02 - La Garde De Nuit

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- Tu veux dire, je tente de rationaliser en m'éloignant le plus possible d'un vocabulaire inacceptable dans un repas de famille, que tu es sortie cette nuit et que tu as pris mon portable ?

- Oui. Mais tu ne sors jamais sans ton portable ! Si tu as quelque chose à me reprocher, commence peut-être par montrer l'exemple ?

- C'est MON portable.

- Non, c'est notre portable. Je suis toi et tu es moi, tu te souviens ? Essaye de suivre s'il te plait, c'est fatiguant de se répéter, surtout que je n'ai pas dormi de la nuit.

- Tu m'as dit que tu n'avais pas besoin de dormir la nuit !

- Et alors ? Tu n'as pas besoin d'un téléphone portable pour vivre, pourtant ça a l'air très important pour ton plaisir !

Je la déteste.

- Faustine... Qu'est-ce que tu as fait une fois en ville ?

- Rien ! Je me suis promenée. Plusieurs personnes ont voulu me parler, ça m'a fatiguée. Après, ta batterie s'est déchargée, et comme j'étais perdue j'ai demandé à des gens s'ils avaient un chargeur. Ils m'ont aidée, j'ai retrouvé mon chemin et me voilà !

- Tu es tombée sur des gens ? En pleine ville ? Qui avaient un chargeur ?

- Ne sois pas idiot. Il était 3h du matin. J'ai sonné chez eux.

- Et ils t'ont laissé rentrer ?

- Au début, non. Les dix-huit premiers m'ont crié dessus, mais ils m'ont offert un pot de fleurs et de quoi m'occuper pendant le reste de la nuit. Ils étaient trop timides pour descendre me les donner en main propre. Je les comprends. Je suis très impressionnante.

Je tourne la tête. Un pot de pétunias brisé à la base, un dictionnaire français-allemand et une intégrale de Proust trônent sur mon bureau. Je n'ai jamais eu de fleurs, j'ai fait espagnol LV2 et je déteste Proust.

- Et le dix-neuvième ?

- Il n'a pas répondu. Le vingtième non plus. Le trente-deuxième m'a bien proposé des activités à faire avec ma mère. Je lui ai répondu que je n'ai pas vraiment de mère, que je suis le point de collision entre une âme et toutes les autres mais il n'a rien voulu entendre. C'est là que j'ai réalisé combien les gens qui habitent dans le centre-ville sont fermés d'esprit.

- Je pense que la vraie réponse est plus simple que ça.

- Bref, poursuit-elle, après la quarante-troisième, je suis tombée sur une vieille dame qui a bien voulu m'ouvrir. Elle regardait la télé, sauf que la télé était éteinte. Elle m'a serrée dans ses bras et a commencé à me faire à manger. Elle n'arrêtait pas de m'appeler Stéphanie. Je lui ai dit que je n'étais pas Stéphanie, que j'étais un ange et que j'avais besoin de charger mon portable. J'ai branché le téléphone, je me suis installée sur un fauteuil en attendant. Elle a posé sa main sur mon poignet, et on a regardé la télé. Je suis partie deux heures plus tard, quand elle a enlevé sa main. J'ai rebranché sa télé juste avant de passer la porte.

Son regard s'absente quelques secondes. Elle reprend ses esprits et enchaine.

- En rentrant, j'ai vu que tu avais mis ton réveil à 11h, donc je me suis dit qu'il fallait absolument que je te réveille avant.

- Et tu as bien fait, merci.

Je n'en pense pas un mot, mais je suis trop occupé à faire défiler la soixantaine de notifications. Des applications de poker, de sudoku, d'échecs, des mini-jeux adorables qui hurlent « VOUS NOUS MANQUEZ. DÉBLOQUEZ UNE VIE GRATUITE » parce que j'ai eu l'audace de ne pas y jouer depuis plus de vingt minute, un rappel pour ma leçon d'espagnol du jour, un rappel pour ma leçon de solfège du jour, des demandes d'amis sur une demi-douzaine de réseaux sociaux dont je n'avais jamais entendu parler et d'autres injonctions plus vulgaires les unes que les autres telles que « JeMappelleFaustine, c'est l'heure de votre séance running ! », « FaustineLaMeilleure, un nouveau livre à écouter vous attend ! » ou « JenAiMarreDesFormulaires, un nouveau match est disponible ! »

Comment J'ai Ressuscité Mon Ange Gardien [En cours]Where stories live. Discover now