmes. Je te charge donc de faire couler son mari.

– T'as une préférence ?

– Peu importe, tant que le résultat peut être développé sur pellicule et constituer une preuve suffisante devant un tribunal. »

David se lève, j'essaye de le retenir en lui proposant un verre. Il boit une gorgée dans le mien, en prenant bien soin de choisir l'endroit où j'ai déposé mes lèvres. Graouf, ce type me rend dingue !

« Hors de question que je te laisse me servir, je sais que tu mettrais l'une de tes drogues cheloues dans mon verre, et que je finirais au lit avec toi.

– Cette idée te déplaît-elle à ce point ? dis-je en lui attrapant la main et en plongeant mon regard dans le sien. »

Il se contente de ne pas répondre, de faire demi-tour et de sortir. Je finis mon verre dans un murmure injurieux. Quel connard.

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